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23/10/2024 | FRANCE | N°23DA01539

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 2ème chambre, 23 octobre 2024, 23DA01539


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. F... A... et Mme B... E... ont respectivement demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) d'Amiens à leur verser les sommes de 35 000 euros et 25 000 euros en réparation du préjudice d'affection qu'ils estiment avoir subis lors de la prise en charge de G... A... et d'ordonner une expertise afin d'évaluer les autres préjudices de M. A....



Par un jugement n° 2101138 du 29 juin 2023, le tribunal admini

stratif d'Amiens a partiellement fait droit à leur demande en condamnant le CHU d'Amiens à le...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... A... et Mme B... E... ont respectivement demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) d'Amiens à leur verser les sommes de 35 000 euros et 25 000 euros en réparation du préjudice d'affection qu'ils estiment avoir subis lors de la prise en charge de G... A... et d'ordonner une expertise afin d'évaluer les autres préjudices de M. A....

Par un jugement n° 2101138 du 29 juin 2023, le tribunal administratif d'Amiens a partiellement fait droit à leur demande en condamnant le CHU d'Amiens à leur verser les sommes, respectivement, de 7 000 euros et 25 000 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 28 juillet 2023 et 3 juin 2024, M. A..., représenté par Me Le Bonnois, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement ;

2°) de condamner le CHU d'Amiens à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice d'affection ;

3°) d'ordonner une expertise psychiatrique aux fins d'évaluer l'existence d'un deuil pathologique invalidant, distinct du préjudice d'affection ainsi que les préjudices découlant de son état de santé ;

4°) de mettre à la charge du CHU d'Amiens une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens de première instance.

Il soutient que :

- aucune perte de chance ne peut être retenue, la responsabilité du CHU d'Amiens étant pleine et entière, conformément à ce qu'a retenu le tribunal ;

- le préjudice d'affection qu'il a subi doit être fixé à la somme de 15 000 euros compte tenu de la procédure d'arrêt de soins entraînant le décès imminent de son père ;

- le décès de son père a occasionné un deuil pathologique à l'origine d'un déficit fonctionnel propre ayant justifié la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé ;

- une nouvelle expertise est nécessaire afin d'évaluer l'ampleur de ce préjudice ;

- le tribunal a mis à la charge du CHU d'Amiens les frais de l'expertise du docteur C... taxés à la somme de 2 080 euros alors que l'expertise a nécessité le recours à un second expert, le professeur D..., les frais de ce dernier ayant été taxés à la même somme, de sorte que le montant total des dépens doit être fixé par la cour à la somme de 4 160 euros.

Par un mémoire, enregistré le 26 avril 2024, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise, représentée par Me de Berny, demande à la cour :

1°) de confirmer le jugement attaqué ;

2°) de mettre à la charge de la partie succombante la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'en raison des fautes commises la responsabilité du CHU d'Amiens est engagée et que les débours en lien avec celles-ci s'élèvent à la somme de 525 105,74 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 mai 2024, le CHU d'Amiens, représenté par la société d'avocats Le Prado-Gilbert, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) de réformer le jugement attaqué en ramenant les sommes allouées à M. A..., à Mme E... et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise aux sommes, respectivement de 6 300 euros, 22 500 euros et 492 595,16 euros.

Il soutient que :

- conformément aux conclusions énoncées dans le rapport d'expertise, les fautes commises dans la prise en charge de G... A... ne sont à l'origine que d'une perte de chance de 90 % d'éviter le décès de la victime ;

- les préjudices allouées aux ayants-droits de la victime ainsi qu'à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise doivent ainsi être réduits à proportion de cette perte de chance ;

- la nouvelle expertise sollicitée par l'appelant ne présente pas de caractère utile ;

- les moyens soulevés par l'appelant ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 24 septembre 2024, Mme E..., représentée par la SCP Crépin-Hertault, demande à la cour :

1°) de confirmer le jugement attaqué ;

2°) de mettre à la charge du CHU d'Amiens Picardie une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi qu'aux dépens de procédure.

Elle fait valoir que :

- la responsabilité du CHU d'Amiens dans le décès de G... A... est pleine et entière ;

- il y a lieu de confirmer la condamnation dudit centre hospitalier à lui verser une somme de 25 000 euros au titre de son préjudice d'affection.

