Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le GAEC A... a demandé, par trois requêtes distinctes, au tribunal administratif de Lille d'annuler, d'une part, l'arrêté du préfet du Nord du 9 août 2018 portant mise en demeure de remettre en état à l'identique en prairies plusieurs parcelles, pour un total de 27,83 ha, sur le territoire des communes de Maurois et de Bertry (Nord), d'autre part, le rejet implicite de son recours gracieux dirigé contre cet arrêté, et enfin l'arrêté modificatif du même préfet du 4 avril 2019.
Par un jugement nos 1808537, 1900137, 1904492 du 27 janvier 2022, le tribunal administratif de Lille a, d'une part, constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions tendant à l'annulation des deux premières décisions attaquées, d'autre part, annulé l'arrêté modificatif du 4 avril 2019.
Par une ordonnance n° 22DA00716 du 3 juin 2022, le président de la 1ère chambre de la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé contre ce jugement par la ministre de la transition écologique comme irrecevable.
Par une décision n° 466303 du 22 juin 2023, le Conseil d'Etat, saisi par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, a annulé cette ordonnance du 3 juin 2022 et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Douai.
Procédure devant la cour :
Par une requête, initialement enregistrée sous le n° 22DA00716, le 29 mars 2022, et après renvoi, par un mémoire enregistré le 20 septembre 2023 sous le n° 23DA01170, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lille du 27 janvier 2022 ;
2°) de rejeter la demande du GAEC A....
Il soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- le jugement du tribunal administratif est entaché d'erreur de droit, le caractère différé de l'annulation de l'arrêté du 25 juillet 2014 par un précédent jugement du tribunal limitait la portée de cette annulation à l'avenir et ne pouvait donc avoir des effets sur les actes antérieurs ;
- dans le cas contraire, un manquement constaté ne pourrait faire l'objet d'une mise en demeure, alors que l'arrêté n'a été annulé que pour un vice de procédure.
Par deux mémoires, enregistrés le 25 août 2023 et le 2 novembre 2023, le groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) A..., représentée par Me Yann Borrel, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement du tribunal administratif est régulier ;
- les effets de l'arrêté du 25 juillet 2014 doivent être considérés comme jamais intervenus ;
- l'arrêté modificatif du 4 avril 2019 ne pouvait se fonder sur l'arrêté du 30 août 2018 postérieur aux manquements constatés.
Par une ordonnance du 8 novembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 29 novembre 2023 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de la santé publique ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 ;
- le décret n° 2007-18 du 5 janvier 2007 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,
- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,
- et les observations de Me Yann Borrel, représentant le GAEC A....
Une note en délibéré présentée par Me Borrel a été enregistrée le 6 juin 2024.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 9 août 2018, le préfet du Nord a mis en demeure le GAEC A..., exploitant agricole, de remettre en état en tout ou partie des quarante-et-une parcelles labourées et mises en culture en prairies permanentes, sur le territoire des communes de Maurois et Bertry, avant le 30 septembre 2018. Par la suite, le préfet du Nord a pris, le 4 avril 2019, un second arrêté comportant notamment une mise en demeure identique mais fixant un nouveau délai de remise en état de six mois. Par un jugement du 27 janvier 2022, le tribunal administratif de Lille a, d'une part, constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les demandes d'annulation du GAEC A... dirigées contre l'arrêté du 9 août 2018 ainsi que sur la décision implicite de rejet de son recours gracieux contre cet arrêté, d'autre part, annulé l'arrêté modificatif du 4 avril 2019. Le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires a relevé appel de ce jugement. Par une ordonnance du 3 juin 2022, le président de la première chambre de la cour administrative d'appel de Douai a rejeté la requête d'appel. Le Conseil d'Etat, saisi par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires a annulé cette ordonnance et renvoyé l'affaire à la cour par un arrêt n° 466303 du 22 juin 2023.
