Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par jugement du 7 avril 2021, le tribunal administratif de Lille a ordonné une expertise avant dire droit en vue de se prononcer sur l'imputabilité et l'étendue des préjudices allégués par Mme B..., avant de statuer sur les conclusions de sa requête tendant à la condamnation du centre hospitalier régional universitaire de Lille, du centre hospitalier de Valenciennes et de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM).
Par un mémoire complémentaire après expertise, Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'ordonner avant dire droit une nouvelle expertise, ou à défaut, un complément d'expertise, de condamner solidairement le centre hospitalier de Valenciennes et le centre hospitalier régional universitaire de Lille à lui verser la somme globale de 150 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis et d'ordonner l'exécution provisoire du jugement.
Par un jugement n° 1910594 du 25 mai 2022, le tribunal administratif de Lille a mis hors de cause l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), a rejeté la requête de Mme B... et a mis à sa charge définitive les frais d'expertise pour la somme de 1 500 euros.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 25 juillet 2022 et des mémoires, enregistrés les 7 et 23 juin 2023, Mme A... B..., représentée par Me Ludivine Denys puis par Me Alexia Navarro, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'ordonner, avant dire droit, une nouvelle expertise médicale ou à défaut un complément d'expertise, et de condamner solidairement le centre hospitalier de Valenciennes et le centre hospitalier universitaire de Lille à lui verser une provision de 20 000 euros ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner solidairement le centre hospitalier de Valenciennes et le centre hospitalier régional universitaire de Lille à lui verser la somme globale de 150 000 euros en réparation de ses préjudices ;
4°) d'ordonner l'exécution provisoire de l'arrêt à intervenir ;
5°) de mettre à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Lille et du centre hospitalier de Valenciennes, outre les dépens, le versement à Mme B... de la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le rapport d'expertise du Dr C... est entaché de nullité et de partialité dès lors qu'il méconnaît le principe du contradictoire ;
- une contre-expertise serait utile, ou à défaut, une expertise complémentaire dès lors que la première expertise devra être annulée et que l'expert a manqué de discernement et d'impartialité ;
- elle est fondée à solliciter le versement d'une provision au regard de ses préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux ;
- à titre subsidiaire, s'il n'était pas fait droit à sa demande de nouvelle expertise avant dire droit, elle est fondée à demander l'indemnisation des préjudices résultant des manquements dans sa prise en charge par le centre hospitalier de Valenciennes et le centre hospitalier universitaire de Lille.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 11 janvier et 21 juin 2023, le centre hospitalier de Valenciennes et le centre hospitalier régional universitaire de Lille, représentés par Me Didier Le Prado, concluent au rejet de la requête.
Ils font valoir que l'expertise est régulière et qu'ils n'ont commis aucune faute dans la prise en charge médicale de la requérante.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 janvier 2023, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me Samuel Fitoussi, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de le mettre hors de cause ;
3°) de mettre à la charge de tout succombant le paiement d'une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de Roubaix-Tourcoing qui n'a pas produit de mémoire.
Par ordonnance du 12 juin 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 12 juillet 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Hubert Demailly, représentant les centres hospitaliers de Lille et de Valenciennes.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B..., née le 31 juillet 1995, s'est présentée aux urgences du centre hospitalier de Valenciennes dans la soirée du 27 août 2016 en raison de douleurs intenses de l'œil gauche avec rougeur, œdème, larmoiement, photophobie et céphalées. Une kératite aiguë de l'œil gauche post-traumatique a alors été diagnostiquée et prise en charge. Les 28, 29 et 30 août 2016, alors que son état s'était dégradé, elle s'est rendue au centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Lille où a alors été diagnostiqué un ulcère cornéen de l'œil gauche par herpès. Elle a ensuite été hospitalisée en raison d'une infection bactérienne consécutive à la lésion de l'œil. Mme B..., estimant que les deux centres hospitaliers précités avaient commis des manquements durant sa prise en charge, a saisi le tribunal administratif de Lille, qui, par un jugement avant dire droit du 7 avril 2021, a ordonné une expertise afin d'apprécier la réalité des manquements allégués et d'évaluer l'étendue des préjudices subis. Mme B... relève appel du jugement du 25 mai 2022, par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa requête tendant à titre principal, à ce que soit ordonnée une contre-expertise, et à titre subsidiaire à la condamnation solidaire du centre hospitalier de Valenciennes et du centre hospitalier régional universitaire de Lille à l'indemniser en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis.
