La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/01/2024 | FRANCE | N°22DA01038

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 23 janvier 2024, 22DA01038


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme E... a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner la commune de Noyon à lui verser la somme de 144 031,44 euros TTC en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison de la rupture de la bâche de la citerne communale, avec intérêts au taux légal à compter du 5 novembre 2019 et capitalisation des intérêts.



Par un jugement n° 2000191 du 31 mars 2022, le tribunal administratif d'Amiens a condamné la commune à verser à Mme

E... la somme de 84 836,01 euros avec intérêts au taux légal à compter du 5 novembre 2019 et capitali...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner la commune de Noyon à lui verser la somme de 144 031,44 euros TTC en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison de la rupture de la bâche de la citerne communale, avec intérêts au taux légal à compter du 5 novembre 2019 et capitalisation des intérêts.

Par un jugement n° 2000191 du 31 mars 2022, le tribunal administratif d'Amiens a condamné la commune à verser à Mme E... la somme de 84 836,01 euros avec intérêts au taux légal à compter du 5 novembre 2019 et capitalisation des intérêts.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée sous le n°22DA01038 le 16 mai 2022, Mme E..., représentée par la SCP Frison et associés, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement en tant qu'il limite à la somme de 84 836,01 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné la commune de Noyon en réparation du préjudice qu'elle a subi ;

2°) de condamner la commune de Noyon à lui verser, d'une part, la somme de 144 031,44 euros TTC au titre de la réparation de son préjudice matériel et financier avec intérêts au taux légal à compter du 5 novembre 2019 et capitalisation des intérêts, et, d'autre part, la somme de 5 000 euros au titre de son préjudice moral, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter d'un délai de deux mois suivant l'arrêt à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Noyon le paiement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la commune est responsable des dommages causés aux tiers par la rupture accidentelle de la bâche de sa citerne ;

- elle est fondée à demander la réparation des préjudices matériel et financier résultant de cet événement qu'elle évalue à la somme de 144 031,44 TTC.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 septembre 2022, et un mémoire, enregistré le 13 octobre 2022, le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du département de l'Oise, représenté par Me Jean-Marie Coste-Floret, conclut au rejet des demandes formulées à son encontre et à la mise à la charge de la commune de Noyon le paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'appel en garantie de la commune de Noyon est infondé dès lors qu'il n'avait pas la garde de l'ouvrage et n'a pas commis de faute ;

- les préjudices subis par Mme E... doivent être évalués à la somme de 83 134,78 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 février 2023, la commune de Noyon, représentée par la SCP J.F Lepretre, conclut à titre principal au rejet de la requête de Mme E... et au rejet de ses demandes de première instance, à titre subsidiaire à la condamnation du SDIS du département de l'Oise à la garantir de l'ensemble de ses condamnations, et à la mise à la charge respective de Mme E... et du SDIS du département de l'Oise le paiement de la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le lien de causalité entre le préjudice et l'ouvrage n'est pas démontré ;

- Mme E... a commis une faute exonératoire dès lors qu'elle ne démontre pas avoir respecté les mesures constructives inscrites dans sa demande de permis de construire concernant les risques d'inondation lors de crues, alors que le respect de ces mesures aurait limité le dommage ;

- le SDIS du département de l'Oise est responsable du dommage subi par Mme E... dès lors qu'un exercice de formation a eu lieu le matin de l'événement durant lequel la vanne de remplissage a été manipulée, alors même que cette tâche est réservée à la commune, caractérisant une faute de service justifiant que le SDIS du département de l'Oise le garantisse de toute condamnation pécuniaire prononcée à son encontre ;

- la responsabilité sans faute du SDIS du département de l'Oise est engagée en raison du transfert de la garde de l'ouvrage que constitue la citerne ;

- Mme E... ne démontre pas qu'elle aurait été dans l'impossibilité de procéder aux travaux de telle sorte que son préjudice devrait être évalué à la date de la provision ;

- Mme E... ne démontre pas la réalité des préjudices dont elle demande la réparation, notamment les travaux d'aménagement et d'embellissement intérieur ainsi que la perte de loyer ;

- Mme E... ne justifie pas que son assureur n'a pas déjà procédé à l'indemnisation du sinistre.

Par une ordonnance du 13 mars 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 31 mars 2023.

