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12/06/2024 | FRANCE | N°21DA02125

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 2ème chambre, 12 juin 2024, 21DA02125


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... E... et M. D... E... ont demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) au versement à Mme E... d'une somme totale de 330 918,82 euros, ou à titre subsidiaire d'une somme de 92 150,82 euros, en réparation des préjudices résultant de sa prise en charge au centre hospitalier de Saint-Omer, et de condamner l'ONIAM à verser à M. E... la som

me de 7 880,87 euros en réparation de ses préjudices propres.



Par un juge...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... E... et M. D... E... ont demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) au versement à Mme E... d'une somme totale de 330 918,82 euros, ou à titre subsidiaire d'une somme de 92 150,82 euros, en réparation des préjudices résultant de sa prise en charge au centre hospitalier de Saint-Omer, et de condamner l'ONIAM à verser à M. E... la somme de 7 880,87 euros en réparation de ses préjudices propres.

Par un jugement n° 1806206 du 28 juillet 2021, le tribunal administratif de Lille a condamné l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à verser à Mme E... une somme de 22 586,18 euros en indemnisation des préjudices subis. Par le même jugement, il a mis les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 1 606,93 euros, à la charge de l'ONIAM ainsi que le paiement de la somme de 1 500 euros à Mme E... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Enfin, par le même jugement, il a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 1er septembre 2021, Mme E..., représentée par Me Pierre Vandenbussche, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement en tant qu'il a limité à la somme de 22 586,18 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) en réparation du préjudice qu'elle a subi ;

2°) de condamner l'ONIAM au versement d'une somme totale de 330 918,82 euros, ou à titre subsidiaire de la somme de 92 150,82 euros, en réparation des préjudices résultant de l'accident médical non fautif qu'elle a subi lors de sa prise en charge au centre hospitalier de Saint-Omer ;

3°) de mettre les dépens à la charge de l'ONIAM ;

4°) de mettre à la charge de l'ONIAM le paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

5°) de déclarer le jugement à intervenir commun et opposable à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Côte - d'Opale.

Elle soutient que :

- elle doit être indemnisée au titre de la solidarité nationale des conséquences de la survenue d'une pancréatite aigüe, anormale au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci ; elle a été placée en arrêt temporaire des activités professionnelles pendant plus de six mois ;

- les préjudices qu'elle a subis personnellement doivent être évalués aux sommes suivantes :

Au titre des préjudices patrimoniaux :

* Dépenses de santé actuelles : 86,60 euros ;

* Frais divers antérieurs à la consolidation : 2 584,22 euros ;

* Assistance temporaire par tierce personne : 4 360 euros ;

* Perte de gains professionnels futurs : 288 768 euros ;

* Incidence professionnelle : 50 000 euros ;

Au titre des préjudices extrapatrimoniaux :

* Déficit fonctionnel temporaire : 2 620,00 euros ;

* Souffrances endurées : 10 000 euros ;

* Préjudice esthétique temporaire : 3 000 euros ;

* Déficit fonctionnel permanent : 8 000 euros ;

* Préjudice esthétique permanent : 3 500 euros ;

* Préjudice d'agrément : 3 000 euros ;

* Préjudice sexuel et familial : 5 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 avril 2022, l'ONIAM, représenté par Me Jane Birot, conclut au rejet de la requête.

La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois, qui n'a pas produit d'observations.

Par une ordonnance du 13 septembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 17 octobre 2022.

Vu :

- l'ordonnance du 9 mars 2018 par laquelle le président du tribunal administratif de Lille a accordé au Dr G... une allocation provisionnelle d'un montant de 1 000 euros et l'a mise à la charge de Mme E... ;

