Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 28 février 2019 par lequel le maire de la commune d'Haverskerque l'a licenciée pour insuffisance professionnelle et de condamner la commune à lui verser une indemnité de 50 000 euros en réparation des préjudices moral et professionnel qu'elle estime avoir subis en raison d'agissements de sa hiérarchie, assortie des intérêts au taux légal à compter de la notification du jugement et de la capitalisation de ces intérêts.
Par un jugement n° 1903743 du 29 mars 2022, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 24 mai 2022, 15 et 17 novembre 2023 Mme B..., représentée par Me Denisselle, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 28 février 2019 par lequel le maire de la commune d'Haverskerque l'a licenciée pour insuffisance professionnelle ;
3°) d'enjoindre à la commune d'Haverskerque de procéder à sa réintégration juridique et de lui verser les traitements, primes et avantages dont elle a été privée pendant la période d'éviction irrégulière, assortis des intérêts au taux légal à compter de la date de notification du présent arrêt et de la capitalisation de ces intérêts ;
4°) de condamner la commune d'Haverskerque à lui verser une indemnité de 50 000 euros en réparation des préjudices moral et professionnel qu'elle estime avoir subis en raison de son licenciement, assortie des intérêts au taux légal à compter de la notification du jugement et de la capitalisation de ces intérêts ;
5°) de mettre à la charge de la commune d'Haverskerque une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision contestée a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors qu'il n'est pas justifié de la compétence du signataire du rapport de saisine du conseil de discipline ;
- les faits qui lui sont reprochés ne caractérisent pas son insuffisance professionnelle, compte tenu de la surcharge de travail à laquelle elle a été confrontée ;
- elle a subi un préjudice moral et professionnel, compte tenu de la perte de la qualité de fonctionnaire après trente-cinq années de service, de l'atteinte à sa réputation et de l'incidence financière de son licenciement, notamment en ce qui concerne ses droits à retraite.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 13 septembre 2022 et le 19 janvier 2024, la commune d'Haverskerque, représentée par Me Fillieux, demande à la cour de rejeter la requête de Mme B... et de mettre à la charge de la requérante la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que le moyen de légalité externe soulevé en appel par Mme B... n'est pas recevable et que les faits reprochés à l'intéressée caractérisent son insuffisance professionnelle.
Par une ordonnance du 25 janvier 2024, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu à la date du 13 février 2024, à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 87-1099 du 30 décembre 1987 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur ;
- les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public ;
- et les observations de Me Boens, représentant Mme B..., et de Me Fillieux, représentant la commune d'Haverskerque.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B..., née en 1962, était attachée territoriale et exerçait les fonctions de secrétaire de mairie à la commune d'Haverskerque depuis le 1er juin 2015. Par un arrêté du 28 février 2019, le maire de la commune d'Haverskerque a licencié Mme B... pour insuffisance professionnelle. Mme B... fait appel du jugement n° 1903743 du 29 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté et à l'indemnisation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison de son illégalité.
Sur la recevabilité du moyen de légalité externe soulevé par Mme B... :
2. Mme B... n'est pas recevable à invoquer, pour la première fois en appel, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure de licenciement, qui est fondé sur une cause juridique nouvelle en appel, dès lors qu'aucun moyen de légalité externe n'était soulevé en première instance contre la décision contestée.
Sur la légalité interne de l'arrêté du 28 février 2019 :
3. L'article 93 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, applicable au litige, dispose que : " Le licenciement pour insuffisance professionnelle est prononcé après observation de la procédure prévue en matière disciplinaire. / Le fonctionnaire licencié pour insuffisance professionnelle peut recevoir une indemnité dans des conditions qui sont fixées par décret ".
