Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
MM. B... et F... A... et Mmes E... C... et D... A... ont demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à verser à M. B... A... la somme de 1 335 070,21 euros en réparation des préjudices résultant de l'accident médical non fautif qu'il a subi au décours de l'intervention chirurgicale réalisée le 19 juin 2015 au centre hospitalier universitaire (CHU) d'Amiens, à M. F... A... et Mme E... C... les sommes de 7 149 euros au titre des frais divers exposés par eux et de 60 000 euros chacun au titre de leurs préjudices propres et à Mme D... A... la somme de 20 000 euros au titre de ses préjudices propres.
Par un jugement n° 1901667 du 25 novembre 2021, le tribunal administratif d'Amiens a condamné l'ONIAM à verser à M. B... A... la somme de 772 846,51 euros au titre des préjudices subis et aux requérants la somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus de leurs conclusions.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 21 janvier 2022, 6 décembre 2022, 10 février 2023 et 7 mars 2023, MM. B... et F... A... et Mmes E... C... et D... A..., représentés par Me Colin Le Bonnois, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :
1°) de réformer ce jugement en tant qu'il a limité l'indemnisation de M. B... A... à la somme de 772 846,51 euros et a rejeté le surplus de leurs conclusions ;
2°) à titre principal, de surseoir à statuer sur les postes de préjudices " dépenses de santé actuelles et futures ", " assistance par une tierce personne à compter du 18 mars 2024 ", " pertes de gains professionnels actuelles et futures ", " incidence professionnelle " et " frais de logement adapté " et de condamner l'ONIAM, au titre de ses autres préjudices, à verser à M. B... A... une somme totale de 1 596 603,82 euros ;
3°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer seulement sur les postes de préjudice " assistance par une tierce personne à compter du 18 mars 2024 ", " pertes de gains professionnels actuelles et futures ", " incidence professionnelle " et " frais de logement adapté " et de condamner l'ONIAM, au titre de ses autres préjudices, à verser à M. B... A... une somme totale de 2 290 922,63 euros ;
4°) en tout état de cause, de condamner l'ONIAM à verser à M. F... A... et Mme E... C... les sommes de 7 149 euros au titre des frais divers exposés par eux et de 60 000 euros chacun au titre de leurs préjudices propres et à Mme D... A... la somme de 20 000 euros au titre de ses préjudices propres ;
5°) de mettre à la charge de l'ONIAM, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le paiement des sommes de 4 000 euros concernant M. B... A..., 1 500 euros chacun concernant M. F... A... et Mme E... C... et 1 000 euros concernant Mme D... A....
Ils soutiennent que :
- le poste de préjudice " dépenses de santé actuelles et futures " présente un caractère certain mais son chiffrage doit être réservé jusqu'à ce que M. B... A... dispose de l'ensemble des éléments nécessaires ; à titre subsidiaire, le poste de préjudice peut être évalué à 693 318,81 euros ;
- il y a lieu de confirmer l'indemnité de 5 317 euros allouée par les premiers juges au titre du poste de préjudice " frais divers " de M. B... A... ;
- en tenant compte d'un besoin d'assistance par tierce personne avant consolidation de 4 371 heures, incluant la majoration au titre des jours fériés et chômés, d'un coefficient horaire de 22 euros et de ce que M. B... A... n'a perçu aucune prestation au titre d'une aide humaine, l'indemnité allouée au titre de ce poste de préjudice doit être portée à 96 162 euros ;
- en tenant compte d'un besoin d'assistance par tierce personne après consolidation de 5 heures par jour, de la majoration au titre des jours fériés et chômés, d'un coefficient horaire de 22 euros et de ce que M. B... A... n'a perçu aucune prestation au titre d'une aide humaine, l'indemnité allouée au titre de ce poste de préjudice, pour la période allant jusqu'au 17 mars 2024, veille du 25ème anniversaire de M. B... A... où ses besoins devront être réévalués, doit être portée à 318 605,81 euros ;
- le poste de préjudice " frais de logement adapté " présente un caractère certain mais son chiffrage doit être réservé jusqu'à ce que M. B... A..., résidant actuellement au domicile de ses parents, s'installe dans son propre logement ;
- en tenant compte d'un surcoût de 705 euros sur les frais de permis de conduire, d'un surcoût de 23 490 euros sur les frais d'acquisition de chaque véhicule, d'un coût d'aménagement pour chaque véhicule de 17 962,82 euros, d'un besoin de renouvellement tous les cinq ans et du barème de capitalisation 2022 de la Gazette du Palais incluant un taux d'actualisation de -1%, l'indemnité allouée au titre des " frais de véhicule adapté " doit être portée à 621 519,01 euros ;
