La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/09/2023 | FRANCE | N°22DA01366

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 28 septembre 2023, 22DA01366


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler l'arrêté du 28 avril 2021 par lequel le préfet du Pas-de-Calais a refusé de lui délivrer un titre de séjour, d'autre part, d'enjoindre au préfet du Pas-de-Calais, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la date de notification du jugement à intervenir, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa si

tuation et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de s...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler l'arrêté du 28 avril 2021 par lequel le préfet du Pas-de-Calais a refusé de lui délivrer un titre de séjour, d'autre part, d'enjoindre au préfet du Pas-de-Calais, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la date de notification du jugement à intervenir, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour, dans un délai de quinze jours à compter de la date de notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 2108290 du 30 mai 2022, le tribunal administratif de Lille a, d'une part, annulé cet arrêté, d'autre part, enjoint au préfet du Pas-de-Calais de délivrer à Mme B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la date de notification de ce jugement, enfin, mis à la charge de l'Etat le versement au conseil de Mme B... de la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistré le 27 juin 2022, le préfet du Pas-de-Calais demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Lille.

Il soutient que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la décision refusant de délivrer un titre de séjour à Mme B... avait été prise en méconnaissance du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 février 2023, Mme B..., représentée par Me Gommeaux, conclut, d'une part, au rejet de la requête, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint au préfet du Pas-de-Calais, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour, dans un délai de quinze jours à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, enfin, à ce qu'une somme de 1 800 euros, à verser à son conseil, soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés par le préfet du Pas-de-Calais ne sont pas fondés ;

- la décision en litige méconnaît le 1. de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par une ordonnance du 29 mars 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 29 avril 2023.

Mme B... a été maintenue de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 6 septembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. François-Xavier Pin, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... B..., ressortissante géorgienne née le 25 novembre 1974 à Koutaïssi (Géorgie), est entrée irrégulièrement en France le 5 mars 2018, selon ses déclarations. Elle a sollicité, en dernier lieu, le 23 juillet 2020, la délivrance d'un titre de séjour en raison de son état de santé. Par un avis du 3 mars 2021, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé que si l'état de santé de l'intéressée nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité, elle peut bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine, et que son état de santé lui permet de voyager sans risque vers son pays. Par un arrêté du 28 avril 2021, le préfet du Pas-de-Calais, au vu notamment de cet avis, a refusé de faire droit à la demande de Mme B... tendant à la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable. Par un jugement du 30 mai 2022, le tribunal administratif de Lille a, d'une part, annulé cet arrêté, d'autre part, enjoint au préfet du Pas-de-Calais de délivrer à Mme B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la date de notification de ce jugement, enfin, mis à la charge de l'Etat le versement au conseil de Mme B... de la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991. Le préfet du Pas-de-Calais relève appel de ce jugement.

Sur le motif d'annulation retenu par les premiers juges :

2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention ' vie privée et familiale ' est délivrée de plein droit : / (...) / 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ".

3. Il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions précitées du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de vérifier, au vu de l'avis émis par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), que cette décision ne peut avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays dont l'étranger est originaire. Lorsque le défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine. Si de telles possibilités existent mais que l'intéressé fait valoir qu'il ne peut en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou en l'absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement, il appartient à cette même autorité, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose, d'apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.

