Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... B... et Mme C... A... ont demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler les arrêtés du 28 avril 2023 par lesquels le préfet de l'Aisne leur a refusé la délivrance de titres de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé les pays à destination desquels ils doivent être éloignés et a prononcé à leur encontre des interdictions de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
Par un jugement n° 2301644-2301645 du 8 décembre 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
I.- Par une requête, enregistrée sous le n° 24DA00219 le 2 février 2024, M. B..., représenté par Me Homehr, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 28 avril 2023 du préfet de l'Aisne le concernant ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Aisne de réexaminer sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil désigné au titre de l'aide juridictionnelle d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté attaqué méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'il réside en France depuis plus de cinq ans, que ses enfants sont scolarisés sur le territoire et que son exécution aurait pour effet de séparer la cellule familiale entre deux pays différents ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant dès lors qu'en cas d'exécution ses enfants ne pourraient plus bénéficier d'une scolarisation satisfaisante, ils seraient exposés à des traitements inhumains et dégradants et la cellule familiale serait divisée entre deux pays différents ;
- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation dès lors que son exécution aurait pour effet de séparer la cellule familiale entre deux pays différents, qu'ils n'ont plus aucun lien dans leurs pays d'origine, que leurs enfants n'ont jamais connu que la France et qu'ils sont de confessions différentes.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 mars 2024, le préfet de l'Aisne conclut au rejet de la requête d'appel de M. B....
Il soutient que :
- la requête est tardive et, par suite, irrecevable ;
- elle également irrecevable pour n'être accompagnée ni des pièces auxquelles elle renvoie, ni d'un inventaire détaillé ;
- aucun des moyens de la requête n'est fondé.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 mars 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.
II.- Par une requête, enregistrée sous le n° 24DA00220 le 2 février 2024, Mme A..., représentée par Me Homehr, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 28 avril 2023 du préfet de l'Aisne la concernant ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Aisne de réexaminer sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil désigné au titre de l'aide juridictionnelle d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle reprend, à l'encontre de l'arrêté attaqué, les mêmes moyens que ceux soulevés par son compagnon dans la requête n° 24DA00219 analysée ci-dessus.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 mars 2024, le préfet de l'Aisne conclut au rejet de la requête d'appel de Mme A....
Il soutient que :
- la requête est tardive et, par suite, irrecevable ;
- elle également irrecevable pour n'être accompagnée ni des pièces auxquelles elle renvoie, ni d'un inventaire détaillé ;
- aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 mars 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Guillaume Toutias, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., né le 3 janvier 1999, de nationalité ivoirienne, et Mme A..., née le 19 novembre 1993, de nationalité nigériane, déclarent être entrés en France dans le courant de l'année 2018 aux fins d'y solliciter l'asile. Leurs demandes, présentées pour eux-mêmes et pour leurs deux filles nées en France les 25 août 2018 et 23 mai 2020, ont été successivement rejetées par le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 12 mai 2021 et la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 30 janvier 2023. Un troisième enfant est né sur le territoire français en cours de procédure, le 9 janvier 2022. Par des arrêtés du 28 avril 2023, le préfet de l'Aisne a refusé de leur délivrer des titres de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé les pays à destination desquels ils doivent être éloignés et a prononcé à leur encontre des interdictions de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. M. B... et Mme A... relèvent appel du jugement du 8 décembre 2023 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif d'Amiens a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés.
