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12/06/2024 | FRANCE | N°23DA00816

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 2ème chambre, 12 juin 2024, 23DA00816


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



L'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) des Haguenets a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler les arrêtés du 3 décembre 2020 par lesquels le préfet de la région Hauts-de-France, d'une part, a refusé de lui délivrer l'autorisation d'exploiter un ensemble de parcelles situées sur le territoire de la commune de La Rue-Saint-Pierre (Oise) et représentant une superficie totale de 12 ha 35 a 67 ca et, d'autre part, a délivré cette même autorisat

ion à l'EARL du Champ de l'Angle.



Par un jugement n° 2100331 du 23 mars 2023, l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) des Haguenets a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler les arrêtés du 3 décembre 2020 par lesquels le préfet de la région Hauts-de-France, d'une part, a refusé de lui délivrer l'autorisation d'exploiter un ensemble de parcelles situées sur le territoire de la commune de La Rue-Saint-Pierre (Oise) et représentant une superficie totale de 12 ha 35 a 67 ca et, d'autre part, a délivré cette même autorisation à l'EARL du Champ de l'Angle.

Par un jugement n° 2100331 du 23 mars 2023, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande et a mis à sa charge le versement à l'EARL du Champ de l'Angle d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 3 mai 2023 et 12 février 2024, l'EARL des Haguenets, représentée par Me Christophe de Langlade, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler les arrêtés du 3 décembre 2020 du préfet de la région Hauts-de-France ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les arrêtés attaqués ne sont pas suffisamment motivés dès lors qu'ils ne comportent pas les considérations de fait ayant conduit le préfet à considérer que les demandeurs devaient être regardés comme comptant pour 1 ou 0,5 unité annuelle de travail non salarié (UTANS) ;

- c'est au terme d'une erreur d'appréciation que le préfet de la région Hauts-de-France, pour classer la demande de l'EARL du Champ de l'Angle au rang de priorité n° 5 du schéma directeur régional des exploitations agricoles, a considéré qu'elle comptait pour 1 UTANS ;

- en effet, Mme D..., associée gérante de l'EARL du Champ de l'Angle, ne peut pas être regardée comme exerçant à titre principal une activité agricole et comme retirant au moins 50 % de ses revenus professionnels de ses activités agricoles ;

- l'intéressée est associée gérante d'une société à responsabilité limitée (SARL) à caractère commercial ; les statuts de cette société prévoient le versement d'une rémunération ; l'intéressée n'a pas justifié que les revenus qu'elle tire de cette activité sont inférieurs à 50 % ;

- par suite, l'EARL du Champ de l'Angle aurait dû être regardée comme comptant pour 0,5 UTANS, influant de ce fait sur l'appréciation de son rang de priorité au regard du schéma directeur régional des exploitations agricoles ;

- l'autorisation d'exploiter que l'EARL du Champ de l'Angle a obtenue doit être regardée comme ayant été obtenue par fraude.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 novembre 2023, l'EARL du Champ de l'Angle, représentée par Me Laurent Janocka, conclut au rejet de la requête d'appel de l'EARL des Haguenets et à ce que le versement d'une somme de 2 500 euros soit mis à la charge de cette dernière au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- aucun des moyens de la requête n'est fondé ;

- le refus de délivrance de l'autorisation d'exploiter sollicitée par l'EARL des Haguenets aurait également pu être pris sur le fondement des dispositions du 3° de l'article L. 331-3-1 du code rural et de la pêche maritime dès lors que l'opération envisagée aurait pour effet de porter la surface de l'exploitation au-dessus du seuil d'agrandissement excessif fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles.

Par un mémoire, enregistré le 6 février 2024, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête d'appel de l'EARL des Haguenets.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par ordonnance du 8 février 2024, la date de clôture de l'instruction a été fixée au 15 mars 2024 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guillaume Toutias, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le 10 août 2020, l'entreprise agricole à responsabilité limitée (EARL) des Haguenets, dont l'associé unique est M. C... A..., a déposé une demande d'autorisation d'exploiter portant sur un ensemble de parcelles situées sur le territoire de la commune de La Rue-Saint-Pierre (Oise) et représentant une superficie totale de 12 ha 35 a 67 ca. Le 14 octobre 2020, l'EARL du Champ de l'Angle, dont l'associée unique est Mme B... D..., a déposé une demande concurrente portant sur les mêmes parcelles. Par deux arrêtés du 3 décembre 2020, le préfet de la région Hauts-de-France a délivré l'autorisation d'exploiter à l'EARL du Champ de l'Angle et l'a refusée à l'EARL des Haguenets. L'EARL des Haguenets relève appel du jugement du 23 mars 2023 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime : " L'autorité administrative (...) se prononce sur la demande d'autorisation par une décision motivée ". Aux termes de l'article R. 331-6 du même code : " (...) / II.- La décision d'autorisation ou de refus d'autorisation d'exploiter prise par le préfet de région doit être motivée au regard du schéma directeur régional des exploitations agricoles et des motifs de refus énumérés à l'article L. 331-3-1. / (...) ".

