Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 14 octobre 2022 par lequel le préfet du Pas-de-Calais lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français pour une durée d'un an.
Par un jugement n° 2204136 du 21 octobre 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 14 octobre 2022 et a enjoint au préfet territorialement compétent de délivrer à Mme A... une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 novembre 2022, le préfet du Pas-de-Calais demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Rouen.
Il soutient que :
- il n'était pas tenu d'informer Mme A... de ses droits en application des dispositions de l'article R. 425-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que les services de police n'avaient pas de motifs raisonnables de considérer que l'intéressée pourrait être reconnue victime de faits de traite d'êtres humains, sa seule nationalité étant insuffisante à cet égard en l'absence d'indication complémentaire ;
- les autres moyens soulevés par Mme A... devant le tribunal ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à Mme A..., qui n'a pas produit de mémoire en défense, malgré une mise en demeure en ce sens.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Sylvie Stefanczyk, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... A..., ressortissante vietnamienne née le 15 octobre 1995, a été interpellée en zone d'accès restreint le 13 octobre 2022, alors qu'elle se trouvait dans la remorque d'un poids lourd en partance pour la Grande-Bretagne. Par un arrêté du 14 octobre 2022, le préfet du Pas-de-Calais lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Le préfet du Pas-de-Calais relève appel du jugement du 21 octobre 2022 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté et l'a enjoint de délivrer à Mme A... une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation.
2. Aux termes du I de l'article 225-4-1 du code pénal : " La traite des êtres humains est le fait de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l'héberger ou de l'accueillir à des fins d'exploitation dans l'une des circonstances suivantes : / 1° Soit avec l'emploi de menace, de contrainte, de violence ou de manœuvre dolosive visant la victime, sa famille ou une personne en relation habituelle avec la victime ; / 2° Soit par un ascendant légitime, naturel ou adoptif de cette personne ou par une personne qui a autorité sur elle ou abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ; / 3° Soit par abus d'une situation de vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, apparente ou connue de son auteur ; / 4° Soit en échange ou par l'octroi d'une rémunération ou de tout autre avantage ou d'une promesse de rémunération ou d'avantage. / L'exploitation mentionnée au premier alinéa du présent I est le fait de mettre la victime à sa disposition ou à la disposition d'un tiers, même non identifié, afin soit de permettre la commission contre la victime des infractions de proxénétisme, d'agression ou d'atteintes sexuelles, de réduction en esclavage, de soumission à du travail ou à des services forcés, de réduction en servitude, de prélèvement de l'un de ses organes, d'exploitation de la mendicité, de conditions de travail ou d'hébergement contraires à sa dignité, soit de contraindre la victime à commettre tout crime ou délit. / La traite des êtres humains est punie de sept ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende ".
3. Aux termes de l'article L. 425-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui dépose plainte contre une personne qu'il accuse d'avoir commis à son encontre des faits constitutifs des infractions de traite des êtres humains ou de proxénétisme, visées aux articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal, ou témoigne dans une procédure pénale concernant une personne poursuivie pour ces mêmes infractions, se voit délivrer, sous réserve qu'il ait rompu tout lien avec cette personne, une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / Elle est renouvelée pendant toute la durée de la procédure pénale, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites ". L'article R. 425-1 du même code prévoit que : " Le service de police ou de gendarmerie qui dispose d'éléments permettant de considérer qu'un étranger, victime d'une des infractions constitutives de la traite des êtres humains ou du proxénétisme prévues et réprimées par les articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal, est susceptible de porter plainte contre les auteurs de cette infraction ou de témoigner dans une procédure pénale contre une personne poursuivie pour une infraction identique, l'informe : / 1° De la possibilité d'admission au séjour et du droit à l'exercice d'une activité professionnelle qui lui sont ouverts par l'article L. 425-1 ; / 2° Des mesures d'accueil, d'hébergement et de protection prévues aux articles R. 425-4 et R. 425-7 à R. 425- 10 ;/ 3° Des droits mentionnés à l'article 53-1 du code de procédure pénale, notamment de la possibilité d'obtenir une aide juridique pour faire valoir ses droits. / Le service de police ou de gendarmerie informe également l'étranger qu'il peut bénéficier d'un délai de réflexion de trente jours, dans les conditions prévues à l'article R. 425-2, pour choisir de bénéficier ou non de la possibilité d'admission au séjour mentionnée au 1°. / Ces informations sont données dans une langue que l'étranger comprend et dans des conditions de confidentialité permettant de le mettre en confiance et d'assurer sa protection. / Ces informations peuvent être fournies, complétées ou développées auprès des personnes intéressées par des organismes de droit privé à but non lucratif, spécialisés dans le soutien aux personnes prostituées ou victimes de la traite des êtres humains, dans l'aide aux migrants ou dans l'action sociale, désignés à cet effet par le ministre chargé de l'action sociale ".
4. Les dispositions de l'article R. 425-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile chargent les services de police d'une mission d'information, à titre conservatoire et préalablement à toute qualification pénale, des victimes potentielles de faits de traite d'êtres humains. Ainsi, lorsque ces services ont des motifs raisonnables de considérer que l'étranger pourrait être reconnu victime de tels faits, il leur appartient d'informer ce dernier de ses droits en application de ces dispositions. En l'absence d'une telle information, l'étranger est fondé à se prévaloir du délai de réflexion pendant lequel aucune mesure d'éloignement ne peut être prise, ni exécutée, notamment dans l'hypothèse où il a effectivement porté plainte par la suite.
5. Il ressort des pièces du dossier que Mme A..., de nationalité vietnamienne, a été entendue par les services de police le 13 octobre 2022, alors qu'elle venait d'être interpellée dans la zone d'accès restreint du port de Calais. Elle n'a pas expressément indiqué aux services de police être victime de traite d'êtres humains ou de proxénétisme. Toutefois, compte tenu de sa nationalité et de la notoriété de l'existence de réseaux de traite d'êtres humains dans son pays d'origine et de l'absence d'explication précise sur les conditions de son voyage et les circonstances dans lesquelles elle s'est retrouvée dans le camion en suivant d'autres compatriotes, ces éléments auraient dû raisonnablement conduire les services de police à envisager qu'elle soit victime de traite des êtres humains au sens des dispositions précitées de l'article 225-4-1 du code pénal et à lui apporter l'information prévue par l'article R. 425-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Or, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle ait été en situation de porter plainte et de se voir délivrer un titre de séjour, ce qui l'a privée d'une garantie et a eu une influence sur le sens de la décision. Ce vice de procédure est, par suite, de nature à entacher d'illégalité l'arrêté du préfet du Pas-de-Calais du 14 octobre 2022 portant obligation de quitter le territoire français sans délai et interdiction de retour sur le territoire français.
6. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Pas-de-Calais n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 21 octobre 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 14 octobre 2022 et lui a enjoint de délivrer à l'intéressée une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation. Il y a donc lieu de prononcer le rejet de la requête.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet du Pas-de-Calais est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme B... A....
Copie sera adressée au préfet du Pas-de-Calais.
Délibéré après l'audience publique du 7 juillet 2023 à laquelle siégeaient :
- Mme Anne Seulin, présidente de chambre,
- M. Marc Baronnet, président-assesseur,
- Mme Sylvie Stefanczyk, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 août 2023.
La rapporteure,
Signé : S. StefanczykLa présidente de chambre,
Signé : A. Seulin
La greffière,
Signé : A.S. Villette
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière
Anne-Sophie Villette
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N°22DA02405