Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... se disant D... a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 29 novembre 2021 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination, d'autre part, d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", " salarié " ou " travailleur temporaire ", dans un délai d'un mois à compter de la date de notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa demande, dans un délai de trois mois à compter de la date de notification du jugement à intervenir, et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour ou un récépissé l'autorisant à travailler, dans un délai de quinze jours à compter de cette même date, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 2200802 du 4 octobre 2022, le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 22 décembre 2022, M. A... se disant Kana, représenté par Me Quevremont, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 29 novembre 2021 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", " salarié " ou " travailleur temporaire ", dans le délai d'un mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa demande, dans un délai de trois mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour ou un récépissé l'autorisant à travailler, dans un délai de quinze jours à compter de cette même date, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :
- cette décision a été prise en méconnaissance de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 août 2023, le préfet de la Seine-Maritime conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A... se disant Kana ne sont pas fondés.
M. A... se disant Kana a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 novembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Un ressortissant étranger se disant M. D..., ressortissant camerounais né le 30 août 2001 à Yaoundé (Cameroun) et entré en France au cours du mois de janvier 2018, selon ses déclarations, a, en raison de la minorité qui lui a été alors reconnue, été placé, par un jugement du 9 mars 2018 du juge des enfants près le tribunal de grande instance de Rouen, sous la protection du service de l'aide sociale à l'enfance du département de la Seine-Maritime. L'intéressé a suivi, à compter du 1er octobre 2018, une formation qualifiante préparant à la délivrance d'un certificat d'aptitude professionnelle de monteur en installations sanitaires et a obtenu un contrat d'apprentissage. Le 10 septembre 2019, l'intéressé a demandé au préfet de la Seine-Maritime de l'admettre, à titre exceptionnel, au séjour en se prévalant de la situation de jeune majeur antérieurement confié à l'aide sociale à l'enfance. Par un arrêté du 29 novembre 2021, le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. A... se disant Kana relève appel du jugement du 4 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la décision de refus de titre de séjour :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. ".
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiants de son état civil ; / 2° Les documents justifiants de sa nationalité ; / (...) / La délivrance du premier récépissé et l'intervention de la décision relative au titre de séjour sollicité sont subordonnées à la production de ces documents. / (...) ". Aux termes de l'article L. 811-2 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil. ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ". Ces dernières dispositions posent une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère. Il incombe cependant à l'administration, si elle entend renverser cette présomption, d'apporter la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non-conforme à la réalité des actes en cause.
4. Pour refuser de délivrer à M. A... se disant Kana le titre de séjour sollicité par celui-ci, le préfet de la Seine-Maritime a, selon les motifs mêmes de l'arrêté contesté, retenu notamment que l'intéressé, qui avait produit un acte de naissance qui, après analyse par le service compétent de la direction interdépartementale de la police aux frontières, s'est avéré falsifié, ne peut être regardé comme ayant fourni, à l'appui de sa demande de titre de séjour, des justificatifs présentant des garanties suffisantes d'authenticité et de nature à établir avec certitude son identité, cette situation faisant obstacle à ce qu'il soit admis au séjour.
5. Il ressort du rapport d'analyse technique établi le 20 janvier 2021 pour rendre compte au préfet de la Seine-Maritime des résultats de l'analyse documentaire mentionnée au point précédent, que le service, au terme d'un examen approfondi de l'acte de naissance qui lui était soumis, a constaté la présence d'une anomalie de forme dans l'en-tête du document, affectant la devise de la République du Cameroun, ainsi que trois fautes d'orthographe affectant des mentions préimprimées de ce document, à savoir la proposition " lesquels ont certifié la sincérité de la présente déclaration ", dans laquelle l'auxiliaire " ont " est orthographié sans " t ", l'expression " assisté de " étant orthographiée " assité de " et l'expression " l'officier de l'état civil " étant orthographié " l'officier de l'était civil ". Le rapport, établi le 20 janvier 2021, versé au dossier, conclut, au vu de ces constatations, qui concernent des anomalies qui ne peuvent être rencontrées dans des documents authentiques établis à partir de formulaires officiels, que le document produit est contrefait.
