Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société civile d'exploitation agricole (SCEA) Soclanb a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'autorisation tacite d'exploiter délivrée par le préfet de la région Normandie à M. D....
Par une ordonnance n° 2100353 du 8 août 2022, la présidente de la quatrième chambre du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande pour tardiveté.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 7 octobre 2022 et 21 septembre 2023, la SCEA Soclanb, représentée par Me Béatrice Ottaviani, demande à la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) d'annuler la décision d'autorisation tacite délivrée le 31 juillet 2020 à M. D... pour exploiter des parcelles situées sur le territoire des communes de Hautot-Saint-Sulpice et Rocquefort ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens.
Elle soutient que :
- la demande présentée devant le tribunal administratif de Rouen n'était pas tardive dès lors que les délais de recours contre la décision attaquée n'ont pas couru à l'égard des gérants de la société ;
- la décision attaquée n'est pas motivée ;
- le projet qu'elle porte répond aux objectifs du schéma directeur régional des exploitations agricoles ;
- sa demande est prioritaire par rapport à celle de M. D..., au sens des rangs de priorités définis par ce schéma.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 15 mai et 18 octobre 2023, M. B... D..., représenté par Me Nelly Leroux-Bostyn, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de condamner la SCEA Soclanb à lui verser une somme de 5 000 euros au titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
3°) de mettre à la charge de la SCEA Soclanb le paiement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que la demande de première instance était tardive et que les moyens soulevés par la société appelante ne sont pas fondés.
Par un mémoire, enregistré le 10 octobre 2023, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire demande à la cour de rejeter la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la SCEA Soclanb ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 4 octobre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 20 octobre 2023.
Un mémoire a été présenté pour la SCEA Soclanb le 23 octobre 2023, après la clôture de l'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guillaume Vandenberghe,
- et les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... A... a bénéficié d'un bail rural à compter du 11 décembre 2002 portant sur des parcelles situées à Hautot-Saint-Sulpice et Roquefort (Seine-Maritime), pour une superficie totale de 58 ha 28 a et 93 ca. Les propriétaires ont décidé de mettre fin à ce bail et ont donné congé au preneur le 7 juin 2019. M. B... D... a présenté le 19 décembre 2019 une demande d'autorisation d'exploiter ces parcelles. Une autorisation tacite est née le 31 juillet 2020 du silence gardé par le préfet de la Seine-Maritime à l'issue d'un délai de quatre mois, prolongé en raison de la crise sanitaire. La SCEA Soclanb, constituée de M. A... et de son frère, relève appel de l'ordonnance du 8 août 2022 par laquelle la présidente de la quatrième chambre du tribunal administratif de Rouen a rejeté pour irrecevabilité sa demande tendant à l'annulation de la décision d'autorisation d'exploiter.
Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :
2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " (...) les présidents de formation de jugement des tribunaux (...) peuvent, par ordonnance : / (...) 4º Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser.
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime : " L'autorité administrative assure la publicité des demandes d'autorisation dont elle est saisie, selon des modalités définies par décret. (...) ". Aux termes de l'article R. 331-4 du même code : " (...) Le service chargé de l'instruction fait procéder à la publicité de la demande d'autorisation d'exploiter dans les conditions prévues à l'article D. 331-4-1. Cette publicité porte sur la localisation des biens et leur superficie, ainsi que sur l'identité des propriétaires ou de leurs mandataires et du demandeur. (...) ". L'article D. 331-4-1 du même code dispose : " Les demandes d'autorisation d'exploiter sont affichées pendant un mois à la mairie des communes où sont situés les biens qui font l'objet de la demande et publiées sur le site de la préfecture chargée de l'instruction ". S'agissant de la décision d'autorisation d'exploiter, l'article R. 331-6 du code rural et de la pêche maritime dispose que : " I. Le préfet de région dispose d'un délai de quatre mois à compter de la date d'enregistrement du dossier complet mentionnée dans l'accusé de réception pour statuer sur la demande d'autorisation. (...) III. Le préfet de région notifie sa décision aux demandeurs, aux propriétaires et aux preneurs en place par lettre recommandée avec accusé de réception ou remise contre récépissé. Cette décision fait l'objet d'un affichage à la mairie de la commune sur le territoire de laquelle sont situés les biens. Elle est publiée au recueil des actes administratifs. (...) En cas d'autorisation tacite, une copie de l'accusé de réception mentionné à l'article R. 331-4 est affichée et publiée dans les mêmes conditions que l'autorisation expresse ".