- l'ordonnance du 18 mai 2018 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Lille a liquidé et taxé les frais et honoraires de l'expertise du 18 mai 2018 réalisée par le Dr G..., à la somme de 1 606,93 euros et les a mis à la charge de Mme E... ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marc Baronnet, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Joséphine Laleu, représentant Mme E....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... E..., née le 3 avril 1978, s'est rendue au service des urgences du centre hospitalier de la région de Saint-Omer le 9 juin 2016 en raison d'une symptomatologie douloureuse épigastrique. Les examens menés et la symptomatologie de Mme E... évoquant une pathologie lithiasique ou une pathologie des voies biliaires. Une cholangio-pancréatographie rétrograde par voie endoscopique (CPRE), ou cathétérisme des voies biliaires, a alors été pratiquée et a mis en évidence une pancréatite biliaire. Toutefois, l'intervention a été marquée par des difficultés telles que des fausses routes du fil guide, ainsi que la constatation d'un écoulement du liquide de contraste dans le rétro-péritoine. En l'absence d'identification de calcul durant l'intervention, le praticien a conclu à un dysfonctionnement du sphincter d'Oddi et réalisé une sphinctérotomie afin de faciliter l'écoulement de la bile. Le scanner réalisé après l'intervention a mis en évidence la présence de liquide de contraste en dehors du duodénum, évoquant une perforation de l'organe. Après une antibiothérapie, une reprise chirurgicale a été effectuée par le Dr F... dans la nuit du 14 juin 2016. Les examens post-opératoires ont mis en évidence une infiltration de la graisse avec un épanchement hydro-aérique de la région hépato-réno-pancréatique et sous-hépatique. Après son refus de subir une nouvelle intervention chirurgicale, Mme E... a été transférée à l'hôpital Saint-Philibert de Lomme où le traitement médical par antibiothérapie a été maintenu. Mme E... a pu regagner son domicile le 8 juillet 2016 et un scanner réalisé le 27 octobre suivant a permis de constater une réduction de moitié des lésions du pancréas. La disparition totale de celles-ci a été vérifiée par une imagerie par résonance magnétique (IRM) du pancréas réalisée le 3 juillet 2017. Mme E... a toutefois été licenciée pour inaptitude par un courrier du 22 décembre 2017 après plusieurs mois d'arrêt de travail.

2. Le 19 janvier 2017, Mme E... a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation (CCI) qui a confié une mission d'expertise au Dr A.... L'expert a remis son rapport le 24 mai 2017. Par un avis du 6 juillet 2017, la CCI s'est déclarée incompétente au motif que les conditions relatives au caractère de gravité n'étaient pas réunies. Par une ordonnance du 21 février 2018, modifiée par une ordonnance du 25 avril 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a désigné le Dr G... en tant qu'expert, afin qu'il évalue les préjudices subis par Mme E... à la suite de sa prise en charge au sein du centre hospitalier de Saint-Omer. L'expert a remis son rapport le 18 mai 2018.

3. Par un jugement n° 1806206 du 28 juillet 2021 dont Mme E... relève appel, le tribunal administratif de Lille a condamné l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), au titre de la solidarité nationale, à verser à Mme E... la somme de 22 586,18 euros en indemnisation de ses préjudices résultant de sa prise en charge au centre hospitalier de Saint-Omer.

Sur la responsabilité :

4. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) II. Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret ". Aux termes de l'article D. 1142-1 du même code : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %. / Présente également le caractère de gravité mentionné au II de l'article L. 1142-1 un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ayant entraîné, pendant une durée au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois, un arrêt temporaire des activités professionnelles ou des gênes temporaires constitutives d'un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à un taux de 50 % (...) ".

5. Il résulte des dispositions rappelées ci-dessus que l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation de dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état. La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage. Une probabilité de survenance du dommage qui n'est pas inférieure ou égale à 5 % ne présente pas le caractère d'une probabilité faible, de nature à justifier la mise en œuvre de la solidarité nationale.

6. Il résulte de l'instruction que le cathétérisme des voies biliaires, réalisé le 13 juin 2016 et qui consistait en une exploration des voies biliaires, a été marqué par une sphinctérotomie afin de faciliter l'évacuation de bile dans un contexte de suspicion de dysfonctionnement du sphincter d'Oddi (DSO). L'intervention a eu pour conséquence une perforation du duodénum et une pancréatite aigüe dont le caractère d'accident médical non fautif n'est pas discuté.