6. M. A... se disant Kana ne conteste pas les anomalies, ainsi relevées par le service, qui affectent les mentions préimprimées figurant sur le formulaire utilisé par l'auteur de ce document, et entachent ainsi les conditions mêmes d'établissement de l'acte. A cet égard, le fait que le service de la fraude documentaire de la direction interdépartementale de la police aux frontières ait, aux termes d'un précédent rapport adressé aux services de l'aide sociale à l'enfance du département de la Seine-Maritime le 16 mai 2018, versé au dossier dans une version manifestement incomplète, conclu, au terme des investigations alors réalisées et au sujet desquelles le document produit ne donne aucune précision, que cet acte de naissance présentait les caractéristiques d'un document authentique ne peut suffire à remettre en cause les conclusions contraires, tirées par le même service à l'issue d'une analyse approfondie et effectuée à l'aide des moyens techniques les plus récents, de ce document. Dans ces conditions, compte-tenu des éléments d'analyse précis qui lui ont été communiqués, le préfet de la Seine-Maritime était fondé à retenir que l'acte de naissance dont M. A... se disant Kana s'était prévalu au soutien de sa demande de titre de séjour était falsifié et qu'il ne pouvait ainsi être regardé comme de nature à justifier de l'identité de l'intéressé, quand bien même celui-ci avait été antérieurement pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance, qui avaient accepté de le reconnaître sous cette identité, cette appréciation ne liant pas l'autorité préfectorale. Enfin, si M. A... se disant Kana a également produit, au soutien de sa demande de titre de séjour, une copie de son passeport, que le service de la fraude documentaire de la police aux frontières a regardé comme authentique, ce document de voyage est insusceptible, par lui-même, de justifier de l'identité de l'intéressé. Le motif, tiré de ce que l'identité du demandeur n'était pas établie, était de nature à justifier légalement, à lui seul, le refus du préfet de la Seine-Maritime de délivrer à l'intéressé le titre de séjour sollicité par celui-ci sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dès lors, ce refus ne peut être tenu comme entaché d'illégalité au regard de ces dispositions, indépendamment des efforts d'intégration et d'insertion professionnelle dont l'intéressé justifiait.
7. Eu égard à ce qui a été dit précédemment, la décision de refus de titre de séjour, prise par le préfet de la Seine-Maritime à l'issue d'un examen attentif de la situation de M. A... se disant Kana au regard des dispositions précitées de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ne peut être tenue comme entachée d'erreur de droit, alors même que le préfet aurait opposé à tort à l'intéressé le motif surabondant tiré de ce que, la formation professionnelle qu'il justifiait suivre à la date de sa demande de titre de séjour étant achevée à la date de l'arrêté contesté, il ne satisfaisait pas aux conditions requises par l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour pouvoir bénéficier de l'admission exceptionnelle au séjour.
8. M. A... se disant Kana, qui déclare être entré en France au cours du mois de janvier 2018, fait état de son investissement dans sa formation professionnelle, dans le cadre de laquelle son sérieux a été souligné. Il ajoute que s'il n'a pu obtenir le diplôme préparé, du fait des difficultés qu'il a rencontrées, la formation suivie lui a permis de trouver un emploi dans le secteur du bâtiment, dans le cadre de contrats d'intérim régulièrement renouvelés. Il déclare également qu'il justifie d'une bonne intégration dans la société française. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que M. A... se disant Kana, qui, eu égard à ce qui a été dit aux points 5 et 6, ne peut être regardé comme ayant justifié de son identité, est célibataire, sans charge de famille et qu'il n'a fait état d'aucun lien particulier sur le territoire français. En outre, il n'établit pas, ni d'ailleurs n'allègue, être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, dans lequel résident, selon les mentions portées sur sa demande de titre de séjour, ses deux sœurs. Dans ces conditions, en dépit de l'investissement réel de l'intéressé dans sa formation professionnelle et de sa relative insertion professionnelle, la décision de refus de titre de séjour ne peut, eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce et, en particulier, à la durée et aux conditions du séjour de l'intéressé en France, être regardée comme portant à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise, ni comme étant contraire aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, cette décision ne peut davantage être regardée comme entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
9. Eu égard à ce qui a été dit au point 8, les moyens tirés de ce que le préfet de la Seine-Maritime, en faisant obligation à M. A... se disant Kana de quitter le territoire français, a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et entaché cette décision d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé doivent être écartés.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... se disant Kana n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte et celles qu'il présente sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... se disant Kana est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... se disant D..., à Me Quevremont et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera transmise au préfet de la Seine-Maritime.
Délibéré après l'audience publique du 14 septembre 2023 à laquelle siégeaient :
- M. C... B..., premier vice-président,
- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,
- M. Jean-François Papin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 septembre 2023.
Le rapporteur,
Signé : J.-F. PapinLe premier vice-président,
Signé : C. B...
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
Nathalie Roméro
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N°22DA02633
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