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02/10/2024 | FRANCE | N°23DA00811

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 3ème chambre, 02 octobre 2024, 23DA00811


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La commune d'Alizay a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner solidairement la société Economie 80, Mme B... A... et la société Holding Socotec à lui verser la somme de 19 618,10 euros en réparation des dommages subis par la grande salle de son gymnase, de condamner la société générale de métallerie (SGM) à lui verser la somme de 16 484,40 euros en réparation des désordres affectant les menuiseries extérieures, de condamner solidairement la société Eco

nomie 80, Mme A..., la société Holding Socotec et la SGM à lui verser la somme de 50 000 eur...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune d'Alizay a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner solidairement la société Economie 80, Mme B... A... et la société Holding Socotec à lui verser la somme de 19 618,10 euros en réparation des dommages subis par la grande salle de son gymnase, de condamner la société générale de métallerie (SGM) à lui verser la somme de 16 484,40 euros en réparation des désordres affectant les menuiseries extérieures, de condamner solidairement la société Economie 80, Mme A..., la société Holding Socotec et la SGM à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation des autres dommages subis par le maître d'ouvrage, ainsi que la somme de 1 475,51 euros au titre des dépenses exposées pour les besoins de l'expertise judiciaire, et de mettre les dépens à la charge solidaire de la société Economie 80, de Mme A..., de la société Holding Socotec et de la société SGM.

Par un jugement n° 2101696 du 2 mars 2023, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 3 mai 2023, la commune d'Alizay, représentée par Me Poirot-Bourdain, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 2 mars 2023 ;

2°) de condamner la société générale de métallerie (SGM) à lui verser la somme de 16 484,40 euros en réparation des désordres affectant les menuiseries extérieures, cette somme étant réindexée en fonction de l'évolution de l'indice BT 01 entre le 13 décembre 2017 et l'arrêt à intervenir ;

3°) de condamner solidairement la société Economie 80, Mme A... et la société Socotec à lui verser la somme de 19 618,10 euros en réparation des dommages subis par la grande salle de son gymnase, cette somme étant réindexée en fonction de l'évolution de l'indice BT 01 entre le 13 décembre 2017 et l'arrêt à intervenir ;

4°) de condamner solidairement la société Economie 80, Mme A..., la société Socotec et la société SGM à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation des autres dommages subis par l'ouvrage, ainsi que la somme de 1 475,51 euros au titre des dépenses exposées pour les besoins de l'expertise judiciaire ;

5°) de mettre les frais d'expertise, taxés à la somme de 51 819,49 euros, à la charge solidaire de la société Economie 80, de Mme A..., de la société Socotec et de la société SGM ;

6°) de mettre à la charge solidaire de la société Economie 80, de Mme A..., de la société Socotec et de la société SGM une somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

7°) d'assortir les montants précités des intérêts au taux légal à compter de la date d'enregistrement de sa demande, et de la capitalisation de ces intérêts.

Elle soutient que :

- les désordres constatés, qui ont pour objet des infiltrations provoquant l'apparition de flaques d'eau sur le sol des salles de sport du gymnase, ont pour effet de rendre l'ouvrage impropre à sa destination ;

- ces désordres engagent la responsabilité décennale de la société Economie 80, de Mme A..., de la société Holding Socotec et de la société Dorival ;

- les désordres précités engagent la responsabilité délictuelle de la société SGM et de la société Goujon-Vallée, sous-traitantes de la société Dorival ;

- elle est fondée à engager la responsabilité du mandataire liquidateur de la société Dorival et de celui de la société Goujon-Vallée, placées en situation de liquidation judiciaire, afin d'assurer une action directe contre les assureurs de ces sociétés ;

- les désordres affectant la salle de danse et la salle de dojo résultent d'un défaut dans la mise en œuvre des menuiseries extérieures et sont entièrement imputables à la société SGM ;

- les désordres affectant la grande salle résultent d'une insuffisance de la ventilation au niveau des toitures et sont imputables à la société Goujon-Vallée, Mme A..., la société Economie 80 et la société Socotec ;

- le préjudice résultant d'un défaut de mise en œuvre des menuiseries extérieures s'établit à la somme de 16 484,40 euros ;

- les travaux de reprise de la ventilation ont été évalués par l'expert à la somme totale de 19 627,80 euros ;

- elle a subi un préjudice spécifique lié à l'atteinte portée à son image et à la mobilisation de ses services techniques, qui est évalué à la somme de 50 000 euros ;

- elle a exposé une somme de 1 475,51 euros pour les besoins des opérations d'expertise.