7. Il résulte en outre de l'instruction que si l'expert de la CCI indique dans un premier temps que le taux d'incidence d'une pancréatite aigüe à la suite d'un cathétérisme des voies biliaires est de 3%, il établit que le risque de pancréatite aiguë dans les suites d'une sphinctérotomie pour dysfonctionnement du sphincter d'Oddi est de l'ordre de 25%. En l'espèce, compte tenu de l'état de santé de la patiente, l'intervention a consisté à la fois en l'exploration des voies biliaires et la réalisation d'une sphinctérotomie. Il s'ensuit que le risque d'apparition d'une pancréatite aiguë doit être évalué à 25% et non à 3%. Ainsi et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que la requérante, qui a été admise au sein des services du centre hospitalier de Saint-Omer en raison d'intenses douleurs du fait d'une pancréatite d'origine biliaire, ait subi des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles elle s'exposait en l'absence de réalisation de l'intervention, la survenue d'une pancréatite aiguë ne saurait être regardée comme anormale.

8. Les parties ne contestent pas que les conditions posées par le II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique sont remplies s'agissant des conséquences de la perforation du duodénum. Par suite, Mme E... est fondée à mettre en œuvre le dispositif de prise en charge des dommages titre de la solidarité nationale et à demander que l'ONIAM l'indemnise des préjudices subis du fait de cette perforation. Il y a donc lieu de confirmer le jugement sur ce point.

Sur l'indemnisation des préjudices au titre de la solidarité nationale :

9. Dans son rapport, l'expert missionné par la CCI a fixé une première date de consolidation au 31 octobre 2016, date à laquelle le médecin traitant de la requérante a constaté, en se fondant sur un scanner réalisé le 27 octobre, la diminution de moitié des lésions du pancréas. Toutefois, l'expert, désigné par le président du tribunal administratif de Lille, a fixé la consolidation au 3 juillet 2017, date à laquelle a été réalisée une imagerie par résonnance magnétique (IRM) mettant en évidence la cicatrisation complète du pancréas et jusqu'à laquelle Mme E... a bénéficié de l'aide de son époux et de ses enfants en raison des douleurs notamment issues de la cicatrice héritée de l'intervention ayant suivi la perforation de son intestin. Par conséquent, il y lieu de confirmer la consolidation de son état de santé à cette dernière date.

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux temporaires :

S'agissant des dépenses de santé actuelles :

10. Il y a lieu de confirmer la somme, non contestée, que Mme E... justifie avoir exposée, correspondant à l'achat d'une pince de préhension et d'un baume cicatrisant. En outre, il n'est pas contesté que la cicatrice de la requérante est une conséquence de la reprise chirurgicale due à la perforation du duodénum. Dès lors l'achat d'un baume cicatrisant trois semaines après l'intervention doit être considéré comme imputable à l'accident médical. Enfin, il y a lieu d'exclure les frais d'acquisition d'un thermomètre deux mois après la fin de l'hospitalisation, lesquels ne présentent pas un lien direct et certain avec l'accident médical. Par suite, l'ONIAM doit être condamné à lui verser la somme totale de 57,70 euros au titre de l'indemnisation des dépenses de santé actuelles.

S'agissant des frais divers :

11. Mme E... sollicite le remboursement des frais qu'elle indique avoir exposés en raison de ses déplacements imputables à l'accident médical en litige. Toutefois, et comme l'ont relevé les premiers juges, Mme E... n'est pas fondée à demander l'indemnisation des frais kilométriques résultant de ses trajets chez son conseil à Lille, qui relèvent des frais exposés et non compris dans les dépens, ni celle des trajets entre son domicile et le service de la médecine du travail, postérieurs à la date de consolidation retenue, date à laquelle les deux experts considèrent que Mme E... aurait pu reprendre son activité professionnelle, de telle sorte que les arrêts de travail et les avis d'inaptitude ayant justifié ces trajets ne sont pas imputables à la perforation. Par suite, s'il y a lieu d'indemniser les trajets effectués le 27 juin 2016, soit avant la date de consolidation, ainsi qu'un aller-retour qui aurait été nécessaire en cas de reprise du travail par la requérante afin notamment d'adapter ses conditions de travail à ses douleurs à la suite de cette date de consolidation, les autres déplacements auprès du service de la médecine du travail, qui ont abouti à son licenciement, ne doivent pas faire l'objet d'une indemnisation. Enfin, la requérante n'est pas fondée à demander un remboursement de ses frais de carburant dès lors que de tels frais sont compris dans le barème kilométrique. Elle n'est pas plus fondée à demander le remboursement de frais de péages autoroutiers, dans la mesure où elle n'en justifie pas, ni des trajets effectués pour se rendre à Boulogne-sur-Mer dès lors qu'elle ne démontre pas qu'ils seraient imputables à l'accident médical.