Mme E... a été admise au maintien de l'aide juridictionnelle totale par décision du 23 mai 2024.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions du CHU d'Amiens tendant à la réformation du jugement attaqué en tant qu'il l'a condamné à verser à Mme E... une somme de 25 000 euros au titre de son préjudice d'affection et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise la somme de 525 105,74 euros au titre du remboursement de ses débours, ces conclusions soulevant des litiges distincts de celui qui fait l'objet de l'appel principal par lequel M. A... a sollicité, d'une part, la majoration de l'indemnité versée par les premiers juges au titre de son préjudice d'affection et d'autre part, qu'il soit ordonné une expertise portant sur l'existence d'un préjudice propre distinct du préjudice d'affection, et ne constituant par suite ni des conclusions à fin d'appel incident ni à fin d'appel provoqué mais uniquement des conclusions à fin d'appel principal qui ont été présentées après l'expiration du délai d'appel et sont ainsi tardives.

Mme E... a présenté des observations en réponse à ce moyen relevé d'office par un mémoire enregistré le 3 octobre 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Renault, représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. Le 16 mai 2017, M. G... A..., alors âgé de soixante-trois ans, souffrant d'un carcinome de la vessie, a été admis au centre hospitalier universitaire (CHU) d'Amiens pour pratiquer une résection partielle de cet organe. Une deuxième opération est intervenue le 12 juin 2017 afin de réaliser une nouvelle résection. Une cystroprostatectomie, permettant de retirer la prostate et les ganglions ilio-obturateurs, a été pratiquée le 10 septembre 2017 par coelioscopie. A la suite d'une nouvelle admission de l'intéressé aux urgences, une péritonite a été identifiée le 25 septembre 2017 accompagnée d'un syndrome occlusif, causée par l'incarcération d'une partie de l'intestin grêle dans la dérivation mise en place lors de la précédente intervention. Cinq opérations ont été pratiquées les 25 et 26 septembre 2017, 10 et 12 octobre 2017 en raison de l'aggravation de l'état de santé du patient qui est décédé le 23 avril 2018 à la suite d'un arrêt thérapeutique.

2. Par ordonnance du 16 septembre 2019, le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a ordonné une expertise médicale et désigné le docteur C.... Un co-expert urologue, le professeur D..., a été désigné par ordonnance du 4 novembre 2019, à la demande du Dr C.... Le rapport d'expertise a été déposé le 3 février 2021. Le fils de M. G... A..., M. F... A..., relève appel du jugement n° 2101138 du 29 juin 2023 par lequel le tribunal administratif d'Amiens n'a fait droit qu'en partie à sa demande tendant à la condamnation du CHU d'Amiens à indemniser ses préjudices. Par la voie de l'appel incident, le CHU d'Amiens demande à la cour de minorer les sommes auxquelles il a été condamné.

Sur les conclusions du CHU d'Amiens tendant à la minoration des sommes allouées par le jugement attaqué à Mme E... et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise :

3. L'appel principal formé par M. A... porte uniquement sur le montant de l'indemnisation au titre des préjudices qu'il a personnellement endurés en sa qualité de victime indirecte et ni Mme E..., ni la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Oise n'ont relevé appel du jugement leur allouant des sommes de 25 000 euros et de 492 595,16 euros. Les conclusions du CHU d'Amiens tendant à la réformation du jugement attaqué en tant qu'il l'a condamné à indemniser Mme E..., l'ancienne compagne du défunt, de son préjudice d'affection soulève ainsi un litige distinct de celui qui fait l'objet de l'appel principal. Il en est de même pour les conclusions du CHU d'Amiens tendant à la réformation du jugement attaqué en tant qu'il l'a condamné à rembourser les débours de la CPAM de l'Oise. Par suite, les conclusions du CHU dirigées contre Mme E... et la CPAM de l'Oise ne constituent ni des conclusions à fin d'appel incident ni à fin d'appel provoqué mais uniquement des conclusions à fin d'appel principal. Ces conclusions ayant été présentées après l'expiration du délai d'appel, elles sont tardives et doivent, par suite, être rejetées.

Sur la responsabilité du CHU d'Amiens :

4. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ".

5. Il résulte de l'instruction, plus particulièrement de l'expertise et n'est pas contesté par le CHU d'Amiens qu'en raison de la taille et la masse de la tumeur de la vessie du défunt, son traitement par une cystoprostatectomie telle que pratiquée le 10 septembre 2017 n'était pas indiqué, seules des instillations endovésicales de BCG avec une surveillance très stricte étant nécessaires, la cystoprostatectomie ne devant intervenir qu'en cas d'échec de ce traitement. Il résulte aussi de l'instruction que l'intervention chirurgicale menée, d'une durée supérieure à sept heures, n'a pas été réalisée par un praticien expérimenté et une dérivation de type néo-vessie aurait dû être implantée plutôt qu'une dérivation de typer bricker. Une maladresse fautive a par ailleurs été commise consistant en une perforation du grêle par les fils destinés à refermer la paroi abdominale. Les interventions de reprise du 26 septembre 2017 n'ont, quant à elles, pas été réalisées selon les recommandations en la matière puisque l'existence d'une péritonite avec syndrome occlusif causée par l'incarcération d'une partie de l'intestin grêle dans la dérivation mise en place initialement imposait la réalisation d'une iléostomie et non d'une anastomose termino-terminale. Dans ces circonstances particulières, l'intervention initiale n'étant pas indiquée et requise par l'état de santé du patient, cette faute ayant en outre été suivie par plusieurs autres ayant exposé celui-ci à un risque mortel, le dommage corporel subi par M. G... A... en est la conséquence directe et trouve son origine exclusive dans celles-ci. Par suite, le CHU d'Amiens n'est pas fondé à soutenir que la réparation du préjudice subi par l'appelant ne devrait pas être intégrale et limitée à une perte de chance de 90 %.

