Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen de prononcer son admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, d'annuler l'arrêté du 27 août 2023 par lequel le préfet de l'Eure l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi, d'enjoindre au préfet de l'Eure de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, ou à titre subsidiaire, le versement de la même somme directement à M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2303549 du 13 octobre 2023, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rouen a prononcé son admission à l'aide juridictionnelle provisoire, a annulé les décisions du préfet de l'Eure du 27 août 2023, a enjoint au préfet territorialement compétent de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de deux mois suivant la notification du jugement et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours à compter de cette date, et a mis à la charge de l'État la somme de 800 euros à verser à Me Boyle, conseil de M. B..., en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle, ou directement à M. B... dans le cas où l'aide juridictionnelle ne lui serait pas accordée.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 7 novembre 2023, le préfet de l'Eure demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la requête de M. B....
Il soutient que, contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, l'arrêté du 27 août 2023 n'a pas été pris par une autorité incompétente.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 mai 2024, M. A... B..., représenté par Me Boyle, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Eure en date du 27 août 2023 ;
3°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, ou à titre subsidiaire, le versement de la même somme directement à M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
Il soutient que :
En ce qui concerne l'ensemble des décisions :
- les décisions en litige sont entachés d'incompétence ;
- elles sont insuffisamment motivées ;
- les décisions en litige sont entachées d'un défaut d'examen sérieux de sa situation ;
- il n'a pas été en mesure de présenter des observations préalablement à leur édiction en méconnaissance des articles L. 121-1 et L. 121-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
- elles sont entachées d'erreur de droit dès lors que la retenue pour vérification de son identité qui a révélé son séjour irrégulier est motivée pour une infraction de " mécanique sauvage " non caractérisée et qui n'a d'ailleurs donné suite à aucune sanction pénale ;
- elles sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation quant à leurs conséquences sur sa situation personnelle ;
- elles sont entachées d'erreur d'appréciation et d'erreur de fait quant à sa situation familiale et professionnelle.
En ce qui concerne la décision fixant à 30 jours le délai de départ volontaire :
- les dispositions de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui limitent la possibilité d'accorder un délai de départ volontaire à 30 jours à une situation exceptionnelle sont contraires à l'article 7.2 de la directive retour ;
- elle est illégale en ce qu'elle ne comporte pas délai de départ approprié à sa situation.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ; - le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Delahaye, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant marocain né le 8 août 1987, s'est vu opposer le 27 août 2023 par le préfet de l'Eure un arrêté portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination. Le préfet de l'Eure relève appel du jugement du 13 octobre 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé ces décisions.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :
2. Par un arrêté du 17 octobre 2022, régulièrement publié le 19 octobre 2022 au recueil des actes administratifs, et accessible tant au juge qu'aux parties, le préfet de l'Eure a donné délégation à M. C... D..., sous-préfet de Bernay, à l'effet de signer, lors de la permanence des membres du corps préfectoral, tout arrêté relevant des attributions de l'État dans le département de l'Eure. Le préfet de l'Eure produit en appel un document confirmant que M. D... était de permanence le dimanche 27 août 2023 à la date d'édiction de l'arrêté en litige, cette circonstance n'ayant au demeurant pas été contestée en première instance. C'est dès lors à tort que, pour annuler cet arrêté, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a retenu le moyen tiré de ce que M. D... n'était pas compétent pour le signer.
3. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif et la cour.
Sur les autres moyens :
En ce qui concerne l'ensemble des décisions :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / (...) / 2° L'étranger, entré sur le territoire français sous couvert d'un visa désormais expiré ou, n'étant pas soumis à l'obligation du visa, entré en France plus de trois mois auparavant, s'est maintenu sur le territoire français sans être titulaire d'un titre de séjour ou, le cas échéant, sans demander le renouvellement du titre de séjour temporaire ou pluriannuel qui lui a été délivré (...) ". Aux termes de l'article L. 612-1 du même code : " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision. / L'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. / Elle peut prolonger le délai accordé pour une durée appropriée s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. L'étranger est informé par écrit de cette prolongation. ". Aux termes de l'article L. 612-2 du même code : " La décision portant obligation de quitter le territoire français mentionne le pays, fixé en application de l'article L. 721-3, à destination duquel l'étranger est renvoyé en cas d'exécution d'office. ". Il résulte de ces dispositions qu'en dehors de l'hypothèse où il refuse d'accorder un délai de départ volontaire ou de le prolonger à la demande de l'étranger, le préfet n'est pas tenu de motiver spécifiquement sa décision accordant le délai légal de départ de trente jours.
