Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Groupama Nord-Est a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner la commune de Fontaine-lès-Vervins et le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de l'Aisne à lui verser les sommes respectives de 631 754,50 euros et de 442 000,75 euros au titre du préjudice matériel qu'elle estime avoir subi en raison de fautes commises en lien avec l'incendie de la nuit du 18 au 19 septembre 2013 qui a détruit un bâtiment situé 27 rue des Lavandières à Fontaine-lès-Vervins.
Par un jugement n° 1904212 du 9 juin 2021, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 10 août 2021, 16 juin 2022, 6 février 2023 et 23 février 2023, la société Groupama Nord-Est, représentée par Me Christian Delevacque, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner la commune de Fontaine-lès-Vervins à lui verser la somme de 631 754,50 euros ;
3°) de condamner le SDIS de l'Aisne à lui verser la somme de de 442 000,75 euros ;
4°) de mettre les dépens à la charge de la commune de Fontaine-lès-Vervins et du SDIS de l'Aisne à hauteur des montants respectifs de 4 187,33 euros et 29 361,13 euros ;
5°) et de mettre à la charge de la commune de Fontaine-lès-Vervins et du SDIS de l'Aisne solidairement une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutint que :
- elle est subrogée dans les droits de M. C... et de la société Les lavandières de Fontaine, ses assurés, à hauteur des sommes demandées ;
- la commune de Fontaine-lès-Vervins a engagé sa responsabilité pour faute dès lors qu'elle n'a pas fourni aux services de secours un approvisionnement en eau suffisant, manquement directement à l'origine de l'aggravation des dommages subis par ses assurés en raison de l'incendie de la nuit du 18 au 19 septembre 2013 ;
- le SDIS de l'Aisne a commis une première faute lourde en n'ayant pas alerté la commune de l'insuffisance de l'approvisionnement en eau destiné aux services de secours, notamment à la réunion du 16 mars 2012 et une seconde faute lourde en engageant des moyens insuffisants de lutte contre l'incendie, concourant ainsi à l'aggravation des dommages subis par ses assurés en raison de cet incendie ;
- la demande introductive d'instance du 31 décembre 2019 a interrompu la prescription quadriennale ;
- le SDIS est irrecevable à invoquer pour la première fois en appel le défaut de demande préalable et la prescription de la créance.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 4 mars 2022, 23 décembre 2022 et 20 février 2023, la commune de Fontaine-lès-Vervins, représentée par Me Jean-Jacques Israël, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de tout succombant une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande de première instance est irrecevable dès lors que la société Groupama Nord-Est n'établit pas être subrogée dans les droits de M. C... et de la société Les lavandières de Fontaine ;
- la demande de première instance, qui n'a pas été précédée d'une demande indemnitaire préalable, est irrecevable ;
- la créance dont se prévaut la société Groupama Nord-Est est prescrite en application de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'État, les départements, les communes et les établissements publics ;
- subsidiairement, la responsabilité de la commune n'est pas engagée car la cause de l'incendie réside dans les fautes de M. C..., en toute hypothèse, les conséquences de l'incendie auraient été identiques, soit en raison du comportement fautif de M. C..., soit en raison des fautes du SDIS dans la préparation des mesures de sauvetage et dans le déploiement des moyens de secours ;
- il n'y a pas de lien de causalité entre les défaillances de la commune et les conséquences dommageables de l'incendie, le SDIS a formulé des observations sur le permis de construire et l'autorisation d'ouverture du bâtiment A, qui n'est pas celui concerné par l'incendie, il n'y a pas non plus de lien de causalité direct entre les défaillances de la borne à incendie et les conséquences dommageables de l'incendie, qui avait déjà atteint un point de non-retour ;
- le SDIS, qui connaissait le déficit de la ressource en eau, n'a pas adapté le volume de ses moyens engagés et, alors qu'il connaissait l'existence d'un étang à 560 mètres du sinistre, la première manœuvre n'a pas été adéquate ;
- à titre très subsidiaire, le quantum des préjudices n'est pas cohérent et est excessif dès lors qu'une grande partie des dommages était réalisée avant même l'intervention des secours.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 23 décembre 2022 et 21 février 2023, le SDIS de l'Aisne, représenté par Me Michel Teboul, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la société Groupama Nord-Est une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'action de la requérante est prescrite, cette fin de non-recevoir peut être soulevée pour la première fois en appel et avait déjà été soulevée dans son mémoire enregistré le 16 septembre 2020 en première instance, la demande introductive d'instance du 31 décembre 2019 n'était pas recevable en l'absence de demande préalable et n'a pu interrompre la prescription, la demande préalable du 2 décembre 2020 est intervenue postérieurement à l'expiration du délai de la prescription quadriennale ;
- la société Groupama Nord-Est n'établit pas être subrogée dans les droits de M. C... et n'établit être subrogée dans les droits de la société Les lavandières de Fontaine qu'à hauteur de 18 480 euros ;
- il n'y a pas de lien de causalité entre l'intervention du SDIS et les dommages, la seule manœuvre efficace n'était plus possible compte tenu du développement de l'incendie en raison de l'appel tardif des secours, aucune faute ni aucune aggravation des dommages ne peut être reprochée par le SDIS, qui a satisfait à son obligation de moyens ;
- contrairement aux affirmations de l'expert, le SDIS a informé la commune à de nombreuses reprises de l'insuffisance du débit de son réseau d'eau, la commune est seule responsable d'une erreur entachant le permis de construire ou l'avis de la sous-commission de sécurité du 16 mars 2012, en outre, cet avis, qui ne portait pas sur le bâtiment B en cause, est dépourvu de tout lien de causalité avec les dommages ;
- la société Les lavandières de Fontaine a accepté le risque d'incendie et les préjudices en découlant en exploitant le bâtiment sans autorisation préalable, par suite, le préjudice en résultant ne lui ouvre pas droit à réparation.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'État, les départements, les communes et les établissements publics ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Marc Baronnet, président-assesseur,
- les conclusions de M. Guillaume Toutias, rapporteur public,
- les observations de Me Delevacque, représentant la société Groupama Nord-Est, les observations de Me Jean-Jacques Israël, représentant la commune de Fontaine-lès-Vervins et les observations de Me Michel Teboul, représentant le SDIS de l'Aisne.
