Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision du 18 novembre 2020 par laquelle le préfet de la Seine-Maritime a refusé de délivrer un document de circulation pour étranger mineur à sa fille, G... A... B..., ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux présenté le 30 décembre 2020.
Par un jugement n° 2101689 du 20 juillet 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé les décisions attaquées du préfet de la Seine-Maritime et a enjoint à ce dernier ou à tout préfet territorialement compétent de délivrer le document de circulation pour étranger mineur sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 7 août 2023, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. A... B... devant le tribunal administratif de Rouen.
Il soutient que, dès lors que la jeune G... A... B... n'est pas entrée en France au titre du regroupement familial et qu'elle n'est titulaire ni d'un visa de long séjour ni d'un titre de séjour " étudiant ", elle ne remplit pas les conditions de délivrance d'un document de circulation pour étranger mineur prévues au b) de l'article 7 ter de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988.
La requête et l'ensemble des pièces de la procédure ont été communiqués à M. A... B... qui n'a pas produit de mémoire, malgré une mise en demeure adressée le 1er décembre 2023.
Par une ordonnance en date du 5 mars 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 5 avril 2024 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 modifié ;
- l'accord-cadre relatif à la gestion concertée des migrations et au développement solidaire entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Tunisie, et le protocole relatif à la gestion concertée des migrations, signés à Tunis le 28 avril 2008 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Guillaume Toutias, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... A... B..., né le 11 août 1987, de nationalité tunisienne, est entré régulièrement en France le 7 décembre 2006 et est titulaire d'une carte de résident valable jusqu'au 2 février 2027. Son épouse, Mme F... A... D..., née le 4 août 1987, de nationalité tunisienne, est entrée sur le territoire français au titre du regroupement familial en 2016 et est quant à elle titulaire d'une carte de résident valable jusqu'au 20 août 2027. Le 10 septembre 2020, M. A... B... a sollicité la délivrance d'un document de circulation pour étranger mineur au bénéfice de sa fille, G... A... B..., née le 11 juin 2020 à Djerba en Tunisie et entrée en France le 6 septembre 2020 sous couvert d'un visa de court séjour délivré par les autorités consulaires françaises. Par une décision du 18 novembre 2020, le préfet de la Seine-Maritime a refusé de faire droit à sa demande. M. A... B... a présenté un recours gracieux qui est resté sans réponse. Le préfet de la Seine-Maritime relève appel du jugement du 20 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Rouen, saisi par M. A... B..., a prononcé l'annulation de sa décision du 18 novembre 2020, ensemble sa décision implicite de rejet du recours gracieux, et lui a enjoint de délivrer le document de circulation pour étranger mineur sollicité dans un délai de deux mois.
2. D'une part, aux termes du troisième alinéa du b) de l'article 7 ter de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 susvisé : " Les ressortissants tunisiens mineurs de dix-huit ans qui remplissent les conditions prévues à l'article 7 bis, ou qui sont mentionnés au e ou au f de l'article 10, ainsi que les mineurs entrés en France pour y poursuivre des études sous couvert d'un visa de séjour d'une durée supérieure à trois mois reçoivent, sur leur demande, un document de circulation ". L'article 7 bis vise les ressortissants tunisiens mineurs dont l'un des parents au moins est titulaire d'un titre de séjour valable un an et qui ont été autorisés à séjourner en France au titre du regroupement familial. Le e de l'article 10 vise les enfants tunisiens mineurs d'un ressortissant tunisien titulaire d'un titre de séjour d'une durée de dix ans, qui ont été autorisés à séjourner en France au titre du regroupement familial. Le f du même article vise quant à lui les ressortissants tunisiens qui sont en situation régulière depuis plus de dix ans.
3. D'autre part, aux termes de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
4. Pour annuler la décision du 18 novembre 2020 par laquelle le préfet de la Seine-Maritime a refusé de délivrer un document de circulation pour étranger mineur à la jeune G... A... B... ainsi que la décision implicite de rejet du recours gracieux formé par son père le 30 décembre 2020, le tribunal administratif de Rouen, par le jugement attaqué du 20 juillet 2023, a retenu que le préfet avait doublement entaché ses décisions d'erreur de droit. D'une part, en s'abstenant de tenir compte du fait que Mme G... A... B... est née en Tunisie uniquement en raison de la fermeture temporaire des frontières intervenue dans le contexte lié à l'épidémie de covid-19, le préfet a entaché sa décision d'un défaut d'examen. D'autre part, compte tenu des circonstances particulières de la naissance de l'enfant et de ce que ses parents résident régulièrement en France sous couvert de cartes de résident, le préfet a méconnu les stipulations de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
5. Pour demander l'annulation de ce jugement, le préfet de la Seine-Maritime soutient que la jeune G... A... B... ne remplissait pas les conditions de délivrance d'un document de circulation pour étranger mineur prévues au b) de l'article 7 ter de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 dès lors qu'elle n'est pas entrée en France au titre du regroupement familial et qu'elle n'est titulaire ni d'un visa de long séjour ni d'un titre de séjour " étudiant ". Ce faisant, le préfet ne porte en appel devant la cour aucune contestation des motifs d'annulation retenus par les premiers juges, qui ne se sont pas fondés sur un moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées du b) de l'article 7 ter de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988.
6. En outre, la circonstance tirée de ce que la jeune G... A... B... n'entrait pas dans les prévisions de ces stipulations n'exonérait pas le préfet du respect des stipulations de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Or, dès lors que la jeune G... A... B... est née en Tunisie uniquement en raison de la fermeture des frontières intervenue dans le contexte de l'épidémie de covid-19 alors que ses parents y étaient en déplacement et dès lors que la procédure de regroupement familial n'était pas réalisable sans séparer le nouveau-né de ses parents ou porter atteinte à l'exercice du droit au séjour en France que ceux-ci tirent des cartes de résident dont ils sont titulaires, le préfet a porté une atteinte manifeste à l'intérêt supérieur de l'enfant en lui refusant le document de circulation sollicité.
7. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé sa décision du 18 novembre 2020, ensemble sa décision implicite de rejet du recours gracieux de M. A... B..., et lui a enjoint de délivrer, dans un délai de deux mois, à sa fille G... A... B... le document de circulation pour étranger mineur sollicité.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Seine-Maritime est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. C... A... B....
Copie sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.
Délibéré après l'audience publique du 9 juillet 2024 à laquelle siégeaient :
- M. Marc Baronnet, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,
- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 août 2024.
Le rapporteur,
Signé : G. ToutiasLe président de la formation
de jugement,
Signé : M. E...
La greffière,
Signé : A.S. Villette
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
l'agent de greffe
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N°23DA01605