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26/06/2024 | FRANCE | N°23DA01193

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 2ème chambre, 26 juin 2024, 23DA01193


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 3 février 2023 par lequel le préfet du Nord l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays à destination duquel il doit être éloigné et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.



Par un jugement n° 2301102 du 17 mai 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille

a annulé l'arrêté du 3 février 2023 du préfet du Nord.



Procédure devant la cour :



Par ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 3 février 2023 par lequel le préfet du Nord l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays à destination duquel il doit être éloigné et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2301102 du 17 mai 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 3 février 2023 du préfet du Nord.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 26 juin 2023, le préfet du Nord, représenté par Me Nicolas Rannou, demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Lille.

Il soutient que :

- la demande de titre de séjour dont M. D... s'est prévalu en première instance était une demande de duplicata à la suite de la prétendue perte de son titre de séjour ; ce titre de séjour était déjà périmé à la date à laquelle cette demande a été présentée ; c'est, dès lors, à tort que le premier juge a retenu que l'arrêté attaqué est entaché d'un défaut d'examen particulier de la situation de M. D... en raison de l'absence de prise en compte de cette demande de titre de séjour ;

- aucun des autres moyens soulevés par M. D... en première instance n'est fondé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 août 2023, M. D..., représenté par Me Hubert Coquerez, demande à la cour :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;

2°) de rejeter la requête d'appel du préfet du Nord ;

3°) d'enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour et de le convoquer dans les meilleurs délais afin de lui remettre son nouveau titre de séjour.

Il soutient que :

- la direction générale des étrangers en France l'a informé le 28 janvier 2023 de ce que sa demande de titre de séjour avait été acceptée et qu'un nouveau titre de séjour était en cours de fabrication ; le préfet du Nord n'établit pas que cette demande correspondrait à une demande de duplicata de son dernier titre de séjour ; une telle demande n'aurait de toute façon pas pu aboutir favorablement dès lors que son dernier titre de séjour était expiré depuis le 18 novembre 2021 ; c'est, dès lors, à raison que le premier juge a retenu que le préfet du Nord a entaché son arrêté d'un défaut d'examen particulier en ne tenant pas compte de cette situation ;

- en tout état de cause, il maintient les autres moyens qu'il a soulevé en première instance à l'encontre de l'arrêté attaqué.

Par une ordonnance en date du 1er février 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 19 février 2024 à 12 heures.

M. D... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 novembre 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guillaume Toutias, premier conseiller,

- et les observations de Me Hubert Cocqueret, représentant M. D....

Considérant ce qui suit :

1. M. B... D..., né le 26 janvier 1996, de nationalité marocaine, est entré en France en 2017 sous couvert d'un visa de long séjour portant la mention " étudiant ". Il a été mis, pour le même motif, en possession de titres de séjour du 18 janvier 2019 au 30 novembre 2019 puis du 19 mai 2021 au 18 novembre 2021. A la suite de son interpellation pour des faits de vol avec violence le 2 février 2023, il a fait l'objet, le lendemain, d'un arrêté du préfet du Nord lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, fixant le pays à destination duquel il devra être éloigné et prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Le préfet du Nord relève appel du jugement du 17 mai 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille, saisi par M. D..., a annulé cet arrêté.

Sur la demande d'aide juridictionnelle provisoire :

2. Par une décision du 30 novembre 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai, M. D... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Dans ces conditions, les conclusions tendant à son admission provisoire à l'aide juridictionnelle sont devenues sans objet.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par les premiers juges :