12. Il y a lieu de confirmer la somme que Mme E... justifie avoir exposée au titre de la durée d'hospitalisation, de la nuit d'hôtel et du stationnement ainsi que les 937 kilomètres parcourus en lien avec l'accident médical en litige. Par suite, l'ONIAM doit être condamné à lui verser la somme totale de 714,97 euros au titre de l'indemnisation de ce préjudice.

13. Mme E... sollicite le versement d'une somme totale de 4 360 euros au titre des frais d'assistance par tierce personne avant consolidation de son état de santé. Il résulte de l'instruction que les séquelles de l'accident médical subi par Mme E... ont nécessité l'assistance d'une tierce personne à hauteur de 3 heures par jour, à compter du 9 juillet 2016, date de sortie d'hospitalisation jusqu'au 5 août 2016, une assistance de 2 heures par jour du 6 au 31 août 2016 ainsi qu'une assistance journalière de 1 heure à compter du 1er septembre 2016 jusqu'au 2 juillet 2017, veille de la date de consolidation de son état de santé retenue par l'expert désigné par le tribunal administratif de Lille.

14. L'état de santé de Mme E... a nécessité 84 heures d'assistance par tierce personne, du 9 juillet 2016 au 5 août 2016, 52 heures du 6 au 31 août et 305 heures du 1er septembre 2016 au 2 juillet 2017. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que Mme E... aurait été bénéficiaire d'une quelconque prestation de nature à indemniser cette assistance.

15. En se fondant sur un taux horaire de 13 euros correspondant au coût moyen de l'aide non médicalisée que nécessitait l'état de santé de Mme E... de juillet 2016 à la consolidation, sur une base annuelle de 412 jours, le coût de l'assistance par une tierce personne peut être évalué à la somme de 6 471 euros, qu'il y a lieu d'allouer à Mme E... au titre de ce chef de préjudice.

16. Il résulte de ce qui a été exposé aux points 10 à 15 du présent arrêt que les préjudices patrimoniaux temporaires dont Mme E... est fondée à solliciter l'indemnisation doivent être évalués à la somme totale de 7 243,67 euros.

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux permanents :

S'agissant de la perte de gains professionnels futurs :

17. S'il résulte de l'instruction que Mme E... a été maintenue en arrêt de travail après la date de consolidation puis a été licenciée pour inaptitude le 22 décembre 2017 en raison de deux avis d'inaptitude faisant état d'une impossibilité de réaliser des gestes de manutention, soulèvement et traction, l'expert désigné par le tribunal administratif de Lille, à l'instar de l'expert de la CCI, a quant à lui estimé qu'en dépit des avis d'inaptitude, Mme E... aurait pu reprendre son activité professionnelle sans augmenter ses risques d'éventration et que l'inaptitude n'était pas en lien direct et exclusif avec ce risque. Par ailleurs, Mme E... exerce des fonctions d'assistante maternelle depuis le 17 septembre 2018. Par suite, l'intéressée n'est pas fondée à se prévaloir d'une quelconque perte de gains professionnels futurs en lien avec la perforation du duodénum.

S'agissant de l'incidence professionnelle :

18. Il résulte de l'instruction que la requérante éprouve des douleurs d'origine pariétale lors d'efforts de contraction abdominale, qui sont de nature à créer une fatigabilité et à augmenter la pénibilité de l'emploi d'auxiliaire de vie et des tâches inhérentes à l'emploi de garde d'enfant qu'elle occupe depuis le 17 septembre 2018. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que l'accident médical ait eu une conséquence sur ses perspectives professionnelles et sur ses droits à la retraite. Dès lors, il sera fait une juste appréciation de l'incidence professionnelle subie en la fixant, dans les circonstances de l'espèce, à la somme de 2 500 euros.