Par un mémoire enregistré le 20 juillet 2023, la société générale de métallerie (SGM), représentée par Me Gomond, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire à ce que les sommes mises à sa charge soit limitées au montant de 12 390 euros pour les travaux de réparation et au montant de 5 182 euros pour les frais d'expertise, et, en tout état de cause, à ce que les dépens soient mis à la charge de la commune d'Alizay, ainsi qu'une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les désordres n'ont pas pour effet de rendre l'ouvrage impropre à sa destination, de telle sorte que la commune ne peut pas agir contre les constructeurs sur le fondement de la garantie décennale, ni contre les sous-traitants de la société Dorival sur le terrain de la responsabilité délictuelle ;

- les travaux de reprise des menuiseries ne sauraient excéder la somme de 12 390 euros ;

- les demandes présentées au titre des frais annexes et du préjudice résultant de l'impossibilité d'utiliser l'établissement sportif sont infondées ;

- elle ne saurait faire l'objet d'une condamnation solidaire avec d'autres prestataires avec lesquels elle n'a pas de lien contractuel.

Par des mémoires enregistrés le 8 août 2023, le 9 octobre 2023 et le 21 novembre 2023, Mme A..., représentée par Me Pichon, conclut au rejet de la requête, à ce que les sociétés Goujon-Vallée, Dorival, Economie 80 et Socotec la garantissent de toute condamnation d'un montant supérieur à 10 % des dommages et à ce que les dépens soient mis à la charge de la commune requérante, ainsi qu'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les désordres ne présentent pas un caractère décennal ;

- les désordres affectant les menuiseries extérieures sont entièrement imputables à la société SGM ;

- le défaut de ventilation est imputable à la société Goujon-Vallée, à la société Socotec et à la société Economie 80, à laquelle incombait, au titre de la maîtrise d'œuvre, la mission " établissement des quantités " ;

- une éventuelle condamnation à réparer les désordres affectant la ventilation doit être limitée à 10 % des dommages ;

- les préjudices se rapportant aux frais exposés pour les besoins des opérations d'expertise, à l'atteinte portée à l'image de la collectivité et à la mobilisation de ses services techniques ne sont pas établis.

Par des mémoires enregistrés les 11 août 2023, 8 janvier 2024 et 22 mars 2024, la société Holding Socotec et la société Socotec construction, représentées par Me Draghi-Alonso, concluent :

1°) à titre principal, au rejet de la requête ;

2°) à titre subsidiaire, à ce que le montant des dommages soit fixé à la somme de 36 112 euros, retenue par l'expert pour la réparation des désordres affectant la grande salle, à ce que sa condamnation soit fixée à due proportion de sa part de responsabilité et à ce que Mme A... et les sociétés Dorival, SGM, Economie 80 et Sebat soient solidairement condamnées à garantir la société Socotec construction de toute condamnation prononcée à son encontre ;

3°) de mettre les dépens à la charge de tout succombant, ainsi qu'une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la société Holding Socotec est dépourvue de la qualité de constructeur et doit être mise hors de cause ;

- les désordres ne présentent pas un caractère décennal ;

- les infiltrations constatées dans la grande salle ont fait l'objet de réserves à la réception, lesquelles font obstacle à l'engagement de la garantie décennale ;

- les malfaçons étaient apparentes au jour de la réception et auraient dû faire l'objet de réserves ;

- sa responsabilité est engagée le cas échéant à concurrence de la part susceptible de lui incomber dans les limites des missions contractuellement confiées par le maître de l'ouvrage ;

- les manquements relevés par l'expert sont sans rapport avec l'exécution de ses missions, qui visent à vérifier la solidité de l'ouvrage ;

- les travaux de réparation des menuiseries extérieures ne sauraient excéder la somme de 10 200 euros ;

- les préjudices se rapportant aux frais exposés par la collectivité pour les besoins des opérations d'expertise, à l'atteinte portée à son image et à la mobilisation de ses services techniques ne sont pas établis ;

- aucune condamnation solidaire ne peut être prononcée à son encontre ;

