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04/12/2024 | FRANCE | N°23DA01780

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 3ème chambre, 04 décembre 2024, 23DA01780


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler, d'une part, la décision du 5 avril 2022 par laquelle le procureur de la République près le tribunal judiciaire d'Evreux lui a retiré son agrément de policier municipal et, d'autre part, l'arrêté du 9 juin 2022 par lequel le maire de la commune de Gisors a prononcé son licenciement à compter du 13 juillet 2022 et l'a radié des cadres.



Par un jugement n° 2202342, 2202781 du 21 juillet 2

023, le tribunal administratif de Rouen a rejeté ses demandes.



Procédure devant la cour ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler, d'une part, la décision du 5 avril 2022 par laquelle le procureur de la République près le tribunal judiciaire d'Evreux lui a retiré son agrément de policier municipal et, d'autre part, l'arrêté du 9 juin 2022 par lequel le maire de la commune de Gisors a prononcé son licenciement à compter du 13 juillet 2022 et l'a radié des cadres.

Par un jugement n° 2202342, 2202781 du 21 juillet 2023, le tribunal administratif de Rouen a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 et 19 septembre 2023, M. A..., représenté par Me André, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 21 juillet 2023 ;

2°) d'annuler la décision du 5 avril 2022 et l'arrêté du 9 juin 2022 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision de retrait d'agrément a été prise au terme d'une procédure irrégulière dès lors que son conseil n'a pas été en mesure de le conseiller dans le cadre de la procédure contradictoire initiée par le procureur de la République, alors même que l'administration était informée qu'il bénéficiait du concours d'un avocat, que le procureur n'a pas eu communication d'une pièce déterminante, et que la commune a manqué à son obligation d'impartialité en abandonnant la procédure disciplinaire au profit d'une procédure de retrait d'agrément ;

- les faits qui lui sont reprochés ne sont pas établis ;

- ces faits, qui s'expliquent en partie par l'ambiance délétère au sein du service, la dégradation de son état de santé et des insuffisances professionnelles, ne sont pas de nature à affecter son honorabilité, ni la confiance que peut lui porter l'autorité municipale ;

- la décision de licenciement est illégale, par voie d'exception, en raison de l'illégalité dont le retrait d'agrément est entaché ;

- cette décision, qui n'a pas été précédée d'un examen de sa situation en vue d'un éventuel reclassement, est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juin 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la requête, qui ne comporte aucun moyen d'appel, n'est pas motivée et est, par suite, irrecevable ;

- il s'en rapporte au mémoire en défense déposé devant le tribunal administratif de Rouen.

Par un mémoire en défense enregistré le 30 août 2024, la commune de Gisors, représentée par Me Huon, conclut au rejet de la requête à et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge du requérant sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une ordonnance du 3 septembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 8 octobre 2024 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la fonction publique ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- et les conclusions de M. Carpentier-Daubresse, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., né le 25 mai 1973, a été recruté par la commune de Gisors le 1er octobre 2007 en qualité de gardien de police municipale. Il a été promu au grade de

brigadier-chef principal de la police municipale le 1er janvier 2011. Par une décision du 5 avril 2022, le procureur de la République près le tribunal judiciaire d'Evreux a retiré l'agrément dont bénéficiait M. A... pour l'exercice des fonctions de policier municipal. Par un arrêté du 9 juin 2022, le maire de la commune de Gisors a prononcé le licenciement de l'intéressé à compter du 13 juillet 2022 et l'a radié des effectifs de la commune. M. A... a saisi le tribunal administratif de Rouen de deux demandes tendant à l'annulation, d'une part, de la décision du 5 avril 2022 et, d'autre part, de l'arrêté du 9 juin 2022. Il relève appel du jugement du 21 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté ses deux demandes.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la légalité de la décision du 5 avril 2022 :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " (...) les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Aux termes de l'article L. 122-1 du même code : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a été informé par un courrier du procureur de la République du 20 septembre 2021 qu'une décision retirant son agrément de policier municipal était envisagée, ce courrier lui précisant qu'il avait la possibilité de consulter son dossier et de présenter des observations. Le requérant a d'ailleurs présenté des observations, conduisant le procureur de la République à l'informer, par un second courrier du 10 février 2022, qu'une enquête de gendarmerie était diligentée et qu'il avait de nouveau la possibilité de consulter son dossier et de présenter des observations. M. A... a ainsi été mis à même de présenter des observations sur la mesure envisagée à son encontre en se faisant assister, le cas échéant, par un conseil de son choix, dans les conditions prévues par les dispositions précitées du code des relations entre le public et l'administration. À cet égard, ces dispositions n'imposaient pas au procureur de la République de préciser, dans les courriers précités, que M. A... pouvait se faire assister par un conseil de son choix, ni, après que l'intéressé eut indiqué être assisté d'un tel conseil dans ses observations du 25 février 2022, de prendre l'initiative d'impliquer son avocat dans la procédure contradictoire. La circonstance que la commune de Gisors a omis de communiquer au procureur de la République le rapport établi le 8 octobre 2020 par l'ancien chef de la police municipale n'est pas de nature à entacher la procédure contradictoire d'une irrégularité dès lors que l'appelant était en mesure de faire état de ce document dans le cadre de cette procédure et que l'auteur du rapport a été auditionné au cours de l'enquête de gendarmerie diligentée par le procureur.

