Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'ordre des avocats du barreau de Lille a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet du Pas-de-Calais a refusé d'inscrire les coordonnées de la permanence téléphonique, organisée par le barreau de Lille, dédiée aux recours urgents en droit des étrangers durant les fins de semaine sur les décisions d'éloignement assorties d'un délai de recours administratif de quarante-huit heures et d'enjoindre sous astreinte au préfet du Pas-de-Calais de modifier les mentions relatives aux voies et délais.
Par un jugement n° 2007640 du 13 octobre 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 décembre 2023, l'ordre des avocats de Lille, représenté par Me Julie Gommeaux, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision implicite du préfet du Pas-de-Calais ;
3°) d'enjoindre au préfet du Pas-de-Calais de procéder à la modification des voies et délais de recours accompagnant les décisions d'éloignement assorties d'un délai de recours de 48 heures, pour y faire figurer le numéro de la permanence téléphonique mise en place par le barreau de Lille durant les fins de semaine, et ce dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, ou à défaut d'enjoindre au préfet de procéder au réexamen de sa demande dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il justifie d'un intérêt à agir à l'encontre des décisions en litige ;
- le refus du préfet est entaché d'erreur de droit ;
- les dispositions de la directive " retour ", imparfaitement transposées, imposent à l'administration de s'assurer que l'étranger est mis en mesure d'exercer son droit de recours ;
- de même, les dispositions relatives aux transferts comportent la même obligation ;
- le refus du préfet viole le droit au recours effectif et est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;
- les voies et délais de recours des décisions d'éloignement du préfet du Pas-de-Calais sont de nature à induire leurs destinataires en erreur et à les priver de leur droit de recours.
Par un mémoire, enregistré le 10 avril 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
La procédure a été communiquée au préfet du Pas-de-Calais qui n'a pas produit de mémoire.
La clôture de l'instruction a été fixée au 23 mai 2024 à 12 heures par une ordonnance du 11 avril 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) N° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier
- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,
- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,
- et les observations de Me Julie Gommeaux, représentant l'ordre des avocats de Lille et de M. A... représentant le préfet du Pas-de-Calais.
Considérant ce qui suit :
1. Le bâtonnier de l'ordre des avocats de Lille a demandé par courrier du 10 février 2020 au préfet du Pas-de-Calais de faire figurer le numéro de téléphone de la permanence de week-end mise en place par ce barreau, dans la mention des voies et délais des décisions d'éloignement pour lesquelles le délai de recours contentieux est de 48 heures. Faute de réponse, l'ordre des avocats du barreau de Lille a saisi le tribunal administratif de Lille d'un recours en annulation de la décision implicite de rejet de sa demande. Il relève appel du jugement du 13 octobre 2023 rejetant ses conclusions.
Sur le refus de faire figurer dans la mention des voies et délais le numéro de téléphone de la permanence du barreau :
En ce qui concerne le respect des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :
2. D'une part, aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ". D'autre part, aux termes de l'article L. 512-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable : " " Dès notification de l'obligation de quitter le territoire français, l'étranger auquel aucun délai de départ volontaire n'a été accordé est mis en mesure, dans les meilleurs délais, d'avertir un conseil, son consulat ou une personne de son choix. L'étranger est informé qu'il peut recevoir communication des principaux éléments des décisions qui lui sont notifiées en application de l'article L. 511-1. Ces éléments lui sont alors communiqués dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprend. ". Aux termes de l'article L. 742-3, alors applicable, du même code : " " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. / Cette décision est notifiée à l'intéressé. Elle mentionne les voies et délais de recours ainsi que le droit d'avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix. Lorsque l'intéressé n'est pas assisté d'un conseil, les principaux éléments de la décision lui sont communiqués dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend. ".
3. Il résulte de ces dispositions que l'étranger doit se voir informer, dès la notification de la mesure d'éloignement, dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend, de son droit d'obtenir l'assistance d'un interprète et d'un conseil. Il appartient à l'administration, en particulier lorsque l'étranger est détenu ou placé en rétention, d'assurer l'effectivité de l'ensemble des garanties précitées. Toutefois, pour rendre opposable le délai de recours contentieux, conformément à ce que prévoit l'article R. 421-5 du code de justice administrative, l'administration est tenue de faire figurer dans la notification de ses décisions la mention des délais et voies de recours contentieux ainsi que les délais des recours administratifs préalables obligatoires. Elle n'est pas tenue d'ajouter d'autres indications. Aucune disposition n'impose donc que l'information sur l'assistance que peut solliciter l'étranger, figure dans les voies et délais de recours qui accompagne la décision, même si une telle mention a l'avantage de rappeler de manière écrite ses droits à l'étranger. Il n'est toutefois pas contesté que l'étranger reçoit cette information lorsque la décision lui est notifiée. Les personnes faisant l'objet d'une assignation à résidence sont en outre informées de la possibilité d'avertir un avocat ou d'obtenir la désignation d'un conseil en contactant le barreau territorialement compétent ainsi que de la possibilité de contacter un organisme d'aide à l'accès au droit dont les coordonnées sont fournies. Par ailleurs, la notification de la mesure est effectuée par le biais d'un interprète lorsque l'intéressé n'est pas en mesure de comprendre le français. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées doit être écarté comme l'ont jugé à bon droit les premiers juges.
