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02/04/2024 | FRANCE | N°23DA01020

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 3ème chambre, 02 avril 2024, 23DA01020


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 11 juillet 2022 par lequel le préfet du Rhône a retiré la carte de résident dont il bénéficiait pour la période du 4 octobre 2014 au 3 octobre 2024, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office en cas d'exécution forcée de la mesure d'éloignement.



Par une ordonnan

ce n° 2301472 du 20 février 2023, le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 11 juillet 2022 par lequel le préfet du Rhône a retiré la carte de résident dont il bénéficiait pour la période du 4 octobre 2014 au 3 octobre 2024, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office en cas d'exécution forcée de la mesure d'éloignement.

Par une ordonnance n° 2301472 du 20 février 2023, le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 2 juin 2023, M. B..., représenté par Me Kioungou, demande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du 20 février 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 11 juillet 2022 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Rhône, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans cette attente, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- sa demande présentée devant le tribunal administratif n'était pas tardive ;

- la décision de retrait du droit au séjour, assortie d'une obligation de quitter le territoire français, méconnaît l'article 3-1 de convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la décision de retrait méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'illégalité de cette décision prive de base légale la décision portant obligation de quitter le territoire français.

La requête a été communiquée au préfet du Rhône qui n'a pas présenté d'observations.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 avril 2023.

Par une ordonnance du 12 décembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 9 janvier 2024, à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant tunisien né le 28 mars 1987, est entré régulièrement en France le 24 octobre 2013, afin d'y rejoindre son épouse de nationalité française, avec laquelle il a eu un enfant le 12 novembre 2014. Une carte de résident lui a été délivrée par le préfet du Rhône en sa qualité de conjoint d'une ressortissante française, pour une période de validité du 4 octobre 2014 au 3 octobre 2024. Par un arrêté du 11 juillet 2022, le préfet du Rhône a retiré cette carte de résident et a obligé M. B... à quitter le territoire français dans un délai de trente jours à destination de son pays d'origine. Appréhendé par les services de police, M. B... a fait l'objet d'un arrêté du préfet de la Somme du 14 février 2023 ordonnant son placement en rétention au centre de rétention administrative de Coquelles, dans le département du Pas-de-Calais. Le 15 février 2023, l'intéressé a saisi le tribunal administratif de Lille d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet du Rhône 11 juillet 2022. M. B... relève appel de l'ordonnance du 20 février 2023 par laquelle le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande comme manifestement irrecevable.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. D'une part, aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif (...) peuvent, par ordonnance : / (...) 4º Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser (...) ".

3. D'autre part, aux termes du premier alinéa du I de l'article R. 776-2 du code de justice administrative : " Conformément aux dispositions de l'article L. 614-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la notification d'une obligation de quitter le territoire français avec délai de départ volontaire, prise en application (...) des 3°, 5° ou 6° de l'article L. 611-1 du même code, fait courir un délai de trente jours pour contester cette obligation ainsi que les décisions relatives au séjour, au délai de départ volontaire, au pays de renvoi et à l'interdiction de retour ou à l'interdiction de circulation notifiées simultanément ". Aux termes de l'article R. 776-4 du même code : " Conformément aux dispositions de l'article L. 614-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le délai de recours contentieux contre les décisions mentionnées à l'article R. 776-1 en cas de placement en rétention administrative (...) est de quarante-huit heures. Ce délai court à compter de la notification de la décision par voie administrative ".

4. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du préfet du Rhône du 11 juillet 2022 procédant au retrait de la carte de résident de M. B... et l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours lui a été notifiée le 13 juillet 2022 à l'adresse du 42, rue Paul Lafargue à Villeurbanne, et que le pli contenant cette décision a été retourné à la préfecture avec la mention " pli avisé et non réclamé ". Toutefois, répondant à un courrier du préfet du 12 avril 2022 l'informant du retrait envisagé de sa carte de résident en raison de la menace à l'ordre public qu'il représente et l'invitant à formuler des observations, M. B... a transmis à la préfecture deux courriels des 19 et 21 avril 2022, envoyés à l'adresse de messagerie du service mentionnée dans le courrier précité, et indiquant, outre ses observations, sa nouvelle adresse située au 9, rue Dubois à Lyon. A cet égard, l'appelant produit une attestation de la directrice de l'association Entre2Toit, datée du 6 mai 2022, certifiant qu'il résidait alors rue Dubois à Lyon depuis le 1er novembre 2021. Le préfet du Rhône, qui n'a pas produit de mémoire en défense, ne conteste pas les éléments apportés par M. B... dont il ressort que l'arrêté contesté du 11 juillet 2022 ne lui a pas été communiqué à la dernière adresse déclarée auprès des services préfectoraux. Il n'est pas contesté non plus que l'intéressé a été rendu destinataire de l'arrêté litigieux le 14 février 2023 alors qu'il se trouvait au centre de rétention administrative. Dans ces conditions, M. B..., qui a saisi le tribunal administratif de Lille le 15 février 2023 dans le délai de quarante-huit heures prévu par l'article R. 776-4 du code de justice administrative, est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le président de ce tribunal administratif a rejeté sa demande comme tardive, sur le fondement des dispositions du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative. Dès lors, cette ordonnance doit être annulée.

