Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 9 juin 2022 par lequel le préfet du Nord lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.
Par un jugement n° 2205387 du 16 janvier 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa requête.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 11 avril 2023, Mme A..., représentée par Me Emmanuelle Lequien, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer une carte de séjour temporaire dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) subsidiairement, d'enjoindre au préfet de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement d'une somme de 1 800 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision de refus de titre de séjour méconnaît les dispositions des articles L. 421-1, L. 422-10 et L. 422-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, compte tenu des stipulations de l'article 321 de l'accord franco-sénégalais du 23 septembre 2006 ; Mme A... remplissait les conditions de délivrance d'une carte de séjour temporaire en qualité de salariée ;
- les stipulations des articles 5 de la convention franco-sénégalaise du 1er août 1995 et 3 de l'accord franco-sénégalais du 23 septembre 2006 combinées aux dispositions de l'article R. 5221-20 du code du travail, base légale substituée par le tribunal, font de l'adéquation entre les compétences détenues et les caractéristiques de l'emploi une condition d'attribution de l'autorisation de travail et non du titre de séjour ; or, il est constant que l'autorisation de travail a été accordée à la société Sodexo pour Mme A... le 21 décembre 2021, et qu'ainsi Mme A... remplissait les conditions de délivrance d'une carte de séjour temporaire en qualité de salariée ;
- la décision de refus de séjour est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, compte tenu de son investissement professionnel dans un secteur d'activité qui peine à recruter, de la durée du séjour et de son intégration ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'obligation de quitter le territoire français est illégale du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est aussi entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 juin 2023, le préfet du Nord conclut au rejet de la requête.
Il s'en rapporte à ses écritures de première instance.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 mars 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République sénégalaise relative à la circulation et au séjour des personnes, signée à Dakar le 1er août 1995 ;
- l'accord du 23 septembre 2006 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Sénégal relatif à la gestion concertée des flux migratoires et l'avenant à cet accord signé le 25 février 2008 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le décret n° 2021-360 du 31 mars 2021 relatif à l'emploi d'un salarié étranger ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Marc Baronnet, président-assesseur,
- et les observations de Me Clémence Troufleau substituant Me Emmanuelle Lequien, représentant Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... A..., ressortissante sénégalaise née le 15 mai 1990, est entrée en France le 5 août 2016 munie d'un visa portant la mention " étudiant " et a ensuite bénéficié de titres de séjour, en dernier lieu une carte de séjour temporaire délivrée le 7 octobre 2020. Par un arrêté du 9 juin 2022, le préfet du Nord a refusé de lui délivrer un nouveau titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement. Mme A... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande d'annuler cet arrêté.
Sur la légalité du refus de délivrance d'un titre de séjour :
2. Aux termes de l'article L. 421-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui exerce une activité salariée sous contrat de travail à durée déterminée (...) se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "travailleur temporaire" d'une durée maximale d'un an. / La délivrance de cette carte de séjour est subordonnée à la détention préalable d'une autorisation de travail, dans les conditions prévues par les articles L. 5221-2 et suivants du code du travail. Elle est délivrée pour une durée identique à celle du contrat de travail ou du détachement, dans la limite d'un an. (...) ". D'autre part, les stipulations de la convention du 1er août 1995 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Sénégal relative à la circulation et au séjour des personnes ainsi que celles de l'accord du 23 septembre 2006 relatif à la gestion concertée des flux migratoires, telles que modifiées par un avenant signé le 25 février 2008, s'appliquent aux ressortissants sénégalais. Aux termes de l'article 13 de cette convention : " Les dispositions du présent accord ne font pas obstacle à l'application de la législation respective des deux États sur l'entrée et le séjour des étrangers sur tous les points non traités par la convention. ". L'article 5 de la même convention stipule que : " Les ressortissants de chacun des Etats contractants désireux d'exercer sur le territoire de l'autre Etat une activité professionnelle salariée doivent en outre, pour être admis sur le territoire de cet Etat, justifier de la possession : (...) 2. D'un contrat de travail visé par le Ministère du Travail dans les conditions prévues par la législation de l'Etat d'accueil. ". Enfin, le sous-paragraphe 321 de l'article 3 de l'accord du 23 septembre 2006 entre la France et le Sénégal relatif à la gestion concertée des flux migratoires stipule que : " La carte de séjour temporaire portant la mention "salarié", d'une durée de douze mois renouvelable, ou celle portant la mention "travailleur temporaire" sont délivrées, sans que soit prise en compte la situation de l'emploi, au ressortissant sénégalais titulaire d'un contrat de travail visé par l'Autorité française compétente, pour exercer une activité salariée dans l'un des métiers énumérés à l'annexe IV. ".