Sur l'indemnisation des préjudices subis :

6. Il résulte de l'instruction que M. F... A... a subi un préjudice d'affection à la suite du décès de son père. Il y a lieu de confirmer la somme de 7 000 euros allouée par les premiers juges, lesquels ont pris en compte la prise de conscience du décès imminent de son père à l'occasion de la procédure d'arrêt de soins.

7. L'appelant soutient qu'il a également souffert d'un préjudice spécifique se traduisant par le développement sur le long terme de pathologies portant atteinte à son intégrité psychique. Toutefois, l'attestation de sa compagne produite par M. A..., qui indique que l'intéressé a été fragilisé par l'absence de considération de son ancien employeur et anéanti par les complications subies par son père, ne révèle pas, à elle seule, l'existence d'un préjudice distinct du préjudice d'affection. Il ne résulte par ailleurs pas de l'instruction que depuis le décès de son père intervenu le 23 avril 2018, le requérant serait régulièrement suivi par un psychologue ou un psychiatre pour une affection en lien avec un deuil pathologique. Il n'est ainsi justifié d'aucune consultation auprès de médecins spécialistes, ni d'aucune prescription d'un traitement spécifique. Si M. A... produit un titre de pension d'invalidité et une décision de la commission départementale des droits et de l'autonomie des personnes handicapées reconnaissant sa qualité de travailleur handicapé et permettant de considérer qu'il présente un état d'invalidité réduisant des deux-tiers au moins sa capacité de travail à compter du 1er janvier 2019, ces documents n'établissent pas que ce handicap serait en lien direct et certain avec le décès de son père. Dans ces conditions, et sans nier la réalité du deuil et son caractère traumatisant, les éléments apportés par M. A... n'établissent pas que ce deuil ait présenté un caractère pathologique et qu'il ait subi une atteinte à son intégrité physique et psychique à l'origine de préjudices distincts du préjudice d'affection déjà indemnisé au point précédent.

8. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise sollicitée par M. A... que celui-ci n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 29 juin 2023, le tribunal administratif d'Amiens n'a fait droit qu'en partie à ses conclusions indemnitaires.

Sur les frais d'expertise :

9. Le jugement attaqué a mis à la charge définitive du CHU d'Amiens les frais de l'expertise réalisée par le docteur C... et ordonnée le 16 septembre 2019, frais qui ont été liquidés et taxés à la somme de 2 080 euros par ordonnance n° 1901771 du 9 février 2021 de la présidente du tribunal administratif d'Amiens. Il résulte toutefois de l'instruction que par une autre ordonnance de la même date, les frais et honoraires du co-expert, le professeur D..., ont été taxés et liquidés à hauteur d'une somme identique de 2 080 euros et mis à la charge de M. A.... Ainsi, l'appelant est fondé à demander que les frais d'expertise soient portés à la somme de 4 160 euros et mis à la charge définitive du CHU d'Amiens pour ce même montant.

Sur les frais liés au litige :

10. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'une ou l'autre des parties une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Les dépens de première instance, liquidés et taxés à la somme totale de 4 160 euros, sont mis à la charge définitive du CHU d'Amiens.

Article 2 : Le jugement n° 2101138 du 29 juin 2023 du tribunal administratif d'Amiens est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... A..., à Mme B... E..., au centre hospitalier universitaire d'Amiens et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise.

Délibéré après l'audience publique du 8 octobre 2024 à laquelle siégeaient :

- M. Benoît Chevaldonnet, président de chambre,

- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,

- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 octobre 2024.

Le rapporteur,

Signé : G. VandenbergheLe président de chambre,

Signé : B. ChevaldonnetLa greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

Anne-Sophie Villette

2

N°23DA01539


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA01539
Date de la décision : 23/10/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Chevaldonnet
Rapporteur ?: M. Guillaume Vandenberghe
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : CABINET REMY LE BONNOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 30/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-23;23da01539 ?
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