19. Il résulte des points 10 à 18 du présent arrêt que l'ensemble des préjudices patrimoniaux subis par Mme E... résultant de l'accident médical non fautif survenu le 13 juin 2016, s'élève à la somme de 9 743,67 euros.

En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux temporaires :

S'agissant du déficit fonctionnel temporaire :

20. Il ressort du rapport d'expertise que Mme E... a subi, du fait des complications survenues au décours de l'intervention du 13 juin 2016, un déficit fonctionnel temporaire total du 13 juin 2016 au 8 juillet 2016 soit durant 25 jours. Il résulte par ailleurs de l'instruction que Mme E... a subi un déficit fonctionnel temporaire partiel à hauteur de 50 % du 9 juillet 2016 au 5 août 2016, soit durant 28 jours. L'intéressée à également subi un déficit fonctionnel temporaire partiel à hauteur de 25% du 6 au 31 août 2016, soit durant 26 jours ainsi qu'un déficit fonctionnel temporaire partiel à hauteur de 10 % du 1er septembre 2016 au 2 juillet 2017, soit durant 305 jours. Par suite, après application d'un taux d'indemnisation journalier de 15 euros au regard de la période concernée, ce préjudice doit être évalué à la somme de 1 140 euros.

S'agissant des souffrances endurées :

21. Il résulte de l'instruction que les souffrances endurées par Mme E... ont été évaluées en dernier lieu par l'expert à 4 sur une échelle de 1 à 7. Au regard de ces souffrances, il y a lieu de confirmer l'évaluation de ce préjudice par les premiers juges à la somme de 7 200 euros, somme à laquelle il convient de réduire de moitié au regard de la part des souffrances due à la pancréatite aigüe qui, ainsi qu'il résulte du point 7, ne fait pas l'objet d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale, soit une somme de 3 600 euros.

S'agissant du préjudice esthétique temporaire :

22. Il résulte de l'instruction que le préjudice esthétique temporaire subi par Mme E..., tenant notamment au port d'une sonde naso-gastrique et d'un drain de Redon lors de son hospitalisation, a été évalué par l'expert à 3 sur une échelle de 1 à 7. Il y a lieu de confirmer l'évaluation de ce préjudice par les premiers juges à la somme de 500 euros.

23. Il résulte des points 20 à 22 que les préjudices extrapatrimoniaux temporaires subis par Mme E... s'élèvent à la somme de 5 240 euros.

En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux permanents :

S'agissant du déficit fonctionnel permanent :

24. Il résulte de l'instruction que Mme E... souffre d'un déficit fonctionnel permanent qui a été évalué à 5 % par les experts. Par suite, en tenant compte de l'âge de la requérante à la date de consolidation de son état de santé, soit 39 ans, il sera fait une juste appréciation du déficit fonctionnel permanent en l'évaluant à la somme de 5 750 euros.

S'agissant du préjudice d'agrément :

25. Mme E... se prévaut d'un préjudice d'agrément du fait de l'impossibilité de pratiquer la marche et le sport en salle. Toutefois, la requérante n'établit pas la pratique régulière de ces activités avant la survenue de l'accident litigieux de telle sorte que l'existence de ce préjudice ne se trouve pas établie. Dès lors, le préjudice d'agrément qu'elle invoque n'est pas établi et elle n'est pas fondée à en demander l'indemnisation.

S'agissant du préjudice esthétique permanent :

26. L'expert désigné par la CCI a évalué à 2 sur une échelle de 1 à 7 le préjudice esthétique subi de façon permanente par Mme E..., en raison, notamment, de l'existence d'une petite cicatrice issue du drainage de la lésion et une autre, plus importante, issue de l'ouverture abdominale pour l'intervention directe, d'une longueur de 15 centimètres et à l'aspect hypertrophique et violacé. Par suite, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en confirmant la somme de 1 850 euros allouée par les premiers juges.