Sur la régularité du jugement :
2. Le jugement du 27 janvier 2022 du tribunal administratif de Lille cite les textes dont il fait application et rappelle les considérations de fait auxquelles s'appliquent ces textes pour en déduire la solution juridique à chacun des moyens soulevés dans l'instance. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement qui n'est soulevé que dans la requête sommaire du ministre sans être à nouveau développé dans les écritures après cassation et qui n'est assorti d'aucune précision, ne peut qu'être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne le cadre juridique du litige :
3. Aux termes de l'article L. 171-6 du code de l'environnement : " Lorsqu'un agent chargé du contrôle établit à l'adresse de l'autorité administrative compétente un rapport faisant état de faits contraires aux prescriptions applicables, en vertu du présent code, à une installation, un ouvrage, des travaux, un aménagement, une opération, un objet, un dispositif ou une activité, il en remet une copie à l'intéressé qui peut faire part de ses observations à l'autorité administrative. ". Aux termes de l'article L. 171-8 du code de l'environnement : " I.- Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées, en cas d'inobservation des prescriptions applicables en vertu du présent code aux installations, ouvrages, travaux, aménagements, opérations, objets, dispositifs et activités, l'autorité administrative compétente met en demeure la personne à laquelle incombe l'obligation d'y satisfaire dans un délai qu'elle détermine. ".
4. Il résulte de cette disposition éclairée par les travaux préparatoires de la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976, que lorsque l'inspecteur des installations classées pour la protection de l'environnement a constaté, selon la procédure requise par le code de l'environnement, l'inobservation de conditions légalement imposées à l'exploitant d'une installation classée, le préfet, sans procéder à une nouvelle appréciation de la violation constatée, est tenu d'édicter une mise en demeure de satisfaire à ces conditions dans un délai déterminé, qui a pour objet, en tenant compte des intérêts qui s'attachent à la fois à la protection de l'environnement et à la continuité de l'exploitation, de permettre à l'exploitant de régulariser sa situation, en vue d'éviter une sanction, et notamment la suspension du fonctionnement de l'installation.
5. Il résulte de l'instruction qu'à la suite d'un contrôle opéré par la direction départementale des territoires et de la mer du Nord, un rapport de manquement a été dressé le 24 mai 2018 à l'encontre du GAEC A... pour méconnaissance de l'interdiction de retournement des prairies de plus de cinq ans dans une aire d'alimentation de captage d'eau destiné à la consommation humaine, édictée par l'arrêté du 25 juillet 2014 du préfet de la région Nord-Pas-de-Calais établissant le 5ème programme d'actions régional en vue de la protection des eaux contre la pollution par les nitrates d'origine agricole pour la région Nord-Pas-de-Calais.
6. Toutefois, par un jugement du 27 septembre 2017 devenu définitif, le tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté du 25 juillet 2014 en raison d'un vice de procédure mais a différé, ainsi que cela résulte de l'article 1er du dispositif de ce jugement, cette annulation au 31 mai 2018 après avoir estimé en application de l'arrêt n°379/15 du 28 juillet 2016 de la Cour de justice de l'Union européenne que le maintien exceptionnel des effets de l'arrêté du 25 juillet 2014 répondait à une considération impérieuse liée à la protection de l'environnement.
7. Les mises en demeure du préfet du Nord se référaient à l'article L.171-7 du code de l'environnement. Le préfet du Nord a demandé en première instance la substitution à l'article L. 171-7 du code de l'environnement qui ne concerne que les installations sans autorisation, de l'article L. 171-8 qui permet de mettre en demeure les exploitants disposant d'une autorisation, ce qui est le cas du GAEC A.... Les dispositions de ces deux articles donnent le même pouvoir d'appréciation au préfet et la substitution demandée ne prive pas le titulaire de l'autorisation, d'une garantie. Dans ces conditions, cette substitution de base légale est fondée.
En ce qui concerne le non-lieu prononcé par le tribunal administratif de Lille :
8. La mise en demeure prononcée par le préfet du Nord le 9 août 2018 a nécessairement été abrogée par celle édictée le 4 avril 2019 qui a pour base le même rapport de manquement et prescrit les mêmes mesures, ne modifiant que le délai de mise en œuvre en le portant à six mois à compter de la notification de cet arrêté. Les conclusions d'annulation de la mise en demeure du 9 août 2018 sont donc devenues sans objet ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal administratif de Lille.