4. Le licenciement pour inaptitude professionnelle d'un agent public ne peut être fondé que sur des éléments révélant l'inaptitude de l'agent à exercer normalement les fonctions pour lesquelles il a été engagé ou correspondant à son grade et non sur une carence ponctuelle dans l'exercice de ces fonctions. Toutefois, une telle mesure ne saurait être subordonnée à ce que l'insuffisance professionnelle ait été constatée à plusieurs reprises au cours de la carrière de l'agent ni qu'elle ait persisté après qu'il ait été invité à remédier aux insuffisances constatées. Par suite, une évaluation portant sur la manière dont l'agent a exercé ses fonctions durant une période suffisante et révélant son inaptitude à un exercice normal de ses fonctions est de nature à justifier légalement son licenciement.
5. Aux termes de l'article 2 du décret du 30 décembre 1987 portant statut particulier du cadre d'emplois des attachés territoriaux : " Les membres du cadre d'emplois participent à la conception, à l'élaboration et à la mise en œuvre des politiques décidées dans les domaines administratif, financier, économique, sanitaire, social, culturel, de l'animation et de l'urbanisme. Ils peuvent ainsi se voir confier des missions, des études ou des fonctions comportant des responsabilités particulières, notamment en matière de gestion des ressources humaines, de gestion des achats et des marchés publics, de gestion financière et de contrôle de gestion, de gestion immobilière et foncière et de conseil juridique. Ils peuvent également être chargés des actions de communication interne et externe et de celles liées au développement, à l'aménagement et à l'animation économique, sociale et culturelle de la collectivité. Ils exercent des fonctions d'encadrement et assurent la direction de bureau ou de service. / (...) ".
6. Il ressort de l'offre de poste de secrétaire de mairie de la commune publiée par le centre de gestion de la fonction publique territoriale du Nord et de la fiche de poste de secrétaire de mairie de la commune d'Haverskerque que Mme B... était notamment chargée de définir, préparer et mettre en œuvre les politiques communales, de conseiller les élus, de préparer les budgets de la commune et du centre communal d'action sociale et de suivre leur exécution, d'encadrer le personnel communal, composé de neuf agents de catégorie C et de gérer leur paie, de gérer et suivre les marchés publics, et d'effectuer les demandes de subventions. La fiche de poste élaborée par la commune précise également, parmi les qualités professionnelles exigées pour la conduite de ces missions, l'autonomie, l'esprit d'initiative et la réactivité.
7. Mme B... conteste certains des motifs retenus par la commune pour caractériser son insuffisance professionnelle et relatifs à la présentation erronée au conseil municipal du nouveau régime indemnitaire des agents municipaux, à l'application des règles indemnitaires aux agents, à la gestion des horaires du personnel et à l'élaboration du budget.
8. Toutefois, en premier lieu, la commune fait également grief à Mme B... d'avoir à plusieurs reprises manqué de diligence dans l'exercice de ses missions et dans le traitement des demandes qui lui étaient adressées, entraînant pour la commune des pertes financières et une dégradation de son image vis-à-vis de ses partenaires. Il ressort tout d'abord des pièces du dossier que la journée de travail effectuée le 14 juillet 2017 par un animateur n'avait, malgré plusieurs relances par courriel et téléphone, toujours pas été rémunérée en mars 2018 et que la conseillère municipale déléguée à l'administration communale, sollicitée par l'agent concerné, s'est elle-même rendue au centre des finances publiques de Merville pour remédier à cette situation. De même, Mme B... a manqué de diligence dans le traitement d'une demande d'indemnisation auprès de l'assureur de la commune à la suite de l'accident de travail d'un agent, survenu le 17 novembre 2016. Si l'intéressée soutient que le traitement tardif de cette demande est imputable à l'absence de communication d'un certificat médical lisible de la part de la victime de l'accident, il ressort des pièces du dossier que le formulaire de déclaration de sinistre n'a été renseigné que le 21 janvier 2017, que la déclaration d'accident du travail n'a pas