II. Par une requête et un mémoire, enregistrés le 18 mai 2022 et le 6 février 2023 sous le n°22DA01050, la commune de Noyon, représentée par la SCP J-F Lepretre, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement n° 2000191 du 31 mars 2022 du tribunal administratif d'Amiens ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme E... devant le tribunal administratif d'Amiens ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du département de l'Oise à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

4°) de mettre à la charge respective du service départemental d'incendie et de secours du département de l'Oise et de Mme E... le paiement de la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le lien de causalité entre le préjudice et l'ouvrage n'est pas démontré ;

- Mme E... a commis une faute exonératoire dès lors qu'elle ne démontre pas avoir respecté les mesures constructives inscrites dans sa demande de permis de construire afin de prendre en compte le risque d'inondation, alors que le respect de ces mesures aurait limité le dommage ;

- le SDIS du département de l'Oise est responsable du dommage subi par Mme E... dès lors qu'un exercice de formation a eu lieu le matin de l'événement durant lequel la vanne de remplissage a été manipulée, alors que cette tâche est réservée à la commune, ce qui caractérise une faute de service justifiant que le SDIS du département de l'Oise la garantisse de toute condamnation pécuniaire prononcée à son encontre ;

- la responsabilité sans faute du SDIS du département de l'Oise est engagée en raison du transfert de la garde de la citerne ;

- Mme E... ne démontre pas qu'elle aurait été dans l'impossibilité de procéder aux travaux de telle sorte que son préjudice devrait être évalué à la date de la provision ;

- Mme E... ne démontre pas la réalité des préjudices dont elle demande la réparation, notamment les travaux d'aménagement et d'embellissement intérieur ainsi que la perte de loyer ;

- Mme E... ne justifie pas que son assureur n'a pas déjà procédé à l'indemnisation du sinistre.

Par un mémoire en défense et un mémoire, enregistrés le 9 septembre 2022 et le 13 octobre 2022, le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du département de l'Oise, représenté par Me Jean-Marie Coste-Floret, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la commune de Noyon le paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 janvier 2023, Mme E..., représentée par la SCP Dumoulin Chartrelle Abiven, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement du 31 mars 2022 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a limité à la somme de 84 836,01 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné la commune de Noyon en réparation du préjudice qu'elle a subi ;

3°) de porter à la somme de 144 031,44 euros le montant de l'indemnité due par la commune de Noyon ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Noyon le paiement de la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés et que ses préjudices ont été insuffisamment évalués.

Par ordonnance du 13 mars 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 31 mars 2023.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de, M. Marc Baronnet président-assesseur,

- les conclusions de Mme Caroline Regnier rapporteure publique,

- et les observations de Me Louis Wacquier, représentant Mme E..., et de Me Guillaume Coste-Floret, représentant le service départemental d'incendie et de secours du département de l'Oise.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes n° 21DA01038 et n° 21DA01050 sont dirigées contre le même jugement, et concernent la situation d'une même personne. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

2. Mme E... est propriétaire d'une maison d'habitation en construction sur le territoire de la commune de Noyon dont le terrain voisin est occupé par une citerne d'eau d'un volume de 120 mètres cubes appartenant à la commune. Le 20 juin 2018, en début de soirée, la bâche de la citerne a cédé, provoquant l'afflux d'une grande quantité d'eau dans la maison de Mme E..., dont le mur extérieur s'est couché sous l'effet de la vague. Mme E... a formé une réclamation préalable indemnitaire, réceptionnée le 5 novembre 2019 par la commune, et qui a été rejetée implicitement. Par une ordonnance du 15 juillet 2021, le juge des référés a condamné la commune de Noyon à verser à Mme E... une provision de 103 548,94 euros avec intérêts à compter du 5 novembre 2019, à capitaliser à compter du 5 novembre 2020. Par la requête n°22DA01038, Mme E... relève appel du jugement du 31 mars 2022 du tribunal administratif d'Amiens en tant qu'il n'a pas fait droit à l'ensemble de ses prétentions indemnitaires. Par la requête n°22DA01050, la commune de Noyon demande l'annulation de ce jugement.