- la maîtrise d'œuvre s'est montrée défaillante dans le suivi et la direction des travaux et les entreprises de travaux sont à l'origine de manquements dans la réalisation des travaux de couverture et d'étanchéité, de telle sorte qu'elle est fondée à appeler en garantie Mme A... et les sociétés Economie 80, Sebat, Dorival et SGM.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 octobre 2023, la société Economie 80, représentée par Me Vallet, conclut, à titre principal, au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la commune requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et, à titre subsidiaire, à ce qu'une éventuelle condamnation soit limitée à 10 % des dommages et à ce que Mme A... et les sociétés Goujon-Vallée, Dorival et Socotec la garantissent de toute condamnation d'un montant supérieur au taux de 10 %.

Elle soutient que :

- les désordres ne présentent pas un caractère décennal ;

- les manquements affectant la grande salle sont principalement imputables à la société Goujon-Vallée ;

- ses missions de maîtrise d'œuvre portent uniquement sur les lots techniques et sont sans rapport avec les désordres constatés ;

- la condamnation prononcée à son encontre ne saurait excéder 10 % du montant des réparations ;

- Mme A... et les sociétés Goujon-Vallée, Socotec et Dorival ont commis des fautes dans la réalisation des travaux, de telle sorte qu'elle est fondée à les appeler en garantie ;

- la somme mise à sa charge ne peut qu'être indexée en fonction de l'évolution de l'indice BT 01 à compter du 3 mai 2021 ;

- les préjudices se rapportant aux frais exposés pour les besoins des opérations d'expertise, à l'atteinte portée à l'image de la collectivité et à la mobilisation de ses services techniques ne sont pas établis.

Par une ordonnance du 6 mai 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 28 mai 2024, à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- et les conclusions de M. Carpentier-Daubresse, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Afin de construire sur son territoire un ensemble sportif comprenant notamment un gymnase, une salle d'arts martiaux et une salle de musculation, la commune d'Alizay a conclu le 5 octobre 2000 un marché de maitrise d'œuvre avec un groupement composé de Mme A..., architecte mandataire, de la société Economie 80, économiste de la construction et bureau d'études et de travaux en fluides, et de la société SEBAT, bureau d'études et de travaux en structures. Une convention conclue le 24 octobre 2000 a confié les prestations de contrôle technique à la société Socotec France, devenue la société Socotec construction. La réalisation de l'opération a été confiée en 2004, dans le cadre d'un marché global, à la société Dorival, qui a sous-traité les travaux de charpente et d'ossature bois à la société CMPB, les travaux de couverture en zinc à la société Goujon-Vallée, les menuiseries extérieures, les menuiseries aluminium, les vitreries et la métallerie à la société SGM et les travaux d'électricité à la société SDE. Les travaux ont été réceptionnés le 1er décembre 2006, avec des réserves concernant le lot de charpente et d'ossature bois. Constatant des infiltrations d'eau dans les salles de l'établissement sportif, la commune d'Alizay a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Rouen qui a prescrit une expertise, par une ordonnance du 13 décembre 2012. Au vu du rapport remis par l'expert le 13 décembre 2017, la commune d'Alizay a saisi le tribunal administratif de Rouen d'une demande le 3 mai 2021 afin d'obtenir, sur le fondement de la responsabilité décennale, la condamnation solidaire de Mme A..., de la société Economie 80 et de la société Socotec à l'indemniser des préjudices résultant des désordres affectant la grande salle du gymnase, pour un montant de 19 618,10 euros, et, sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle, la condamnation de la société SGM à l'indemniser des préjudices résultant des désordres affectant deux autres salles, dont la salle d'arts martiaux, pour un montant de 16 484,40 euros. Dans sa demande, la commune a également sollicité la condamnation solidaire de Mme A... et des trois sociétés précitées à lui verser les sommes de 1 475,51 euros, en remboursement des frais exposés pour les besoins de l'expertise, de 50 000 euros en réparation des préjudices résultant de l'atteinte à l'image de la collectivité et de la mobilisation des services municipaux, et de 51 819,49 euros, en remboursement des frais d'expertise. Par un jugement du 2 mars 2023, le tribunal administratif de Rouen a rejeté la demande de la commune en toutes ses conclusions. La commune d'Alizay relève appel de ce jugement et réitère devant la cour l'ensemble de ses conclusions.