2. Les requêtes susvisées sont relatives à la situation des membres d'un couple au regard de leur droit au séjour en France, sont dirigés contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
3. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
4. Il ressort des pièces du dossier que M. B... et Mme A..., qui déclarent être entrés en France depuis l'Italie dans le courant de l'année 2018, ne peuvent justifier, à la date des arrêtés attaqués, d'une durée de résidence en France d'à peine plus de cinq ans, M. B... ayant en outre indiqué, dans le cadre de son audition par les forces de l'ordre à la suite de son interpellation à la frontière franco-italienne le 19 novembre 2023, qu'il continue de faire des allers-retours entre la France et l'Italie où il a parallèlement engagé des démarches pour obtenir la régularisation de sa situation administrative. Hormis la présence à leurs côtés de leurs trois enfants nés en France, M. B... et Mme A... ne justifient d'aucun autre lien familial particulièrement ancien et intense sur le territoire tandis qu'il ressort de leurs propres déclarations devant les services préfectoraux qu'ils ne seraient pas isolés dans leurs pays d'origine où ils ont vécu la majeure partie de leur vie et où ils ont toujours des attaches. Ils ne justifient également d'aucune insertion sociale ou professionnelle en France et ne présentent pas de projet en ce sens, ni d'éléments qui seraient de nature à garantir une insertion réussie à la société française. Dans ces conditions, M. B... et Mme A... ne peuvent être regardés comme ayant établis le centre principal de leur vie privée et familiale en France. S'ils font par ailleurs état du risque d'être séparés en cas d'exécution des mesures d'éloignement prononcées à leur encontre, ils n'établissent pas qu'ils ne pourraient pas reconstituer rapidement leur cellule familiale dans l'un des pays dont ils ont la nationalité. Enfin, s'ils font état de craintes pour leur sécurité en cas de retour en Côte d'Ivoire ou au Nigéria, ils se fondent uniquement sur des considérations générales et n'apportent aucun élément circonstancié et personnalisé, alors au demeurant que leurs demandes d'asile ont été précédemment successivement rejetées par le directeur général de l'OFPRA et la CNDA. Dans ces conditions et eu égard au but en vue desquels ils ont été pris, les arrêtés attaqués n'ont pas porté une atteinte disproportionnée au droit de M. B... et Mme A... au respect de leur vie privée et familiale. Les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent, dès lors, être écartés.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
6. Ainsi qu'il a été dit au point 4, il n'est pas établi que l'exécution des arrêtés attaqués aurait pour effet de diviser durablement la cellule familiale constituée par M. B..., Mme A... et leurs enfants entre deux pays et, par suite, de séparer ces derniers d'un de leurs parents. Si M. B... et Mme A... invoquent des risques pour la sécurité de leurs enfants en cas de retour en Côte d'Ivoire ou au Nigéria, notamment compte tenu de la prévalence des mutilations sexuelles féminines dans ces pays, ils se fondent uniquement sur des considérations générales et n'apportent aucun élément circonstancié et personnalisé de nature à justifier que leurs filles puissent être soumises à de telles pratiques contre leur gré, alors au demeurant que les demandes d'asile qu'ils ont présentées sur ce fondement pour le compte de leurs filles ont été précédemment successivement rejetées par le directeur général de l'OFPRA et la CNDA. En outre, compte tenu du jeune âge de leurs enfants, ils n'établissent pas qu'ils ne pourraient pas poursuivre leur scolarité dans l'un ou l'autre des pays d'origine de leurs parents. Enfin, la circonstance tirée de ce que les enfants sont nés en France n'emporte à elle-seule, pour eux-mêmes ou leurs parents, aucun droit au maintien sur le territoire. Dans ces conditions, en prenant les arrêtés attaqués à l'encontre de M. B... et Mme A..., le préfet de l'Aisne ne peut être regardé comme ayant omis de tenir compte de l'intérêt supérieur de leurs enfants et comme lui ayant porté atteinte. Les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doivent, dès lors, être écartés.
7. En troisième lieu, compte tenu des motifs énoncés aux points 4 et 6 du présent arrêt, le préfet de l'Aisne n'a pas fait une appréciation manifestement erronée des conséquences de ses arrêtés sur la situation personnelle et familiale des requérants et de leurs enfants. Les moyens tirés de l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation doivent, dès lors, être écartés.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées en défense par le préfet de l'Aisne, que M. B... et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif d'Amiens a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des arrêtés du 28 avril 2023 pris à leur encontre. Par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent également être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Les requêtes nos 24DA00219 et 24DA00220 de M. B... et Mme A... sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B..., à Mme C... A..., au ministre de l'intérieur et à Me Homehr.
Copie sera adressée au préfet de l'Aisne.
Délibéré après l'audience publique du 10 septembre 2024 à laquelle siégeaient :
- M. Benoît Chevaldonnet, président de chambre,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,
- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 septembre 2024.
Le rapporteur,
Signé : G. ToutiasLe président de chambre,
Signé : B. Chevaldonnet
La greffière,
Signé : A.S. Villette
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière
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N°24DA00219,24DA00220