4. En deuxième lieu, M. A... soutient que la commune de Gisors a manqué à ses obligations de loyauté et d'impartialité en engageant une procédure disciplinaire contre lui puis, dans l'impossibilité d'obtenir sa révocation par cette voie, en saisissant le procureur de la République d'une demande de retrait d'agrément de policier municipal dans la perspective de le licencier. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la commune de Gisors a saisi le procureur de la République dès le 20 juillet 2021 d'une demande tendant au retrait d'agrément, dont M. A... a d'ailleurs été informé lors de la notification de l'arrêté le suspendant de ses fonctions, le 22 juillet 2021, puis à nouveau par un courrier du 20 septembre 2021, avant de saisir le conseil de discipline le 11 octobre 2021. La circonstance que la commune a omis de transmettre au procureur de la République le rapport de l'ancien chef de la police municipale du 8 octobre 2020 n'est pas de nature à révéler une manœuvre déloyale de sa part. Par ailleurs, à supposer que le conseil de discipline se soit prononcé en défaveur d'une révocation, cette circonstance n'aurait pas fait obstacle au licenciement du requérant en conséquence du retrait de l'agrément de policier municipal. Le moyen tiré d'un manquement aux obligations de loyauté et d'impartialité doit donc être écarté.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 511-2 du code de la sécurité intérieure : " Les fonctions d'agent de police municipale ne peuvent être exercées que par des fonctionnaires territoriaux recrutés à cet effet dans les conditions fixées par les statuts particuliers prévus à l'article 6 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale (...). / Ils sont nommés par le maire (...), agréés par le représentant de l'Etat dans le département et le procureur de la République, puis assermentés. Cet agrément et cette assermentation restent valables tant qu'ils continuent d'exercer des fonctions d'agents de police municipale. (...) / L'agrément peut être retiré ou suspendu par le représentant de l'Etat ou le procureur de la République après consultation du maire ou du président de l'établissement public de coopération intercommunale. Toutefois, en cas d'urgence, l'agrément peut être suspendu par le procureur de la République sans qu'il soit procédé à cette consultation ". L'agrément accordé à un policier municipal sur le fondement de ces dispositions peut légalement être retiré lorsque l'agent ne présente plus les garanties d'honorabilité auxquelles est subordonnée la délivrance de l'agrément. L'honorabilité d'un agent de police municipale, nécessaire à l'exercice de ses fonctions, dépend notamment de la confiance qu'il peut inspirer, de sa fiabilité et de son crédit.

6. D'une part, pour retirer l'agrément de policier municipal à M. A..., le procureur de la République a relevé le manque de professionnalisme de l'intéressé, son non-respect des règles de sécurité, ses difficultés à respecter la hiérarchie, son comportement agressif à l'égard d'une collègue et, surtout, une conduite dangereuse du véhicule de service et une attitude à l'égard des femmes révélant un comportement en inadéquation avec les missions de policier municipal. Le requérant ne conteste pas sérieusement les manquements professionnels, les difficultés rencontrées dans ses relations avec les supérieurs hiérarchiques, le comportement agressif adopté à l'égard d'une collègue et la conduite dangereuse d'un véhicule, qui ressortent notamment des divers témoignages recueillis au cours de l'enquête de gendarmerie ordonnée par le procureur de la République. Si M. A... conteste en revanche tout comportement inadapté à l'égard de ses collègues de sexe féminin, il ressort du rapport d'information établi par son supérieur hiérarchique et du rapport d'enquête préliminaire établi par la brigade de gendarmerie nationale dans le cadre de l'enquête précitée, accompagné des procès-verbaux d'audition des agents de la police municipale, dont les témoignages sont suffisamment précis et concordants, que, le 9 juin 2021, le requérant a mimé des gestes à caractère sexuel en observant la robe d'une collègue dans le vestiaire du service. Contrairement à ce que soutient M. A..., la vraisemblance de ces faits n'est remise en cause par aucun des agents entendus par la gendarmerie nationale, ni même par l'ancien chef de la police municipale. Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, les auditions auxquelles a procédé la gendarmerie nationale établissent de façon suffisante que, indépendamment de l'événement survenu le 9 juin 2021, le requérant a un comportement inapproprié et tient des propos déplacés à l'égard des personnes de sexe féminin. Par suite, le moyen tiré de l'inexactitude matérielle des griefs retenus par le procureur de la République doit être écarté.