4. Il ressort des termes mêmes de l'arrêté contesté que le préfet du Pas-de-Calais, pour refuser de délivrer un titre de séjour à Mme B..., s'est fondé, notamment, sur l'avis, émis le 3 mars 2021, par le collège de médecins du service médical de l'OFII, dont il résulte que, si l'état de santé de l'intéressée nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité, elle peut bénéficier effectivement, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont elle est originaire, d'un traitement approprié en Géorgie, pays à destination duquel cet avis précise que Mme B... peut voyager sans risque. Contrairement à ce que soutient Mme B..., cet avis a été produit par le préfet du Pas-de-Calais devant les premiers juges, en annexe à son mémoire. Il ressort des pièces médicales versées au dossier que Mme B... souffre du virus de l'immunodéficience humaine (VIH) pour lequel elle bénéficie d'un traitement antirétroviral. Si Mme B... fait valoir que ce traitement médicamenteux a été modifié, ainsi qu'il résulte d'une ordonnance médicale du 3 novembre 2020, et que le médicament qui lui était prescrit, à la date de l'arrêté en litige, sous l'appellation Eviplera et composé d'emtricitabine, de rilpivirine et de ténofovir, n'est pas commercialisé en Géorgie, il ressort toutefois des pièces du dossier, notamment des éléments produits en première instance par le préfet du Pas-de-Calais, en particulier des éléments d'information portés à la connaissance du ministère de l'intérieur néerlandais à partir d'une banque mondiale de donnés médicales dénommée " MedCOI ", que des médicaments contenant chacune de ces molécules sont disponibles en Géorgie. En outre, les publications de la division de l'information, de la documentation et des recherches de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 19 mars 2018, produites par le préfet, soulignent les efforts de la Géorgie pour la prise en charge du virus de l'immunodéficience humaine avec un accès universel à un traitement antirétroviral dans quatre villes du pays, et précisent que 95 % des personnes diagnostiquées bénéficiaient en 2014 d'un traitement médical. La prise en charge effective en Géorgie des patients souffrant du VIH au moyen de traitements antirétroviraux est, au demeurant, confirmée par les indications fournies le 15 juin 2022, à la demande du préfet du Pas-de-Calais, par un médecin inspecteur de santé publique exerçant les fonctions de conseiller en charge de la santé auprès du cabinet du directeur général des étrangers en France. Dans ces circonstances, les éléments produits par Mme B... ne sont pas de nature à remettre en cause l'avis du collège de médecins de l'OFII, sur lequel s'est notamment fondé le préfet, pour lui refuser la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le préfet du Pas-de-Calais est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille, pour annuler la décision de refus de délivrance d'un titre de séjour à Mme B... et lui enjoindre de délivrer à celle-ci un titre de séjour, s'est fondé sur le motif tiré de la méconnaissance des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile

5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par Mme B... devant le tribunal administratif de Lille, ainsi que ceux qu'elle soulève en appel.

Sur les autres moyens soulevés par Mme B... :

6. En premier lieu, aux termes du 1. de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

7. Si Mme B... fait valoir que sa fille, âgée de dix-sept ans à la date de l'arrêté en litige, souffre du syndrome de Little, qui lui occasionne des difficultés à la marche nécessitant un suivi médical, et qu'elle bénéficie d'une prise en charge au sein d'un institut médico-éducatif, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette enfant ne pourrait pas bénéficier d'une prise en charge appropriée dans son pays d'origine, où rien ne s'oppose à ce que la cellule familiale se reconstitue. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du 1. de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté.

8. En second lieu, si Mme B... invoque la durée de trois ans de son séjour sur le territoire français, son état de santé ainsi que le handicap et la scolarisation en France de sa fille, il ne ressort pas des pièces du dossier, eu égard notamment aux éléments énoncés aux points 4 et 7, que le préfet du Pas-de-Calais, en refusant de lui délivrer un titre de séjour, aurait entaché cette décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressée.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Pas-de-Calais est fondé, d'une part, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 28 avril 2021, lui a enjoint de délivrer à Mme B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " et a mis à la charge l'Etat le versement au conseil de Mme B... d'une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, d'autre part, à demander l'annulation de ce jugement. Les conclusions y afférentes de la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Lille doivent donc être rejetées. Il en va de même des conclusions, présentées par Mme B... devant la cour, à fin d'injonction sous astreinte et de celles tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2108290 du 30 mai 2022 du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Lille ainsi que ses conclusions présentées devant la cour sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet du Pas-de-Calais, à Mme D... B... et à Me Gommeaux.

Délibéré après l'audience du 14 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. C... A..., premier vice-président,

M. François-Xavier Pin, président-assesseur,

M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 septembre 2023.

Le président-rapporteur,

Signé : F.-X. Pin

Le premier vice-président,

Signé : C. A...La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

Nathalie Roméro

2

N°22DA01366


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01366
Date de la décision : 28/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Heu
Rapporteur ?: M. François-Xavier Pin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : GOMMEAUX

Origine de la décision
Date de l'import : 08/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-09-28;22da01366 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award