Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 17 mars 2022 et un mémoire enregistré le 5 juin 2023, la société Parc éolien du Moulin de la Tour, représentée par Me François Versini-Campinchi, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 18 janvier 2022 par lequel la préfète de la Somme a rejeté sa demande d'autorisation environnementale tendant à construire et exploiter un parc éolien composé de quatre aérogénérateurs et d'un poste de livraison sur le territoire des communes de Fontaine-le-Sec et de Forceville-en-Vimeu ;
2°) de délivrer l'autorisation sollicitée en enjoignant à la préfète de la Somme de l'assortir des prescriptions nécessaires dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé ;
- le projet ne porte pas d'atteinte excessive aux monuments et sites protégés ;
- il ne porte pas d'atteinte excessive aux paysages.
Par un mémoire en défense enregistré le 19 avril 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens contenus dans la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Stéphane Eustache, premier conseiller,
- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,
- et les observations de Me Maxime Louis représentant la société Parc éolien du Moulin de la Tour.
Considérant ce qui suit :
1. La société Parc éolien du Moulin de la Tour a déposé le 27 juillet 2021 et complété en dernier lieu le 28 janvier 2021, une demande d'autorisation environnementale aux fins de construire et d'exploiter un parc éolien composé de quatre aérogénérateurs et d'un poste de livraison sur le territoire des communes de Fontaine-le-Sec et de Forceville-en-Vimeu. Par un arrêté du 18 janvier 2022, la préfète de la Somme a rejeté sa demande. La société Parc éolien du Moulin de la Tour demande l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
2. Aux termes du I de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles (...) L. 511-1 du code de l'environnement (...) ". Figurent notamment parmi ces intérêts " la commodité du voisinage ", " la protection de la nature, de l'environnement et des paysages ", " la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique ".
3. Pour refuser de délivrer l'autorisation sollicitée par la société Parc éolien du Moulin de la Tour, la préfète de la Somme s'est fondée sur une atteinte excessive aux monuments et aux paysages.
En ce qui concerne l'état initial :
4. Il résulte de l'instruction que le projet doit prendre place aux confins des départements de la Somme et de l'Oise, à l'est d'Oisemont, sur des parcelles agricoles appartenant, selon l'Atlas des paysages de la Somme, à l'unité paysagère du " plateau de Vimeu ", à proximité immédiate du paysage des " vallées vertes du Vimeu ", qualifié d'" emblématique " par l'ouvrage Paysages emblématiques de Picardie en raison notamment de ses coteaux ourlés de zones arborées. Autour du projet, se trouvent plusieurs parcs éoliens construits ou autorisés, comprenant 45 éoliennes dans un rayon de cinq kilomètres et 290 éoliennes dans un rayon de vingt kilomètres.
5. En outre, le projet est entouré de douze monuments remarquables dans un rayon de six kilomètres, dont le moulin inscrit d'Yonville situé à 1,7 kilomètres, le moulin inscrit de Frucourt situé à 3,3 kilomètres, le château de Frucourt, sa ferme et son parc classés situés à 4,2 kilomètres et le domaine du château classé de Rambures situé à 5,4 kilomètres. Dans un rayon de dix kilomètres, se trouvent également le domaine du château inscrit de Foucaucourt-Hors-Nesle situé à 5,9 kilomètres, ainsi que la motte féodale du Translay, site inscrit situé à 7,6 kilomètres.
En ce qui concerne les incidences sur les monuments :
6. S'agissant du moulin de Frucourt, si les aérogénérateurs du projet, d'une hauteur de 165 mètres en bout de pales, sont covisibles avec cet édifice, il résulte de l'instruction et notamment du photomontage n°4 qu'ils apparaîtront à l'horizon, depuis un circuit de randonnée, dans un rapport d'échelle similaire au boisement environnant, sans nuire à la perception de ce moulin fortifié dans le paysage.
7. S'agissant du château de Foucaucourt-Hors-Nesle, si la préfète de la Somme et le ministre affirment que le projet sera directement visible depuis cet édifice, ils ne produisent aucun élément précis et documenté à l'appui de leurs dires, alors que le château est entouré d'arbres de haut jet et qu'il se situe à près de six kilomètres du projet. En outre, s'il est vrai que ce dernier sera visible en certains endroits au sein du périmètre de protection entourant cet édifice dans un rayon de 500 mètres, il résulte de l'instruction et notamment du photomontage n° 15 qu'un des aérogénérateurs sera en grande partie dissimulé par un boisement et que les autres aérogénérateurs apparaîtront à l'horizon sans marquer excessivement le paysage dans un rapport d'échelle comparable aux éoliennes du parc autorisé des Blancs Monts.
