Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... C... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 15 octobre 2019 par laquelle le préfet du Nord a estimé que la demande d'autorisation d'exploiter présentée par M. F... B..., portant notamment sur une surface de 17 ha 51 a et 23 ca provenant de son exploitation, située sur le territoire des communes de Boussières-en-Cambrésis et Avesnes-les-Aubert (Nord), n'était pas soumise à autorisation préalable au titre de la législation relative au contrôle des structures agricoles.
Par un jugement n° 2007381 du 23 mai 2023, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision attaquée, a mis à la charge de l'Etat le versement à M. C... d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 13 juillet 2023 et 10 avril 2024, Mme G... D... épouse B... et M. F... B..., représentés par Me Verague, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Lille, le cas échéant après avoir ordonné la communication, dans le cadre de la présente instance, de la délégation dont bénéficie le signataire de la décision attaquée ;
3°) de mettre à la charge de M. C... le versement à M. B... d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la requête présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Lille était irrecevable en tant qu'elle est dirigée contre un courrier à visée purement informative et qui ne présente pas les caractères d'un acte décisoire faisant grief ;
- elle était également irrecevable du fait de sa tardiveté, le courrier, qui n'avait pas à être publié ou notifié à M. C... ni à comporter la mention des voies et délais de recours, étant daté du 15 octobre 2019 tandis que la requête n'a été enregistrée que le 14 octobre 2020 ;
- le courrier attaqué, en tant qu'il est signé pour le directeur départemental des territoires et de la mer (DDTM) du Nord, par le chef du service agriculture durable et de l'économie agricole, n'est pas entaché d'incompétence ; ce courrier, qui n'est ni une autorisation d'exploiter, ni un refus, ne relevait pas de la compétence exclusive du préfet de région ; le service considéré a la qualité de service instructeur des demandes d'autorisation d'exploiter au sens des dispositions de l'article R. 331-4 du code rural et de la pêche maritime et avait à ce titre compétence pour informer le demandeur que sa demande n'était pas soumise à autorisation préalable, de la même manière qu'il a compétence pour délivrer, le cas échéant, l'accusé de réception de la demande ; c'est, dès lors, à tort que les premiers juges se sont fondés sur ce moyen pour annuler la décision attaquée ;
- en tout état de cause, la DDTM du Nord a retenu à raison que son projet n'est pas soumis à autorisation préalable au titre de l'article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime ; en particulier, contrairement à ce que soutient M. C..., il n'est pas démontré que la reprise des parcelles litigieuses ramènerait la surface totale de son exploitation, appréciée en tenant compte des coefficients d'équivalence, en-dessous du seuil de contrôle fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles en Nord-Pas-de-Calais.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 28 mars 2024 et 2 mai 2024, M. C..., représenté par Me Meillier, conclut au rejet de la requête d'appel de Mme et M. B... et à ce qu'une somme 3 000 euros soit mise à leur charge solidaire au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Il fait valoir que :
- le courrier attaqué constitue une décision faisant grief ;
- il n'a été porté à sa connaissance que le 7 septembre 2020 ; sa requête, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Lille le 14 octobre 2020, était dès lors recevable ;
- le préfet de département n'était, en application des dispositions de l'article L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime, pas compétent pour délivrer à M. B... le courrier lui indiquant qu'il ne relevait pas du régime de l'autorisation d'exploiter ;
- cette décision a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime dès lors que la reprise envisagée ramènerait la surface de son exploitation en dessous du seuil de contrôle fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles en Nord-Pas-de-Calais ; ce schéma directeur ne fixe aucun coefficient d'équivalence ; il ne perçoit aucun revenu extra-agricole ; l'exploitation de son épouse n'a pas à être prise en compte.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 avril 2024, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire s'en remet à la sagesse de la cour.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Toutias, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Regnier, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le 26 août 2019, M. B... a déposé une demande d'autorisation d'exploiter portant sur un ensemble de parcelles, situées sur le territoire des communes de Boussières-en-Cambrésis et d'Avesnes-les-Aubert (Nord), représentant une surface totale de 30 ha 99 a 13 ca, dont une surface de 17 ha 51 a 23 ca jusqu'alors donnée à bail à et mise en valeur par M. C.... Par un courrier du 15 octobre 2019, le directeur départemental des territoires et de la mer du Nord, sous le timbre du préfet du Nord, a informé M. B... que sa demande n'était pas soumise à autorisation préalable au titre de la législation relative au contrôle des structures agricoles. M. B... relève appel du jugement du 23 mai 2023 par lequel le tribunal administratif de Lille, saisi par M. C..., a prononcé l'annulation de cette décision.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les fins de non-recevoir opposées à la demande de première instance :
2. En premier lieu, en vertu du I de l'article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime, sont soumis à autorisation préalable les installations, les agrandissements ou les réunions d'exploitations agricoles mentionnés à cet article. Par ailleurs, aux termes des articles L. 411-58 et L. 411-59 du même code, un bailleur a le droit de refuser le renouvellement du bail rural qu'il a consenti à un preneur s'il veut reprendre le bien loué pour lui-même ou au profit de son conjoint, du partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité ou d'un descendant majeur ou mineur émancipé. Dans ce cas, le bénéficiaire de la reprise doit justifier par tous moyens, entre autres, qu'il bénéficie d'une autorisation d'exploiter.
