Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 10 janvier 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure.
Par un jugement n° 2300567 du 29 juin 2023, le tribunal administratif de Rouen a fait droit à sa demande et a enjoint à l'administration de statuer à nouveau sur sa demande de titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et, dans l'attente de ce réexamen, de lui délivrer un récépissé l'autorisant à travailler dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 juillet 2023, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande de M. A....
Il soutient que les documents d'état civil produits par l'intéressé sont irréguliers, de sorte que celui-ci n'établit pas remplir les conditions prévues par l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 août 2023, M. B... A..., représenté par Me Nejla Berradia, demande à la cour :
1°) de confirmer le jugement ;
2°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de procéder au réexamen de sa demande et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai d'un mois ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat, la somme de 1 500 euros à verser à son conseil, sous réserve de sa renonciation au bénéfice de l'aide juridictionnelle, sur le fondement de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au maintien de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 31 août 2023.
Par ordonnance du 1er décembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 4 janvier 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Marc Baronnet, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., ressortissant guinéen né le 14 août 2003 à Conakry (Guinée), entré sur le territoire français le 10 septembre 2019, a fait l'objet, le 15 novembre 2019, d'un jugement de placement auprès de l'aide sociale à l'enfance de Seine-Maritime. Le 7 juillet 2021, il a sollicité son admission au séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 10 janvier 2023, le préfet de la Seine- Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure. Par un jugement du 29 juin 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime et lui a enjoint de statuer à nouveau sur la demande de titre de séjour présentée par M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir et, dans l'attente de ce réexamen, de lui délivrer un récépissé l'autorisant à travailler dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement. Le préfet de la Seine-Maritime relève appel de ce jugement.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance (...) d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : 1° Les documents justifiant de son état civil (...) ". Aux termes de l'article L. 811-2 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil ". Aux termes de ce dernier article : " Tout acte de l'état civil (...) des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir qu'il est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante de l'acte, il appartient au juge de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a joint à sa demande de titre de séjour un jugement supplétif d'acte de naissance du 6 août 2019, un extrait de récépissé de transcription du 21 août 2019 et un passeport établi le 22 janvier 2019. Ces mêmes documents avaient été produits devant le juge des enfants au tribunal de grande instance de Rouen qui avait conclu à la minorité de l'intéressé. Dans son rapport du 1er août 2022, la police aux frontières a contesté la valeur probante de ces documents au motif que " les mentions pré-imprimées ne sont pas parfaitement alignées et centrées " et que " le timbre sec apposé sur ces documents est présent mais partiellement illisible ". Toutefois, il n'est pas contesté qu'un timbre sec, même partiellement illisible, a été apposé, et si l'administration soutient que les mentions de ces documents sont imparfaitement alignées et centrées, ces imperfections ne sont pas visibles, ou sont si minimes qu'elles relèvent tout au plus de défauts mineurs d'impression, et non d'une irrégularité, falsification ou inexactitude, qui ne ressortent pas de ces pièces. En outre, et comme l'ont relevé les premiers juges, le passeport de M. A..., dont l'authenticité n'est pas critiquée, a été établi antérieurement au jugement supplétif de l'acte de naissance et à l'extrait de transcription contestés, de telle sorte que cette pièce d'identité n'a pas été établie sur leur fondement. En l'espèce, le préfet ne démontre pas par les seuls éléments mineurs évoqués par le rapport d'examen technique dont il se prévaut, le caractère frauduleux des documents présentés par l'intéressé. Par suite, eu égard à l'ensemble des éléments avancés par M. A..., le préfet de la Seine-Maritime ne peut être regardé comme ayant renversé la présomption de validité qui s'attache aux actes civils étrangers en vertu des dispositions de l'article 47 du code civil.
5. Il résulte de toute ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime n'est pas fondé à soutenir que c'est tort que le tribunal administratif de Rouen, par le jugement contesté, a annulé son arrêté du 10 janvier 2023. Par suite, il y a lieu de rejeter sa requête.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Le présent arrêt qui rejette la requête du préfet de la Seine-Maritime n'implique pas que l'injonction prononcée par le jugement du tribunal administratif de Rouen et dont l'exécution continue de s'imposer à l'administration soit réformée.
Sur les frais d'instance :
7. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Berradia, avocate de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Berradia de la somme de 1 000 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Seine-Maritime est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Berradia une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet de la Seine-Maritime et à Me Nejla Berradia.
Délibéré après l'audience publique du 28 mai 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- M. Marc Baronnet, président-assesseur,
- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juin 2024.
Le président-rapporteur,
Signé : M. C...La présidente de chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : A.S. Villette
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Le greffier en chef,
Par délégation,
Le greffier,
N°23DA01389 2