Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille, dans le dernier état de ses écritures, de condamner la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de région Hauts-de-France à lui verser, à titre principal, la somme totale de 33 883,94 euros et, à titre subsidiaire, la somme de 28 448,04 euros, en réparation des préjudices consécutifs à son licenciement.
Par un jugement n° 2006437 du 22 juin 2022, le tribunal administratif de Lille a condamné la chambre de commerce et d'industrie de région Hauts-de-France à verser à M. B... la somme de 2 387,21 euros en réparation de ses préjudices et a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 22 août 2022, et un mémoire en réplique enregistré le 26 septembre 2023, M. A... B..., représenté par Me Jamais, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement n° 2006437 du 22 juin 2022 en tant que le tribunal administratif de Lille a limité à la somme de 2 387,21 euros l'indemnité mise à la charge de la chambre de commerce et d'industrie de région Hauts-de-France en réparation des préjudices qu'il a subis ;
2°) de porter le montant de l'indemnité due en réparation de ses préjudices, à titre principal, à la somme totale de 39 384,14 euros, à titre subsidiaire, à la somme de 33 883,94 euros, et, à titre infiniment subsidiaire, à celle de 28 448,04 euros ;
3°) de mettre la somme de 3 500 euros à la charge de la chambre de commerce et d'industrie de région Hauts-de-France en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- sa mutation géographique de Saint-Quentin à Lille a été décidée en méconnaissance de l'article 2 de l'annexe 5 à l'article 28 du statut du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie dès lors que les possibilités éventuelles d'aménagement de l'organisation du travail du poste concerné ou de mutation fonctionnelle au sein de son établissement d'origine n'ont pas été envisagées au cours de l'entretien de concertation préalable le 27 mars 2019, que des aménagements d'horaires étaient en tout état de cause inenvisageables, que de tels aménagements ou un poste en télétravail auraient été refusés par l'employeur, et que la mutation n'a pas été prise dans le respect de sa vie privée et familiale ;
- la mutation litigieuse ne répond à aucun intérêt du service en lien avec une opération de réorganisation et de mutualisation des emplois et s'inscrit en réalité dans un projet de suppression des postes implantés en Picardie ;
- sa mutation à Lille et celle de sa compagne, également employée par la chambre de commerce et d'industrie, de Saint-Quentin à Laon constituent un détournement de procédure visant à le contraindre à présenter sa démission, évitant ainsi à la chambre de commerce et d'industrie de lui verser l'indemnité prévue en cas de licenciement pour suppression de poste ;
- les fautes commises par l'administration sont à l'origine d'un préjudice matériel constitué de la différence entre le montant de l'indemnité pour licenciement pour refus de mutation, qu'il a perçue, et celui de l'indemnité pour licenciement pour suppression de poste, et correspondant à la somme de 33 996,93 euros à titre principal, de 28 496,73 euros à titre subsidiaire ou de 23 060,83 euros à titre infiniment subsidiaire ;
- il a subi un second préjudice matériel en raison des frais de transport indûment exposés pour un montant de 387,21 euros, ainsi qu'un préjudice moral évalué à la somme de 5 000 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 5 décembre 2022, la chambre de commerce et d'industrie de région Hauts-de-France, représentée par Me Forgeois, conclut à l'annulation du jugement attaqué et au rejet de la demande présentée devant le tribunal administratif de Lille, et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge du requérant au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle n'a commis aucune faute au regard de l'article 2 de l'annexe 5 à l'article 28 du statut du personnel administratif dès lors que les éventuelles possibilités d'aménagement de l'organisation du travail du poste concerné ont été envisagées et que les contraintes familiales du requérant ont été prises en compte ;
- la mutation géographique du requérant était justifiée par l'intérêt du service et ne constitue aucunement un détournement de procédure ;
- le requérant ne saurait obtenir réparation pour avoir été privé de l'indemnité de licenciement pour suppression de poste dès lors que son poste n'a pas été supprimé mais transféré à Lille ;
- le montant demandé à ce titre est surévalué ;
- les autres préjudices invoqués ne sont pas établis, en l'absence de faute.
