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09/04/2024 | FRANCE | N°23DA01026

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 2ème chambre, 09 avril 2024, 23DA01026


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Lille la décision du 4 février 2020 par laquelle le directeur territorial de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) de Lille a refusé de rétablir le bénéfice de ses conditions matérielles d'accueil, et d'enjoindre à l'OFII, à titre principal, de procéder au rétablissement de ses conditions matérielles d'accueil à compter de la date d'enregistrement de sa demande d'asile, soit le 4 février 2020,

de procéder au versement des sommes non perçues depuis cette date et de lui fournir un loge...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Lille la décision du 4 février 2020 par laquelle le directeur territorial de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) de Lille a refusé de rétablir le bénéfice de ses conditions matérielles d'accueil, et d'enjoindre à l'OFII, à titre principal, de procéder au rétablissement de ses conditions matérielles d'accueil à compter de la date d'enregistrement de sa demande d'asile, soit le 4 février 2020, de procéder au versement des sommes non perçues depuis cette date et de lui fournir un logement adapté à ses besoins dans un délai de quinze jours à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, ou subsidiairement de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de quinze jours à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 2003247 du 4 avril 2023, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 4 février 2020 par laquelle le directeur territorial de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) de Lille a refusé de rétablir le bénéfice des conditions matérielles d'accueil de M. A..., lui a enjoint de procéder au rétablissement des conditions matérielles d'accueil de M. A... sur la période du 4 février 2020 au 10 mars 2021 et, par voie de conséquence, de procéder au versement des sommes dues au titre de cette période, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, et a rejeté le surplus des conclusions de M. A....

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 2 juin 2023 et 19 septembre 2023, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par la SCP Poupet et Kacenelenbogen, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de M. A....

Il soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé, conformément à l'article L. 9 du code de justice administrative ;

- la circonstance que la demande d'asile, après avoir été enregistrée en procédure " Dublin ", soit enregistrée en procédure normale, n'ouvre pas droit ipso facto au rétablissement des conditions matérielles d'accueil ; l'OFII dispose d'un pouvoir d'appréciation pour les refuser au vu des circonstances de l'espèce ; en l'espèce, M. A... n'a fait état d'aucun élément probant permettant de justifier son retour en France après son transfert effectif vers l'Espagne, malgré l'incompétence des autorités françaises dont il a été informé, et sa situation personnelle ne fait apparaître aucun facteur particulier de vulnérabilité ni de besoin particulier en matière d'accueil ;

- il se réfère en outre à ses écritures de première instance, qu'il reprend expressément.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 décembre 2023, M. A..., représenté par Me Norbert Clément, conclut au rejet de la requête, et à la mise à la charge de l'OFII de la somme de 1 500 euros hors taxe au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile énonce limitativement les cas dans lesquels les conditions matérielles d'accueil peuvent être refusées, retirées ou suspendues ;

- lorsqu'un demandeur d'asile a été transféré vers l'Etat responsable de l'examen de sa demande, c'est à ce dernier de lui assurer les conditions matérielles d'accueil ; en cas de retour de l'intéressé en France sans que la demande n'ait été examinée et de présentation d'une nouvelle demande, l'OFII peut refuser le bénéfice de ces droits, sauf si les autorités chargées de cette nouvelle demande décident de l'examiner ou si, compte tenu du refus de l'Etat responsable d'examiner la demande précédente, il leur revient de le faire ;

- en l'espèce, il a été renvoyé par les autorités espagnoles vers la France dès son arrivée en Espagne, sans enregistrement de sa demande de protection internationale ; l'enregistrement en France de sa demande d'asile en procédure normale révèle la décision des autorités françaises, qui ont estimé que la France était devenue l'Etat membre responsable visé par le règlement de Dublin, d'examiner sa demande ; le refus de rétablir les conditions matérielles d'accueil est manifestement illégal ;

- compte tenu des charges courantes du cabinet d'avocats, il y a lieu de condamner l'OFII à lui verser 1500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par ordonnance du 23 janvier 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 8 février 2024.