Sur la responsabilité décennale de Mme A... et des sociétés Economie 80 et Socotec :

En ce qui concerne les conditions d'engagement de la responsabilité décennale :

2. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables. Il incombe au juge administratif, lorsqu'est recherchée devant lui la responsabilité décennale des constructeurs, d'apprécier, au vu de l'argumentation que lui soumettent les parties sur ce point, si les conditions d'engagement de cette responsabilité sont ou non réunies et d'en tirer les conséquences, le cas échéant d'office, pour l'ensemble des constructeurs.

3. En premier lieu, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que la présence de flaques d'eau a été constatée à plusieurs endroits sur le sol de la grande salle du gymnase, ainsi que des infiltrations au niveau des dalles du plafond, après la livraison du nouveau bâtiment. Selon les constatations de l'expert judiciaire, ces désordres sont liés à un phénomène de condensation résultant d'une ventilation insuffisante des versants de la toiture en zinc et d'une absence de mise en œuvre des chatières, seules douze d'entre-elles ayant été posées sur le petit cintre et aucune sur le grand cintre de la toiture. L'expert a relevé qu'aucun calcul n'avait été réalisé permettant de vérifier si ces douze chatières en partie haute et les ouvertures réalisées en bas de pente du petit cintre pouvaient suffire à assurer une ventilation suffisante. Si, dans son rapport, l'expert indique que ces désordres ne sont pas susceptibles de compromettre la solidité de l'ouvrage, ni de le rendre impropre à sa destination, la commune d'Alizay produit en appel des plans et des photographies sur lesquels peuvent être constatées de nombreuses flaques d'eau sur le sol de la salle du gymnase, au cours des mois de novembre 2016 à février 2017. La commune produit également des attestations récentes émanant de responsables de clubs sportifs qui font état du caractère récurrent de ces désordres depuis plusieurs années, à l'origine de nombreuses difficultés de fonctionnement dans l'utilisation de la salle, impliquant notamment l'annulation de manifestations sportives. Si certaines de ces attestations ne sont pas accompagnées d'une pièce d'identité de leurs auteurs, ainsi que le relève la société Socotec, la réalité et l'ampleur des désordres précités ne sont pas sérieusement contestées. Par suite, la commune d'Alizay est fondée à soutenir que ces désordres sont de nature à rendre la salle du gymnase impropre à sa destination.

4. En second lieu, il ne résulte pas de l'instruction, notamment du procès-verbal de réception des travaux du 1er décembre 2006 faisant état de réserves en lien avec des infiltrations d'eau constatées aux quatre angles des salles d'arts martiaux et de musculation, que les désordres affectant la salle du gymnase étaient visibles et connus du maître d'ouvrage lors de la réception des travaux se rapportant à cette salle.

En ce qui concerne les constructeurs mis en cause :

5. Il résulte de l'instruction, notamment des constatations de l'expert judiciaire, que l'insuffisance de ventilation dans la salle du gymnase est imputable, notamment, à Mme A... et à la société Economie 80, défaillants dans leurs missions de visa des études d'exécution, de direction de l'exécution des travaux et d'assistance aux opérations de réception, et à la société Socotec construction, eu égard aux vérifications qui lui incombent dans le cadre de ses missions de conseil. A cet égard, Mme A..., mise en cause au titre des missions précitées, ne saurait utilement soutenir, pour échapper à une condamnation solidaire, que la société Economie 80 a seule à sa charge la mission " établissement des quantités " dans l'équipe de maîtrise d'œuvre. Il n'est aucunement démontré que les désordres affectant le gymnase seraient sans rapport avec les missions confiées à la société Economie 80, économiste de la construction. La société Socotec construction ne saurait enfin utilement se prévaloir des dispositions de l'article L. 111-24 du code de la construction et de l'habitation, reprises depuis à l'article L. 125-2 du même code, en application desquelles le contrôleur technique n'est tenu vis-à-vis des constructeurs à supporter la réparation de dommages qu'à concurrence de la part de responsabilité susceptible d'être mise à sa charge dans les limites des missions définies par le contrat le liant au maître d'ouvrage, dès lors que ces dispositions sont sans incidence sur la garantie qu'elle doit au maître d'ouvrage et sur la possibilité de se voir condamnée solidairement avec les autres constructeurs, qui résultent de ce qu'elle a concouru avec ces constructeurs à la réalisation du même dommage. La circonstance que la convention de mission passée entre la société Socotec construction et le maître d'ouvrage prévoit que les interventions de ce contrôleur technique " s'exercent par examen visuel et ne comportent ni essais ni analyses en laboratoire, ni investigations systématiques " ne permettent pas plus de l'exonérer de toute responsabilité dès lors qu'elle a omis d'informer le maître d'ouvrage de l'absence de cohérence des documents soumis à son avis.