Un mémoire a été présenté le 6 octobre 2023 par la chambre de commerce et d'industrie de région Hauts-de-France, qui n'a pas été communiqué.
Par une ordonnance du 27 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée à la date du 6 octobre 2023, à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 52-1311 du 10 décembre 1952 ;
- l'arrêté du 25 juillet 1997 relatif au statut du personnel de l'assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie, des chambres régionales de commerce et d'industrie et des groupements interconsulaires ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- les conclusions de M. Carpentier-Daubresse, rapporteur public,
- et les observations de Me Forgeois, représentant la chambre de commerce et d'industrie de région Hauts-de-France.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a été recruté le 21 octobre 2002 en qualité de technicien informatique par la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de l'Aisne, à laquelle a succédé, comme employeur, la CCI de la région Picardie le 1er janvier 2013 puis la CCI de région Hauts-de-France le 1er janvier 2017. M. B..., qui exerçait son activité professionnelle à Saint-Quentin (Aisne), a été informé le 19 mars 2019 de la décision de transférer son poste de travail à Lille (Nord) dans le cadre d'un projet de mutualisation et de rationalisation des ressources de la CCI. Après un entretien de concertation préalable à mutation géographique le 27 mars 2019 et un avis de la commission paritaire régionale le 15 avril suivant, la CCI de région Hauts-de-France a prononcé la mutation géographique de M. B... à Lille, à compter du 3 juin 2019. L'intéressé ayant refusé d'accepter cette mutation, pour raisons familiales, la CCI de région Hauts-de-France lui a notifié, le 10 juillet 2019, sa décision de licenciement pour refus de mutation géographique, à l'initiative de l'employeur. Estimant que ce licenciement était intervenu dans des conditions irrégulières, M. B... a saisi le tribunal administratif de Lille en vue d'obtenir réparation de ses préjudices matériels et moraux pour un montant fixé, en dernier lieu, à la somme totale de 33 883,94 euros à titre principal et de 28 448,04 euros à titre subsidiaire. Par un jugement du 22 juin 2022, les premiers juges ont condamné la CCI de région Hauts-de-France à lui verser la somme de 2 387,21 euros et ont rejeté le surplus de ses conclusions. M. B... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires. La CCI de
région Hauts-de-France demande à la cour d'annuler le jugement attaqué et de rejeter la demande du requérant.
Sur la responsabilité :
2. Aux termes de l'article 2 de l'annexe 5 à l'article 28 du statut du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie : " La mutation géographique à l'initiative de l'employeur est décidée par la CCI employeur dans le cadre de l'organisation régionale des services et conduit à un transfert du poste entraînant une modification du lieu de travail de l'agent concerné. / (...) Tout agent concerné par une procédure de mutation géographique doit bénéficier d'un entretien de concertation préalable avec la direction des ressources humaines de la CCI qui l'emploie. Au cours de cet entretien, la direction des ressources humaines expose précisément la mesure envisagée et, notamment, ses conséquences quant au lieu de travail de l'agent concerné. Elle présente également les éventuelles possibilités d'aménagement de l'organisation du travail du poste concerné ou de mutation fonctionnelle au sein de l'établissement d'origine de l'agent. / La décision de mutation géographique est prise dans le respect de la vie familiale et personnelle de l'agent concerné. / (...) La notification doit être dûment motivée et préciser les motifs de la mutation géographique effectuée dans l'intérêt du service, dans le cadre de la réorganisation ; elle indique la date de prise des fonctions au minimum 1 mois après la notification et les nouvelles conditions d'emploi (...) ".