En ce qui concerne le respect du droit de l'Union :
4. L'article 13 de la directive 2008/115 du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier prévoit que le " ressortissant concerné d'un pays tiers dispose d'une voie de recours effectif (...) / a la possibilité d'obtenir un conseil juridique (...) " et que " les Etats-membres veillent à ce que l'assistance juridique et/ou la représentation nécessaires soient accordées sur demande gratuitement (...) ". Les dispositions de l'article L. 512-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile précitées, qui assurent la transposition sur ce point de cette directive n'apparaissent pas contraires à celle-ci et par suite, le préfet n'a pas méconnu les objectifs de cette directive en refusant de faire figurer le numéro de téléphone où pourrait être joint un avocat dans les mentions des voies et délais de recours accompagnant une obligation de quitter le territoire français sans délai.
5. De même, les dispositions de l'article 27 du règlement 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui impose que le demandeur d'asile " dispose d'un droit de recours effectif " et que les Etats-membres veillent à ce qu'il ait accès à une assistance juridique qui peut être accordée gratuitement sur demande n'imposent pas non plus de faire figurer dans la décision de transfert, l'indication du numéro de téléphone où pourrait être joint un avocat.
En ce qui concerne le respect du droit au recours effectif :
6. Aux termes de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. "
7. Si le délai de recours est de 48 heures pour l'étranger, objet d'un transfert ou d'une obligation de quitter le territoire sans délai et si ce délai peut se dérouler intégralement sur un week-end, l'étranger peut dans ce délai compléter par tous éléments sa requête qui peut être sommaire, et ce jusqu'à la clôture de l'instruction. Par ailleurs, l'effectivité des garanties dont bénéficie l'étranger pour exercer son droit au recours et dont fait partie l'information sur la possibilité d'avertir un conseil doit être concilié avec les objectifs visant à assurer l'exécution des mesures d'éloignement des étrangers en situation irrégulière et à éviter la prolongation des mesures de rétention ou d'assignation à résidence qui peuvent accompagner les mesures d'éloignement. Dans ces conditions, l'absence d'indication dans la mention des voies et délais de recours, du numéro de téléphone où pourrait être contacté un avocat n'est pas de nature à priver d'effectivité le droit à un recours effectif. Pour les mêmes motifs, le refus d'indiquer ce numéro n'est pas entaché d'erreur d'appréciation.
Sur le refus de modifier les autres mentions relatives aux voies et délais :
8. Si la mention des voies et délais accompagnant les obligations de quitter le territoire sans délai et les transferts fait apparaître en premier lieu les possibilités de recours administratif et hiérarchique, cette mention comporte en dernier lieu un paragraphe commençant par le mot " Attention " indiquant que le délai de recours juridictionnel, dont la durée de 48 heures est rappelée auparavant, n'est pas prorogé par un recours administratif préalable. Cette notification étant effectuée par le biais d'un interprète et l'intéressé ayant été informé qu'il peut avertir un conseil, son consul ou tout autre personne, l'intéressé est ainsi mis à même de comprendre les termes employés même s'ils sont techniques.
9. Si la mention des voies et délais comporte, selon l'ordre des avocats, des exigences superflues notamment sur la présentation dactylographiée du recours, il est précisé dans le texte même de cette mention qu'il ne s'agit pas d'obligations.
10. En sens inverse, si la mention des voies et délais ne comprend pas certaines indications comme la présence d'un horodateur accessible en permanence au tribunal administratif, la présence de telles informations n'est prévue par aucune disposition et au surplus, la mention précise que le recours peut être formé par voie électronique en donnant l'adresse du site " Télérecours-citoyens ".
11. Il résulte de ce qui précède que l'ordre des avocats n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le préfet du Pas-de-Calais a refusé de modifier les mentions des voies et délais de recours, sans qu'il soit besoin en tout état de cause de se prononcer sur la recevabilité de ces conclusions.
12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur recevabilité de la demande de première instance, que l'ordre des avocats de Lille n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fins d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de l'ordre des avocats de Lille est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'ordre des avocats du barreau de Lille et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet du Pas-de-Calais.
Délibéré après l'audience publique du 6 juin 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M. Denis Perrin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 juin 2024.
Le rapporteur,
Signé : D. PerrinLa présidente de la 1ère chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
N°23DA02300 2