Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) D... et fils a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler l'arrêté du 13 avril 2021 par lequel le préfet de la région Hauts-de-France a délivré à M. A... C... l'autorisation d'exploiter la parcelle cadastrée ZA 71, située sur le territoire de la commune de Romery (Aisne), représentant une surface totale de 6 ha 48 a 67 ca.
Par un jugement n° 2101600 du 22 juin 2023, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande et mis à sa charge le versement à M. C... d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 1er août 2023, l'EARL D... et fils, représentée par Me de Limerville, demande à la cour d'annuler ce jugement ainsi que l'arrêté du 13 avril 2021 du préfet de la région Hauts-de-France.
Elle soutient que :
- l'arrêté attaqué n'est pas correctement motivé ;
- il est entaché d'erreur de droit dès lors que le préfet a retenu à tort que l'EARL D... et fils est preneur en place de la parcelle en litige, alors que seul M. B... D... est titulaire du bail et que l'EARL D... et fils ne bénéficie que d'une simple mise à disposition ;
- le préfet a commis une erreur lors de l'appréciation des rangs de priorité fixés par le schéma directeur régional des exploitations agricoles en Picardie, l'EARL D... et fils devant se voir attribuer deux unités de travail annuel non salariées (UTANS) relevant par suite du rang de priorité n° 6 alors que M. C... relève quant à lui du rang de priorité n° 5 eu égard à la surface de son exploitation après reprise.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 septembre 2023, M. C..., représenté par la SELAS Devarenne Associés Grand-Est, conclut au rejet de la requête d'appel de l'EARL D... et fils et à ce qu'une somme 2 000 euros soit mise à sa charge au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 juin 2024, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête d'appel de l'EARL D... et fils.
Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime ;
- l'arrêté du 29 juin 2016 du préfet de la région Hauts-de-France portant schéma directeur régional des exploitations agricoles en Picardie ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Toutias, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Regnier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Delachambre-Ferrer, représentant M. C....
Considérant ce qui suit :
1. Le 25 mars 2019, M. C... a déposé une demande d'autorisation d'exploiter portant sur une parcelle cadastrée ZA 71, d'une surface de 6 ha 48 a et 67 ca, située sur le territoire de la commune de Romery (Aisne). La parcelle était jusqu'alors donnée à bail à M. B... D... et mise en valeur par l'entreprise agricole à responsabilité limitée (EARL) D... et fils. Par un arrêté du 9 juillet 2019, le préfet de la région Hauts-de-France a fait droit à la demande de M. C.... Le tribunal administratif d'Amiens, saisi par M. D..., a annulé cet arrêté par un jugement n° 1902537 du 5 novembre 2020, confirmé par un arrêt n° 20DA01928 du 6 juillet 2021 de la cour. Au terme du réexamen de la demande de M. C..., le préfet de la région Hauts-de-France a de nouveau délivré l'autorisation d'exploiter sollicitée par un arrêté du 13 avril 2021. L'EARL D... et fils relève appel du jugement du 22 juin 2023 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, il résulte des dispositions des articles L. 331-3 et R. 331-6 du code rural et de la pêche maritime qu'une décisions se prononçant sur une demande d'autorisation doit être motivée, au regard notamment du schéma directeur régional des exploitations agricoles et des motifs de refus énumérés à l'article L. 331-3-1 du même code.
3. L'arrêté attaqué du 13 avril 2021 vise les dispositions du code rural et de la pêche maritime qui en constituent le fondement légal. Il rend compte de l'examen comparatif des situations de M. C... et de l'EARL D... et fils que le préfet a effectué au regard des critères de priorité définis par le schéma directeur régional des exploitations agricoles. Il mentionne à cet égard que, compte tenu des superficies des exploitations, du nombre d'unités de travail annuel non salariées (UTANS) de chacune d'elles et de l'incidence qu'aurait la reprise des terres litigieuses, M. C... répond au rang de priorité n° 6 défini par ce schéma directeur tandis que l'EARL D... et fils répond à son rang de priorité n° 7, justifiant ainsi de délivrer au premier l'autorisation sollicitée. Contrairement à ce que soutient l'EARL D... et fils, l'arrêté attaqué, en indiquant qu'elle était constituée d'un seul associé exploitant, comporte les considérations ayant conduit le préfet à la regarder comme comptant pour une UTANS. Il s'ensuit que l'arrêté attaqué comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision prise sur la demande de M. C... et a mis celui-ci et le preneur en place à même de comprendre les motifs qui leur sont opposés. En outre, la circonstance que le préfet n'aurait pas correctement identifié le preneur en place ou apprécié l'ordre des priorités se rapporte à la légalité interne de l'arrêté, au bien-fondé de ses motifs, et non à sa motivation. Dès lors, le moyen d'insuffisance de motivation doit être écarté.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 1er du schéma directeur régional des exploitations agricoles en Picardie, dans sa version applicable au litige, le preneur en place est défini comme suit : " exploitant agricole individuel mettant en valeur, à titre exclusif ou non, une exploitation agricole en qualité de titulaire de tout bail rural sur les terres de ladite exploitation. Lorsque le bien pris à bail est mis, par son détenteur, à disposition d'une société d'exploitation dans laquelle il est associé, il y a lieu de prendre en compte, en comparaison de situation demandeur(s)/preneur, la situation de la société ". Par ailleurs, l'article L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime dispose que : " I.- (...) le preneur associé d'une société à objet principalement agricole peut mettre à la disposition de celle-ci, pour une durée qui ne peut excéder celle pendant laquelle il reste titulaire du bail, tout ou partie des biens dont il est locataire (...). / III.- En cas de mise à disposition de biens dans les conditions prévues aux I ou II, le preneur qui reste seul titulaire du bail doit, à peine de résiliation, continuer à se consacrer à l'exploitation de ces biens, en participant sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l'importance de l'exploitation (...) ".