En ce qui concerne les préjudices :

6. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la réparation des désordres de la salle du gymnase nécessite des travaux de couverture, pour un montant de 11 290 euros, le remplacement de dalles du plafond, pour un montant de 787,08 euros, et des prestations de suivi des travaux de reprise, pour un montant de 5 749,92 euros. Mme A... et les sociétés Economie 80 et Socotec construction ne contestent pas ces travaux, qui s'établissent au montant total de 17 287 euros. Les dommages subis par la commune doivent être évalués à la date où, leur cause ayant pris fin et leur étendue étant connue, il peut être procédé aux travaux destinés à les réparer. Cette date est, au plus tard, celle à laquelle l'expert désigné par le tribunal administratif a déposé son rapport, qui définit avec une précision suffisante la nature et l'étendue des travaux nécessaires, soit le 13 décembre 2017. La commune d'Alizay, qui ne fait état d'aucune circonstance susceptible d'avoir fait obstacle à la réalisation des travaux de réparation, n'est donc pas fondée à demander l'actualisation de leur montant.

7. En deuxième lieu, la commune d'Alizay ne justifie pas des préjudices résultant selon elle d'une atteinte à son image et de la mobilisation de ses services techniques, évalués au montant de 50 000 euros.

8. En dernier lieu, la commune d'Alizay réclame encore le versement d'une somme de 1 475,51 euros au titre de frais nécessaires à la réalisation des opérations d'expertise. Toutefois, si l'expert a tenu compte dans ses conclusions d'un tel montant correspondant aux dépenses effectuées durant le déroulement de l'expertise, il précise dans son rapport que les frais et honoraires de l'expert, taxés et liquidés au montant de 51 819,49 euros par une ordonnance du 10 janvier 2018, comprennent les interventions des entreprises durant les investigations des opérations d'expertise pour un montant de 22 092,67 euros. Dans ces conditions, alors que la réalité du préjudice est contestée en défense et que la commune d'Alizay ne produit aucune pièce de nature à en justifier, il n'est pas démontré que les frais engagés pour un montant de 1 475,51 euros ne seraient pas inclus dans les honoraires facturés par l'expert et pris en compte au titre des dépens.

9. Il résulte de ce qui précède que Mme A... et les sociétés Economie 80 et Socotec, seules mises en cause par la commune d'Alizay au titre de la garantie décennale pour la réparation des désordres affectant la salle du gymnase, doivent être solidairement condamnées à lui verser la somme de 17 287 euros.

En ce qui concerne la répartition des responsabilités :

10. En premier lieu, si Mme A..., la société Economie 80 et la société Socotec appellent en garantie la société Dorival, mise en cause dans le rapport d'expertise, il ne résulte pas de l'instruction que cette entreprise générale aurait commis une faute dans l'exécution des travaux de couverture en zinc, entièrement sous-traités à la société Goujon-Vallée, ou dans le pilotage du chantier, mission qu'elle a sous-traité à la société SMDC, dont les parties ne recherchent pas la responsabilité. Il n'est pas démontré que la société SGM serait intervenue dans la réalisation des travaux à l'origine des désordres litigieux constatés dans la salle du gymnase. La société Socotec construction n'établit pas non plus qu'un manquement de la société Sebat se trouverait à l'origine de ces désordres.

11. En deuxième lieu, il résulte en revanche de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que les désordres liés à l'insuffisante ventilation du gymnase relèvent principalement de la société Goujon-Vallée, sous-traitante de l'entreprise générale Dorival pour les travaux de couverture en zinc. Il y a lieu de retenir la responsabilité de la société Goujon-Vallée à hauteur de 75 %.