- M. B... A..., du fait de l'accident médical non fautif dont il a été victime, a subi un retard d'une année dans le suivi de sa scolarité, a rencontré par la suite d'importantes difficultés et a perdu une chance de s'orienter vers la formation de son choix, de sorte que son préjudice scolaire ferait l'objet d'une plus juste appréciation par l'allocation d'une indemnité portée à un montant de 30 000 euros ;
- les postes de préjudice " perte de gains professionnels " et " incidence professionnelle " présentent un caractère certain mais leur chiffrage doit être réservé jusqu'à l'évaluation actualisée qui doit intervenir au 25ème anniversaire de M. B... A... ;
- le déficit fonctionnel permanent, évalué par l'expert à 75%, doit être indemnisé par l'octroi d'une indemnité portée à un montant de 525 000 euros ;
- les parents et la sœur de M. B... A... ont subi des préjudices dont ils sont fondés à demander l'indemnisation ; les parents de M. B... A... ont exposé des frais de déplacement de 7 149,11 euros ainsi que des frais d'adaptation du logement familial de 57 272,02 euros ; ils subissent un préjudice d'affection qui doit être réparé par l'octroi d'une indemnité de 30 000 euros chacun ; les troubles qu'ils ont subis dans leurs conditions d'existence doivent de la même manière être indemnisés par l'octroi d'une indemnité de 30 000 euros chacun ; le préjudice d'affection de la sœur de M. B... A... et ses troubles dans ses conditions d'existence doivent être réparés par l'octroi d'indemnités respectivement de 15 000 euros et 5 000 euros.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 30 octobre 2022 et 27 décembre 2022, l'ONIAM, représenté par Me Sylvie Welsch, conclut au rejet de la requête d'appel et, par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement en ce qu'il a accordé à M. B... A... des indemnités au titre des postes de préjudices " assistance par une tierce personne temporaire ", " assistance par une tierce personne permanente " et " frais de véhicule adapté " et à ce que ces derniers postes soient, à titre principal, écartés ou, à titre subsidiaire, ramenés à de plus justes proportions.
Il fait valoir que :
- les conditions d'indemnisation de M. B... A... au titre de la solidarité nationale, prévues au II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, sont réunies ;
- les indemnités mises à sa charge doivent être déduites du montant de toutes indemnités déjà reçues d'autres organismes ;
- ainsi que l'ont fait à raison les premiers juges, l'indemnisation du poste de préjudice " dépenses de santé actuelles et futures " doit être écartée à défaut de production d'un état récapitulatif des prestations servies par l'ensemble des tiers payeurs ; en outre, les pièces produites par M. B... A... ne justifient ni de l'effectivité des dépenses auxquelles il dit être exposé, ni le montant des prestations servies par les tiers payeurs ;
- il y a lieu de confirmer l'indemnité de 5 317 euros allouée par les premiers juges au titre du poste de préjudice " frais divers " ;
- l'indemnisation des postes de préjudices " assistance par une tierce personne temporaire " et " assistance par une tierce personne permanente " doit être écartée à défaut de production d'un état récapitulatif des prestations servies par la maison départementale pour les personnes handicapées ;
- à titre subsidiaire, en tenant compte d'un besoin d'assistance par tierce personne avant consolidation de 4 179 heures, incluant la majoration au titre des jours fériés et chômés, d'un coefficient horaire de 13 euros et du montant de l'aide allouée au titre de la prestation complémentaire du handicap estimé à 22,65 euros par jour, l'indemnité allouée au titre du poste de préjudice " assistance par une tierce personne temporaire " ne saurait dépasser 42 386,49 euros ;
- à titre subsidiaire, en tenant compte d'un besoin d'assistance par tierce personne après consolidation de 5 heures par jour, de la majoration au titre des jours fériés et chômés, d'un coefficient horaire de 13 euros et du montant de l'aide allouée au titre de la prestation complémentaire du handicap estimé à 22,65 euros par jour, l'indemnité allouée au titre du poste de préjudice " assistance par une tierce personne permanente ", pour la période allant jusqu'au 17 mars 2024, veille du 25ème anniversaire de M. B... A..., ne saurait dépasser 172 533,65 euros ;
- l'indemnisation du poste de préjudice " frais de logement adapté " doit être écartée à défaut de production d'un état récapitulatif des prestations servies par la maison départementale pour les personnes handicapées ;