Sur la recevabilité de la demande de Mme E... tendant à l'indemnisation du préjudice moral :

3. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle ". La décision par laquelle l'administration rejette une réclamation tendant à la réparation des conséquences dommageables d'un fait qui lui est imputé lie le contentieux indemnitaire à l'égard du demandeur pour l'ensemble des dommages causés par ce fait générateur, quels que soient les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages invoqués par la victime et que sa réclamation ait ou non spécifié les chefs de préjudice en question. Par suite, la victime est recevable à demander au juge administratif, dans les deux mois suivant la notification de la décision ayant rejeté sa réclamation, la condamnation de l'administration à l'indemniser de tout dommage ayant résulté de ce fait générateur, y compris en invoquant des chefs de préjudice qui n'étaient pas mentionnés dans sa réclamation.

4. Il résulte de l'instruction que, par un courrier du 4 novembre 2019, réceptionné le 5 novembre 2019 par la commune de Noyon, Mme E... a sollicité l'indemnisation des préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait de l'explosion de la citerne communale. Toutefois, ce n'est que par un mémoire enregistré le 20 octobre 2020 au greffe du tribunal administratif d'Amiens, soit plus de deux mois après le rejet de sa réclamation préalable, que Mme E... a demandé la réparation de son préjudice moral. Dès lors, les conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice moral dont la requérante se prévaut qui se rattache au même fait générateur et qui était connu dans toute son ampleur dès le rejet de la réclamation préalable doivent être rejetées comme irrecevables, ainsi qu'en ont jugé à bon droit les premiers juges.

Sur la responsabilité de la commune de Noyon :

5. Le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage n'est pas inhérent à l'existence même de l'ouvrage public ou à son fonctionnement et présente, par suite, un caractère accidentel.

6. Il résulte de l'instruction, notamment de la déclaration de sinistre du 21 juin 2018, du premier rapport d'expertise pour l'assureur de Mme E... par la société Elex du 28 février 2019, du deuxième rapport d'expertise pour l'assureur de Mme E... par la société Eurisk du 26 mars 2020, du rapport d'expertise pour l'assureur du SDIS par la société TGS du 30 août 2019, et de la note d'information sur l'expertise de TGS du 13 août 2019 de la société Saretec pour le compte de la commune, que la bâche de la citerne située sur le terrain avoisinant la maison de Mme E... a cédé dans la soirée du 20 juin 2018, provoquant une vague qui a couché le mur extérieur de sa maison et a occasionné des dommages aux immeubles situés aux alentours. Dès lors, le lien de causalité entre la rupture de la citerne, ouvrage public, et les préjudices de Mme E... est établi et la responsabilité sans faute de la commune de Noyon est engagée.

7. Dans un deuxième temps, la commune de Noyon n'est pas fondée à opposer la faute qu'aurait commise la victime en ne démontrant pas avoir respecté les mesures constructives inscrites dans sa demande de permis de construire afin de prendre en compte le risque d'inondation lors des crues de la rivière voisine, dès lors que le dommage n'est pas dû à la montée du cours d'eau, mais à la rupture accidentelle de la bâche de la citerne communale.

8. Dans un troisième temps, la commune n'est pas fondée à soutenir que la garde de la citerne était transférée au SDIS au moment du dommage, et que la responsabilité de ce dernier est engagée sans faute, alors qu'en tout état de cause, l'exercice de formation durant lequel la citerne a été utilisée par les sapeurs-pompiers du SDIS avait cessé plusieurs heures avant la survenue du dommage.

9. Il résulte de ce qui précède que la commune est responsable des dommages causés à Mme E... du fait de la rupture de la citerne communale.

Sur l'évaluation des préjudices :

10. Lorsqu'un dommage causé à un immeuble engage la responsabilité d'une collectivité publique, le propriétaire peut prétendre à une indemnité couvrant, d'une part, les troubles qu'il a pu subir, du fait notamment de pertes de loyers, jusqu'à la date à laquelle, la cause des dommages ayant pris fin et leur étendue étant connue, il a été en mesure d'y remédier et, d'autre part, une indemnité correspondant au coût des travaux de réfection. Ce coût doit être évalué à cette date, sans pouvoir excéder la valeur vénale, à la même date, de l'immeuble exempt des dommages imputables à la collectivité.