3. Il résulte des dispositions mentionnées au point précédent que la lettre du préfet au demandeur d'une autorisation d'exploiter, indiquant que cette autorisation n'est pas nécessaire, fait grief dès lors qu'elle a pris parti sur l'application de cette législation, eu égard aux effets que les articles L. 411-58 et L. 411-59 du code rural attachent à l'obligation de disposer d'une autorisation administrative de reprise sur les droits au bail du preneur en place. Elle est donc susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.
4. Il ressort des pièces du dossier que le projet de reprise présenté par M. B... porte, notamment, sur un ensemble de parcelles d'une contenance de 17 ha 51 a 23 ca pour lesquelles M. C... bénéficie d'un bail rural depuis le 1er octobre 2001. Si des congés ont été successivement délivrés à ce dernier les 7 septembre 2017 et 28 février 2018, il en a contesté la validité devant le tribunal paritaire des baux ruraux. Il s'ensuit que le courrier du 15 octobre 2019 informant M. B... que son projet de reprise n'est pas soumis à obtention préalable d'une autorisation d'exploiter est susceptible d'exercer une influence sur l'issue de la procédure engagée par M. C... et sur ses droits au bail. Par suite, contrairement à ce que soutiennent M. et Mme B..., ce courrier ne constitue pas un simple courrier d'information mais présente les caractères d'un acte décisoire faisant grief dont M. C... avait intérêt à demander l'annulation au tribunal administratif de Lille.
5. En second lieu, aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / (...) ".
6. En l'espèce, il n'est pas contesté que la décision du 15 octobre 2019 n'a pas fait l'objet d'une quelconque mesure de publicité à l'égard des tiers et n'a pas été notifiée à M. C.... Ainsi, celui-ci n'en a eu pour la première fois connaissance que le 7 septembre 2020, dans le cadre de la procédure qu'il a engagée devant le tribunal paritaire de baux ruraux pour contester la validité du congé lui ayant été notifié. Il s'ensuit que la requête à fin d'annulation de cette décision que M. C... a déposée au greffe du tribunal administratif de Lille le 14 octobre 2020, soit moins de deux mois après en avoir pris connaissance et en tout état de cause dans un délai raisonnable, n'était pas tardive.
7. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille n'a pas accueilli les fins de non-recevoir opposées à la requête de M. C... et s'est abstenu de la rejeter comme irrecevable.