- l'indemnisation du poste de préjudice " frais de véhicule adapté " doit être écartée à défaut de production d'un état récapitulatif des prestations servies par la maison départementale pour les personnes handicapées ; à titre subsidiaire, en tenant compte d'un surcoût de 16 468 euros sur les frais d'acquisition et d'aménagement de chaque véhicule, d'un besoin de renouvellement tous les sept ans et d'un coefficient de capitalisation de 45,505, l'indemnité allouée au titre de ce poste de préjudice ne saurait dépasser 123 521,76 euros ;
- il y a lieu de confirmer l'indemnité de 8 000 euros allouée par les premiers juges au titre du poste " préjudice scolaire " ;
- il y a lieu d'écarter l'indemnisation des postes de préjudice " pertes de gains professionnels " et " incidence professionnelle " de la même manière que l'ont fait les premiers juges ;
- il y a lieu de confirmer l'indemnité de 325 000 euros allouée par les premiers juges au titre du poste " déficit fonctionnel permanent " ;
- les préjudices des victimes indirectes ne sont pas indemnisables au titre de la solidarité nationale.
La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise et à la compagnie d'assurance " Generali - L'équité " qui n'ont pas produit de mémoire.
Par ordonnance du 10 février 2023, la date de clôture de l'instruction a été fixée au 13 mars 2023 à 12 heures.
Un mémoire, présenté pour les consorts A... et enregistré le 8 septembre 2023, n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guillaume Toutias, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., né le 18 mars 1999, souffre d'une scoliose idiopathique évolutive depuis l'âge de deux ans. Le 19 juin 2015, il a été pris en charge au centre hospitalier universitaire (CHU) d'Amiens pour une arthrodèse vertébrale postérieure de T4 à L1. Les suites opératoires sont marquées par l'apparition d'une paraplégie complète sur hématome épidural, qui a conduit à une reprise chirurgicale pour évacuation par laminectomie le 21 juin 2015. M. A... a néanmoins conservé une paraplégie complète des membres inférieurs ainsi que des troubles sphinctériens et sexuels.
2. M. B... A... étant encore mineur, ses parents ont saisi la commission de conciliation et d'indemnisation (CCI) de Picardie le 10 février 2016, qui a sollicité une première expertise médicale, dont le rapport a été rendu le 3 août 2016, puis une seconde expertise, dont le rapport a été rendu le 12 mars 2017. Par un avis du 20 avril 2017, la CCI a estimé que la réparation incombait à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) au titre de la solidarité nationale. Un protocole transactionnel partiel a été conclu le 27 septembre 2017 entre M. A... et l'ONIAM sur les chefs de préjudices suivants : " déficit fonctionnel temporaire ", " souffrances endurées ", " préjudice d'agrément ", " préjudice esthétique permanent ", " préjudice sexuel " et " préjudice d'établissement ".
3. Par un jugement du 25 novembre 2021, le tribunal administratif d'Amiens, saisi par les consorts A..., a condamné l'ONIAM à verser à M. B... A..., au titre des autres préjudices qu'il a subis, la somme de 772 846,51 euros et a rejeté le surplus des conclusions de leur requête. Les consorts A... relèvent appel de ce jugement en tant qu'il a limité l'indemnisation des préjudices de M. B... A... à la somme de 772 846,51 euros, qu'il a refusé de réserver l'indemnisation de certains de ces préjudices et qu'il a écarté l'indemnisation des préjudices subis par les parents et la sœur de ce dernier. Par la voie de l'appel incident, l'ONIAM demande à la cour d'écarter l'indemnisation des postes de préjudices " assistance par une tierce personne temporaire ", " assistance par une tierce personne permanente " et " frais de véhicule adapté " ou, à tout le moins, de ramener les indemnités à de plus justes proportions.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les conclusions à fin de sursis à statuer sur certains préjudices :
4. L'autorité relative de la chose jugée ne peut être utilement invoquée en l'absence d'identité d'objet, de cause et de parties. L'autorité de chose jugée attachée au jugement rendu sur une demande indemnitaire porte sur l'ensemble des chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages invoqués par la victime, causés par le même fait générateur et dont elle supporte la charge financière, à l'exception de ceux qui, tout en étant causés par le même fait générateur, sont nés, se sont aggravés ou ne se sont révélés dans toute leur ampleur que postérieurement à la première réclamation préalable de la victime ou de ceux qui ont été expressément réservés dans sa demande.