5. Il ressort des pièces du dossier que M. D... a pris à bail la parcelle litigieuse par acte conclu devant notaire du 24 décembre 2002 puis qu'il l'a ultérieurement mise à disposition de l'EARL D... et fils dans les conditions prévues à l'article L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime, ce dont il a d'ailleurs informé les bailleurs par un courrier daté du 18 mars 2013. Si M. D... a certes conservé, pour l'application des législation et réglementation relatives aux baux ruraux, la qualité de preneur du bail rural précédemment mentionné, en revanche l'EARL D... et fils doit, conformément à l'article 1er du schéma directeur régional des exploitations agricoles et pour l'application de la législation sur le contrôle des structures, être regardée comme le preneur en place de la parcelle litigieuse. Il s'ensuit que le préfet de la région Hauts-de-France n'a ni commis d'erreur de fait, ni fait une inexacte application du schéma directeur régional des exploitations agricoles en prenant sa situation en compte pour la comparer à celle de M. C..., demandeur de l'autorisation sollicitée. Le moyen soulevé en ce sens doit dès lors être écarté.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime : " L'autorité administrative (...) vérifie, compte tenu des motifs de refus prévus à l'article L. 331-3-1, si les conditions de l'opération permettent de délivrer l'autorisation mentionnée à l'article L. 331-2 (...) ". Aux termes de l'article L. 331-3-1 du même code : " I.- L'autorisation mentionnée à l'article L. 331-2 peut être refusée : / 1° Lorsqu'il existe un candidat à la reprise ou un preneur en place répondant à un rang de priorité supérieur au regard du schéma directeur régional des structures agricoles mentionné à l'article L. 312-1 (...) ". Aux termes de l'article L. 312-1 de ce code : " (...) III.- Le schéma directeur régional des exploitations agricoles établit, pour répondre à l'ensemble des objectifs et orientations mentionnés au I du présent article, l'ordre des priorités entre les différents types d'opérations concernées par une demande d'autorisation mentionnée à l'article L. 331-2, en prenant en compte l'intérêt économique et environnemental de l'opération (...) ".
7. Pour l'application des dispositions précitées, le schéma directeur régional des exploitations agricoles de Picardie fixe, en son article 3, l'ordre des priorités suivant : " (...) 5° Agrandissement et maintien de la surface entre 1 à 1,5 fois (inclus)/UTANS le seuil de contrôle après reprise, le cas échéant, / 6° Agrandissement et maintien de la surface entre 1,5 à 2 fois (inclus)/UTANS le seuil de contrôle après reprise, le cas échéant, / 7° Autre situation (...) ". L'article 4 du même schéma prévoit que le seuil de contrôle s'établit à 90 ha. En outre, l'article 1er de ce schéma prévoit que le nombre d'unité de travail annuel non salarié (UTANS) s'apprécie de la manière suivante : " chef d'exploitation ou associé d'exploitation à titre principal 1 UTANS ; chef d'exploitation ou associé d'exploitation à titre secondaire 0,5 UTANS et chef d'exploitation ou associé exploitant participant à plusieurs exploitations ou sociétés agricoles 0,5 UTANS ; conjoint collaborateur à titre principal 0,8 UTANS ". Le même article définit également l'agriculteur à titre principal comme l'" agriculteur qui retire au moins 50% de son revenu professionnel global de ses activités agricoles au sens de l'article L. 311-1 du CRPM ".