5. Pour obliger M. B... à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et fixer le pays à destination duquel cette mesure est susceptible d'être exécutée d'office, le préfet de l'Eure, après avoir visé les dispositions précitées, a notamment relevé que M. B... est arrivé sur le territoire français en octobre 2022 prétendument avec un visa et n'a effectué aucune autre démarche en vue de régulariser sa situation, qu'il déclare être célibataire sans enfant et ne démontre pas être dépourvu d'attaches dans son pays d'origine, qu'il indique exercer une activité professionnelle non déclarée et être logée par divers particuliers, qu'il n'allègue pas être exposé à des peines ou traitements contraires à la convention européenne des droits de l'homme en cas de retour dans son pays d'origine, et que la décision ne contrevient pas aux dispositions des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le préfet de l'Eure a en outre relevé, alors même qu'il n'y était pas tenu en retenant le délai légal de trente jours, que la situation personnelle de l'intéressé ne justifie pas, qu'à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur lui soit accordé. Ainsi, les décisions en litige comportent les considérations de droit et de fait qui les fondent. Le moyen tiré du caractère insuffisant de leur motivation doit dès lors être écarté.
6. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que la motivation des décisions en litige est cohérente avec les déclarations de l'intéressé effectuées lors de son audition par les services de police du 27 août 2023, préalablement à l'édiction de l'arrêté en litige, au cours de laquelle il a indiqué qu'il était entré en France le 22 octobre 2022 sous couvert d'un visa touristique sans être alors en mesure d'en justifier, qu'il était célibataire, sans enfant à charge et sans profession, et que ses moyens de subsistance étaient constitués de " petits boulots sans contrat de travail, au black ". Si l'intéressé produit à l'instance son passeport revêtu d'un visa faisant mention de son entrée en France pour la première fois le 26 octobre 2022, cet élément n'est pas de nature à remettre en cause les constatations du préfet de l'Eure qui a pris en compte son entrée régulière sur le territoire français en fondant l'obligation de quitter le territoire français sur le 2° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En outre, si M. B... se prévaut d'une demande d'autorisation de travail à son bénéfice en qualité de technicien-réparateur de cycle déposée par la société Givernon Tourisme une première fois le 4 juillet 2023, puis une seconde fois le 7 septembre 2023 suite à l'incomplétude de la demande initiale qui ne relevait pas du statut " saisonnier " mais du statut " résidant hors de France ", cette circonstance n'est en tout état de cause pas de nature à remettre en cause le fait, ainsi que l'a estimé le préfet de l'Eure, que l'intéressé n'avait pas effectué de démarches personnelles en vue de régulariser sa situation administrative à la date d'édiction de ces décisions. Le préfet de l'Eure n'était en outre pas plus tenu de faire instruire cette demande d'autorisation de travail, ni même de la viser dès lors que M. B... n'était pas titulaire d'un visa de long séjour et s'était maintenu irrégulièrement sur le territoire à l'expiration de son visa. Enfin, la circonstance que l'intéressé entretienne une relation avec une compatriote résidant régulièrement en France n'est pas de nature à remettre en cause sa qualité de célibataire sans enfant retenue par le préfet de l'Eure. Au vu de l'ensemble de ces éléments, le moyen tiré de ce que l'arrêté en litige n'aurait pas été précédé d'un examen sérieux de la situation de l'intéressé doit être écarté.