3. Il ressort des pièces du dossier que M. D..., entré en France en 2017 sous couvert d'un visa de long séjour portant la mention " étudiant ", a été par intermittence mis en possession de titres de séjour en cette même qualité, de janvier à novembre 2019 et de mai à novembre 2021. Il n'établit pas en revanche avoir sollicité le renouvellement de ce titre de séjour avant son expiration et dans les délais prévus à cet effet. Il s'ensuit qu'à la date à laquelle l'arrêté attaqué a été pris, il se maintenait en situation irrégulière sur le territoire depuis quatorze mois. S'il s'est prévalu d'une demande de renouvellement de titre de séjour déposée auprès de la sous-préfecture de Valenciennes le 31 janvier 2023, il ressort des énonciations de l'arrêté attaqué que le préfet du Nord en a tenu compte mais qu'il lui a opposé que cette demande a été formée plus de quatorze mois après l'expiration de son précédent titre, sans qu'il ne puisse justifier avoir quitté le territoire et y être revenu au moyen d'un nouveau visa de long séjour. M. D... n'établit pas que d'autres demandes de titre de séjour aient été en cours d'instruction à la date à laquelle l'arrêté attaqué a été pris, qu'elles auraient été susceptibles d'influer sur le sens des décisions prononcées à son encontre et que le préfet aurait dû les prendre en considération. En particulier, s'il a signalé la perte de son dernier titre de séjour, il admet lui-même que cette démarche, effectuée le 30 novembre 2022, plus d'un an après l'expiration du titre en question, ne pouvait aboutir à la délivrance ni d'un duplicata ni d'un nouveau titre de séjour. Également, la notification en provenance de la direction générale des étrangers en France du ministère de l'intérieur dont il se prévaut, qui ne comporte aucune date ni aucune mention permettant de la relier à une demande de titre de séjour présentée postérieurement à l'expiration de son précédent titre, n'établit pas qu'il était, à la date de l'arrêté attaqué, bénéficiaire d'une décision de lui attribuer un titre de séjour. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet n'aurait pas procédé à l'examen de la situation personnelle de l'intéressé, la motivation de l'arrêté attaqué rendant compte au contraire de l'examen des liens privés et familiaux de M. D... en France et dans son pays d'origine.

4. Il s'ensuit que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge s'est fondé sur le moyen tiré du défaut d'examen particulier de la situation de M. D... pour annuler son arrêté du 3 février 2023 l'obligeant à quitter sans délai le territoire français, fixant le pays à destination duquel il doit être éloigné et prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... devant le tribunal administratif de Lille et devant la cour.

En ce qui concerne les autres moyens :

5. En premier lieu, par un arrêté du 13 octobre 2022, régulièrement publié au recueil des actes administratifs n° 245 du 12 octobre 2022, le préfet du Nord a donné à Mme C... A..., attachée d'administration de l'Etat, cheffe du bureau de la lutte contre l'immigration irrégulière, signataire de l'arrêté attaqué, délégation à l'effet de signer notamment : " les décisions portant obligation de quitter le territoire français ", " les décisions relatives au délai de départ volontaire ", " les décisions fixant le pays à destination duquel un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement doit être éloigné " et " les décisions d'interdiction de retour sur le territoire français ". Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision attaquée doit être écarté comme manquant en fait.

6. En deuxième lieu, l'arrêté attaqué vise et mentionne les dispositions qui constituent les fondements légaux de chacune des décisions qu'il prononce à l'encontre de M. D.... Il comporte des considérations de fait suffisantes ayant mis l'intéressé à même de comprendre les motifs des décisions portant obligation de quitter le territoire français, refus d'un délai de départ volontaire, détermination du pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français. Dès lors, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé doit être écarté comme manquant en fait.

7. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. D... s'est vu notifier l'arrêté attaqué au terme d'une garde-à-vue et d'une retenue pour vérification du droit au séjour faisant suite à une interpellation, le 2 février 2022, pour des faits de vol avec violences. Il ressort du procès-verbal de son audition par les services de police qu'il a été interrogé sur sa situation administrative au regard du droit au séjour en France et qu'il a été informé qu'une procédure d'éloignement était susceptible d'être engagée à son encontre. Il s'ensuit qu'il a été régulièrement mis à même de porter utilement à la connaissance de l'autorité préfectorale les informations pertinentes tenant à sa situation personnelle avant l'adoption de la mesure d'éloignement attaquée et des décisions qui l'assortissent. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué a été pris en méconnaissance des droits de la défense doit être écarté.

8. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / (...) / 2° L'étranger, entré sur le territoire français sous couvert d'un visa désormais expiré ou, n'étant pas soumis à l'obligation du visa, entré en France plus de trois mois auparavant, s'est maintenu sur le territoire français sans être titulaire d'un titre de séjour ou, le cas échéant, sans demander le renouvellement du titre de séjour temporaire ou pluriannuel qui lui a été délivré ; (...) ". Le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué serait entaché d'une erreur de droit n'est pas assorti de précisions suffisantes pour permettre à la cour d'en apprécier le bien-fondé. En tout état de cause, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que M. D..., dont le dernier titre de séjour a expiré en novembre 2021 sans qu'il en demande le renouvellement dans les délais prévus à cet effet et qui s'est maintenu en situation irrégulière sur le territoire pendant plus de quatorze mois, pouvait se voir notifier une obligation de quitter le territoire français sur le fondement des dispositions du 2° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Ce moyen doit, dès lors, être écarté.

9. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

10. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date à laquelle l'arrêté attaqué a été pris, M. D... justifie seulement de cinq années de présence en France alors qu'il a vécu la majeure partie de sa vie au Maroc, jusqu'à l'âge de 21 ans. Il est célibataire et sans charge de famille en France et, s'il a déclaré au cours de son audition par les forces de l'ordre avoir une sœur résidant à Paris, il ne justifie pas de l'intensité des liens entretenus avec elle et n'établit pas être dépourvu d'attache familiale dans son pays d'origine. S'il fait état de ses études en France, il présente, après cinq ans sur le territoire, seulement une inscription en première année de master, sans justifier de la progression et de la cohérence de son parcours de formation pas plus que de l'impossibilité de le poursuivre dans son pays d'origine. Alors qu'il a déclaré lors de son audition par les forces de l'ordre être sans domicile fixe et être dépourvu de ressources autonomes, il ne peut pas être regardé comme présentant des garanties d'une insertion réussie et respectueuse des valeurs de la société française. Il a d'ailleurs été interpellé et placé en garde-à-vue pour des faits de vol avec violence le 2 février 2023. Dans le même temps, il n'avance aucune considération de nature à empêcher sa réinsertion dans son pays d'origine, à l'égard duquel il a indiqué n'avoir aucune crainte particulière en cas de retour. Dans ces conditions, en l'obligeant à quitter sans délai le territoire français, en fixant le Maroc comme pays de destination et en prononçant une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans, le préfet du Nord n'a ni porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale, ni entaché l'arrêté d'erreur manifeste d'appréciation. Les moyens ainsi soulevés doivent, dès lors, être écartés.

11. En sixième lieu, aux termes de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations n'est pas assorti de précisions suffisantes pour permettre à la cour d'en apprécier le bien-fondé. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier, notamment des déclarations faites par M. D... au cours de son audition par les forces de l'ordre, qu'il est sans charge de famille. Dès lors, ce moyen doit être écarté.

12. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 17 mai 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 3 février 2023. Il convient donc de prononcer l'annulation de ce jugement et de rejeter les conclusions présentées en première instance par M. D.... Les conclusions à fin d'injonction que ce dernier présente en appel doivent, par voie de conséquence, être également rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. D... tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle, à titre provisoire.

Article 2 : Le jugement n° 2301102 du 17 mai 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 3 : La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Lille est rejetée.

Article 4 : Les conclusions à fin d'injonction présentées à titre incident en appel par M. D... sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie sera adressée au préfet du Nord.

Délibéré après l'audience publique du 11 juin 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Marc Baronnet, président-assesseur,

- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 juin 2024.

Le rapporteur,

Signé : G. ToutiasLa présidente de chambre,

Signé : M.P. ViardLa greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière

2

N°23DA01193


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA01193
Date de la décision : 26/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Guillaume Toutias
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : COCQUEREZ

Origine de la décision
Date de l'import : 07/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-26;23da01193 ?
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