8. Par ailleurs, l'article L. 331-1-1 du code rural et de la pêche maritime dispose que : " Pour l'application du présent chapitre : / 1° Est qualifié d'exploitation agricole l'ensemble des unités de production mises en valeur, directement ou indirectement, par la même personne, quels qu'en soient le statut, la forme ou le mode d'organisation juridique, dont les activités sont mentionnées à l'article L. 311-1 (...) ". L'article R. 331-1 de ce code dispose quant à lui que : " Pour l'application des dispositions du 1° de l'article L. 331-1-1, une personne associée d'une société à objet agricole est regardée comme mettant en valeur les unités de production de cette société si elle participe aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l'importance de ces unités de production ". Enfin, l'article L. 324-8 du même code dispose que : " Les associés majeurs qui participent effectivement, au sens de l'article L. 411-59 du code rural et de la pêche maritime, à l'exploitation sont dénommés "associés exploitants". Les statuts doivent mentionner les noms de ceux qui ont cette qualité. / Les associés exploitants doivent détenir ensemble plus de 50 % des parts représentatives du capital. / Les associés choisissent parmi les associés exploitants, titulaires de parts sociales représentatives du capital, un ou plusieurs gérants ".
9. D'une part, il ressort des pièces du dossier que l'EARL D... et fils compte deux associés : M. B... D..., détenteur en pleine propriété de 2 175 parts sociales ainsi que de la nue-propriété des 2 171 parts sociales restantes, et sa mère, Mme E... F..., usufruitière de ces mêmes 2 171 parts sociales. Alors que ses statuts, qui sont sur ce point revêtus d'une force probante par l'effet des dispositions précitées de l'article L. 324-8 du code rural et de la pêche maritime, désignent M. D... comme le seul associé exploitant, l'EARL D... et fils, pourtant la mieux à même de le faire, n'apporte aucun élément de nature à établir que Mme F..., qui était au demeurant âgée de 83 ans à la date de l'arrêté attaqué, participerait elle-même effectivement à l'exploitation. Dès lors c'est à raison que le préfet de la région Hauts-de-France a retenu que l'EARL D... et fils comptait seulement pour une UTANS en application de l'article 1er du schéma directeur régional des exploitations agricoles en Picardie. L'EARL D... et fils ne conteste pas par ailleurs les autres circonstances retenues par le préfet pour établir le rang de priorité de sa demande, à savoir qu'elle exploite un total de 271 ha 79 a et que la reprise de la parcelle litigieuse par M. C... ramènerait la surface de son exploitation à 265 ha 30 a 33 ca, soit 2,95 fois le seuil de surface. Le préfet n'a ainsi pas fait une inexacte application des dispositions précitées en la regardant comme répondant au rang de priorité n° 7 défini par le schéma directeur régional des exploitations agricoles en Picardie.
10. D'autre part, il est constant que M. C... est exploitant agricole à titre personnel, qu'il exploite un total de 98 ha 23 a et que la surface de son exploitation serait portée après reprise à 104 ha 71 a 07 ca. Dès lors qu'ainsi qu'il a été dit le seuil de surface est fixé à 90 ha par l'article 4 du schéma directeur régional des exploitations agricoles en Picardie, son exploitation après reprise sera donc comprise entre 1 et 1,5 fois par UTANS le seuil de surface, ce qui confère à sa situation un rang de priorité 5. Si l'arrêté attaqué retient donc à tort que la situation de M. C... relève du rang de priorité 6, il résulte de l'instruction que le préfet aurait pris la même décision eu égard au rang de priorité de la demande du candidat qui demeure supérieur à celui de l'EARL D... et fils.
11. Il résulte de ce qui précède que le moyen d'erreur d'appréciation soulevé par l'EARL D... et fils doit être écarté dans ses deux branches.
12. Il résulte de tout ce qui précède que l'EARL D... et fils n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 13 avril 2021 du préfet de la région Hauts-de-France.
Sur les frais liés au litige :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'EARL D... et fils la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. C... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de l'EARL D... et fils est rejetée.
Article 2 : L'EARL D... et fils versera à M. C... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'EARL D... et fils, à M. A... C... et à la ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt.
Copie en sera adressée au préfet de la région Hauts-de-France.
Délibéré après l'audience publique du 8 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
- M. Benoît Chevaldonnet, président de chambre,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,
- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 octobre 2024.
Le rapporteur,
Signé : G. ToutiasLe président de chambre,
Signé : B. Chevaldonnet
La greffière,
Signé : A-S. Villette
La République mande et ordonne à la ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière
Anne-Sophie Villette
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N°23DA01562