M. A... s'est vu maintenir le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 novembre 2023 .

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marc Baronnet, président-assesseur,

- et les observations de Me Raphaëlle Poupet, représentant l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... A..., né le 6 juin 1998 en Guinée, de nationalité guinéenne, est entré en France le 29 septembre 2018 selon ses déclarations. Le 25 octobre 2018, il a déposé une demande d'asile à la préfecture du Nord. Le même jour, il a accepté l'offre de prise en charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) et a bénéficié des conditions matérielles d'accueil. Il a été transféré en Espagne le 25 avril 2019. Il est revenu en France et, le 11 octobre 2019, a déposé une nouvelle demande d'asile en France. Le 29 octobre 2019, l'OFII a suspendu le bénéfice de ses conditions matérielles d'accueil. Le 3 février 2020, sa demande d'asile a été requalifiée en procédure normale. Sous couvert de sa nouvelle attestation, M. A... a sollicité de l'OFII le rétablissement de ses conditions matérielles d'accueil. Par une décision du 4 février 2020, dont le requérant a demandé l'annulation, le directeur territorial de l'OFII de Lille a rejeté sa demande. L'OFII relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 4 février 2020 par laquelle le directeur territorial de l'OFII de Lille a refusé de rétablir le bénéfice des conditions matérielles d'accueil de M. A... et lui a enjoint de procéder au rétablissement des conditions matérielles d'accueil de M. A... sur la période du 4 février 2020 au 10 mars 2021 et, par voie de conséquence, de procéder au versement des sommes dues au titre de cette période, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement.

Sur la régularité du jugement :

2. En citant au point 2 du jugement les dispositions des articles L. 744-7 et L. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en exposant au point 3 la règle de droit qui en résulte et dont il est fait application au cas d'espèce au point 4, le tribunal n'a pas insuffisamment motivé sa réponse au moyen tiré de ce que le directeur territorial de l'OFII de Lille n'avait pu, sans commettre d'erreur de droit, par la décision contestée du 4 février 2020, refuser la demande de M. A... de bénéficier des conditions matérielles d'accueil au motif qu'il était revenu en France après avoir été transféré en Espagne. Dès lors, l'appelant n'est pas fondé à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. Aux termes de l'article L. 744-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable à la date de la décision en litige : " Le bénéfice des conditions matérielles d'accueil, définies (...) à l'article L. 744-1 du présent code, est subordonné à l'acceptation par le demandeur d'asile de l'hébergement proposé, déterminé en tenant compte de ses besoins, de sa situation au regard de l'évaluation prévue à l'article L. 744-6 et des capacités d'hébergement disponibles. / Le demandeur est préalablement informé, dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend, des conséquences de l'acceptation ou du refus de l'hébergement proposé (...) ". Aux termes de l'article L. 744-8 de ce code, dans sa rédaction applicable à la décision en litige : " Le bénéfice des conditions matérielles d'accueil peut être : 1° Suspendu si, sans motif légitime, le demandeur d'asile a abandonné son lieu d'hébergement déterminé en application de l'article L. 744-7, n'a pas respecté l'obligation de se présenter aux autorités, n'a pas répondu aux demandes d'informations ou ne s'est pas rendu aux entretiens personnels concernant la procédure d'asile ; 2° Retiré si le demandeur d'asile a dissimulé ses ressources financières ou a fourni des informations mensongères relatives à sa situation familiale ou en cas de comportement violent ou de manquement grave au règlement du lieu d'hébergement ; 3° Refusé si le demandeur présente une demande de réexamen de sa demande d'asile ou s'il n'a pas sollicité l'asile, sans motif légitime, dans le délai prévu au 3° du III de l'article L. 723-2. (...) ". Si les termes de ces articles ont été modifiés par différentes dispositions du I de l'article 13 de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, il résulte du III de l'article 71 de cette loi que ces modifications, compte tenu de leur portée et du lien qui les unit, ne sont entrées en vigueur ensemble qu'à compter du 1er janvier 2019 et ne s'appliquent qu'aux décisions initiales, prises à compter de cette date, relatives au bénéfice des conditions matérielles d'accueil proposées et acceptées après l'enregistrement de la demande d'asile. Les décisions relatives à la suspension et au rétablissement de conditions matérielles d'accueil accordées avant le 1er janvier 2019 restent régies par les dispositions antérieures à la loi du 10 septembre 2018. Aux termes de l'article L. 744-9 du même code, dans sa rédaction applicable à la date de la décision en litige : " Le demandeur d'asile qui a accepté les conditions matérielles d'accueil proposées en application de l'article L. 744-1 bénéficie d'une allocation pour demandeur d'asile s'il satisfait à des conditions d'âge et de ressources, dont le versement est ordonné par l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / Le versement de l'allocation prend fin au terme du mois au cours duquel le droit du demandeur de se maintenir sur le territoire français dans les conditions prévues aux articles L. 743-1 et L. 743-2 a pris fin ou à la date du transfert effectif vers un autre Etat si sa demande relève de la compétence de cet Etat. Pour les personnes qui obtiennent la qualité de réfugié prévue à l'article L. 711-1 ou le bénéfice de la protection subsidiaire prévue à l'article L. 712-1, le bénéfice de l'allocation prend fin au terme du mois qui suit celui de la notification de la décision (...) ". Et aux termes de l'article D. 744-37 de ce code, dans sa rédaction applicable à la date de la décision en litige : " Le bénéfice de l'allocation pour demandeur d'asile peut être refusé par l'Office français de l'immigration et de l'intégration : 1° En cas de demande de réexamen de la demande d'asile ; 2° Si le demandeur, sans motif légitime, n'a pas présenté sa demande d'asile dans le délai prévu au 3° du III de l'article L. 723-2 ; 3° En cas de fraude ".

