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23/05/2024 | FRANCE | N°24DA00048

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 1ère chambre, 23 mai 2024, 24DA00048


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision du 5 avril 2022 par laquelle le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande de regroupement familial au bénéfice de son épouse et de son fils.



Par un jugement n° 2202279 du 19 décembre 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé cette décision et a enjoint au préfet territorialement compétent de réexaminer la situation de M. D... dans le délai de trois mois

compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :



Par une requêt...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision du 5 avril 2022 par laquelle le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande de regroupement familial au bénéfice de son épouse et de son fils.

Par un jugement n° 2202279 du 19 décembre 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé cette décision et a enjoint au préfet territorialement compétent de réexaminer la situation de M. D... dans le délai de trois mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 9 janvier 2024 et un mémoire enregistré le 16 février 2024, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de M. D....

Il soutient qu'il a procédé à un examen particulier de la situation de M. D..., que son épouse séjournait irrégulièrement en France et qu'il ne pouvait faire droit à la demande de regroupement familial. Il fait valoir également que cette décision ne porte pas atteinte à la vie privée et familial de l'intéressée, ni à l'intérêt supérieur de son enfant.

La procédure a été communiquée le 31 janvier 2024 à M. D... qui n'a pas produit de mémoire.

Par une ordonnance du 29 février 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 21 mars 2024 à 12 heures.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. Par une décision du 5 avril 2022, le préfet de la Seine-Maritime a rejeté la demande de regroupement familial présentée par M. A... D..., ressortissant algérien, au bénéfice de son épouse et de son fils. Par un jugement du 19 décembre 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé la décision du 5 avril 2022 et a enjoint au préfet territorialement compétent de réexaminer la situation de M. D... dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement. Le préfet de la Seine-Maritime relève appel de ce jugement.

Sur la légalité de la décision du 5 avril 2022 :

En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif :

2. Aux termes de l'article 4 de l'accord franco-algérien modifié du 27 décembre 1968 : " Les membres de la famille qui s'établissent en France sont mis en possession d'un certificat de résidence de même durée de validité que celui de la personne qu'ils rejoignent. / Sans préjudice des dispositions de l'article 9, l'admission sur le territoire français en vue de l'établissement des membres de famille d'un ressortissant algérien titulaire d'un certificat de résidence d'une durée de validité d'au moins un an, présent en France depuis au moins un an sauf cas de force majeure, et l'octroi du certificat de résidence sont subordonnés à la délivrance de l'autorisation de regroupement familial par l'autorité française compétente. / Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : / 1 - le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont pris en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint indépendamment des prestations familiales. L'insuffisance des ressources ne peut motiver un refus si celles-ci sont égales ou supérieures au salaire minimum interprofessionnel de croissance ; / 2 - le demandeur ne dispose ou ne disposera pas à la date d'arrivée de sa famille en France d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant en France. / Peut être exclu de regroupement familial : / (...) / 2 - un membre de la famille séjournant à un autre titre ou irrégulièrement sur le territoire français. / (...) ".

3. Il appartient à l'autorité administrative de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'une décision refusant le bénéfice du regroupement familial demandé pour une personne séjournant sur le territoire français ne porte pas une atteinte excessive aux droits des intéressés au respect de leur vie privée et familiale et ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

4. La décision du 5 avril 2022 se présente comme un formulaire dont le signataire coche une ou plusieurs cases. Aucune de ces cases ne prévoit un examen de la situation du demandeur au regard de sa vie privée et familiale. Un tel formulaire ne permet donc pas de respecter les principes rappelés au point précédent. Il ressort des termes mêmes de cette décision que le préfet de la Seine-Maritime a considéré en l'espèce que M. D... n'était pas éligible au regroupement familial au motif que son " épouse est déjà présente en France mais en situation irrégulière " et que " la procédure de regroupement familial " sur place " n'est pas adaptée " à sa situation compte tenu de l'absence de titre de séjour de son épouse ". Il n'a donc pas examiné si une telle décision ne portait pas une atteinte excessive à sa vie privée et familiale, aucune pièce du dossier ne démontrant un tel examen. Dans ces conditions, cette décision est entachée d'erreur de droit et de défaut d'examen de la situation de l'intéressé ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal administratif de Rouen. Le préfet de la Seine-Maritime n'est donc pas fondé à soutenir que c'est à tort que le jugement contesté a annulé pour ce motif sa décision du 5 avril 2022.