été transmise à l'assureur en dépit d'une première relance en mai 2017, que, là encore, le certificat médical n'a été obtenu qu'en raison d'une intervention directe de la conseillère municipale déléguée à l'administration communale et que Mme B... n'avait toujours pas transmis ce document à l'assureur plusieurs semaines après en avoir obtenu communication. En outre, alors que la mutualisation des contrats d'assurance engagée par la communauté de communes Flandres-Lys a conduit à la conclusion de nouveaux contrats au début de l'année 2017, Mme B... n'a procédé à la résiliation des précédents contrats d'assurance souscrits par la commune que le 13 mars 2018, cette résiliation ne prenant effet, pour certains de ces contrats, que le 1er décembre suivant, occasionnant par conséquent une charge financière supplémentaire pour la commune, en pure perte. De surcroît, il ressort des pièces du dossier que Mme B... a tardé à procéder au paiement de plusieurs factures. Ainsi, alors qu'elle a été saisie en avril 2016, selon ses propres déclarations, d'une demande de paiement relative au solde d'un marché de travaux réceptionnés en 2012, le paiement à l'entrepreneur n'avait toujours pas été effectué en septembre 2017, malgré plusieurs relances, sans que la circonstance que les dossiers avaient été mal archivés ou que des erreurs avaient été commises dans les pièces justificatives puisse expliquer un tel retard. De même, le paiement d'une facture de travaux de restauration intérieure de l'église communale a fait l'objet de plusieurs demandes par téléphone puis par courriels en novembre 2017 puis février 2018 et le solde des travaux concernant l'école, réceptionnés en mai 2017, n'était toujours pas réglé en septembre 2017, conduisant le créancier à s'adresser directement à la conseillère municipale déléguée aux finances afin d'en obtenir le paiement. Il ressort également des pièces du dossier qu'un titre de perception du 16 janvier 2015 du centre communal d'action sociale (CCAS) de Merville a fait l'objet de plusieurs demandes de paiement en janvier puis février 2018. Dans ces conditions, Mme B... a montré, de façon réitérée, un manque de diligence dans l'exercice de ses missions d'attachée territoriale.
9. En deuxième lieu, ainsi que le soutient la commune, il ressort des pièces du dossier que Mme B... a manqué de rigueur à de nombreuses reprises dans la gestion des dossiers qui lui étaient confiés, en lien notamment avec les demandes de subventions préparées pour le compte de la commune. Tout d'abord, Mme B... n'a pas alerté les élus de ce que la hausse du budget, décidée par la nouvelle majorité municipale en septembre 2016 et dédiée à la restauration intérieure de l'église, conduisait à dépasser le plafond de 80 % de subventions publiques pour cette opération et remettait en cause le bénéfice de la subvention accordée par l'Etat, entraînant alors l'émission d'un titre exécutoire d'un montant de 21 861 euros à l'encontre de la commune. En outre, en juin 2017, Mme B... a commis des erreurs dans le plan de financement présenté au titre de la dotation d'équipement des territoires ruraux, en indiquant un coût de construction au mètre carré de 750 euros au lieu du montant de l'opération fixée à la somme de 55 500 euros, et en remettant un dossier de demande de subvention incomplet aux services de l'Etat. Enfin, Mme B... a affirmé à tort qu'aucune subvention n'était envisageable de la part de la caisse d'allocations familiales pour le financement de travaux d'extension de l'école, alors qu'elle reconnaît elle-même n'avoir aucune connaissance précise sur la nature de ces travaux. Par suite, il ressort des pièces du dossier que Mme B... a manqué de rigueur dans la préparation et le suivi des dossiers qui lui étaient confiés.
10. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme B... a commis plusieurs négligences dans la préparation des instances municipales en omettant de convoquer des membres à une réunion de travail du CCAS en juin 2018, en adressant une convocation à l'assemblée générale du CCAS comportant une date erronée, en ne respectant pas le délai de convocation au conseil municipal du 11 avril 2018 et en omettant enfin de faire figurer un point de l'ordre du jour dans le document de suivi de la séance du conseil municipal du 25 mai 2018.
