Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler les décisions des 16 janvier et 14 février 2018 par lesquelles le maire de la commune
de Cauchy-à-la-Tour l'a mise en demeure de reprendre ses fonctions ainsi que l'arrêté du 5 mars 2018 par lequel le maire l'a radiée des cadres pour abandon de poste et, d'autre part, d'enjoindre à la commune de Cauchy-à-la-Tour de reprendre le versement de son traitement à compter du mois de janvier 2018.
Par un jugement n° 1801914, 1803618 du 29 janvier 2021, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes.
Par un arrêt n° 21DA00650 du 9 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par Mme B... contre ce jugement.
Par une décision n° 465311 du 22 avril 2024, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt en tant qu'il a rejeté les conclusions de Mme B... en annulation, d'une part, de la mise en demeure du 14 février 2018 en tant qu'elle lui refuse le versement de son traitement et, d'autre part, de l'arrêté du 5 mars 2018 la radiant des cadres pour abandon de poste, et a renvoyé l'affaire dans cette mesure à la cour administrative d'appel de Douai.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 23 mars 2021, 28 septembre 2021, 8 octobre 2021 et, après cassation, le 12 juillet 2024, et un mémoire enregistré le 29 novembre 2024 qui n'a pas été communiqué, Mme B..., représentée par Me Véniel, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement du 29 janvier 2021 ;
2°) d'annuler la mise en demeure du 14 février 2018 en tant qu'elle lui refuse le versement de son traitement et l'arrêté du 5 mars 2018 la radiant des cadres pour abandon de poste ;
3°) d'enjoindre à la commune de Cauchy-à-la-Tour de la réintégrer dans les effectifs de la commune, de reconstituer sa carrière et de régulariser sa situation financière ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Cauchy-à-la-Tour une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision du 14 février 2018 refusant de lui verser son traitement est entachée d'un vice de procédure ;
- elle est entachée d'un détournement de pouvoir ;
- l'arrêté du 5 mars 2018 portant radiation des cadres est insuffisamment motivé, ainsi que l'avis rendu le 28 novembre 2017 par le comité médical supérieur ;
- cet arrêté est entaché d'un vice de procédure dès lors que le médecin de prévention ne s'est pas prononcé sur les conditions d'une reprise d'activité, que le comité médical supérieur a été directement saisi par la commune de Cauchy-à-la-Tour, que ce comité a rendu son avis sans respecter de procédure contradictoire, que le dossier porté devant le comité ne comportait pas le rapport du médecin de prévention et que l'avis de cet organisme n'est pas motivé ;
- l'arrêté du 5 mars 2018 est entaché d'une erreur de droit dès lors que l'administration s'est estimée, à tort, liée par l'avis rendu par le comité médical supérieur ;
- elle ne pouvait être radiée des cadres dès lors qu'elle se trouvait en situation de congé de maladie ;
- l'administration n'a tenu compte ni de sa demande à bénéficier d'un mi-temps thérapeutique, présentée le 23 janvier 2018, ni des éléments médicaux produits à la suite des mises en demeure des 16 janvier et 14 février 2018.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 octobre 2024, la commune
de Cauchy-à-la-Tour, représentée par Me Ingelaere, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la requérante sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 août 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- les conclusions de M. Carpentier-Daubresse, rapporteur public,
- et les observations de Me Véniel, représentant Mme B..., et de Me Ringuet, représentant la commune de Cauchy-à-la-Tour.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., alors adjointe administrative principale de 2ème classe employée par la commune de Cauchy-à-la-Tour, a été placée en congé de maladie à compter du 10 juin 2016. Le comité médical, saisi par le maire sur la possibilité d'une reprise d'activité à temps plein, a émis, le 22 juin 2017, un avis défavorable à la réintégration à temps complet et en faveur d'un congé de longue maladie d'une durée de douze mois à compter du 10 juin 2016, invitant l'intéressée, pour la période postérieure, à solliciter l'octroi d'un congé de longue durée. Par un avis du 5 octobre 2017, le comité médical a émis un avis favorable à un congé de longue durée pour une période de six mois à compter du 10 juin 2017. Toutefois, saisi par le maire le 10 août 2017 d'un recours à l'encontre de l'avis du comité médical du 22 juin 2017, le comité médical supérieur a, le 28 novembre 2017, émis un avis défavorable au congé de longue maladie depuis le 10 juin 2016 et un avis favorable à la demande de la commune d'une réintégration de Mme B... à temps complet. Par des courriers des 16 janvier et 14 février 2018, la commune de Cauchy-à-la-Tour a mis en demeure cette dernière de reprendre son service, en lui rappelant, dans le second courrier, que son traitement faisait l'objet d'une suspension de versement. Faute pour elle d'avoir déféré à ces mises en demeure, le maire a, par un arrêté du 5 mars 2018, prononcé sa radiation des cadres pour abandon de poste. Par un jugement du 29 janvier 2021, le tribunal administratif de Lille a rejeté les demandes de Mme B... tendant à l'annulation des mises en demeure des 16 janvier et 14 février 2018 et de l'arrêté du 5 mars 2018. Par un arrêt du 9 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par Mme B... contre ce jugement. Par une décision du 22 avril 2024, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt en tant qu'il a rejeté les conclusions de Mme B... tendant, d'une part, à l'annulation de la mise en demeure du 14 février 2018 en tant qu'elle lui refuse le versement de son traitement et, d'autre part, à l'annulation de l'arrêté du 5 mars 2018 la radiant des cadres pour abandon de poste, et a renvoyé l'affaire dans cette mesure à la cour administrative d'appel de Douai.