3. Il résulte de ces dispositions que la situation des ressortissants sénégalais désireux d'obtenir une carte de séjour temporaire portant la mention " travailleur temporaire " est régie par les seules stipulations de l'article 5 de la convention franco-sénégalaise et de l'article 3 l'accord du 23 septembre 2006. Le préfet du Nord ne pouvait donc légalement se fonder, pour prendre l'arrêté contesté, sur les dispositions de l'article L. 421-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni d'ailleurs sur les dispositions de l'article L. 421-1 que Mme A... persiste à invoquer en appel. Toutefois, dès lors que les stipulations et dispositions en cause sont équivalentes, que l'administration dispose du même pouvoir d'appréciation pour appliquer l'un ou l'autre de ces deux textes et que l'application des dispositions de l'article L. 421-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'a privé Mme A... d'aucune des garanties assurées par les stipulations de l'article 5 de l'accord franco-sénégalais, il y a lieu, pour la cour et ainsi que le sollicite le préfet, de procéder à la même substitution de base légale que celle opérée à bon droit par les premiers juges et d'examiner la légalité de la décision contestée au regard de ces dernières stipulations.
4. Aux termes de l'article R. 5221-20 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'article 8 du décret du 31 mars 2021 visé ci-dessus relatif à l'emploi d'un salarié étranger, applicable à la date de la décision attaquée : " L'autorisation de travail est accordée lorsque la demande remplit les conditions suivantes : (...) 5° Lorsque l'étranger est titulaire d'une carte de séjour portant les mentions " étudiant " ou " étudiant-programme de mobilité " prévue à l'article L. 422-1, L. 422-2, L. 422-5, L. 422-26 et L. 433-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et qu'il a achevé son cursus en France ou lorsqu'il est titulaire de la carte de séjour portant la mention " recherche d'emploi ou création d'entreprise " prévue à l'article L. 422-14 du même code, l'emploi proposé est en adéquation avec les diplômes et l'expérience acquise en France ou à l'étranger ".
5. Il résulte de la combinaison de ces dispositions et des stipulations mentionnées au point 2 du présent arrêt que, pour examiner une demande de titre de séjour portant la mention " travailleur temporaire " présentée par un ressortissant sénégalais, il incombe à l'administration compétente d'apprécier si l'intéressé remplit les conditions énumérées par l'article R. 5221-20 du code du travail, à l'exception de celle tenant à la situation de l'emploi telle qu'elle est précisée au 1° de cet article dans le cas où le métier envisagé est mentionné dans la liste figurant à l'annexe IV de l'accord modifié du 23 septembre 2006 conclu entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Sénégal, relatif à la gestion concertée des flux migratoires.