7. D'autre part, outre le manque de professionnalisme relevé à l'encontre de M. A... par le procureur de la République, sa désinvolture et le non-respect des règles de sécurité, constaté notamment le 21 mai 2021 lorsque l'intéressé a laissé une bombe aérosol incapacitante en dehors du coffre de protection, il ressort des pièces du dossier que le requérant a montré un comportement agressif et violent à l'égard de collègues les 27 juillet 2020 et 16 juillet 2021, et a adopté une conduite dangereuse d'un véhicule de service le 29 juillet 2020. Les faits cités plus haut, commis le 9 juin 2021 sur le lieu du service, sont incompatibles avec les fonctions d'un policier municipal. Ainsi qu'il a été dit au point précédent, le requérant a un comportement inapproprié à l'égard des femmes. Les difficultés de santé de M. A... et la situation délétère au sein du service de police municipale ne sont pas de nature à justifier les faits reprochés par le procureur de la République, ou à en atténuer la gravité. Dans ces conditions, le procureur de la République a pu légalement estimer que, par son comportement, le requérant ne pouvait plus inspirer confiance et, en l'absence de la fiabilité et du crédit nécessaires à l'exercice des fonctions de policier municipal, en déduire que l'intéressé ne présentait plus les garanties d'honorabilité auxquelles est subordonnée la délivrance d'un agrément, et, par voie de conséquence, prononcer le retrait de cet agrément.

En ce qui concerne la légalité de l'arrêté du 9 juin 2022 :

8. En premier lieu, M. A... n'établit pas que la décision du 5 avril 2022 procédant au retrait de son agrément de policier municipal serait illégale. Il n'est donc pas fondé à se prévaloir de la prétendue illégalité de ce retrait pour soutenir que, par voie d'exception, la décision prononçant son licenciement serait elle-même illégale.

9. En second lieu, aux termes de l'article L. 826-10 du code général de la fonction publique : " Lorsque l'agrément d'un agent de police municipale est retiré ou suspendu dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article L. 511-2 du code de la sécurité intérieure, le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale peut proposer, un reclassement dans un autre cadre d'emplois dans les mêmes conditions que celles prévues à la section 1 et à la présente section du chapitre VI du présent titre, relatives au reclassement du fonctionnaire territorial reconnu inapte à l'exercice de ses fonctions ".

10. Si ces dispositions accordent au maire la faculté de rechercher les possibilités de reclassement dans un autre cadre d'emplois de l'agent de police municipale dont l'agrément a été retiré ou suspendu et qui n'a fait l'objet ni d'une mesure disciplinaire d'éviction du service, ni d'un licenciement pour insuffisance professionnelle, elles n'instituent pas au bénéfice des agents de police municipale un droit à être reclassé. Par suite, le maire de la commune de Gisors, qui n'était nullement tenu de chercher à reclasser M. A... dans un autre cadre d'emplois que celui d'agent de police municipale, n'a entaché sa décision d'aucune erreur manifeste d'appréciation en refusant d'envisager un tel reclassement. Le moyen soulevé sur ce point ne peut donc qu'être écarté, ainsi que l'a estimé le tribunal administratif qui n'a entaché son jugement d'aucune insuffisance de motivation sur ce point.

11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par la ministre de la justice, que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté ses demandes.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont M. A... demande le versement au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... la somme dont la commune de Gisors demande le versement sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune de Gisors présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au garde des sceaux, ministre de la justice, et à la commune de Gisors.

Délibéré après l'audience publique du 19 novembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 décembre 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,

Signé : M.-P. Viard

La greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, et au préfet de l'Eure en ce qui les concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière,

C. Huls-Carlier

2

N° 23DA01780


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA01780
Date de la décision : 04/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Jean-Marc Guerin-Lebacq
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : SCP BARON COSSE ANDRE

Origine de la décision
Date de l'import : 15/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-04;23da01780 ?
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