5. En l'espèce, M. B... A... a, de manière constante, expressément réservé l'indemnisation des postes de préjudices suivants : " dépenses de santé actuelles et futures ", " assistance par une tierce personne à compter du 18 mars 2024 ", " pertes de gains professionnels actuelles et futures ", " incidence professionnelle " et " frais de logement adapté ". Ce faisant, il doit être regardé comme ayant exclu ces postes de préjudices de l'objet de sa demande indemnitaire. Il découle des principes rappelés au point précédent que M. B... A... conservera la faculté, s'il se croit fondé à le faire, de présenter une nouvelle demande indemnitaire portant spécifiquement sur ces postes. Il s'ensuit que les consorts A... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté leurs conclusions tendant à ce que ces postes de préjudices soient réservés.
En ce qui concerne les conclusions à fin indemnitaire :
S'agissant de l'indemnisation au titre de la solidarité nationale :
6. Les consorts A... réitèrent que M. B... A... doit être regardé comme ayant été victime d'un accident médical non fautif ayant emporté des conséquences graves et anormales au sens des dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu pour la cour, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges, de les regarder comme étant fondés à demander que l'ONIAM soit condamné à indemniser les préjudices ayant résulté de cet accident au titre de la solidarité nationale, ce à quoi celui-ci a au demeurant déclaré en défense ne pas s'opposer.
S'agissant de l'indemnisation de M. B... A... :
7. Il résulte de l'instruction, notamment des rapports d'expertise médicale remis devant la CCI les 3 août 2016 et 12 mars 2017, que, s'il est susceptible de quelques évolutions et si certains préjudices de M. B... A... peuvent faire l'objet d'une meilleure évaluation à son 25ème anniversaire, l'état de santé de ce dernier n'en demeure pas moins médicalement consolidé au 8 mars 2017.
Quant aux frais divers :
8. Ni les consorts A..., ni l'ONIAM ne contestent en appel l'indemnité de 5 317 euros allouée par les premiers juges au titre des frais divers, qu'il y a dès lors lieu de confirmer.
Quant à l'assistance par une tierce personne temporaire :
9. Le principe de la réparation intégrale du préjudice impose que les frais liés à l'assistance à domicile de la victime par une tierce personne, alors même qu'elle serait assurée par un membre de sa famille, soient évalués à une somme qui ne saurait être inférieure au montant du salaire minimum augmenté des charges sociales, appliqué à une durée journalière, dans le respect des règles du droit du travail. Afin de tenir compte des congés payés et des jours fériés prévus par l'article L. 3133-1 du code du travail, il y a lieu, ainsi d'ailleurs que le prévoit le référentiel de l'ONIAM, de calculer l'indemnisation sur la base d'une année de 412 jours.
10. Il résulte de l'instruction, notamment des rapports d'expertise médicale remis devant la CCI les 3 août 2016 et 12 mars 2017, que M. B... A..., entre la survenue de l'accident médical non fautif dont il a été victime et la date de consolidation de son état de santé, a nécessité, du fait de la paraplégie et des escarres qu'il a développées, l'aide d'une tierce personne. Les experts ont considéré que ce besoin d'aide par une tierce personne non spécialisée a été permanent lors des permissions de sortie dont M. B... A... a bénéficié au cours de son hospitalisation et lors du mois ayant suivi sa sortie de l'hôpital le 18 septembre 2015. A compter du 19 octobre 2015, ils ont évalué le besoin d'assistance par une tierce personne à 5 heures par jour d'aide non spécialisée pour les actes de la vie courante, à une heure par jour d'aide non spécialisée pour les sorties et l'accompagnement et à une demi-heure par jour d'aide spécialisée pour les soins infirmiers. Les consorts A... ne sollicitent aucune indemnisation au titre de l'aide spécialisée pour les soins infirmiers qui a, selon leurs déclarations, fait l'objet d'une prise en charge spécifique. Ils justifient en revanche, par les courriels que les services du conseil départemental de l'Oise leur ont adressés les 1er juillet 2020 et 12 janvier 2023, qu'aucune aide ou prestation ne leur a été accordée au titre du besoin non spécialisé d'assistance par une tierce personne. Dès lors, contrairement à ce que soutient l'ONIAM en défense, il n'y a pas lieu d'écarter l'indemnisation de ce poste de préjudice au motif que les appelants ne justifieraient pas des prestations reçues. L'ONIAM ne conteste par ailleurs pas l'évaluation des besoins d'aide par une tierce personne faite par les experts.
