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17/08/2023 | FRANCE | N°23DA00578

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 17 août 2023, 23DA00578


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... et Mme C... B... ont, par deux demandes séparées, demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler les arrêtés du 22 août 2022 par lesquels le préfet de la Seine-Maritime a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et leur a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un mois, d'autre part, d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime

, à titre principal, de leur délivrer une carte de séjour temporaire, à titre su...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... et Mme C... B... ont, par deux demandes séparées, demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler les arrêtés du 22 août 2022 par lesquels le préfet de la Seine-Maritime a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et leur a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un mois, d'autre part, d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime, à titre principal, de leur délivrer une carte de séjour temporaire, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de leur situation et, dans l'attente de ce réexamen et dans le délai de huit jours, de leur délivrer une autorisation provisoire de séjour, dans un délai d'un mois à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 2204442, 2204443 du 21 mars 2023, le tribunal administratif de Rouen, après avoir joint ces deux demandes, a, d'une part, annulé les arrêtés du 22 août 2022 du préfet de la Seine-Maritime, d'autre part, enjoint au préfet de la Seine-Maritime de délivrer à M. et Mme B... une carte de séjour temporaire dans le délai de deux mois à compter de la date de notification de ce jugement, enfin, mis à la charge de l'Etat le versement au conseil de M. et Mme B... de la somme globale de 1 300 euros au titre de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 3 avril 2023, sous le n° 23DA00578, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :

1°) d'annuler les articles 2 à 4 de ce jugement en tant que, par ce jugement, le tribunal administratif de Rouen a accueilli la demande de Mme B... ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Rouen.

Il soutient que :

- les premiers juges ont, à tort, estimé que le refus de titre de séjour opposé à Mme B... méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales alors que les deux enfants du couple peuvent poursuivre leur scolarité au Kosovo et que les parents de ces deux enfants ne justifient pas d'une insertion particulière dans la société française ;

- il reprend les moyens de défense présentés en première instance dans le cadre de l'effet dévolutif.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 mai 2023, Mme B..., représentée par Me Madeline, conclut, d'une part, au rejet de la requête, d'autre part, à ce que soit mis à la charge de l'État le versement à la SELARL Eden avocats de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :

- c'est à bon droit que le tribunal administratif de Rouen a retenu que la décision refusant de lui délivrer un titre de séjour avait été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :

- cette décision est entachée d'une insuffisance de motivation ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;

- elle méconnaît l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les énonciations de la circulaire du 28 novembre 2012 du ministre de l'intérieur ;

- elle méconnaît les stipulations du 1. de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

En ce qui concerne la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français :

- cette décision est entachée d'une insuffisance de motivation ;

- elle devra être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision de refus de titre de séjour sur le fondement de laquelle elle a été prise ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations du 1. de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

- cette décision est entachée d'une insuffisance de motivation ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un mois :

- cette décision est entachée d'une insuffisance de motivation ;

- elle devra être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français sur le fondement de laquelle elle a été prise ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation.

Par une ordonnance du 1er juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 16 juin 2023.

Mme B... a été maintenue de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 mai 2023.

II. Par une requête, enregistrée le 3 avril 2023, sous le n° 23DA00579, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :

1°) d'annuler les articles 2 à 4 de ce jugement en tant que, par ce jugement, le tribunal administratif de Rouen a accueilli la demande de M. B... ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Rouen.

Il soutient que :

- les premiers juges ont, à tort, estimé que le refus de titre de séjour opposé à M. B... méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales alors que les deux enfants du couple peuvent poursuivre leur scolarité au Kosovo et que les parents de ces deux enfants ne justifient pas d'une insertion particulière dans la société française ;

- il reprend les moyens de défense présentés en première instance dans le cadre de l'effet dévolutif.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 mai 2023, M. B..., représenté par Me Madeline, conclut, d'une part, au rejet de la requête et, d'autre part, à ce que soit mis à la charge de l'État le versement à la SELARL Eden avocats de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :

- c'est à bon droit que le tribunal administratif de Rouen a retenu que la décision refusant de lui délivrer un titre de séjour avait été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :

- cette décision est entachée d'une insuffisance de motivation ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;

- elle méconnaît l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les énonciations de la circulaire du 28 novembre 2012 du ministre de l'intérieur ;

- elle méconnaît les stipulations du 1. de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

En ce qui concerne la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français :

- cette décision est entachée d'une insuffisance de motivation ;

- elle devra être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision de refus de titre de séjour sur le fondement de laquelle elle a été prise ;

- elle méconnaît les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations du 1. de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

- cette décision est entachée d'une insuffisance de motivation ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un mois :

- cette décision devra être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français sur le fondement de laquelle elle a été prise ;

- elle est entachée d'une insuffisance de motivation ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation.