11. En premier lieu, les conséquences dommageables des désordres doivent être évaluées à la date où, leur cause ayant pris fin et leur étendue étant connue, il pouvait être procédé aux travaux destinés à les réparer. Ce montant doit ainsi être évalué à la date à laquelle, l'origine et l'étendue des dommages étant connues, Mme E... pouvait procéder aux travaux nécessaires de réparation, c'est-à-dire, en l'espèce, au 28 février 2019, date à laquelle a été déposé le rapport de l'expertise menée par son assureur. Mme E... ne justifie pas, par la seule production d'un courrier de sa banque attestant d'un retard de paiement de remboursement de son crédit, qu'elle ne disposait pas à cette date des fonds nécessaires pour entreprendre ces travaux. Dès lors, contrairement à ce que soutient Mme E..., il n'y a pas lieu d'actualiser par le devis d'Ascobat en date du 1er décembre 2021 l'indemnité due au titre du coût des travaux en fonction de l'évolution du coût de la construction, lequel doit être apprécié à la date de l'expertise et non à la date du versement de la provision. Par ailleurs, au regard de l'instruction, notamment du devis annexé au rapport d'expertise du 28 février 2019 et des constations de l'expertise menée par l'assureur du SDIS, il sera fait une exacte appréciation du préjudice matériel que la requérante a subi, en fixant la somme destinée à en assurer la réparation par la commune de Noyon à 91 004,45 euros au titre des travaux de réfection de l'immeuble, de la remise en état de la pompe à chaleur, de la réparation sur installation de forage, de la remise en état du robot de tonte de pelouse, du nettoyage des rideaux et du diable. La demande tendant à l'indemnisation du remplacement du parquet doit être écartée dès lors que sa réalité et le lien de causalité avec l'événement ne sont pas établis. En outre, il n'est pas contesté que la remise en conformité de la semelle de fondation a été prise en charge par la société Ascobat et la demande tendant à son indemnisation doit par conséquent être écartée.

12. En deuxième lieu, aucun élément de l'instruction ne permet d'établir, contrairement à ce que soutient Mme E..., à quelle date l'immeuble aurait pu être mis en location. Par suite, sa demande tendant à l'indemnisation de la perte locative, qui présente un caractère purement hypothétique, doit être écartée.

13. En dernier lieu, il ne ressort d'aucun des éléments de l'instruction que Mme E... aurait déjà été indemnisée par son assureur des préjudices au titre desquels le tribunal lui a accordé une indemnité.

14. Il résulte de ce qui précède que la commune de Noyon doit être condamnée à verser à Mme E... la somme de 91 004,45 euros, sous déduction de la provision déjà versée.

Sur l'appel en garantie de la commune de Noyon à l'encontre du SDIS de l'Oise :

15. La commune soutient que le SDIS du département de l'Oise est responsable du dommage subi par Mme E... dès lors qu'un exercice de formation a eu lieu le matin de l'événement durant lequel la vanne de remplissage a été manipulée et incorrectement fermée, alors que cette tâche est réservée à la commune, ce qui caractériserait une faute de service justifiant que le SDIS du département de l'Oise la garantisse de toute condamnation pécuniaire prononcée à son encontre. Il résulte de l'instruction qu'entre l'entraînement du SDIS durant lequel seule une petite quantité d'eau de la citerne a été utilisée et le sinistre, plus de huit heures se sont écoulées, et qu'un grand volume d'eau a été observé sortant de l'orifice d'alimentation de la citerne après l'explosion de la bâche, de telle sorte que si la vanne de remplissage n'avait pas été correctement fermée, la citerne aurait vraisemblablement atteint sa capacité maximale de contenance plus tôt dans la journée. Par ailleurs, il ne ressort pas de l'instruction que le SDIS n'était pas autorisé à manipuler la vanne de remplissage de la citerne. En outre, il ressort des témoignages de l'adjudant-chef Subreville, du caporal-chef B... et du sergent-chef A..., qui ne sont pas contradictoires contrairement à ce que soutient la commune, que les sapeurs-pompiers se sont assurés du fonctionnement normal de la vanne lors de l'entraînement, que la vanne a été correctement refermée après le remplissage de la citerne et que l'arrêt du compteur a été vérifié. Enfin, les rapports d'expertise de TGS et de Eurisk présentent plusieurs hypothèses quant à l'origine de la survenue du dommage telle que le défaut d'entretien de la citerne souple, un acte de vandalisme ou la vétusté de la membrane. Dans ces circonstances, alors qu'elle ne produit pas d'éléments suffisants afin de démontrer l'existence d'une faute de service du SDIS, la commune n'est pas fondée à appeler en garantie le SDIS de l'Oise.