En ce qui concerne la substitution de motifs demandée par le préfet de la Seine-Maritime en appel :

5. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Lorsque l'administration doit être regardée comme faisant ainsi valoir dans son recours, un autre motif que celui initialement retenu, la partie adverse est mise à même de présenter ses observations sur la substitution de cet autre motif au motif initial par la seule communication des écritures de l'administration. Il appartient alors au juge de rechercher si le motif substitué est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

6. Le préfet considère dans sa requête d'appel que sa décision ne porte pas une atteinte excessive à la vie privée et familiale de M. D... et que par suite, l'examen de la situation de l'intéressé ne lui permettait pas de faire usage de son pouvoir discrétionnaire. Il doit donc être regardé comme demandant que le motif de l'absence d'atteinte à la vie privée et familiale soit substitué à celui de la méconnaissance des stipulations de l'accord franco-algérien.

7. M. D..., né le 3 août 1975, est titulaire d'un certificat de résidence algérien valable jusqu'au 11 juillet 2031. Il est présent en France depuis vingt ans et travaille comme ouvrier désamianteur en contrat à durée indéterminée. Toutefois, son mariage datait du 9 janvier 2021, soit moins de quinze mois avant la décision contestée et son fils est né le 26 mai 2021, soit moins de onze mois avant la date de la décision. Si l'épouse de M. D..., née le 18 mars 1991, est entrée en France le 7 avril 2019, muni d'un visa de court séjour, elle n'établit pas l'intensité de son insertion sociale en France à la date de la décision, en dehors de sa vie familiale. Si elle fait état de la présence en France de deux de ses frères en situation régulière et d'un troisième de nationalité française, elle ne justifie pas de l'intensité de ses liens avec ceux-ci et ne démontre pas non plus qu'elle serait isolée dans son pays d'origine où elle a vécu jusqu'à l'âge de 27 ans révolus. Dans ces conditions, il n'est pas établi que le refus de regroupement familial opposé par le préfet de la Seine-Maritime porte une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale de M. D... et de son épouse. Il résulte donc de ce qui précède que le préfet aurait pris la même décision s'il s'était prononcé sur la vie privée et familiale. Le préfet de la Seine-Maritime est donc fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen, par le jugement contesté, a annulé sa décision du 5 avril 2022. Il appartient toutefois, à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par M. D... devant le tribunal administratif de Rouen.

En ce qui concerne les autres moyens soulevés par M. D... :

8. Par un arrêté du 23 février 2022 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Seine-Maritime, le préfet de la Seine-Maritime a donné délégation à Mme Julia Le Fur, secrétaire générale de la sous-préfecture du Havre pour signer en cas d'absence ou d'empêchement de Mme C... B..., sous-préfète du Havre, toutes les décisions relevant des attributions de cette dernière. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de la décision en litige doit être écarté comme manquant en fait.

9. La décision contestée cite les textes dont elle fait application et mentionne les considérations de fait qui en constituent le fondement. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision doit donc être écarté.

10. Compte tenu de l'âge du fils de M. D... à la date de la décision et de la circonstance que son père pourra solliciter le regroupement familial dès le retour de son épouse dans son pays, la décision contestée ne porte pas atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté.

11. Il résulte de ce qui a été dit au point 7 que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit également être écarté.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen a annulé sa décision du 5 avril 2022. Par suite, les demandes de M. D... doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rouen du 19 décembre 2023 est annulé.

Article 2 : Les demandes de M. D... devant le tribunal administratif de Rouen sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera transmise pour information au préfet de la Seine-Maritime.

Délibéré après l'audience publique du 7 mai 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- M. Denis Perrin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mai 2024.

Le rapporteur,

Signé : D. Perrin

La présidente de la 1ère chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : S. Pinto Carvalho

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Suzanne Pinto Carvalho

N° 24DA00048 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 24DA00048
Date de la décision : 23/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Denis Perrin
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-23;24da00048 ?
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