Sur la légalité de la décision du 14 février 2018 refusant de verser le traitement de Mme B... :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 13 janvier 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, auquel renvoie l'article 87 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, alors applicable : " Les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération (...) ".
3. En premier lieu, la retenue sur traitement, qui constitue une mesure comptable, n'est en principe soumise à aucune procédure particulière et n'exige, en conséquence, ni que l'agent intéressé ait été mis en mesure de présenter sa défense, ni même qu'il ait été préalablement informé de la décision prise à son encontre avant que celle-ci ne soit exécutée. Si Mme B... demande à la cour d'annuler la décision du 14 février 2018 refusant de lui verser son traitement " au vu de l'irrégularité de la procédure poursuivie ", elle ne donne aucune précision sur les règles de procédure qui auraient été méconnues par l'administration avant de décider d'interrompre le versement de son traitement. Dans ces conditions, le moyen tiré du vice de procédure ne peut qu'être écarté.
4. En second lieu, Mme B..., qui indique avoir été privée de son traitement dès le mois de janvier 2018, soutient que la décision du 14 février 2018 l'informant d'une retenue sur son salaire est entachée d'un détournement de pouvoir. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le comité médical supérieur, qui s'est prononcé sur sa situation médicale le 28 novembre 2017, a estimé qu'elle était apte au service. La commune de Cauchy-à-la-Tour lui a enjoint en conséquence de reprendre son service par un courrier du 16 janvier 2018, date à laquelle l'administration pouvait interrompre le versement de son traitement. Dans ces conditions, il n'est pas établi qu'en interrompant ce versement, l'administration aurait poursuivi un autre objectif que celui de tirer les conséquences d'une absence de service fait. Par suite, le moyen tiré d'un détournement de pouvoir ne peut qu'être écarté.
Sur la légalité de l'arrêté du 5 mars 2018 prononçant la radiation des cadres de Mme B... :
5. Une mesure de radiation des cadres pour abandon de poste ne peut être régulièrement prononcée que si l'agent concerné a, préalablement à cette décision, été mis en demeure de rejoindre son poste ou de reprendre son service dans un délai approprié qu'il appartient à l'administration de fixer. Une telle mise en demeure doit prendre la forme d'un document écrit, notifié à l'intéressé, l'informant du risque qu'il court d'une radiation des cadres sans procédure disciplinaire préalable. Lorsque l'agent ne s'est pas présenté et n'a fait connaître à l'administration aucune intention avant l'expiration du délai fixé par la mise en demeure, et en l'absence de toute justification d'ordre matériel ou médical, présentée par l'agent, de nature à expliquer le retard qu'il aurait eu à manifester un lien avec le service, cette administration est en droit d'estimer que le lien avec le service a été rompu du fait de l'intéressé.
6. Lorsque l'agent a été reconnu apte à reprendre ses fonctions par le comité médical, mais que, mis en demeure de rejoindre son poste, il refuse de le faire en produisant un certificat médical prescrivant un nouvel arrêt de travail, il appartient à l'autorité administrative, avant de prononcer une éventuelle mesure de radiation des cadres à raison d'un abandon de poste, d'apprécier si ce certificat médical apporte des éléments nouveaux par rapport aux constatations sur la base desquelles a été rendu l'avis du comité médical. Elle ne peut donc légalement refuser d'examiner les éléments ainsi invoqués au motif qu'elle serait tenue par l'avis du comité médical.