3. En premier lieu, il résulte de l'instruction, en particulier du courriel adressé le 3 avril 2019 par M. B... à la direction des ressources humaines de la CCI de
région Hauts-de-France, que les possibilités d'aménagement de l'organisation du travail du poste transféré à Lille ont été envisagées lors de l'entretien de concertation préalable du 27 mars 2019, au cours duquel ont notamment été évoqués un éventuel forfait horaire, l'aménagement des horaires de travail, la nécessité ou non d'une présence à plein temps à Lille, la fréquence des déplacements professionnels et les missions comprises dans le périmètre du poste. Les possibilités d'aménagement ont d'ailleurs été exposées sur ces différents points par l'administration, dans son courriel adressé en réponse le 12 avril 2019. La CCI de région Hauts-de-France doit donc être regardée comme ayant présenté, au cours de l'entretien de concertation, les possibilités d'aménagement de l'organisation du travail du poste transféré, au sens des dispositions précitées, quand bien même elles ne permettaient pas de répondre à l'ensemble des contraintes induites par la mutation du requérant. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que la CCI aurait commis une faute sur ce point.
4. En deuxième lieu, M. B... et sa compagne, également employée par la CCI de région Hauts-de-France, exerçaient tous les deux leur activité professionnelle à Saint-Quentin quand ils ont fait l'objet, en juin 2019, d'une mutation géographique respectivement à Lille et à Laon. Le couple avait alors à sa charge un enfant en bas âge et une fille de treize ans, issue d'une première union de la conjointe de M. B.... Il n'est pas contesté que l'affectation du requérant dans le département du Nord impliquait pour celui-ci un temps de trajet quotidien de cinq heures environ, alors que la mutation concomitante de sa compagne dans un secteur géographique éloigné de Lille ne permettait pas à celle-ci de l'y rejoindre. Répondant aux interrogations de M. B... sur un éventuel aménagement de poste afin de rendre celui-ci compatible avec les contraintes personnelles et familiales induites par son changement d'affectation, la direction des ressources humaines de la CCI s'est bornée à lui assurer, dans le courriel précité du 12 avril 2019, un examen attentif de ses demandes à venir d'aménagement d'horaires et de rapprochement familial. L'avenant à la lettre d'engagement prévoyant la mutation de M. B... à compter du 3 juin 2019 ne prévoyait aucune mesure d'aménagement ou d'organisation de son poste de travail compatible avec sa vie personnelle et familiale, conduisant l'intéressé à refuser la mutation à Lille dès le 14 juin suivant. Dans ces conditions, et ainsi que l'a jugé le tribunal administratif, la décision de mutation géographique prise à l'encontre de M. B... n'a pas été prise dans le respect de sa vie familiale et personnelle, en violation des dispositions précitées de l'article 2 de l'annexe 5 à l'article 28 du statut du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie.
5. En troisième lieu, il ressort du procès-verbal de l'assemblée générale du 30 novembre 2017 que la CCI de région Hauts-de-France a arrêté un schéma directeur régional qui prévoit la transformation des organismes consulaires picards, dont la CCI de l'Aisne, en chambres de commerce et d'industrie locales, ainsi qu'une évolution du réseau consulaire régional afin de permettre une meilleure mutualisation et rationalisation des ressources. L'assemblée générale de la CCI de région Hauts-de-France s'est prononcée le 27 septembre 2018 sur un plan d'orientation stratégique affirmant la poursuite de la politique engagée de réorganisation, de mutualisation, de rationalisation et d'ajustement des moyens humains, techniques et financiers des fonctions relevant du support et du pilotage des activités transversales, dont la fonction " systèmes d'information ". D'après le procès-verbal de la délibération du 27 septembre 2018, aucune des suppressions d'emploi envisagées dans le cadre de cette politique de mutualisation et de rationalisation ne concerne le poste occupé par M. B... à la CCI de l'Aisne. Il résulte de l'instruction, notamment du procès-verbal de la commission paritaire régionale du 8 avril 2019, que le transfert de deux postes, dont celui du requérant, a été décidé dans le cadre de la politique précitée de mutualisation et de rationalisation des ressources, impliquant un renforcement des équipes de la direction des systèmes d'information implantée à Lille. La circonstance que M. B... a été remplacé plusieurs mois après son refus d'accepter une mutation géographique à Lille ne suffit pas à démontrer que le transfert de poste, et donc cette mutation, ne répondaient pas aux objectifs poursuivis par la CCI de région Hauts-de-France dans la réorganisation de ses services. Par suite, la CCI est fondée à soutenir que la mutation géographique dont M. B... a fait l'objet est justifiée par l'intérêt du service.