3. Les arrêtés attaqués du 3 décembre 2020 visent les dispositions du code rural et de la pêche maritime qui en constituent le fondement légal. Ils rendent compte de l'examen comparatif des situations de l'EARL des Haguenets et de l'EARL du Champ de l'Angle que le préfet a effectué au regard des critères de priorité définis par le schéma directeur régional des exploitations agricoles. Ils mentionnent à cet égard que, compte tenu des superficies des exploitations et de l'incidence qu'aurait la reprise des terres litigieuses, l'EARL des Haguenets répond au rang de priorité n° 7 défini par ce schéma directeur tandis que l'EARL du Champ de l'Angle répond à son rang de priorité n° 5, justifiant ainsi de délivrer à cette dernière l'autorisation sollicitée. Contrairement à ce que soutient l'EARL des Haguenets, les arrêtés attaqués, en indiquant que M. A... exerce par ailleurs une autre activité, comportent les considérations ayant conduit le préfet à regarder l'EARL des Haguenets comme comptant pour 0,5 unité de travail annuel non salarié (UTANS). Alors, d'une part, que les arrêtés attaqués ne retiennent pas de coefficient de pondération pour l'EARL du Champ de l'Angle, dont ils précisent qu'elle est composée d'une associée exploitante, et, d'autre part, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet ait été saisi d'une argumentation particulière à ce sujet, ils n'avaient pas à comporter de motivation spécifique sur ce point. Il s'ensuit que les arrêtés attaqués comportent l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement des décisions prises sur les demandes des EARL des Haguenets et du Champ de l'Angle et a mis les intéressés à même de comprendre les motifs qui leur sont opposés. Dès lors, le moyen d'insuffisance de motivation doit être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime : " L'autorité administrative (...) vérifie, compte tenu des motifs de refus prévus à l'article L. 331-3-1, si les conditions de l'opération permettent de délivrer l'autorisation mentionnée à l'article L. 331-2 (...) ". Aux termes de l'article L. 331-3-1 du même code : " L'autorisation mentionnée à l'article L. 331-2 peut être refusée : / 1° Lorsqu'il existe un candidat à la reprise ou un preneur en place répondant à un rang de priorité supérieur au regard du schéma directeur régional des structures agricoles mentionné à l'article L. 312-1 ; / (...) ". Le schéma directeur régional des exploitations agricoles de Picardie fixe, en son article 3, l'ordre des priorités suivant : " (...) / 5° Agrandissement et maintien de la surface entre 1 à 1,5 fois (inclus)/UTANS le seul de contrôle après reprise, le cas échéant, / 6° Agrandissement et maintien de la surface entre 1,5 à 2 fois (inclus)/UTANS le seul de contrôle après reprise, le cas échéant, / 7° Autre situation. / (...) ". Pour l'application de ces dispositions, l'article 4 du même schéma directeur régional prévoit que le seuil de contrôle s'établit à 90 ha. En outre, l'article 1er du schéma directeur régional prévoit que le nombre d'unité de travail annuel non salarié (UTANS) s'apprécie de la manière suivante : " chef d'exploitation ou associé d'exploitation à titre principal 1 UTANS ; chef d'exploitation ou associé d'exploitation à titre secondaire 0,5 UTANS et chef d'exploitation ou associé exploitant participant à plusieurs exploitations ou sociétés agricoles 0,5 UTANS ; conjoint collaborateur à titre principal 0,8 UTANS ". Le même article définit également l'agriculteur à titre principal comme l'" agriculteur qui retire au moins 50% de son revenu professionnel global de ses activités agricoles au sens de l'article L. 311-1 du CRPM ".

5. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime : " Sont réputées agricoles toutes les activités correspondant à la maîtrise et à l'exploitation d'un cycle biologique de caractère végétal ou animal et constituant une ou plusieurs étapes nécessaires au déroulement de ce cycle ainsi que les activités exercées par un exploitant agricole qui sont dans le prolongement de l'acte de production ou qui ont pour support l'exploitation. (...) ". Aux termes de l'article L. 331-1 du même code : " Le contrôle des structures des exploitations agricoles s'applique à la mise en valeur des terres agricoles ou des ateliers de production hors sol au sein d'une exploitation agricole, quels que soient la forme ou le mode d'organisation juridique de celle-ci et le titre en vertu duquel la mise en valeur est assurée. / (...) ". Aux termes de l'article L. 331-1-1 du même code : " Pour l'application du présent chapitre : / 1° Est qualifié d'exploitation agricole l'ensemble des unités de production mises en valeur, directement ou indirectement, par la même personne, quels qu'en soient le statut, la forme ou le mode d'organisation juridique, dont les activités sont mentionnées à l'article L. 311-1 ; / (...) ".

6. Il ressort des pièces du dossier que l'EARL du Champ de l'Angle comporte une seule associée exploitante en la personne de Mme B... D.... Celle-ci est, au titre de cette activité, affiliée à la mutualité sociale agricole en qualité d'exploitante agricole à titre principal. Si Mme D... est également associée gérante de la société à responsabilité limitée (SARL) " CetMA " qu'elle a constituée avec son concubin, celle-ci a entre autres pour objet d'assurer la vente des productions de son exploitation. La forme juridique de cette société n'est par elle-même pas de nature à retirer à de tels revenus leur caractère agricole. Par ailleurs, à supposer même que les autres activités de cette société ne présentent pas de caractère agricole, il ne ressort en tout état de cause pas des pièces du dossier, notamment de l'avis à l'impôt sur les revenus produit devant la cour, que Mme D... en retirerait plus de la moitié de ses revenus. Les considérations relatives au régime fiscal de la SARL " CetMA " ne sont pas utilement invocables dès lors que le contrôle des structures agricoles relève d'une législation et réglementation distincte. Il n'est par ailleurs pas contesté que Mme D... ne participe pas à une autre exploitation agricole. Il s'ensuit que c'est à raison que le préfet a considéré que Mme D... était agricultrice à titre principal au sein de l'EARL du Champ de l'Angle et que celle-ci devait être regardée comme comptant pour 1 UTANS. Dès lors qu'il n'est pas non plus contesté que l'opération envisagée aura pour effet de porter la superficie totale de l'exploitation de l'EARL du Champ de l'Angle à 90 ha 97 a 49 ca, soit légèrement au-dessus du seuil de contrôle de 90 ha, c'est à raison que le préfet a considéré qu'elle relevait du rang de priorité n° 5. Par suite, le moyen d'erreur d'appréciation doit être écarté.

7. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que la SARL " CetMA " ne peut pas être regardée comme constituant le support d'une exploitation agricole distincte et qu'elle ne relève pas du champ d'application de la législation relative au contrôle des structures agricoles. Dans ces conditions, la qualité d'associée de cette société n'avait pas à être obligatoirement mentionnée par Mme D... dans le cadre de la demande d'autorisation d'exploiter qu'elle a présentée pour le compte de l'EARL du Champ de l'Angle. Mme D... n'a dès lors pas entaché son dossier de fraude en répondant qu'elle n'était pas associée dans une autre société. Au surplus, il résulte de ce qui a été dit précédemment que les revenus que Mme D... tire de cette activité ne sont ni majoritaires, ni sans lien avec ses activités agricoles. Le moyen tiré de ce que l'autorisation d'exploiter délivrée à l'EARL du Champ de l'Angle procèderait d'une fraude et serait illégale de ce fait doit, dès lors, être écarté.

8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la demande de substitution de motifs présentée en défense par l'EARL du Champ de l'Angle, que l'EARL des Haguenets n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du 3 décembre 2020 du préfet de la région Hauts-des-France. Par voie de conséquence, ses conclusions d'appel tendant à l'annulation de ce jugement et à ce qu'il soit fait droit à ses conclusions de première instance doivent, à leur tour, être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que l'EARL des Haguenets demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de celle-ci le versement à l'EARL du Champ de l'Angle d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de l'EARL des Haguenets est rejetée.

Article 2 : L'EARL des Haguenets versera à l'EARL du Champ de l'Angle une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'entreprise agricole à responsabilité limitée des Haguenets, à l'entreprise agricole à responsabilité limitée du Champ de l'Angle et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Copie en sera adressée pour information au préfet de la région Hauts-de-France.

Délibéré après l'audience publique du 28 mai 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- M. Marc Baronnet, président-assesseur,

- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juin 2024.

Le rapporteur,

Signé : G. ToutiasLa présidente de chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière

2

N°23DA00816


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00816
Date de la décision : 12/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Guillaume Toutias
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : SELARL CHRISTOPHE DE LANGLADE

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-12;23da00816 ?
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