12. En troisième lieu, l'expert précise qu'une part de responsabilité incombe à Mme A... et à la société Economie 80, défaillantes dans leurs missions de visa des études d'exécution, de direction de l'exécution des travaux et d'assistance aux opérations de réception, et à la société Socotec construction, qui a omis de vérifier la cohérence des travaux réalisés au vu des documents d'exécution des ouvrages. Il résulte des termes de la convention de contrôle technique conclue entre la commune d'Alizay et la société Socotec construction que celle-ci est investie, pour les phases de conception et de réalisation, d'une " mission relative à la solidité des ouvrages et des éléments d'équipement indissociables " et d'une " mission relative à la sécurité des personnes dans les constructions applicables aux établissements recevant du public et aux immeubles de grande hauteur ". Si la société Socotec construction soutient n'avoir aucun rôle dans la direction, l'exécution et la surveillance des travaux, il ressort des constatations de l'expert qu'ayant omis de relever une incohérence entre les travaux réalisés et les documents d'exécution, elle a manqué à sa mission de contrôle technique en phase de réalisation. Dans les circonstances de l'espèce, eu égard à la répartition, prévue au marché, des trois missions de maîtrise d'œuvre précitées entre Mme A... et la société Economie 80, et à l'importance respective des manquements reprochés à ces dernières et à la société Socotec, il y a lieu de mettre les travaux de réparation à la charge de Mme A..., de la société Economie 80 et de la société Socotec construction dans une proportion de 15 % pour la première et de 5 % pour chacune des deux autres.

13. Il résulte de ce qui précède que Mme A... est fondée à soutenir que la société Goujon-Vallée, la société Economie 80 et la société Socotec construction doivent la garantir de sa condamnation à hauteur, respectivement, de 75 %, de 5 % et de 5 %, que la société Economie 80 est fondée à soutenir que la société Goujon-Vallée, Mme A... et la société Socotec construction doivent la garantir de sa condamnation à hauteur, respectivement, de 75 %, de 15 % et de 5 %, et que la société Socotec construction doit être garantie de sa condamnation par la société Goujon-Vallée, Mme A... et la société Economie 80 à hauteur, respectivement, de 75 %, de 15 % et de 5 %.

Sur la responsabilité quasi-délictuelle de la société SGM :

14. S'il appartient, en principe, au maître d'ouvrage qui entend obtenir la réparation des conséquences dommageables d'un vice imputable à la conception ou à l'exécution d'un ouvrage de diriger son action contre le ou les constructeurs avec lesquels il a conclu un contrat de louage d'ouvrage, il lui est toutefois loisible, dans le cas où la responsabilité du ou des cocontractants ne pourrait pas être utilement recherchée, de mettre en cause, sur le terrain quasi-délictuel, la responsabilité des participants à une opération de construction avec lesquels il n'a pas conclu de contrat de louage d'ouvrage, mais qui sont intervenus sur le fondement d'un contrat conclu avec l'un des constructeurs. Il peut, à ce titre, invoquer, notamment, la violation des règles de l'art ou la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires mais ne saurait se prévaloir de fautes résultant de la seule inexécution, par les personnes intéressées, de leurs propres obligations contractuelles. En outre, alors même qu'il entend se placer sur le terrain quasi-délictuel, le maître d'ouvrage ne saurait rechercher la responsabilité de participants à l'opération de construction pour des désordres apparus après la réception de l'ouvrage et qui ne sont pas de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination.

15. La commune d'Alizay recherche la responsabilité quasi-délictuelle de la société SGM, sous-traitante de l'entreprise générale Dorival avec laquelle elle a conclu le marché de travaux, en vue d'obtenir la réparation des désordres affectant les salles d'arts martiaux et de musculation de son établissement sportif. Toutefois, s'il appartient de façon exclusive à l'autorité judiciaire de statuer sur l'admission ou la non-admission des créances nées avant la mise en redressement judiciaire, il appartient au juge administratif de juger si la collectivité publique, ou son assureur subrogé, a droit à la réparation de son préjudice et de fixer le montant des indemnités qui lui sont dues à ce titre par l'entreprise défaillante ou son liquidateur, sans préjudice des suites que la procédure judiciaire est susceptible d'avoir sur le recouvrement de cette créance. Si la commune d'Alizay fait valoir que la société Dorival a été placée en liquidation judiciaire, il ne résulte pas de l'instruction, et il n'est pas même allégué, que cette société aurait été liquidée, de sorte que sa responsabilité ne pourrait pas être utilement recherchée. Dans ces conditions, les conclusions de la commune d'Alizay tendant à obtenir la condamnation de la société SGM ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les dépens :