5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Lille.

Sur la légalité de l'arrêté du 11 juillet 2022 :

6. En premier lieu, l'arrêté attaqué a été signé par Mme D... C..., directrice adjointe des migrations et de l'intégration à la préfecture du Rhône, en vertu d'une délégation de signature consentie par un arrêté du préfet du Rhône du 5 avril 2022, régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture le 8 avril suivant. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté contesté doit être écarté.

7. En deuxième lieu, l'arrêté attaqué mentionne les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et est suffisamment motivé.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

9. M. B... fait état de sa présence sur le territoire français depuis 2014 et de ses liens avec son fils mineur, et produit sur ce point une attestation de son conseil datée du 10 février 2023 indiquant que, de concert avec son ex-épouse, il a engagé une procédure devant le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire d'Amiens afin de déterminer les modalités d'exercice de l'autorité parentale et les conditions d'hébergement et d'entretien de l'enfant, ainsi qu'une déclaration de l'ancienne épouse, datée du 15 février 2023, mentionnant que l'intéressé entretient des relations avec son fils et la demi-sœur de celui-ci. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, notamment du courrier établi le 19 avril 2022 par une conseillère sociale de l'association Alynéa, que M. B... a quitté le domicile conjugal après la naissance de son enfant, et qu'il a connu une situation d'errance de 2015 à 2022, années au cours desquelles il n'a presque jamais vu son fils. Il ressort encore des pièces du dossier que le requérant a été signalé aux services de police le 11 mars 2015 pour menace de crime ou délit contre des personnes et des biens et menace de mort à l'encontre de personnes chargées d'une mission de service public, le 12 mars 2015 pour harcèlement de son ex-conjointe, le 11 septembre 2015 pour rébellion, le 5 avril 2020 pour détention non autorisée de stupéfiants, et le 29 janvier 2022 pour menace réitérée de crime contre son ex-conjointe. M. B... a été condamné le 27 novembre 2018 à une peine d'emprisonnement de deux mois pour rébellion. Le requérant, qui impute les actes qui lui sont reprochés à des troubles psychiatriques, soutient qu'il fait l'objet d'un traitement depuis 2020, de telle sorte qu'il ne peut représenter une menace à l'ordre public. Toutefois, il ne ressort pas des éléments médicaux versés au dossier que le traitement suivi par M. B... serait de nature à relativiser sa dangerosité, alors au demeurant que son instabilité psychologique constitue un élément à prendre en compte dans la caractérisation de la menace pour l'ordre public. Dans ces conditions, eu égard aux conditions de séjour en France de l'appelant à la date des décisions attaquées, le préfet du Rhône n'a pas porté à son droit à une vie privée et familiale normale une atteinte disproportionnée, au regard des buts poursuivis par ces décisions, en retirant la carte de résident et en l'obligeant à quitter le territoire français. Le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit donc être écarté.

10. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale (...) ".

11. Ainsi qu'il a été dit plus haut, M. B... s'est séparé de son épouse après la naissance de son enfant, qu'il n'a presque jamais vu au cours des années 2015 à 2022. S'il indique avoir repris contact avec son fils, il n'est pas établi qu'il aurait bénéficié d'un droit de visite et d'hébergement à la date de l'arrêté attaqué. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que cet arrêté méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

12. En cinquième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, eu égard à ce qui a été dit aux points 9 et 11, que le préfet a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de la situation de M. B... en lui retirant le droit au séjour et en l'obligeant à quitter le territoire français.

13. En dernier lieu, il résulte de ce qui précède que M. B... n'établit pas que la décision de retrait de sa carte de résident serait illégale. Il n'est donc pas fondé à se prévaloir de la prétendue illégalité de cette décision pour soutenir que, par voie d'exception, la décision l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours serait elle-même illégale.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Lille ne peut qu'être rejetée. Par suite, ses conclusions présentées en appel à fin d'injonction et de versement d'une somme sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ordonnance du président du tribunal administratif de Lille n° 2301472 du 20 février 2023 est annulée.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Lille et ses conclusions présentées en appel à fin d'injonction et sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Kioungou.

Copie en sera adressée au préfet du Rhône.

Délibéré après l'audience publique du 19 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 avril 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,

Signé : M.-P. Viard

Le greffier,

Signé : F. Cheppe

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Le greffier

F. Cheppe

2

N° 23DA01020


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA01020
Date de la décision : 02/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Jean-Marc Guerin-Lebacq
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : KIOUNGOU

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-02;23da01020 ?
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