7. En troisième lieu, compte tenu de ce qui a été dit précédemment concernant la situation personnelle et professionnelle de M. B..., et en l'absence d'autre élément, les moyens tirés de ce que les décisions en litige seraient à ce titre entachées d'erreur d'appréciation ou d'erreur de fait doivent être écartés.
8. En quatrième lieu, il résulte des dispositions du livre VI du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le législateur a entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises l'intervention et l'exécution des mesures d'éloignement. Dès lors, M. B... ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration à l'encontre de l'arrêté en litige.
9. En cinquième lieu, M. B... ne peut utilement critiquer devant la juridiction administrative les conditions de son interpellation et de sa retenue administrative. Le moyen tiré de l'erreur de droit à ce titre doit dès lors être écarté comme inopérant.
10. En dernier lieu, il est constant que M. B... se maintient irrégulièrement en France seulement depuis le mois d'octobre 2022 et qu'il ne justifie pas, ni même n'allègue, être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine où il a vécu jusqu'à l'âge de 35 ans, alors que ses allégations quant à sa vie commune avec sa compagne, compatriote en situation régulière, sont insuffisamment étayées. En outre, si l'intéressé produit une promesse d'embauche pour un emploi à durée déterminée de technicien-réparateur de cycle émise par la société Givernon Tourisme et justifie du dépôt par cette dernière d'une demande d'autorisation de travail, M. B... ne peut être regardé de ce seul fait comme justifiant d'une insertion sociale ou professionnelle en France à la date de l'arrêté en litige, ni même de perspectives durables d'intégration. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, les décisions en litige ne sont pas entachées d'erreurs manifestes d'appréciation quant à leurs conséquences sur la situation personnelle de M. B....
En ce qui concerne la décision fixant à trente jours le délai de départ volontaire :
11. Aux termes de l'article 7 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 : " 1. La décision de retour prévoit un délai approprié allant de sept à trente jours pour le départ volontaire (...) / 2. Si nécessaire, les Etats membres prolongent le délai de départ volontaire d'une durée appropriée, en tenant compte des circonstances propres à chaque cas, telles que la durée du séjour, l'existence d'enfants scolarisés et d'autres liens familiaux et sociaux. ".
12. D'une part, en fixant à l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de manière générale un délai de trente jours à l'étranger pour quitter le territoire français, lequel délai est identique à celui prévu au 1. de l'article 7 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008, le législateur n'a pas édicté des dispositions incompatibles avec les objectifs de cet article. Par ailleurs, les dispositions de l'article L. 612-1 précité ne font pas obstacle à ce que l'autorité administrative prolonge, le cas échéant, le délai de départ volontaire d'une durée appropriée pour faire bénéficier les étrangers dont la situation particulière le nécessiterait de la prolongation prévue au 2. de l'article 7 de la directive du 15 décembre 2008. En conséquence, les dispositions de l'article L. 612-1 citées au point 4 du présent arrêt ne sont pas incompatibles avec les objectifs de l'article 7 de la directive du 16 décembre 2008.
13. D'autre part, M. B... ne fait état d'aucun élément spécifique tenant à sa situation personnelle de nature à démontrer que le préfet de l'Eure aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en fixant à trente jours le délai de départ volontaire.
14. Il résulte de ce tout qui précède que le préfet de l'Eure est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 27 août 2023, a enjoint au préfet territorialement compétent de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de deux mois suivant la notification du jugement et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour dans un délai de 15 jours à compter de cette date, et a mis à la charge de l' État la somme de 800 euros à verser à Me Boyle, conseil de M. B..., en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, et que la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Rouen doit être rejetée.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rouen du 13 octobre 2023 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Rouen est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... B....
Copie en sera transmise au préfet de l'Eure.
Délibéré après l'audience du 22 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
- M. Benoît Chevaldonnet, président de chambre,
- M. Laurent Delahaye, président-assesseur,
- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 novembre 2024.
Le président-rapporteur,
Signé : L. DelahayeLe président de la chambre,
Signé : B. Chevaldonnet
La greffière,
Signé : A-S. Villette
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière
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N°23DA02093