Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 17 juillet 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2304191 du 28 mars 2024, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 30 avril 2024, M. B..., représenté par Me Mary, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 17 juillet 2023 du préfet de la Seine-Maritime ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer un titre de séjour temporaire dans un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir, et dans l'attente, de le munir d'un récépissé l'autorisant à travailler dans un délai de huit jours à compter de cette notification, sous astreinte de cent euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la procédure concernant la vérification des actes d'état civil prévue par l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'a pas été mise en œuvre par le préfet ;
- il doit bénéficier de la présomption d'authenticité des actes civils qu'il a produit auprès de l'administration, en application de l'article 47 du code civil ;
- le préfet ne pouvait pas se fonder sur le mode d'impression utilisé dès lors qu'aucun procédé particulier n'est exigé par les autorités maliennes ;
- la décision de refus de séjour méconnaît l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- l'illégalité de la décision de refus de séjour entraîne l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français et de la décision fixant le pays de destination.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 juillet 2024, le préfet de la Seine-Maritime conclut au la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant malien, est entré en France le 3 décembre 2018. Il a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance du département de la Seine-Maritime le 4 mars 2019. Le 21 mai 2021 il a sollicité son admission au séjour sur le fondement de l'article L. 435.3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 17 juillet 2023, le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande d'admission au séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Il relève appel du jugement n° 2304191 du 28 mars 2024 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de la décision refusant l'admission exceptionnelle au séjour de M. B... :
2. La décision refusant l'admission au séjour de M. B... a été prise au motif, d'une part, qu'il a présenté des documents d'état civil non authentiques et d'autre part, qu'il ne remplit pas la condition posée par l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile tenant à la poursuite d'une formation professionnelle depuis au moins six mois.
En ce qui concerne le motif relatif à l'authenticité des documents d'état civil :
3. Aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil. ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité (...) ". Aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiant de son état civil ; / 2° Les documents justifiant de sa nationalité (...) / La délivrance du premier récépissé et l'intervention de la décision relative au titre de séjour sollicité sont subordonnées à la production de ces documents. / (...) ".
4. La force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
5. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
6. En premier lieu, l'administration française n'est pas tenue de solliciter nécessairement et systématiquement les autorités d'un autre Etat afin d'établir qu'un acte d'état civil présenté comme émanant de cet Etat est dépourvu d'authenticité, en particulier lorsque l'acte est, compte tenu de sa forme et des informations dont elle dispose sur la forme habituelle du document en question, manifestement falsifié.
7. En deuxième lieu, aucune disposition législative ou règlementaire ni aucun principe ne fait obstacle à ce que l'autorité préfectorale, qui dispose de la faculté de s'entourer, avant de prendre une décision portant refus de titre de séjour, des avis qu'elles estiment utile de recueillir, sollicite les services de la police aux frontières aux fins de produire un rapport d'expertise documentaire concernant le caractère authentique ou non des actes d'état civils présentés par l'étranger.
8. En troisième lieu, il ne ressort pas de l'arrêté attaqué que le préfet de la Seine-Maritime se serait considéré en situation de compétence liée par les avis émis par les services de la police aux frontières sur l'authenticité des documents d'état civil produits par M. B....
9. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment des rapports de la police aux frontières des 4 et 5 janvier 2022 sur lesquels le préfet de la Seine-Maritime s'est fondé pour retenir la falsification des documents d'identité produits par M. B..., que l'extrait d'acte de naissance n° 308 délivré le 21 mai 2018 comporte notamment une erreur dans la rédaction du mot Officier qui est orthographié " Officicer " et que le numéro d'identification nationale des personnes physiques et morales du Mali n'y figure pas. La copie de l'acte de naissance produite par M. B..., comporte les mêmes erreur et manque. Quant au jugement supplétif n° 306 délivré le 11 mai 2018, il comporte notamment une rature au niveau de sa date, son auteur ayant manifestement modifié l'année de délivrance du document. Ces éléments permettent d'établir que les documents présentés par M. B... ne sont pas revêtus de garanties d'authenticité suffisantes au sens des dispositions précitées. Dès lors, l'appelant n'est pas fondé à soutenir que la décision refusant de l'admettre au séjour à titre exceptionnel serait entachée d'une erreur d'appréciation sur ce point, sans qu'ait d'incidence le classement intervenu le 21 novembre 2022, par le procureur de la République du Havre, de la plainte de l'autorité préfectorale pour des faits de détention et usage de faux documents d'identité et quand bien même il dispose par ailleurs d'une carte d'identité consulaire.
En ce qui concerne le motif tiré de ce que l'intéressé ne remplit pas les conditions posées par l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :
10. Aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. ".
11. Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de " salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.
12. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., confié à l'aide sociale à l'enfance après son entrée sur le territoire français, a alors débuté une formation au centre de formation des apprentis du Val de Reuil. Toutefois, le contrat de formation établi du 22 août 2019 au 21 août 2021 a fait l'objet d'une résiliation le 6 septembre 2020. Si l'intéressé fait part de son expérience dans le secteur de la boulangerie et soutient qu'il détient un contrat à durée indéterminée depuis le 3 octobre 2022, il ne ressort cependant pas des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté attaqué, il justifie suivre une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle depuis au moins six mois. Dès lors, le préfet de la Seine-Maritime n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas droit, pour ce motif, à sa demande de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
En ce qui concerne les autres moyens :
13. Aux termes de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
14. Il ressort des pièces du dossier que si M. B... réside sur le territoire national depuis plus de quatre années, il est célibataire sans enfant et ne dispose pas d'attaches familiales en France. Il n'établit pas par ailleurs avoir développé de liens personnels d'une particulière intensité et, s'il est titulaire d'un contrat à durée indéterminée, cet élément ne saurait suffire à caractériser une insertion personnelle et sociale sur le territoire français telle que le refus de titre de séjour porterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale au regard des buts en vue desquels cette mesure a été prise. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance par la décision de refus de séjour des stipulations citées au point 13 doit être écarté. Pour les mêmes motifs, il n'apparaît pas que l'autorité préfectorale aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision attaquée sur la situation personnelle de l'appelant.
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
15. En premier lieu, il résulte de ce qui vient d'être dit que le moyen tiré de ce que l'obligation de quitter le territoire français serait dépourvue de base légale du fait de l'illégalité de la décision refusant la délivrance d'un titre de séjour doit être écarté.
16. En second lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 14, la décision attaquée ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'est pas entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision attaquée sur sa situation personnelle.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :
17. En premier lieu, il résulte de ce qui vient d'être dit que le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de destination serait dépourvue de base légale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français doit être écarté.
18. En second lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 14, la décision fixant le pays de destination n'est pas entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences la situation personnelle de l'appelant.
19. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 17 juillet 2023. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction assorties d'astreinte et celles présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.
Délibéré après l'audience publique du 8 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
- M. Benoît Chevaldonnet, président de chambre,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,
- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 octobre 2024.
Le rapporteur,
Signé : G. VandenbergheLe président de chambre
Signé : B. ChevaldonnetLa greffière,
Signé : A-S. Villette
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Anne-Sophie Villette
N°24DA00842 2