Sur la régularité du rapport d'expertise :
2. Le respect du caractère contradictoire de la procédure d'expertise implique que les parties soient mises à même de discuter devant l'expert des éléments de nature à exercer une influence sur la réponse aux questions posées par la juridiction saisie du litige. Lorsqu'une expertise est entachée d'une méconnaissance de ce principe ou lorsqu'elle a été ordonnée dans le cadre d'un litige distinct, ses éléments peuvent néanmoins, s'ils sont soumis au débat contradictoire en cours d'instance, être régulièrement pris en compte par le juge, soit lorsqu'ils ont le caractère d'éléments de pur fait non contestés par les parties, soit à titre d'éléments d'information dès lors qu'ils sont corroborés par d'autres éléments du dossier.
3. Il résulte de l'instruction que la requérante, qui soutient ne pas avoir eu connaissance de toutes les pièces du dossier médical d'expertise, n'a pas demandé la communication des comptes rendus partiel et complet d'examen bactériologiques alors même que ces documents étaient mentionnés dans le pré-rapport d'expertise dont elle a eu connaissance et que l'expert, a, en réponse à son dire, assuré que la procédure avait été contradictoire. Par ailleurs et en toute hypothèse, Mme B... avait connaissance des résultats des analyses bactériologiques, qu'elle ne conteste pas, dès lors que le contenu des comptes rendus est cité par l'expert et dans des pièces qu'elle a elle-même fournies, de telle sorte qu'elle était à même d'en discuter la teneur devant l'expert. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du rapport d'expertise doit être écarté.
4. Mme B... soutient également que l'expert a manqué d'impartialité et de discernement dès lors qu'il aurait porté un jugement sur son port de faux-ongles. Toutefois, il résulte des termes du rapport que l'expert s'est borné à souligner, dans le cadre de sa mission et dans des termes objectifs, les dangers que comportait le port de faux ongles lors de la manipulation des lentilles de contact, en raison des risques de lésions oculaires et du réservoir bactériologique présent sous l'ongle. En outre, eu égard au contenu précis et détaillé du rapport, qui répond à l'ensemble des questions posées, ainsi que des pièces jointes, la cour dispose des éléments nécessaires à la résolution du litige, de telle sorte qu'une autre expertise ne serait pas utile.
5. Il résulte de ce qui précède que l'expertise étant régulière, il n'y a pas lieu de l'écarter des débats non plus que de procéder à une expertise complémentaire.
Sur la responsabilité du centre hospitalier de Valenciennes :
6. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ". Aux termes de l'article L. 1110-5 du même code : " Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. / (...). "
7. Il résulte de l'instruction, que Mme B... s'est présentée le 27 août 2016 au service des urgences du centre hospitalier de Valenciennes en raison d'une douleur oculaire gauche majeure, de céphalées, de larmoiement réactionnel et de photophobie causées par une lésion de l'œil gauche don l'origine est liée au retrait sans précaution d'une lentille oculaire alors que Mme B... était parée de faux ongles. Contrairement à ce que soutient la requérante, l'examen pratiqué alors par le médecin urgentiste, lequel disposait des compétences requises et n'avait pas à se référer à un médecin ophtalmologue, était complet compte tenu des signes cliniques que présentait son œil gauche à ce stade, le médecin ayant ainsi cherché des signaux locaux de gravité tel qu'un cercle périkératique et ayant pratiqué un test à la fluorescéine. Par ailleurs, dans son expertise non utilement contredite sur ce point, le docteur C... qualifie l'examen d'exhaustif et souligne qu'il n'existait aucun signe clinique d'infection bactérienne à ce stade de sorte que des examens bactériologiques ne s'imposaient pas contrairement à ce que prétend la requérante ; de plus, le diagnostic d'ulcération cornéenne a bien été porté et un traitement qualifié de logique a été prescrit conformément aux règles de l'art et aux données acquises de la science au regard de l'ensemble de ces constations cliniques. Par suite, il y a lieu de considérer, à la suite de l'expert, que le centre hospitalier de Valenciennes n'a pas commis de faute dans la prise en charge de la requérante lors de son admission le 27 août 2016.
8. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à demander la condamnation de centre hospitalier de Valenciennes à lui verser une indemnité en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis.
Sur la responsabilité du centre hospitalier régional universitaire de Lille :
9. Il résulte de l'instruction que Mme B... s'est rendue, les 28 et 29 août 2016, au centre hospitalier régional universitaire de Lille en raison de la persistance et de l'aggravation de ses symptômes oculaires. L'intéressée, qui a d'abord été diagnostiquée comme porteuse d'une ulcération cornéenne herpétique le 28 août, a été hospitalisée le jour suivant en raison de l'apparition tant d'un abcès à la cornée de l'œil gauche que d'une infection par bactérie. Un traitement antibactérien lui a alors été prescrit en attendant les résultats de la mise en culture des prélèvements effectués le même jour. Il est constant que les traitements et examens doivent être adaptés aux constations cliniques, une antibiothérapie précoce non adaptée devant être évitée au risque de développer une résistance bactérienne, ainsi que le relève l'expert sans être contredit. En l'espèce, la requérante n'a présenté des signes localisés et infectieux graves, tels qu'un œdème palpébral et des sécrétions purulentes, que le 29 août 2016. Avant cette date, et contrairement à ce qu'elle allègue, les signes cliniques qu'elle présentait ne justifiaient pas d'utiliser un traitement antibiotique intensif et renforcé, le compte rendu de prise en charge du 28 août 2016 ne faisant apparaître, par exemple, aucun signe d'un état purulent de l'œil. Ainsi que le souligne l'expertise, le diagnostic d'ulcère herpétique ainsi que la prescription finale antiherpétique ont été logiques et adaptés aux constations cliniques. Par ailleurs et en tout état de cause, et alors même qu'aucun signe évocateur n'était apparu, les résultats des examens de mise en évidence de bactéries dépendent de la densité bactérienne, un prélèvement précoce le 28 août 2016 n'aurait ainsi pu mettre en évidence la présence de bactéries qu'avec une mise en culture, dont les résultats n'auraient été obtenus que le lendemain, soit le 29 août 2016, date à laquelle Mme B... avait déjà été hospitalisée et avait reçu une antibiothérapie renforcée et intensive. Dès lors, la démarche thérapeutique du centre hospitalier universitaire de Lille correspond aux connaissances acquises de la science médicale et était appropriée à l'évolution rapide de l'état de santé de Mme B... entre le début de son affection le 27 août et son hospitalisation le 29 août 2016. Par suite, l'appelante n'est pas fondée à soutenir que le centre hospitalier régional universitaire de Lille a commis une faute ou un retard fautif lors de sa prise en charge dans cet établissement.
10. Il résulte de tout ce qui précède, et sans donc qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise médicale, que Mme B... n'est pas fondée à invoquer la responsabilité solidaire du centre hospitalier de Valenciennes et du centre hospitalier régional universitaire de Lille ni, par suite, à demander leur condamnation tant au titre du versement d'une provision qu'au titre de l'indemnisation de ses préjudices.
Sur les conclusions aux fins d'exécution provisoire :
11. Les arrêts des cours administratives d'appel étant, par application des dispositions de l'article L. 11 du code de justice administrative, exécutoires de plein droit, les conclusions tendant à ce que soit prescrite l'exécution provisoire de la présente décision sont dépourvues d'objet et ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande et a mis à sa charge définitive les frais d'expertise. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement des articles R. 761-1 et L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. Par ailleurs, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées sur ce dernier fondement par l'ONIAM.
DÉCIDE :
Article 1 : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., au centre hospitalier de Valenciennes, au centre hospitalier régional universitaire de Lille, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie de Roubaix-Tourcoing.
Une copie en sera adressée, pour information, au docteur C..., expert.
Délibéré après l'audience publique du 10 octobre 2023 à laquelle siégeaient :
- M. Thierry Sorin, président de chambre,
- M. Marc Baronnet, président-assesseur,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 octobre 2023
Le rapporteur,
Signé : G. VandenbergheLe président de chambre,
Signé : T. Sorin
La greffière,
Signé : Anne-Sophie Villette
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
Anne-Sophie Villette
N°22DA01616 2