Considérant ce qui suit :
1. Dans la nuit du 18 au 19 septembre 2013, un incendie s'est déclaré dans le corps de ferme composé de sept bâtiments, situé 27 rue des Lavandières à Fontaine-lès-Vervins, appartenant à la société Tronquoy et exploité par la société Les lavandières de Fontaine comme hébergement touristique et restaurant. Un des bâtiments comprenant des installations touristiques, des chambres d'hôtes et le logement de M. A... C..., gérant de la société Les lavandières de Fontaine, a été détruit, malgré l'intervention du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de l'Aisne. À la demande de la société Tronquoy, de la société Les lavandières de Fontaine, de M. C... et de leur assureur, la société Groupama Nord-Est, le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a ordonné une expertise par ordonnance n° 1302786 du 18 avril 2014, dont le rapport a été remis le 15 octobre 2015. La société Groupama Nord-Est a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner, sur le fondement de leur responsabilité pour faute, la commune de Fontaine-lès-Vervins et le SDIS de l'Aisne à lui verser respectivement les sommes de 631 754,50 euros et de 442 000,75 euros en qualité de subrogée dans les droits de la société Les lavandières de Fontaine et de M. C..., au titre du préjudice matériel subi par ses assurés qu'elle a indemnisés. Elle relève appel du jugement du 9 juin 2021 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.
Sur la responsabilité du SDIS de l'Aisne :
2. En premier lieu, il résulte de l'instruction que le SDIS de l'Aisne a adressé à la commune de Fontaine-lès-Vervins plusieurs mises en garde relatives à l'insuffisance du débit en eau des hydrants destinés aux services de lutte contre l'incendie, dont la dernière du 29 décembre 2011 mentionne notamment le point d'eau desservant le bâtiment ayant brûlé dans la nuit du 18 au19 septembre 2013.
3. En deuxième lieu, le feu s'est déclaré dans le bâtiment B du corps de ferme, qui n'a jamais fait l'objet d'une procédure d'autorisation. Il suit de là qu'à supposer même que lors de la réunion du 16 mars 2012 de la sous-commission de sécurité, le représentant du SDIS n'aurait pas suffisamment alerté sur les risques inhérents à la situation en raison du débit insuffisant du point d'eau le plus proche, cet avis ne portait que sur l'autorisation d'ouverture du bâtiment A et ne présente donc pas de lien de causalité direct et certain avec les dommages dont l'indemnisation est recherchée. En tout état de cause, une faute commise dans le cadre de la procédure d'instruction d'une demande d'autorisation d'urbanisme n'est susceptible d'engager, à l'égard du pétitionnaire, que la responsabilité de la personne publique qui délivre ou refuse de délivrer l'autorisation sollicitée, quand bien même la faute entacherait un avis émis par une autre personne publique au cours de l'instruction de la demande. Dès lors, la société Groupama Nord-Est n'est pas fondée à rechercher la responsabilité du SDIS de l'Aisne à raison de la teneur de l'avis émis à l'occasion de la réunion du 16 mars 2012.
4. En troisième lieu, il résulte de l'instruction et, notamment, du rapport d'expertise du 15 octobre 2015 que si, à la suite du premier appel à 2 h 05 le 19 septembre 2013, le SDIS a ordonné le départ d'un seul fourgon pompe tonne (FPT), il l'a fait sur le fondement des renseignements alors donnés relatifs à un feu localisé au niveau d'un compteur électrique et qu'à la suite du second appel à 2 h 08 et d'une description plus exacte de l'ampleur du sinistre, des moyens complémentaires ont été engagés permettant une alimentation en eau par noria dont il n'est pas établi qu'ils aient été insuffisants. Au demeurant, il résulte du rapport d'expertise du 15 octobre 2015 que la seule manœuvre susceptible de lutter efficacement contre le feu consistait à placer l'échelle pivotante semi-automatique en surplomb du bâtiment afin de perforer le toit et de permettre une attaque des flammes simultanée par cette ouverture et depuis l'intérieur du bâtiment et que cette manœuvre était rendue impossible par le développement de l'incendie à l'arrivée des services de secours, en raison du caractère tardif de l'appel adressé aux secours, de sorte que l'envoi de véhicules supplémentaires n'était pas de nature à limiter les dégâts causés par l'incendie. Par suite, la société Groupama Nord-Est n'est pas fondée à soutenir que le SDIS de l'Aisne a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en n'engageant que tardivement les moyens nécessaires à lutter contre l'incendie.