S'agissant du préjudice sexuel :

27. L'expert de la commission mentionne ce préjudice allégué par Mme E..., consistant en une baisse de la libido et une sensibilité abdominale, et conclut à l'indemnisation de ce poste de préjudice. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, au regard du siège des douleurs, de regarder ce préjudice comme établi et en lien avec l'accident médical non fautif et de l'indemniser par une somme de 1 500 euros.

28. Il résulte des points 24 à 27 que les préjudices extrapatrimoniaux permanents dont Mme E... est fondée à solliciter l'indemnisation doivent être évalués à la somme de 9 100 euros.

29. Il résulte des points 20 à 27 que l'ensemble des préjudices extrapatrimoniaux subis par Mme E... résultant de l'accident médical non fautif survenu le 13 juin 2016, s'élèvent à la somme totale de 14 340 euros.

30. Compte tenu des sommes énoncées aux points 19 et 29, l'ONIAM doit être condamné, au titre de la solidarité nationale, à verser une somme totale de 24 083,67 euros à Mme E... en indemnisation de ses préjudices résultant des conséquences dommageables de l'accident médical non fautif qu'elle a subi le 13 juin 2016.

Sur la déclaration de jugement commun et opposable à la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Opale :

31. Aux termes des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " (...) L'intéressé ou ses ayants droit doivent indiquer, en tout état de la procédure, la qualité d'assuré social de la victime de l'accident ainsi que les caisses de sécurité sociale auxquelles celle-ci est ou était affiliée pour les divers risques. Ils doivent appeler ces caisses en déclaration de jugement commun ou réciproquement. A défaut du respect de l'une de ces obligations, la nullité du jugement sur le fond pourra être demandée pendant deux ans, à compter de la date à partir de laquelle ledit jugement est devenu définitif, soit à la requête du ministère public, soit à la demande des caisses de sécurité sociale intéressées ou du tiers responsable, lorsque ces derniers y auront intérêt (...) ". Il résulte des termes mêmes de ces dispositions que la caisse doit être appelée en déclaration de jugement commun dans l'instance ouverte par la victime contre le tiers responsable, le juge étant, le cas échéant, tenu de mettre en cause d'office la caisse si elle n'a pas été appelée en déclaration de jugement commun.

32. Il n'appartient pas au juge administratif de déclarer le présent arrêt commun et opposable à la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Opale, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois, sa délégataire pour les recours contre tiers en vertu de la décision du directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie du 1er janvier 2020, ayant été régulièrement mise en cause dans la présente instance. Par suite, les conclusions présentées en ce sens par Mme E... doivent être rejetées.

Sur les dépens :

33. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de confirmer la mise à la charge définitive de l'ONIAM des frais des opérations d'expertise du Dr A..., taxés et liquidés à la somme de 1 606, 93 euros par l'ordonnance du 15 mai 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Lille, en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative. En outre, Mme E... ayant été condamnée à verser au Dr G... une allocation provisionnelle d'un montant de 1 000 euros par une ordonnance du président du tribunal administratif de Lille du 9 mars 2018, il y a lieu de condamner l'ONIAM à verser à Mme E... cette somme de 1 000 euros.

Sur les frais liés à l'instance :

34. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'ONIAM la somme globale de 2 000 euros à verser à Mme E... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme que l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales est condamné à verser à Mme E... est portée à 25 083,67 euros.

Article 2 : Le jugement n° 1806206 du 28 juillet 2021 du tribunal administratif de Lille est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Les frais et honoraires de l'expert, taxés et liquidés à la somme de 1 606, 93 euros par l'ordonnance du 15 mai 2018 du président du tribunal administratif de Lille, sont mis à la charge définitive de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales

Article 4 : L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales versera une somme de 2 000 euros à Mme E... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... E..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois.

Délibéré après l'audience publique du 14 mai 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Marc Baronnet, président-assesseur,

- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juin 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : M. C...La présidente de chambre,

Signé : M.P. Viard

La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Le greffier en chef,

Par délégation,

Le greffier,

N°21DA02125 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21DA02125
Date de la décision : 12/06/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Marc Baronnet
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : CABINET VANDENBUSSCHE ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-12;21da02125 ?
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