8. S'agissant du château de Rambures, il résulte de l'instruction et notamment des photomontages nos 60 et 61 que le projet ne sera pas visible depuis le chemin de ronde ou les tours d'angle de l'édifice, en raison des hautes frondaisons des arbres implantés dans son parc. Depuis la terrasse du château, le projet sera en grande partie dissimulé par les platanes de haut jet bordant l'allée principale, comme le montre le photomontage n° 62. Si la préfète de la Somme et le ministre soutiennent que ces arbres, caducs, n'occulteront plus le projet en période hivernale, la requérante fait valoir à bon droit que, durant cette période, la densité des troncs et des ramures continuera de servir partiellement de filtre visuel et que le projet, implanté à cinq kilomètres, ne marquera pas les vues depuis les parties protégés du domaine.
9. S'agissant de la motte féodale du Translay, il résulte de l'instruction et notamment du photomontage n° 31 que, depuis la sortie du village éponyme sur la route départementale n° 936, seules les parties supérieures des aérogénérateurs seront covisibles avec ce site inscrit, distant de plus de sept kilomètres, sans l'occulter ni le dominer, alors que l'aérogénérateur E3 dissimulera celui E4 et que, par ailleurs, d'autres parcs éoliens apparaissent à l'horizon.
10. Dans ces conditions, en estimant que le projet porterait une atteinte excessive aux monuments, la préfète de la Somme a entaché l'arrêté attaqué d'une erreur d'appréciation.
En ce qui concerne les incidences sur les paysages :
11. Il est vrai qu'il résulte de l'instruction et notamment des photomontages nos 42, 69 A, 99 et 100 que, vus depuis la route départementale n°936 qui sillonne la vallée sèche du Vimeu entre Oisemont et Woirel, ou depuis les hauteurs de Wiry-au-Mont ou de Fontaine-le-Sec en direction d'Oisemont, les aérogénérateurs du projet s'inscrivent de manière prégnante dans le paysage, en surplombant les boisements qui encadrent cette vallée.
12. Toutefois, d'une part, par sa localisation en périphérie d'Oisemont, le projet ne sera pas implanté au sein d'une des " structures paysagères majeures " des vallées du Vimeu telles qu'identifiées par l'Atlas des paysages de la Somme, notamment pas au sein de la vallée de Wiry et de ses zones boisées. D'autre part, par sa disposition spatiale ramassée le long de la route départementale n° 936 et par le faible nombre d'aérogénérateurs, le projet occupera un angle visuel limité dans le paysage qui ne bénéficie pas d'une protection particulière. Dans ces conditions, la préfète de la Somme ne pouvait estimer à bon droit que le projet porterait une atteinte excessive au paysage.
13. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen tiré d'un défaut de motivation, que l'arrêté du 18 janvier 2022 de la préfète de la Somme doit être annulé.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
14. Dans les circonstances de l'espèce, alors que ni le ministre ni le préfet de la Somme ne se prévalent d'un autre motif de refus que ceux mentionnés ci-dessus, il y a lieu de délivrer à la société Parc éolien du Moulin de la Tour l'autorisation sollicitée et d'enjoindre au préfet de la Somme de définir, dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt, les prescriptions nécessaires à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
15. En outre, en vue d'informer les tiers de l'autorisation délivrée au point précédent, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Somme de procéder aux mesures de publicité prévues à l'article R. 181-44 du code de l'environnement.
Sur les frais liés à l'instance :
16. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros à la société Parc éolien du Moulin de la Tour au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : L'arrêté du 18 janvier 2022 de la préfète de la Somme est annulé.
Article 2 : L'autorisation d'exploiter un parc éolien composé de quatre aérogénérateurs et d'un poste de livraison sur le territoire des communes de Fontaine-le-Sec et de Forceville-en-Vimeu est délivrée à la société Parc éolien du Moulin de la Tour.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Somme de procéder aux mesures de publicité énoncées au point 15 du présent arrêt.
Article 4 : Il est enjoint au préfet de la Somme d'assortir l'autorisation mentionnée à l'article 2 des prescriptions nécessaires à la protection des intérêts mentionnées à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.
Article 5 : L'Etat versera à la société Parc éolien du Moulin de la Tour une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la société Parc éolien du Moulin de la Tour, au préfet de la Somme et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Délibéré après l'audience publique du 21 septembre 2023 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M. Stéphane Eustache, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 octobre 2023.
Le rapporteur,
Signé : S. Eustache
La présidente de la 1ère chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : C. Sire
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Christine Sire
N°22DA00628 2