Sur la responsabilité de la commune de Fontaine-lès-Vervins :
5. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport établi le 15 octobre 2015 par l'expert désigné par juge des référés du tribunal administratif d'Amiens, que la commune n'a pas été en mesure de fournir au SDIS la ressource en eau conforme à la réglementation applicable à la date du sinistre, dont il est constant qu'elle devait être de 120 mètres cubes d'eau pendant deux heures, soit par un poteau ou une borne incendie soit par une réserve statique artificielle, alors que les deux hydrants disponibles à proximité ne pouvaient fournir que 23 et 14 mètres cubes d'eau par heure et que la commune est dépourvue de réserve statique artificielle. La présence d'un étang naturel n'a pas pu compenser cette insuffisance dès lors qu'il n'était ni répertorié ni aménagé à cette fin en l'absence, notamment, d'une aire d'aspiration et compte tenu de son éloignement de 540 mètres, bien qu'il ait finalement été utilisé par les secours au prix d'un délai imposé par le déroulement de 14 tuyaux de 40 mètres. Cette situation a privé les services d'incendie et de secours de ressources nécessaires pour combattre le sinistre. En conséquence, les autorités municipales ont méconnu les dispositions du 5° de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales en vertu desquelles le soin de prévenir et de combattre les incendies leur incombe.
6. Toutefois, il résulte de l'instruction et, notamment, du rapport d'expertise du 15 octobre 2015 qu'en raison du caractère tardif de l'appel des secours et de l'absence de cloisonnement destiné à ralentir la propagation du feu réalisé dans les règles de l'art dans un bâtiment qui aurait dû être déclaré comme recevant du public mais n'avait fait l'objet d'aucune demande d'autorisation, les sapeurs-pompiers ont été confrontés à un feu ayant pris une grande ampleur. Comme il a été dit au point 4, la seule manœuvre susceptible de lutter efficacement contre cet incendie aurait consisté à placer l'échelle pivotante semi-automatique en surplomb du bâtiment afin de perforer le toit et de permettre une attaque des flammes simultanée par cette ouverture et depuis l'intérieur du bâtiment, mais une telle opération était devenue impossible en raison de l'intensité prise par l'incendie avant l'arrivée des services de secours. Dans ces conditions, la société Groupama Nord-Est n'est pas fondée à soutenir que la faute de la commune a aggravé les conséquences de l'incendie et, par suite, qu'elle est à l'origine des préjudices dont elle se prévaut.
7. Ainsi, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la demande de première instance, sur la subrogation de la société Groupama Nord-Est dans les droits de la société Les lavandières de Fontaine et de M. C... et sur la prescription quadriennale des créances, il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée.
Sur les dépens :
8. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'État. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties (...) ".
9. En application de ces dispositions, il y a lieu de mettre les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 8 374,66 euros par ordonnance du 7 décembre 2015, à la charge définitive de la société Groupama Nord-Est.
Sur les frais liés à l'instance :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la société Groupama Nord-Est à l'encontre de la commune de Fontaine-les-Vervins et du SDIS de l'Aisne, qui ne sont pas les parties perdantes à l'instance. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société Groupama Nord-Est le versement, au même titre, d'une somme de 2 000 euros chacun à la commune de Fontaine-lès-Vervins et au SDIS de l'Aisne.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Groupama Nord-Est est rejetée.
Article 2 : Les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 8 374,66 euros par l'ordonnance du 7 décembre 2015 du tribunal administratif d'Amiens, sont mis à la charge définitive de la société Groupama Nord-Est.
Article 3 : La société Groupama Nord-Est versera une somme de 2 000 euros à la commune de Fontaine-lès-Vervins et une somme de 2 000 euros au service départemental d'incendie et de secours de l'Aisne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Groupama Nord-Est, à la commune de Fontaine-lès-Vervins et au service départemental d'incendie et de secours de l'Aisne.
Délibéré après l'audience publique du 7 juillet 2023 à laquelle siégeaient :
- Mme Anne Seulin, présidente chambre,
- M. Marc Baronnet, président-assesseur,
- Mme Sylvie Stefanczyk, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 août 2023.
Le président-rapporteur,
Signé : M. B...La présidente de chambre,
Signé : A. Seulin
La greffière,
Signé : A.S. Villette
La République mande et ordonne au préfet de la région Hauts-de-France et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
Anne-Sophie Villette
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N°21DA01951