4. Il n'est pas contesté que la demande présentée le 19 décembre 2019 par M. D..., dont le dossier était complet à la date de réception de cette dernière, et compte tenu de la suspension du délai d'instruction au regard de la période d'urgence sanitaire ayant pris fin le 24 juin 2020, a fait l'objet d'une décision tacite d'acceptation le 31 juillet 2020. Il ressort des pièces du dossier que l'accusé de réception du dossier complet de la demande d'autorisation a été affiché à compter du 22septembre 2020 dans les mairies concernées pendant une durée d'un mois et a fait l'objet d'une publication, le 25 septembre 2020, au recueil des actes administratifs de la préfecture de la région Normandie sous le n° R28-2020-91. Dans ces conditions, le délai de recours contentieux pour contester l'autorisation tacite d'exploiter délivrée à M. D... expirait ainsi le 26 novembre 2020. Or, la requête de la SCEA Soclanb a été enregistrée au greffe du tribunal le 3 février 2021, soit après l'expiration du délai du recours contentieux.
5. Si la société appelante déplore que cette décision ne lui ait pas été notifiée, il résulte des dispositions précitées que seuls les demandeurs, les propriétaires et les preneurs en place doivent en recevoir notification et que la SCEA Soclanb n'était pas, à la date de la décision tacite attaquée, locataire des parcelles en cause, le bail rural concédé à M. A... ayant pris fin le 7 juin 2019. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que la société appelante a été destinataire d'une lettre du 2 mars 2020 l'informant que la demande d'autorisation d'exploiter présentée par M. D... le 19 décembre 2019 ferait l'objet d'un passage en commission départementale d'orientation de l'agriculture de la Seine-Maritime du 7 avril 2020. De ce fait, la SCEA Soclanb ne pouvait pas ignorer l'existence de la demande d'autorisation d'exploiter présentée par M. D..., quelles qu'en aient été les modalités d'affichage.
6. En second lieu, aux termes de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. / Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués. ".
7. La SCEA Soclanb soutient que le délai de contestation de l'autorisation tacite d'exploiter a été prorogé par la demande de communication des motifs de cette décision faite le 3 février 2021 à la direction départementale des territoires et des populations de la Seine-Maritime. Toutefois, et alors même que la SCEA Soclanb n'était pas le demandeur intéressé et qu'il ne s'agissait pas d'une décision implicite de rejet, le délai de recours étant arrivé à expiration le 26 novembre 2020, la demande de communication des motifs formulée le 3 février 2021 n'a pas, en tout état de cause, pu avoir pour effet de proroger ce délai.
8. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'intérêt à agir de la SCEA Soclanb, la demande présentée par cette dernière au tribunal était tardive et cette société n'est, par suite, pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, la présidente de la quatrième chambre du tribunal administratif de Rouen l'a rejetée pour irrecevabilité manifeste.
Sur les conclusions de M. D... relatives à l'amende pour recours abusif :
9. Aux termes de l'article R. 741-12 du code de justice administrative : " Le juge peut infliger à l'auteur d'une requête qu'il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 3 000 euros ". La faculté prévue par ces dispositions constituant un pouvoir propre du juge, les conclusions de M. D... tendant à la condamnation de la société requérante à lui verser une amende à ce titre pour recours abusif sont irrecevables et ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de M. D... qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SCEA Soclanb le paiement d'une somme de 2 000 euros à verser à M. D... au titre de cet article.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SCEA Soclanb est rejetée.
Article 2 : La SCEA Soclanb versera à M. D... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par M. D... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SCEA Soclanb, à M. B... D... et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Copie en sera transmise au préfet de la Normandie, préfet de la Seine-Maritime.
Délibéré après l'audience publique du 31 octobre 2023 à laquelle siégeaient :
- M. Thierry Sorin, président,
- M. Marc Baronnet, président-assesseur,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 novembre 2023.
Le rapporteur,
Signé : G. VandenbergheLe président de chambre,
Signé : T. SorinLa greffière,
Signé : A.S. Villette
La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
Anne-Sophie Villette
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N°22DA02059