7. Il ressort des pièces du dossier que, répondant à la première mise en demeure adressée le 16 janvier 2018, Mme B... a communiqué à la commune de Cauchy-à-la-Tour le rapport médical établi par un psychiatre le 5 septembre 2017, dont le comité médical supérieur n'avait pas eu connaissance avant de se prononcer le 28 novembre 2017, le certificat médical du 15 décembre 2017 prolongeant son arrêt pour maladie jusqu'au 15 mars 2018 ainsi que le certificat médical d'un psychiatre daté du 22 janvier 2018 mentionnant une nécessaire reprise dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique. Selon la mise en demeure adressée à Mme B... le 14 février 2018, le maire de la commune, rappelant que la " décision " du comité médical supérieur " s'impose tant à la collectivité qu'à l'agent ", en a déduit que les nouveaux éléments médicaux produits par la requérante " ne sauraient avoir une quelconque incidence " dès lors que la commune est " tenue de suivre l'avis du comité " qui " conclut à une reprise immédiate " et " écarte l'intégralité des prétentions médicales " de l'intéressée. Il ressort ainsi des termes mêmes du courrier du 14 février 2018 que l'administration s'est refusée à examiner d'éventuels éléments nouveaux se rapportant à la situation médicale de Mme B... au motif qu'elle était tenue de suivre l'avis rendu le 28 novembre 2017 par le comité médical supérieur. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, Mme B... est fondée à soutenir que l'administration, qui s'est estimée, à tort, en situation de compétence liée, a entaché sa décision de radiation des cadres d'une erreur de droit.
8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 mars 2018.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. L'annulation d'une décision ayant irrégulièrement évincé un agent public impose à l'autorité compétente de procéder à la réintégration juridique de l'intéressé à la date de cette décision, de prendre rétroactivement les mesures nécessaires pour reconstituer sa carrière et le placer dans une situation régulière et, à défaut d'une nouvelle décision d'éviction, de prononcer sa réintégration effective dans l'emploi qu'il occupait avant son éviction si cet emploi présente un caractère unique ou, à défaut d'un tel caractère, dans un emploi correspondant à son grade.
10. Le présent arrêt, qui annule l'arrêté du 5 mars 2018 prononçant la radiation des cadres de Mme B... pour abandon de poste implique donc, pour son exécution, qu'il soit enjoint à la commune de Cauchy-à-la-Tour de procéder, de façon rétroactive, à la réintégration juridique et à la reconstitution de la carrière et des droits sociaux dont Mme B... aurait bénéficié, compte tenu notamment de son aptitude physique, si elle n'avait pas été illégalement évincée, depuis la date de son éviction illégale le 5 mars 2018, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Il y a également lieu d'enjoindre à l'administration, ainsi que le demande l'appelante, de procéder à la réintégration effective de l'intéressée dans un emploi correspondant à son grade, dans le même délai et sous réserve de son aptitude physique dûment constatée, le cas échéant, dans les conditions prévues par le décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 relatif à l'organisation des conseils médicaux, aux conditions d'aptitude physique et au régime des congés de maladie des fonctionnaires territoriaux.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme B..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont la commune de Cauchy-à-la-Tour demande le versement au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
12. Par ailleurs, Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 août 2024. D'une part, Mme B... n'allègue pas avoir exposé de frais autres que ceux pris en charge par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle totale qui lui a été allouée. D'autre part, son avocate n'a pas demandé que lui soit versée par la commune
de Cauchy-à-la-Tour la somme correspondant aux frais exposés qu'elle aurait réclamée à sa cliente si celle-ci n'avait bénéficié d'une aide juridictionnelle totale. Dans ces conditions, les conclusions de la requête tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille n° 1801914, 1803618 du 29 janvier 2021 est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de Mme B... tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 mars 2018 prononçant sa radiation des cadres pour abandon de poste. L'arrêté du 5 mars 2018 prononçant la radiation des cadres de Mme B... pour abandon de poste est annulé.
Article 2 : Il est enjoint à la commune de Cauchy-à-la-Tour de procéder à la réintégration juridique et à la reconstitution de la carrière et des droits sociaux de Mme B... à compter de la date de son éviction illégale le 5 mars 2018, et de procéder à la réintégration effective de l'intéressée dans un emploi correspondant à son grade, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions d'appel de Mme B..., dont la cour a été de nouveau saisie dans la mesure prononcée par la décision du Conseil d'Etat n° 465311 du 22 avril 2024, ainsi que les conclusions des parties présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à la commune
de Cauchy-à-la-Tour et à Me Véniel.
Délibéré après l'audience publique du 3 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 décembre 2024.
Le président-rapporteur,
Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,
Signé : M.-P. ViardLa greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au préfet du Pas-de-Calais en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière
C. Huls-Carlier
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N° 24DA00771