En ce qui concerne le bien-fondé du moyen d'annulation retenu par le jugement attaqué :
8. Aux termes de l'article L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime : " L'autorité administrative (...) vérifie, compte tenu des motifs de refus prévus à l'article L. 331-3-1, si les conditions de l'opération permettent de délivrer l'autorisation mentionnée à l'article L. 331-2 et se prononce sur la demande d'autorisation par une décision motivée ". Aux termes de l'article L. 331-11 du même code : " Les conditions d'application du présent chapitre sont fixées par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article R. 331-3 de ce code : " Les demandes d'autorisation présentées sur le fondement du I de l'article L. 331-2 sont instruites par le préfet de la région où se trouvent les biens dont l'exploitation est envisagée, avec l'appui du préfet du département du siège de l'exploitation et, le cas échéant, des préfets des autres départements sur le territoire desquels sont situés les biens concernés (...) ". Aux termes de l'article R. 331-4 dudit code : " (...) / Le dossier de demande d'autorisation est adressé par envoi recommandé avec accusé de réception au préfet de la région où se trouve le fonds dont l'exploitation est envisagée, ou déposé auprès du service chargé d'instruire, sous l'autorité du préfet, les demandes d'autorisation. / (...) / Après avoir vérifié que le dossier comporte les pièces requises en application du premier alinéa, le service chargé de l'instruction l'enregistre et délivre au demandeur un accusé de réception (...) ". Aux termes de l'article R. 331-6 du même code : " I.- Le préfet de région dispose d'un délai de quatre mois à compter de la date d'enregistrement du dossier complet mentionnée dans l'accusé de réception pour statuer sur la demande d'autorisation. / (...) ".
9. Il résulte de ces dispositions que le préfet de région est l'autorité administrative compétente pour statuer sur les demandes d'autorisation d'exploiter dont il est saisi dans le cadre de la législation relative au contrôle des structures agricoles. Ainsi qu'il a été dit au point 3 du présent arrêt, lorsque cette autorité avise un demandeur que l'opération qu'il projette ne relève pas du régime de l'autorisation d'exploiter, le courrier adressé à cet effet constitue une décision administrative. Pour l'instruction de ces demandes d'autorisation, le préfet de région bénéficie de l'appui des préfets des départements où se situent le siège de l'exploitation et les parcelles considérées. Il lui revient en outre de désigner un service instructeur chargé notamment de l'enregistrement des demandes, de la délivrance de l'accusé de réception et de la préparation des décisions. Toutefois, ni les dispositions citées au point précédent ni aucune autre disposition ou principe ne confèrent de plein droit aux préfets de département ou aux services instructeurs ainsi désignés la compétence pour prendre position sur l'application du régime d'autorisation précité. Le préfet de région conserve en revanche la faculté de déléguer l'exercice de cette compétence dans les conditions prévues à l'article 38 du décret du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et départements.
10. Il ressort des pièces du dossier que la décision attaquée, prise sous le timbre du préfet du Nord et qui ainsi qu'il a été dit ci-dessus avise M. B... que son projet de reprise n'est pas soumis à l'obtention préalable d'une autorisation d'exploiter, a été signée, pour le directeur départemental des territoires et de la mer du Nord, par M. A... H..., chef du service de l'agriculture durable et de l'économie de l'exploitation agricole à la direction départementale des territoires et de la mer du Nord. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que le directeur départemental des territoires et de la mer du Nord disposait d'une quelconque délégation pour édicter une telle décision, qui relève de la compétence du préfet de région ainsi que cela a été dit au point précédent. Dès lors, cette décision doit être regardée comme entachée d'incompétence et le moyen soulevé en ce sens par M. C... doit être accueilli.
11. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision attaquée du 15 octobre 2019.
Sur les frais liés au litige :
12. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la présente instance ait été à l'origine de dépens, de sorte que les conclusions de M. C... tendant à ce que les dépens soient mis à la charge de M. et Mme B... doivent être rejetées.
13. En second lieu, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. C..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge solidaire de M. et Mme B... une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. C... et non compris dans les dépens
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme B... est rejetée.
Article 2 : M. et Mme B... verseront solidairement à M. C... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de M. C... relatives aux dépens sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... D... épouse B..., à M. F... B..., à M. E... C... et à la ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt.
Copie en sera adressée au préfet de la région Hauts-de-France et au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience publique du 10 septembre 2024 à laquelle siégeaient :
- M. Benoît Chevaldonnet, président de chambre,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,
- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 septembre 2024.
Le rapporteur,
Signé : G. ToutiasLe président de chambre,
Signé : B. ChevaldonnetLa greffière,
Signé : A-S. Villette
La République mande et ordonne à la ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière
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N°23DA01392