16. Il résulte de l'instruction que, par une ordonnance du 10 janvier 2018, les frais d'expertise ont été liquidés et taxés à la somme de 51 819,49 euros et mis à la charge de la commune d'Alizay. Celle-ci demande de mettre ces frais à la charge solidaire de la société Economie 80, de Mme A..., de la société Socotec et de la société SGM. Il résulte de ce qui a été dit plus haut que la commune d'Alizay n'est pas fondée à rechercher la responsabilité de la société SGM, et que la responsabilité de Mme A... et des sociétés Economie 80 et Socotec est engagée, pour les seuls travaux de réfection de la salle du gymnase, à hauteur respectivement de 15 % pour la première et de 5 % pour les deux autres. Par suite, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre un montant de 6 475 euros à la charge solidaire de Mme A..., de la société Economie 80 et de la société Socotec, et de laisser le reliquat à la charge de la commune.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

17. Ainsi qu'elle le demande, la commune d'Alizay a droit aux intérêts à compter de la date d'enregistrement de sa requête au greffe du tribunal administratif de Rouen, le 3 mai 2021. Elle a sollicité la capitalisation des intérêts dans cette même requête. Sa demande prend effet à compter du 3 mai 2022, date à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière, et à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure.

18. Il résulte de tout ce qui précède que la commune d'Alizay est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande en toutes ses conclusions, que Mme A..., la société Economie 80 et la société Socotec construction doivent être condamnées solidairement à lui verser la somme de 17 287 euros, assortie des intérêts à compter du 3 mai 2021 et de leur capitalisation à compter du 3 mai 2022, et qu'une somme de 6 475 euros soit mise à leur charge solidaire au titre des frais d'expertise. Il résulte encore de ce qui précède que la société Goujon-Vallée, Mme A..., la société Economie 80 et la société Socotec construction doivent garantir les constructeurs solidairement condamnés dans les conditions précisées au point 13.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

19. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Mme A..., la société Economie 80 et la société Socotec construction sont solidairement condamnées à verser la somme de 17 287 euros à la commune d'Alizay, cette somme étant assortie des intérêts à compter du 3 mai 2021 et de leur capitalisation à compter du 3 mai 2022.

Article 2 : La société Goujon-Vallée est condamnée à garantir Mme A..., la société Economie 80 et la société Socotec construction des sommes mises à leur charge, dans une proportion de 75 %.

Article 3 : Mme A... est condamnée à garantir la société Economie 80 et la société Socotec construction des sommes mises à leur charge, dans une proportion de 15 %.

Article 4 : La société Economie 80 est condamnée à garantir Mme A... et la société Socotec construction des sommes mises à leur charge, dans une proportion de 5 %.

Article 5 : La société Socotec construction est condamnée à garantir Mme A... et la société Economie 80 des sommes mises à leur charge, dans une proportion de 5 %.

Article 6 : Les frais d'expertise sont mis à la charge solidaire de Mme A..., de la société Economie 80 et de la société Socotec construction pour un montant de 6 475 euros.

Article 7 : Le jugement du tribunal administratif de Rouen n° 2101696 du 2 mars 2023 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 8 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 9 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Alizay, à Mme B... A..., à la société Economie 80, à la société Holding Socotec, à la société Socotec construction, à la société générale de métallerie, à Me Berel, mandataire liquidateur de la société Dorival et de Me Leblay, mandataire liquidateur de la société Goujon-Vallée.

Délibéré après l'audience publique du 17 septembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- Mme Dominique Bureau, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 octobre 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,

Signé : M.-P. Viard

La greffière,

Signé : C. Huls Carlier

La République mande et ordonne au préfet de l'Eure en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière

C. Huls-Carlier

2

N° 23DA00811


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00811
Date de la décision : 02/10/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Jean-Marc Guerin-Lebacq
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : SELARL HERCE MARCILLE POIROT-BOURDAIN

Origine de la décision
Date de l'import : 13/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-02;23da00811 ?
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