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Lille :
9. En premier lieu, le rapport du 24 mai 2018 constatait un manquement à l'arrêté du 25 juillet 2014 qui constituait les prescriptions applicables au sens de l'article L. 171-6 du code de l'environnement. La réalité de ce manquement n'est pas contestée. Il résulte également de ce qui a été dit au point 6, qu'à cette date, l'arrêté du 25 juillet 2014 demeurait dans l'ordonnancement juridique et en conséquence le constat du 24 mai 2018 pouvait se fonder sur ce programme d'actions régionales.
10. En deuxième lieu, l'arrêté du 30 août 2018 s'est substitué à celui du 25 juillet 2014 pour fixer le programme d'actions régionales de protection des eaux contre la pollution par les nitrates d'origine agricole. Il n'est pas contesté que les faits relevés dans le procès-verbal de manquement méconnaissent également l'arrêté du 30 août 2018. Il n'est pas non plus soutenu que ce manquement aurait cessé. Dans ces conditions, le préfet était fondé à mettre en demeure l'exploitant de se mettre en conformité avec l'arrêté du 30 août 2018 au vu des faits constatés le 24 mai 2018, même si initialement ceux-ci se référaient à un arrêté annulé depuis le 1er juin 2018.
11. Le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires est donc fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a annulé pour ce motif la mise en demeure du 4 avril 2019. Il appartient toutefois à la cour saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel d'examiner les autres moyens développés par le GAEC A....
En ce qui concerne les autres moyens d'annulation de la mise en demeure du 4 avril 2019 :
S'agissant de la légalité externe :
12. En premier lieu, par un arrêté du 3 septembre 2018, le préfet du Nord a donné délégation à Mme Violaine Demaret, secrétaire général de la préfecture, pour signer " tous arrêtés (...) relevant des attributions de l'Etat dans le département du Nord, à l'exception de la réquisition du comptable ". Cet arrêté a été publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du Nord du 4 septembre 2018. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la mise en demeure du 4 avril 2019 doit être écarté. Au surplus, il résulte de ce qui a été dit au point 4 que le préfet est en situation de compétence liée pour prendre une mise en demeure à la suite d'un rapport de manquement.
13. En deuxième lieu, la mise en demeure du 4 avril 2019 se fonde sur un rapport de manquement du 24 mai 2019, dont il n'est pas contesté qu'il a été notifié au GAEC A.... Dans ces conditions, les moyens tirés de l'absence de rapport préalable constatant les faits comme de défaut de caractère contradictoire de la procédure doivent donc être écartés.
S'agissant de la légalité interne :
14. Si, dans le cadre de la contestation d'un acte réglementaire par voie d'exception à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure prise pour son application ou dont il constitue la base légale, la légalité des règles fixées par cet acte réglementaire, la compétence de son auteur et l'existence d'un détournement de pouvoir peuvent être utilement critiquées, il n'en va pas de même des conditions d'édiction de cet acte, les vices de forme et de procédure dont il serait entaché ne pouvant être utilement invoqués que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'acte réglementaire lui-même et introduit avant l'expiration du délai de recours contentieux. Le GAEC A... soutient que l'arrêté du 30 août 2018, qui constitue la base légale de la mise en demeure du 4 avril 2019 est illégal en ce qu'il vise l'arrêté préfectoral du 23 novembre 2015 approuvant le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux du bassin Artois-Picardie pour la période 2016-2021 qui aurait été pris à l'issue d'une procédure irrégulière. Outre qu'il n'est pas démontré que l'arrêté du 30 août 2018 ait pour base légale ou ait été pris pour l'application du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux, en tout état de cause le GAEC A... ne saurait utilement invoquer l'irrégularité d'adoption de ce schéma.
15. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a annulé, par le jugement contesté la mise en demeure du 7 avril 2019. Par voie de conséquence, l'article 2 du jugement du 27 janvier 2022 doit être annulé
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente affaire, la somme réclamée sur ce fondement par le GAEC A....
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 2 du jugement du tribunal administratif de Lille du 27 janvier 2022 est annulé.
Article 2 : Le surplus des demandes du GAEC A... devant le tribunal et le surplus des conclusions des parties devant la cour sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... gérant du GAEC A... et au ministre de transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera transmise pour information au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience publique du 6 juin 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M. Denis Perrin, premier conseiller.
Lu en audience publique le 21 juin 2024.
Le rapporteur,
Signé : D. PerrinLa présidente de la 1ère chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
N°23DA01170 2