4. Pour annuler la décision du 4 février 2020, le tribunal administratif de Lille a considéré que la demande d'asile de M. A... ayant été enregistrée en procédure normale le 3 février 2020 par le préfet du Nord, et qu'ainsi les autorités chargées de cette nouvelle demande ayant décidé de l'examiner, le directeur territorial de l'OFII de Lille ne pouvait, sans commettre d'erreur de droit, rejeter sa demande de bénéficier des conditions matérielles d'accueil, au motif qu'il était revenu en France après avoir été transféré en Espagne.

5. En premier lieu, il résulte des dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que de celles de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale qu'elles visent à transposer, que lorsqu'un demandeur d'asile a été transféré vers l'Etat responsable de l'examen de sa demande, c'est à ce dernier de lui assurer les conditions matérielles d'accueil. En cas de retour de l'intéressé en France sans que la demande n'ait été examinée et de présentation d'une nouvelle demande, l'OFII peut refuser le bénéfice de ces droits, sauf si les autorités chargées de cette nouvelle demande décident de l'examiner ou si, compte tenu du refus de l'Etat responsable d'examiner la demande précédente, il leur revient de le faire.

6. Contrairement à ce qui est soutenu, le tribunal n'a pas écarté la possibilité pour l'OFII de refuser le bénéfice des conditions matérielles d'accueil dans le cas où la demande de l'intéressé est enregistrée en procédure normale. Mais après avoir rappelé la règle énoncée au point 5, le tribunal a motivé son annulation par la circonstance non seulement que M. A... avait déposé une nouvelle demande, mais aussi que les autorités chargées de cette demande, après l'avoir enregistrée sa demande en procédure dite " Dublin " l'avaient ensuite enregistrée le 3 février 2020 en procédure normale et qu'ainsi elles devaient être regardées comme ayant décidé de l'examiner. Par suite, l'OFII n'était, dans ces circonstances, pas fondé à refuser à M. A... le bénéfice des conditions matérielles d'accueil.

7. En second lieu l'OFII, qui ne conteste pas que la demande d'asile de M. A... n'a pas été examinée par les autorités espagnoles, ne peut utilement soutenir que M. A... ne justifie pas son retour en France ni d'un état de vulnérabilité, dès lors que les autorités françaises ont décidé d'examiner sa demande d'asile.

8. Il résulte de ce qui précède que l'OFII n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 4 février 2020 par laquelle le directeur territorial de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) de Lille a refusé de rétablir le bénéfice des conditions matérielles d'accueil de M. A..., et lui a enjoint de procéder au rétablissement des conditions matérielles d'accueil de M. A... sur la période du 4 février 2020 au 10 mars 2021 et, par voie de conséquence, de procéder au versement des sommes dues au titre de cette période.

Sur les frais d'instance :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration la somme de 1 000 euros au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de l'OFII est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me Clément la somme de 1 000 euros au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative sous réserve que ce dernier renonce à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office français de l'immigration et de l'intégration, à M. C... A... et à Me Norbert Clément.

Délibéré après l'audience du 26 mars 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Nathalie Massias, présidente de la cour,

- M. Marc Baronnet, président-assesseur,

- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 avril 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : M. B...La présidence de la cour,

Signé : N. Massias

La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière

2

N°23DA01026


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA01026
Date de la décision : 09/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Massias
Rapporteur ?: M. Marc Baronnet
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : SCP DE NERVO & POUPET

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-09;23da01026 ?
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