6. Il ressort des pièces du dossier que le contrat de professionnalisation invoqué par l'intéressée à l'appui de sa demande de titre de séjour s'inscrit dans le cadre de l'obtention d'un CAP " Production et service en restauration " et que l'intéressée est, à cet effet, employée en qualité d'" aide de cuisine ". Toutefois la requérante a poursuivi en France des études supérieures en droit et économie et a obtenu en dernier lieu un master " Droit, économie, gestion " mention " économie appliquée ". Il existe ainsi une inadéquation manifeste entre le domaine et la nature des compétences détenues par Mme A... et les caractéristiques de l'emploi pour lequel elle a été recrutée. Par suite, le préfet, en refusant de délivrer le titre de séjour sollicité pour ce motif, n'a pas méconnu les stipulations des articles 3 et 5 de l'accord franco-sénégalais du 23 septembre 2006 et de la convention franco-sénégalaise du 1er août 1995.
7. Aux termes de l'article L. 422-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque la carte de séjour temporaire portant la mention " recherche d'emploi ou création d'entreprise " est délivrée en application du 1° de l'article L. 422-10, son titulaire est autorisé, pendant la durée de validité de cette carte, à chercher et à exercer un emploi en relation avec sa formation ou ses recherches, assorti d'une rémunération supérieure à un seuil fixé par décret et modulé, le cas échéant, selon le niveau de diplôme concerné. / A l'issue de cette période d'un an, l'intéressé pourvu d'un emploi ou d'une promesse d'embauche satisfaisant aux conditions énoncées au 1° de l'article L. 422-10 se voit délivrer la carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire " prévue aux articles L. 421-1 ou L. 421-3, ou la carte de séjour pluriannuelle portant la mention " passeport talent ", " passeport talent-carte bleue européenne " ou " passeport talent-chercheur " prévue aux articles L. 421-9, L. 421-10, L. 421-11, L. 421-14 ou L. 421-20, sans que lui soit opposable la situation de l'emploi ".
8. A supposer même que Mme A... ait entendu solliciter la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions du second alinéa de l'article L. 422-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'emploi occupé par la requérante au sein de la société Sodexo Sports et Loisirs et dont elle s'est prévalue à l'appui de sa demande de titre de séjour n'est, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, pas en relation avec sa formation et ne présente pas une rémunération supérieure au seuil fixé par les dispositions de l'article D. 5221-21-1 du code du travail. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 422-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit, en tout état de cause, être écarté.
9. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
10. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... est présente sur le territoire français depuis six ans à la date de la décision contestée. L'intéressée est célibataire et ne fait état d'aucune attache particulière sur le territoire français malgré la durée de son séjour, notamment avec le père, également de nationalité sénégalaise, de son enfant né en France en 2018. Elle n'est pas démunie d'attaches personnelles et familiales au Sénégal, où elle a vécu jusqu'à l'âge de 26 ans et où réside sa mère. Compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et notamment de la durée et des conditions du séjour en France de Mme A..., le préfet du Nord n'a pas porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts qu'il a poursuivis et n'a donc pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
11. Si Mme A... fait valoir son investissement professionnel dans un secteur d'activité en tension, la durée du séjour, et sa bonne intégration en France, il ne ressort pas des pièces du dossier, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce développées ci-dessus, que le préfet du Nord ait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cette décision sur la situation personnelle de Mme A....
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
12. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que Mme A... n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de la décision de refus de délivrance d'un titre de séjour contre celle portant obligation de quitter le territoire français.
13. Compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 10, il y a lieu d'écarter les moyens tirés de ce que l'obligation faite à Mme A... de quitter le territoire français porterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
14. Il ne ressort pas des pièces du dossier, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, que le préfet du Nord aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cette décision sur la situation personnelle de Mme A....
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :
15. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que Mme A... n'est pas fondée à exciper de l'obligation de quitter le territoire français contre la décision fixant le pays de destination.
16. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte ainsi que celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Emmanuelle Lequien.
Copie sera adressée au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience du 9 janvier 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Nathalie Massias, présidente de la cour,
- M. Marc Baronnet, président-assesseur,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 janvier 2024.
Le président-rapporteur,
Signé : M. C...La présidente de la cour,
Signé : N. Massias
La greffière,
Signé : A.S. Villette
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière
Anne-Sophie VILLETTE
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N°23DA00655