11. Il s'ensuit qu'il y a d'abord lieu de considérer une indemnisation au titre de la période courant du 21 juin 2015, date de survenue du dommage, au 18 octobre 2015 inclus, date d'expiration du délai d'un mois suivant le retour à domicile. Par les fiches d'autorisation de sortie qu'il produit, M. B... A... justifie avoir bénéficié d'autorisations de sortie les 8, 9, 15, 16 et 21 au 23 août 2015 et les 4 au 6 et 11 au 13 septembre 2015, soit un total de 172 heures. Par ailleurs, ce sont 732 heures qui séparent sa sortie de l'hôpital dans la journée du 18 septembre 2015 et la fin de la journée du 18 octobre 2015. Compte tenu du besoin d'assistance permanent sur cette période, le volume d'heures indemnisables s'établit donc à 904 heures.
12. Il y a ensuite lieu de considérer une indemnisation au titre de la période courant du 19 octobre 2015 au 8 mars 2017 inclus, date de la consolidation de l'état de santé de M. B... A..., soit 507 jours. Il y a toutefois lieu de retrancher la période du 26 avril 2016 au 3 mai 2016 pendant laquelle M. B... A... a été hospitalisé pour une reprise chirurgicale et pendant laquelle ses besoins d'assistance par une tierce personne ont été pris en charge dans le cadre de l'hospitalisation. Compte tenu du besoin d'assistance par une tierce personne non spécialisée de 6 heures par jour évalué par les experts, le volume d'heures indemnisables sur cette période s'établit donc à 2 994 heures.
13. Il en résulte un volume total d'heures indemnisables de 3 898 heures, qu'il y lieu de porter à 4 399 heures pour tenir compte des dimanches, jours fériés et jours de congés, ainsi qu'il a été dit au point 9. Compte tenu d'un montant moyen de 13,50 euros par heure, représentatif des valeurs du salaire minimum interprofessionnel de croissance et des taux moyens des cotisations sociales obligatoires sur cette période, il sera fait une juste évaluation du préjudice subi par M. B... A... sur cette période en lui allouant une indemnité de 59 386,50 euros.
Quant à l'assistance par une tierce personne permanente jusqu'au 17 mars 2024 :
14. Il résulte de l'instruction, notamment des rapports d'expertise médicale remis devant la CCI les 3 août 2016 et 12 mars 2017, que M. B... A..., à partir de la date de consolidation de son état de santé, conserve une paraplégie complète des membres inférieurs à l'origine d'un besoin d'assistance par une tierce personne non spécialisé de 5 heures par jour pour les actes de la vie courante, les sorties et l'accompagnement et un besoin d'assistance spécialisée d'une demi-heure par jour pour les soins infirmiers. Les consorts A... ne sollicitent aucune indemnisation au titre de l'aide spécialisée pour les soins infirmiers qui a, selon leurs déclarations, fait l'objet d'une prise en charge spécifique et qui n'est au demeurant retenu par les experts que jusqu'à la guérison des escarres développées par M. B... A.... Il résulte en outre des expertises que le besoin d'aide non spécialisée de 5 heures par jour ne présente un caractère certain que jusqu'au 17 mars 2024, veille du 25ème anniversaire de M. B... A..., date à laquelle une réévaluation sera nécessaire. Au demeurant, ainsi qu'il a été rappelé au point 5, les consorts A... doivent être regardés comme ayant de toute façon expressément réservé l'indemnisation de ce poste de préjudice à compter du 18 mars 2024 et l'avoir exclu de l'objet de la présente demande indemnitaire. Enfin, contrairement à ce que soutient l'ONIAM en défense, il n'y a pas lieu d'écarter l'indemnisation de ce poste de préjudice au motif que les consorts A... ne justifieraient pas des prestations reçues, pour les motifs rappelés au point 10.