6. En dernier lieu, si la CCI de région Hauts-de-France procède à des suppressions d'emplois dans le cadre de sa politique précitée de mutualisation et de rationalisation, il n'est pas établi qu'elle aurait entendu supprimer le poste occupé par M. B... à la CCI de l'Aisne, et non le transférer sur son site à Lille. Il résulte de ce qui a été au point précédent que, contrairement à ce que soutient le requérant, la mutation géographique induite par ce transfert de poste est justifiée par l'intérêt du service. L'absence de mesures d'accompagnement, notamment horaires, tenant compte de la situation familiale du requérant ne permet pas de caractériser une intention de son employeur de le placer dans une situation telle qu'il soit conduit à refuser la mutation et à démissionner. Par suite, il n'est pas établi que la décision de mutation aurait eu pour but de le contraindre à présenter sa démission, évitant à la CCI de lui verser une indemnité de licenciement pour suppression d'emploi.
7. Il résulte de ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que la CCI de région Hauts-de-France a méconnu les dispositions de l'article 2 de l'annexe 5 à l'article 28 du statut du personnel administratif des CCI, en application desquelles la décision de mutation doit être prise dans le respect de la vie familiale et personnelle de l'agent concerné.
Sur les préjudices :
8. En premier lieu, l'illégalité fautive commise par la CCI de région Hauts-de-France, qui a décidé la mutation de M. B... sans respecter sa vie familiale et personnelle, n'implique pas que l'intéressé, licencié pour avoir refusé cette mutation, perçoive une indemnité de licenciement pour suppression de poste. Il n'est donc pas fondé à demander l'indemnisation du préjudice financier résultant de la différence entre le montant de cette indemnité et celui de l'indemnité de licenciement pour refus de mutation qu'il a perçue.
9. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que la décision de mutation litigieuse a contraint M. B... à des déplacements professionnels à Lille pour un montant total de 707,20 euros, pris en charge par l'employeur dans la limite de 319,99 euros. Le requérant est donc fondé à obtenir l'indemnisation du préjudice résultant du reste à charge et correspondant à la somme de 387,21 euros.
10. En dernier lieu, le non-respect de sa vie familiale et personnelle est à l'origine pour M. B... d'un préjudice moral dont il sera fait, dans les circonstances de l'espèce, une plus juste appréciation en portant le montant de l'indemnité accordée par les premiers juges de la somme de 2 000 euros à celle de 4 000 euros.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a limité à 2 387,21 euros le montant des réparations mises à la charge de la CCI de région Hauts-de-France, qu'il y a lieu de porter à la somme de 4 387,21 euros. Il résulte également de ce qui précède que les conclusions incidentes présentées par la CCI ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont la CCI de région Hauts-de-France demande le versement au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la CCI de région Hauts-de-France une somme de 2 000 euros à verser à M. B... sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : L'indemnité mise à la charge de la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de région Hauts-de-France par le jugement du tribunal administratif de Lille n° 2006437 du 22 juin 2022 en réparation des préjudices subis par M. B... est portée de la somme de 2 387,21 euros à celle de 4 387,21 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Lille n° 2006437 du 22 juin 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : La CCI de région Hauts-de-France versera une somme de 2 000 euros à M. B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La requête de M. B... est rejetée pour le surplus.
Article 5 : L'appel incident de la CCI de région Hauts-de-France et ses conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de région Hauts-de-France.
Délibéré après l'audience publique du 17 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- Mme Dominique Bureau, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 novembre 2023.
Le président-rapporteur,
Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,
Signé : M.-P. ViardLa greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière
N. Roméro
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N° 22DA01834