Sur les conclusions à fin d'injonction au versement de l'indemnité :

16. Aux termes de l'article L. 911-9 du code de justice administrative : " Lorsqu'une décision passée en force de chose jugée a prononcé la condamnation d'une personne publique au paiement d'une somme d'argent dont elle a fixé le montant, les dispositions de l'article 1er de la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980, ci-après reproduites, sont applicables. / " Art. 1er. - I. - Lorsqu'une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée a condamné l'État au paiement d'une somme d'argent dont le montant est fixé par la décision elle-même, cette somme doit être ordonnancée dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de justice. / Si la dépense est imputable sur des crédits limitatifs qui se révèlent insuffisants, l'ordonnancement est fait dans la limite des crédits disponibles. Les ressources nécessaires pour les compléter sont dégagées dans les conditions prévues par l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances. Dans ce cas, l'ordonnancement complémentaire doit être fait dans un délai de quatre mois à compter de la notification. / À défaut d'ordonnancement dans les délais mentionnés aux alinéas ci-dessus, le comptable assignataire de la dépense doit, à la demande du créancier et sur présentation de la décision de justice, procéder au paiement (...) ".

17. Dès lors que les dispositions du II de l'article 1er de la loi du 16 juillet 1980, reproduites à l'article L. 911-9 du code de justice administrative, permettent à la partie gagnante, en cas d'inexécution d'une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée dans le délai prescrit, d'obtenir le mandatement d'office de la somme que la partie perdante est condamnée à lui verser par la même décision, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la première tendant à ce qu'il soit enjoint à celle-ci, sur le fondement des articles L. 911-1 et L. 911-3 du code de justice administrative, de payer cette somme sous astreinte. Par suite, les conclusions de Mme E... tendant à ce qu'il soit enjoint à la commune de Noyon, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, de lui payer la somme mentionnée au point 15 à laquelle la cour l'a condamnée doivent être rejetées.

Sur les intérêts et la capitalisation :

18. Mme E... est fondée à demander que la somme mentionnée au point 15, que la commune de Noyon est condamnée à lui verser, soit assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 novembre 2019, date de réception de sa demande préalable, sous réserve de la provision déjà versée. Par ailleurs, Mme E... a demandé la capitalisation des intérêts dans sa requête introductive d'instance, le 20 janvier 2020. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. En l'espèce, il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 5 novembre 2020, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les frais liés au litige :

19. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Noyon, partie perdante, le paiement d'une somme de 2 000 euros à verser au service départemental d'incendie et de secours du département de l'Oise ainsi que le paiement d'une somme de 2 000 euros à verser à Mme E... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par ailleurs, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la commune de Noyon, partie perdante, présentées sur le même fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : La commune de Noyon est condamnée à verser à Mme E... la somme de 91 004,45 euros avec intérêts au taux légal à compter du 5 novembre 2019, capitalisés à compter du 5 novembre 2020 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date, sous déduction de la provision déjà versée.

Article 2 : Le jugement du 31 mars 2022 du tribunal administratif d'Amiens est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : La commune de Noyon versera une somme de 2 000 euros au service départemental d'incendie et de secours du département de l'Oise et une somme de 2 000 euros à Mme E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme E... et des conclusions qu'elle a présentées par la voie de l'appel incident dans l'instance n°22DA01050 est rejeté.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la commune de Noyon et du service départemental d'incendie et de secours du département de l'Oise est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... E..., à la commune de Noyon, et au service départemental d'incendie et de secours du département de l'Oise.

Délibéré après l'audience publique du 9 janvier 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Nathalie Massias, présidente de la cour,

- M. Marc Baronnet, président-assesseur,

- M. Vandenberghe, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 janvier 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : M. C...La présidente de la cour,

Signé : N. Massias

La greffière,

Signé : A-S Villette

La République mande et ordonne à la préfète de l'Oise, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière

Anne-Sophie VILLETTE

N°22DA01038-22DA01050 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01038
Date de la décision : 23/01/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Massias
Rapporteur ?: M. Marc Baronnet
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : SCP SOULIE ET COSTE-FLORET;SCP SOULIE ET COSTE-FLORET;SCP LEPRETRE

Origine de la décision
Date de l'import : 28/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-23;22da01038 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award