15. Il s'ensuit qu'il y a lieu de considérer une indemnisation au titre de la période courant du 9 mars 2017 au 17 mars 2024 inclus, soit 2 566 jours, qu'il y lieu de porter à 2 896 jours pour tenir compte des dimanches, jours fériés et jours de congés ainsi qu'il a été dit au point 9. Compte tenu, d'une part, du besoin d'assistance par une tierce personne non spécialisée de 5 heures par jour évalué par les experts et non contesté par l'ONIAM et, d'autre part, d'un montant moyen de 14,50 euros par heure, représentatif des valeurs du salaire minimum interprofessionnel de croissance et des taux moyens des cotisations sociales obligatoires sur cette période, il sera fait une juste évaluation du préjudice subi par M. B... A... sur cette période en lui allouant une indemnité de 209 960 euros.
Quant aux frais de véhicule adapté :
16. Il résulte de l'instruction, notamment des rapports d'expertise médicale remis devant la CCI les 3 août 2016 et 12 mars 2017, que la paraplégie de M. B... A... est compatible avec la conduite d'un véhicule automobile pour autant que celui-ci fasse l'objet d'aménagements permettant à M. A... de s'installer au volant en toute autonomie, de disposer de l'ensemble des commandes au volant et de disposer d'un dispositif automatique de rangement de son fauteuil roulant. Il résulte d'un devis établi par la société " Lenoir " le 6 juillet 2017 que les dispositifs de commande au volant étaient alors facturés 4 325 euros hors taxes et le dispositif d'aide au transfert 1 095 euros hors taxes par siège aménagé. Si ce devis inclut également un montant de 10 319 euros hors taxes pour un dispositif de rangement automatique du fauteuil roulant dans le coffre du véhicule à l'aide d'un robot, il résulte de la documentation produite en défense par l'ONIAM, notamment du guide " handicap et automobile 2017 ", qu'il existe des alternatives moins onéreuses, alors facturées 5 138 euros par la même société que celle sollicitée par M. A.... Il s'ensuit qu'il sera fait une juste appréciation des coûts d'aménagement auxquels M. A... sera durablement exposé lors de l'acquisition de chacun de ses véhicules en retenant la somme globale de 12 000 euros par véhicule. Il y a en outre lieu d'ajouter à cette somme le surcoût auquel M. A... sera durablement exposé lors de l'achat de ses véhicules dès lors que celui-ci sera contraint de s'orienter vers des véhicules suffisamment spacieux pour faciliter ses transferts sur le poste de conduite et contenir le cas échéant son fauteuil roulant. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation de ce surcoût en retenant la somme de 6 000 euros par véhicule.
17. Il s'ensuit que les frais de véhicule adapté dont M. B... A... est fondé à demander à être indemnisé s'élèvent à 18 000 euros par véhicule. Compte tenu d'une fréquence de renouvellement d'un véhicule tous les sept ans, il y a lieu d'évaluer à 2 571 euros le préjudice annuel subi par M. A..., lié à l'acquisition, l'aménagement et l'adaptation de son véhicule. Ce surcoût doit être capitalisé de manière viagère, à compter de la date de la première acquisition d'un véhicule, en septembre 2022. Sur la base du coefficient de 56,686 applicable à un homme âgé de 23 ans selon le barème de capitalisation de la Gazette du Palais 2022 incluant un taux d'actualisation de 0%, lequel correspond le mieux aux données économiques prévalant à la date du présent arrêt, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par M. A... en lui allouant une indemnité de 145 740 euros. Il y a lieu d'ajouter à cette somme le montant de 705 euros, non contesté par l'ONIAM, correspondant au surcoût résultant de la nécessité pour M. A... d'obtenir un permis de conduire spécifique. L'indemnité totale allouée à M. A... au titre des frais ainsi exposés doit donc être fixée à 146 445 euros.