11. En dernier lieu, Mme B... soutient que les insuffisances et négligences qui lui sont reprochées sont dues à une surcharge de travail résultant notamment des turbulences politiques ayant entraîné la démission du précédent maire et l'organisation de nouvelles élections. Toutefois, d'une part, ces évènements ont eu lieu essentiellement durant l'année 2016, alors que les faits reprochés et établis se sont poursuivis jusqu'en 2018. D'autre part, la surcharge de travail alléguée n'est pas établie pas les pièces produites par l'intéressée, en particulier par le tableau retraçant plus de sept-cent cinquante messages SMS reçus entre le 4 juillet 2016 et le 28 juin 2018 qui, à raison de deux messages environ par jour travaillé, ne démontre pas une pression excessive de la part des élus municipaux à son égard, à supposer même que la matérialité de ces échanges puisse être regardée comme établie par ce document élaboré par la requérante. En outre, Mme B... ne saurait se prévaloir de ce que certaines erreurs relevées par la commune seraient la conséquence de manquements d'autres agents communaux dès lors que ces derniers étaient placés sous sa responsabilité et que ces manquements, à les supposer établis, ne peuvent suffire à expliquer son manque de diligence et de rigueur dans l'exercice de ses fonctions, en particulier concernant des dossiers susceptibles d'avoir une incidence financière importante. Enfin, si Mme B... soutient que son insuffisance professionnelle ne lui a pas été explicitement signalée lors de son entretien professionnel du 25 mai 2018, le compte-rendu de cet entretien fait état de ses nombreuses difficultés à gérer les dossiers et à anticiper, et l'invite " à parfaire " l'ensemble des items se rapportant aux savoirs, savoir-faire et savoir-être en matière d'expertise, d'organisation et de méthode, de management, d'initiative et de responsabilité, de motivation et d'implication, et de coopération. La requérante ne saurait utilement se prévaloir de notations favorables obtenues avant sa nomination dans le cadre d'emploi des attachés territoriaux en 2007. Les compte-rendu des entretiens d'évaluation professionnelle des 9 avril 2013 et 2 décembre 2014, qui font état d'appréciations réservées sur les capacités d'initiative et de management de l'intéressée et sur son sens des responsabilités, ne sont pas de nature à contredire les insuffisances relevées aux points 8 à 10.
12. Il résulte de ce qui précède que Mme B... a manqué à de nombreuses reprises, en 2017 et 2018, de diligence et de rigueur dans l'exercice de ses fonctions, nuisant au fonctionnement normal du service et aux intérêts financiers de la commune et révélant ainsi son inaptitude à exercer normalement les fonctions correspondant à son grade et, par conséquent, son insuffisance professionnelle. Par suite, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 28 février 2019 par lequel le maire de la commune d'Haverskerque l'a licenciée pour insuffisance professionnelle.
Sur les conclusions indemnitaires et aux fins d'injonction :
13. Compte tenu de ce qui a été énoncé au point 12, il y a lieu de rejeter, par voie de conséquence, les conclusions à fin d'injonction, accessoires aux conclusions à fin d'annulation de la décision du 28 février 2019, ainsi que les conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice subi du fait de l'illégalité de cette même décision.
Sur les frais liés à l'instance :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune d'Haverskerque, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par l'appelante au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B... la somme demandée par la commune d'Haverskerque sur le même fondement.
DÉCIDE:
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune d'Haverskerque sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et à la commune d'Haverskerque.
Délibéré après l'audience publique du 4 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre ;
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur :
- Mme Dominique Bureau, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 juin 2024.
Le président-rapporteur,
Signé : J.-M. Guérin-Lebacq La présidente de chambre,
Signé : M.-P. Viard
La greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
C. Huls-Carlier
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N°22DA01087