Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 15 novembre 2022 par lequel le préfet du Nord l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays à destination duquel il doit être éloigné et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.
Par un jugement n° 2208775 du 1er mars 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 10 mai 2023, M. A..., représenté par Me Julie Gommeaux, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 15 novembre 2022 du préfet du Nord ;
3°) d'enjoindre au préfet, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 150 euros par jour de retard, de lui délivrer un titre de séjour ou, subsidiairement, de l'admettre provisoirement au séjour dans l'attente d'un réexamen de sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 37, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation pour les mêmes motifs que ceux ayant conduit la cour administrative d'appel de Douai, par son arrêt n° 22DA00678 du 13 décembre 2022, à annuler la précédente obligation de quitter le territoire français prononcée à son encontre et dès lors que cette nouvelle décision aurait pour effet de réduire à néant les efforts d'intégration qu'il a fait depuis trois ans et demi, de faire obstacle à l'obtention de son baccalauréat et de l'isoler au Maroc où il n'a, contrairement à la France, plus aucun repère affectif et familial ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'il a rompu tous les liens avec sa famille depuis l'âge de 13 ans, que sa mère est en tout état de cause décédée le 18 décembre 2021, qu'il serait de ce fait isolé en cas de retour au Maroc, qu'il dispose au contraire d'un environnement adapté en France, qu'il y progresse sérieusement dans ses études, qu'il y a noué des relations d'amitié et que le défaut d'acte de naissance ne saurait lui être reproché alors qu'il a multiplié les démarches pour en obtenir un ;
- elle est entachée d'erreur de fait et de défaut d'examen sérieux dès lors qu'il avait saisi le préfet du Nord d'une demande de délivrance d'un titre de séjour portant la mention " travailleur temporaire " ou " salarié " en novembre 2022, que celui-ci devait statuer dessus avant de pouvoir prononcer une obligation de quitter le territoire français et que le défaut d'acte de naissance ne saurait lui être reproché alors qu'il a multiplié les démarches pour en obtenir un à compter de son accession à la majorité ;
- la décision portant refus de délai de départ volontaire est entachée d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions des articles L. 612-1, L. 612-2 et L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il a déposé une demande de titre de séjour sur laquelle le préfet du Nord n'avait pas encore statué, qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir déféré à la précédente mesure d'éloignement prononcée à son encontre alors qu'elle a été annulée avec effet rétroactif par un arrêt n° 22DA00678 du 13 décembre 2022 de la cour administrative d'appel de Douai et qu'il ne présente pas de risque de fuite alors qu'il dispose d'un hébergement chez un ami et a fait des démarches pour obtenir des documents d'état-civil ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans méconnaît les dispositions des articles L. 612-6 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'erreur d'appréciation dès lors, d'une part, que sa situation revêt le caractère d'une circonstance humanitaire s'opposant au prononcé d'une telle mesure qui l'empêcherait de poursuivre ses études et l'isolerait dans son pays d'origine et, d'autre part, que la durée d'interdiction retenue est excessive et ne tient pas compte de l'ancienneté et des conditions de son séjour en France, de sa scolarité, de son isolement familial au Maroc, de l'annulation de la précédente obligation de quitter le territoire français prononcée à son encontre et de l'absence de toute condamnation pénale.
Le préfet du Nord a produit des pièces, enregistrées le 19 juin 2023, mais n'a produit aucun mémoire en défense malgré la mise en demeure adressée le 21 août 2023.
Par une ordonnance en date du 14 novembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 1er décembre 2023 à 12 heures.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 avril 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Guillaume Toutias, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., né le 12 décembre 2002, de nationalité marocaine, est entré irrégulièrement en France en octobre 2019. Alors mineur et âgé de seize ans, il a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance. À la suite de son interpellation lors d'un contrôle d'identité le 13 octobre 2021, le préfet du Nord, par un arrêté du même jour, lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. L'ensemble de ces décisions a été annulé par l'effet combiné d'un jugement n° 2108183 du 10 janvier 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille et d'un arrêt n° 22DA00678 du 13 décembre 2022 de la cour administrative d'appel de Douai. Entretemps, M. A... a à nouveau été interpellé lors d'un contrôle d'identité le 15 novembre 2022. Par un arrêté du même jour, le préfet du Nord lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. M. A... relève appel du jugement du 1er mars 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., âgé de seize ans lors de son entrée en France en octobre 2019, a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance du département du Nord puis a bénéficié, après son accession à la majorité, d'un contrat " Entrée dans la vie adulte " renouvelé à plusieurs reprises. Scolarisé sans interruption depuis son arrivée en France, il a obtenu le certificat d'aptitudes professionnelles mention " serrurier métallier " en juin 2022 et a poursuivi ses études en classe de 1ère professionnelle, filière " ouvrages du bâtiment métallerie ". Les relevés de notes ainsi que les attestations de plusieurs professeurs et de son maître de stage produits à l'instance font état de son sérieux, de sa motivation, de son investissement dans le travail et des progrès qu'il a accomplis, notamment en langue française. Le service d'accueil des jeunes " mineurs non accompagnés " de Lambersart qui l'a pris en charge et a assuré son suivi a indiqué également dans une note sociale du 18 octobre 2021 que l'intéressé a gagné en maturité et en autonomie, qu'il s'est adapté sans difficultés à son nouvel environnement culturel, qu'il respecte le cadre posé par les adultes et que ses progrès en langue française sont remarquables et témoignent de sa volonté d'intégration. En outre, il n'est pas établi que M. A... entretiendrait des rapports avec sa famille restée dans son pays d'origine. Enfin, il ressort des pièces du dossier que les démarches entreprises par l'intéressé en vue de l'obtention d'un acte de naissance n'ont pu aboutir en l'absence de son inscription dans les registres d'état-civil marocain et de toute identification par empreintes. Il s'ensuit qu'en obligeant M. A... à quitter le territoire français dans ces conditions, le préfet du Nord doit, dans les circonstances particulières de l'espèce, être regardé comme ayant entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
3. Il résulte de ce qui précède que la décision portant obligation de quitter le territoire français prononcée le 15 novembre 2022 à l'encontre de M. A... doit être annulée ainsi que, par voie de conséquence, celles refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire, fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement et interdisant le retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans. Dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 novembre 2022 du préfet du Nord, lequel doit par suite être annulé.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
4. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si l'obligation de quitter le territoire français est annulée (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ". Par application de ces décisions et compte tenu de l'annulation prononcée, il y a seulement lieu d'enjoindre au préfet du Nord de délivrer à M. A... une autorisation provisoire de séjour, afin de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
5. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Julie Gommeaux de la somme de 1 000 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2208775 du 1er mars 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 15 novembre 2022 du préfet du Nord est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet du Nord, ou à tout autre préfet territorialement compétent, de délivrer une autorisation provisoire de séjour à M. A... et de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Julie Gommeaux une somme de 1 000 euros au titre des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Julie Gommeaux renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet du Nord et à Me Julie Gommeaux.
Délibéré après l'audience publique du 9 avril 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- M. Marc Baronnet, président-assesseur,
- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mai 2024.
Le rapporteur,
Signé : G. ToutiasLa présidente de chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : A.S. Villette
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière
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N°23DA00844