Quant au préjudice scolaire :
18. Il résulte de l'instruction que, du fait de l'accident médical non fautif dont il a été victime en juin 2015, M. A... a été contraint de reporter son passage en classe de 1ère à la rentrée de septembre 2016 et a ainsi subi un allongement d'études d'un an. A partir de la reprise de sa scolarité, les séquelles qu'il a conservées et ses absences liées à ses obligations de soin et de suivi ont nui à ses apprentissages et à ses résultats. Ses choix d'orientation universitaire ont en outre été contraints par les considérations liées à son handicap. Il s'ensuit que les premiers juges ont fait une juste appréciation du préjudice scolaire, de formation et universitaire qu'il a subi en lui allouant une indemnité de 8 000 euros.
Quant au déficit fonctionnel permanent :
19. Il résulte de l'instruction, notamment des rapports d'expertise médicale remis devant la CCI les 3 août 2016 et 12 mars 2017, que M. B... A..., qui était âgé de 18 ans à la date de consolidation de son état de santé, a conservé une paraplégie complète des membres inférieurs ainsi que des troubles sphinctériens et sexuels, ce qui conduit les experts à évaluer son déficit fonctionnel permanent à 75%. Il sera fait une juste appréciation de son préjudice, à la suite des premiers juges, en lui allouant une indemnité de 325 000 euros.
20. Il résulte de ce qui précède que l'ONIAM doit, au titre de la solidarité nationale, être condamné à verser une somme de 754 108,50 euros à M. B... A..., en réparation de l'accident médical non fautif dont il a été victime, à l'exception des postes de préjudices mentionnés au point 5 qui ont été expressément réservés.
S'agissant de l'indemnisation de M. F... A... et Mmes E... C... et D... A... :
21. Les dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ne prévoient d'indemnisation au titre de la solidarité nationale que pour les préjudices du patient et, en cas de décès, de ses ayants droit. Par suite, ces dispositions excluent, lorsque la victime n'est pas décédée, l'indemnisation des victimes " par ricochet ". En l'espèce, M. B... A..., victime principale de l'accident médical non fautif en litige, n'est pas décédé. Il s'ensuit que c'est à bon droit que le tribunal a considéré que ni ses parents, M. F... A... et Mme E... C..., ni sa sœur, Mme D... A..., ne sont fondés à demander la condamnation de l'ONIAM à les indemniser des préjudices propres qu'ils ont subis.
22. Il résulte de tout ce qui précède que les consorts A... ne sont pas fondés à demander la majoration de l'indemnité que l'ONIAM a été condamné à verser à M. B... A... par les premiers juges, ni à soutenir que c'est à tort que ces derniers ont rejeté leurs conclusions à fin d'indemnisation de M. F... A... et Mmes E... C... et D... A.... L'ONIAM, par la voie de l'appel incident, est quant à lui fondé à demander que la somme de 772 846,51 euros qu'il a été condamné par les premiers juges à verser à M. B... A... soit ramenée à 754 108,50 euros.
Sur les frais liés à l'instance :
23. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions des consorts A... présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Les droits de M. B... A..., au titre des postes de préjudices " dépenses de santé actuelles et futures ", " assistance par une tierce personne à compter du 18 mars 2024 ", " pertes de gains professionnels actuelles et futures ", " incidence professionnelle " et " frais de logement adapté ", sont réservés.
Article 2 : La somme de 772 846,51 euros que l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales a été condamné à verser à M. B... A... par le jugement n° 1901667 du 25 novembre 2021 du tribunal administratif d'Amiens est ramenée à 754 108,50 (sept cent cinquante-quatre mille cent huit euros et cinquante centimes).
Article 3 : Le jugement n° 1901667 du 25 novembre 2021 du tribunal administratif d'Amiens est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à MM. B... et F... A... et Mmes E... C... et D... A... et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Copie en sera adressée à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise et à la compagnie d'assurance " Generali - L'équité ".
Délibéré après l'audience publique du 27 septembre 2023 à laquelle siégeaient :
- M. Thierry Sorin, président de chambre,
- M. Marc Baronnet, président-assesseur,
- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 octobre 2023.
Le rapporteur,
Signé : G. ToutiasLe président de chambre,
Signé : T. Sorin
La greffière,
Signé : A.S. Villette
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière
Anne-Sophie Villette
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N°22DA00140