Par une ordonnance du 1er juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 16 juin 2023.

M. B... a été maintenu de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 mai 2023.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Mathieu Sauveplane, président, a été entendu, au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B... et son épouse, Mme C... B..., ressortissants du Kosovo, nés respectivement le 5 mai 1981 et le 30 octobre 1988 à Gjilan (Kosovo), sont entrés irrégulièrement en France le 6 décembre 2015, selon leurs déclarations. Ils ont présenté, le 26 janvier 2016, une demande d'asile. Leurs demandes de protection internationale ont été rejetées par deux décisions du 21 décembre 2016 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, confirmées par une décision de la Cour nationale du droit d'asile en date du 26 septembre 2017. Par deux arrêtés du 21 mars 2018, le préfet de l'Eure a refusé de les admettre au séjour au titre de l'asile, les a obligés à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. M. et Mme B..., qui n'ont pas déféré à ces mesures d'éloignement, ont de nouveau sollicité, le 18 janvier 2021, leur admission au séjour. Par deux arrêtés du 9 juillet 2021, le préfet de la Seine-Maritime a rejeté leurs demandes, les a obligés à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et leur a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Par deux jugements du 7 juin 2022, devenus définitif, le tribunal administratif de Rouen a annulé ces deux arrêtés et enjoint au préfet de la Seine-Maritime de procéder au réexamen de la situation de M. et Mme B.... Par deux arrêtés du 22 août 2022, le préfet de la Seine-Maritime a, de nouveau, refusé de délivrer à M. et Mme B... un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et leur a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un mois. Par un jugement du 21 mars 2023, le tribunal administratif de Rouen a, d'une part, annulé les arrêtés du 22 août 2022, d'autre part, enjoint au préfet de la Seine-Maritime de délivrer à M. et Mme B... une carte de séjour temporaire dans le délai de deux mois à compter de la date de notification dudit jugement, enfin, mis à la charge de l'Etat le versement au conseil de M. et Mme B... de la somme globale de 1 300 euros au titre de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

2. Le préfet de la Seine-Maritime relève appel, sous deux requêtes séparées, du jugement du 21 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Rouen a fait droit aux demandes de M et Mme B.... Ces requêtes, enregistrées sous les nos 23DA00578 et 23DA00579, sont dirigées contre le même jugement et présentent à juger des questions communes. Il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un seul arrêt.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Pour annuler les arrêtés du 22 août 2022 du préfet de la Seine-Maritime, les premiers juges ont relevé que M. et Mme B... étaient entrés en France à la fin de l'année 2015, accompagnés de leur fils, né le 4 avril 2012 au Kosovo, et qui a été scolarisé dès le mois de janvier 2016 en école maternelle. Le tribunal a également relevé " le sérieux " et " la très bonne insertion scolaire et sociale de leur fils ", attestés par plusieurs de ses professeurs et le directeur de l'école élémentaire auprès de laquelle il est scolarisé, ainsi que le fait que Mme B... avait également donné naissance en France, le 22 juin 2017, au second enfant du couple, qui, âgé de cinq ans à la date de l'arrêté attaqué, est scolarisé depuis l'année 2020-2021. Enfin, les premiers juges ont relevé que M. B... justifiait de promesses d'embauche, renouvelées régulièrement depuis l'année 2019 par une même société, ainsi que d'un contrat à durée de chantier conclu avec une seconde société, pour la période de mai 2022 à décembre 2023, en qualité d'ouvrier ravaleur. Ils ont déduit de ces éléments que les décisions par lesquelles le préfet de la Seine-Maritime a refusé de délivrer à M. et Mme B... un titre de séjour méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

4. Aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2 Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

5. Il ressort des pièces du dossier que, alors que les demandes d'asiles formées par M. et Mme B... ont été définitivement rejetées par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 26 septembre 2017 et que ceux-ci ont fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français le 21 mars 2018 à laquelle ils n'ont pas déféré, leur présence en France à compter de cette date résulte uniquement de leur carence à exécuter l'obligation de quitter le territoire français qui leur avait alors été faite. La circonstance que M. B... est titulaire d'une promesse d'embauche et qu'ils ont un logement autonome n'est pas une marque particulière d'intégration dans la société française. Ils n'établissent pas avoir noué des liens d'une intensité particulière en France alors qu'ils ont vécu au Kosovo jusqu'en 2015. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la scolarité de leurs deux enfants ne pourrait se poursuivre au Kosovo, pays dont les deux époux ont la nationalité et où la vie familiale peut continuer. Dans ces conditions, le préfet de la Seine-Maritime a pu, sans porter une atteinte disproportionnée au droit de M. et Mme B... au respect de leur vie privée et familiale au regard des motifs poursuivis par ces décisions, refuser de leur délivrer un titre de séjour. Par suite, le préfet de Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges, pour annuler les arrêtés contestés, ont fait droit au moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. et Mme B... devant le tribunal administratif de Rouen, ainsi que ceux qu'ils soulèvent devant la cour.

Sur les autres moyens soulevés par M. et Mme B... :

En ce qui concerne le moyen de légalité externe dirigé contre l'ensemble des décisions contenues dans les arrêtés contestés :

7. D'une part, il ressort des termes mêmes des arrêtés contestés que ces arrêtés, en ce qu'ils refusent de délivrer un titre de séjour à M. et Mme B..., leur fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixent le pays de renvoi, comportent l'énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles les mesures ainsi édictées par le préfet de la Seine-Maritime se fondent, et satisfont ainsi à l'exigence de motivation posée par les dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, et alors que le préfet n'avait pas à reprendre expressément et de manière exhaustive l'ensemble des éléments relatifs à la situation personnelle ou familiale des intéressés, le moyen tiré de ce que les arrêtés contestés, en ce qu'ils refusent de délivrer un titre de séjour à M. et Mme B..., leur fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixent le pays de renvoi, sont entachés d'une insuffisance de motivation manque en fait et doit, dès lors, être écarté.

8. D'autre part, une décision d'interdiction de retour sur le territoire français doit, conformément aux dispositions de l'article L. 613-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, être motivée et, dès lors, comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse, à sa seule lecture, en connaître les motifs. Les arrêtés contestés, en ce qu'ils prononcent envers M. et Mme B... une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'ailleurs d'un mois seulement, comportent un énoncé détaillé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et attestent, compte tenu de leur motivation, de la prise en compte par l'autorité préfectorale de l'ensemble des éléments permettant de caractériser la situation des intéressés, tant en ce que concerne le principe de cette mesure que sa durée. Par suite, le moyen tiré par M. et Mme B... de l'insuffisance de motivation des décisions leur faisant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un mois manque en fait et doit, dès lors, être écarté.

En ce qui concerne les décisions de refus de titre de séjour :

9. En premier lieu, il ressort des motifs mêmes des arrêtés contestés que le préfet de la Seine-Maritime, pour refuser de délivrer un titre de séjour à M. et Mme B..., a procédé à un examen particulier et attentif de leur situation. Par suite, le moyen tiré du défaut d'examen particulier de la situation de M. et Mme B... n'est pas fondé et doit, dès lors, être écarté.

10. En deuxième lieu, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 5.

11. En troisième lieu, aux termes du 1. de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

12. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la scolarité des deux enfants de D... et Mme B..., âgés de dix ans et de cinq ans à la date des arrêtés contestés, ne pourrait se poursuivre au Kosovo où la vie familiale peut continuer. En conséquence, le préfet de la Seine-Maritime, en refusant de délivrer un titre de séjour à M. et Mme B..., n'a pas porté atteinte à l'intérêt supérieur de leurs deux enfants. Par suite, le moyen tiré de la violation des stipulations du 1. de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ne peut qu'être écarté.

13. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / (...) ".

14. M. et Mme B... font valoir qu'ils sont présents en France depuis plus de six ans à la date des arrêtés contestés et que leurs deux enfants, âgés de dix ans et de cinq ans, sont scolarisés. Ils font également valoir que M. B... bénéficie d'une promesse d'embauche, régulièrement renouvelée. Toutefois, ni le fait que les intéressés, qui n'ont d'ailleurs pas déféré à la mesure d'éloignement dont ils ont fait l'objet le 21 mars 2018, résident en France, au demeurant pour l'essentiel irrégulièrement, depuis un peu plus de six ans, ni le fait que leurs deux enfants soient scolarisés en France, ni le fait que M. B... bénéficie d'une promesse d'embauche en qualité de maçon, peintre, ravaleur ne constituent, dans les circonstances de l'espèce, un motif exceptionnel ou une considération humanitaire. Par suite, le préfet de la Seine-Maritime, en refusant de leur délivrer un titre de séjour, ne peut être regardé comme ayant entaché ces décisions d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions précitées de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile

15. En cinquième lieu, en dehors des cas où il satisfait aux conditions fixées par la loi, ou par un engagement international, pour la délivrance d'un titre de séjour, un étranger ne saurait se prévaloir d'un droit à l'obtention d'un tel titre. S'il peut, à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir formé contre une décision préfectorale refusant de régulariser sa situation par la délivrance d'un titre de séjour, soutenir que la décision du préfet, compte tenu de l'ensemble des éléments de sa situation personnelle, est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, il ne peut utilement se prévaloir des orientations générales que le ministre de l'intérieur a pu adresser aux préfets pour les éclairer dans la mise en œuvre de leur pouvoir de régularisation. Par suite, M. et Mme B... ne peuvent utilement se prévaloir des orientations générales contenues dans la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière.

16. En sixième lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 5, les décisions attaquées ne sont pas entachées d'erreur manifeste d'appréciation de leurs conséquences sur la situation personnelle de M. et Mme B....

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

17. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 5 à 16 que le moyen tiré de l'illégalité des décisions faisant obligation à M. et Mme B... de quitter le territoire français par voie de conséquence de l'illégalité des décisions refusant de leur délivrer un titre de séjour, ne peut qu'être écarté.

18. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / (...) / 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. / (...) ".

19. M. B... soutient que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et que, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé au Kosovo, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. Toutefois, si M. B... fait valoir qu'il est atteint d'un état de stress post-traumatique et qu'il bénéficie à ce titre d'un traitement médicamenteux, il ne ressort pas des pièces du dossier que son état de santé nécessiterait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, ni même que celui-ci ne pourrait accéder effectivement à un traitement approprié en cas de retour dans son pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet de la Seine-Maritime, en faisant obligation à M. B... de quitter le territoire français, a méconnu les dispositions précitées de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut qu'être écarté.

20. En troisième lieu, le moyen tiré de ce que le préfet de la Seine-Maritime, en faisant obligation à M. et Mme B... de quitter le territoire français, a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et entaché ces décisions d'une erreur manifeste d'appréciation de leurs conséquences sur la situation personnelle, doivent être écartés pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 5.

21. En quatrième lieu, le moyen tiré de ce que le préfet de la Seine-Maritime, en faisant obligation à M. et Mme B... de quitter le territoire français, a méconnu les stipulations du 1. de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 12.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

22. Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ". Aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".

23. M. et Mme B... soutiennent que les arrêtés contestés, en ce qu'ils fixent le Kosovo au nombre des pays de renvoi, méconnaissent les dispositions précitées de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Toutefois, en l'absence de tout élément susceptible d'établir que l'état de santé de M. B... nécessiterait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravi ou que celui-ci ne pourrait accéder effectivement à un traitement approprié en cas de retour dans son pays d'origine, et alors, en outre, que les intéressés, dont les demandes d'asile ont d'ailleurs été rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile, ne produisent aucun élément probant ou convaincant de nature à établir qu'ils seraient susceptibles de faire l'objet d'une atteinte à leur vie ou de traitements inhumains ou dégradants en cas de retour dans leur pays d'origine, le préfet de la Seine-Maritime, en désignant le Kosovo au nombre des pays à destination desquels ils pourront être reconduits d'office, n'a pas méconnu les dispositions précitées de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni davantage les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peuvent qu'être écartés.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un mois :

24. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 17 à 21 que le moyen tiré de l'illégalité des décisions faisant interdiction à M. et Mme B... de retour sur le territoire français par voie de conséquence de l'illégalité des décisions leur faisant obligation de quitter le territoire français, ne peut qu'être écarté.

25. En deuxième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 612-8 du même code : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 (...). ".

26. Il ressort des pièces du dossier que le préfet de la Seine-Maritime, en prononçant à l'encontre de M. et Mme B..., qui avaient précédemment fait l'objet d'une mesure d'éloignement à laquelle ils n'ont pas déféré, une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'ailleurs d'un mois seulement, n'a, compte tenu de la durée et des conditions de séjour en France des intéressés, ni méconnu les dispositions précitées de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni entaché ces décision d'une erreur d'appréciation, alors même que la présence des intéressés sur le territoire français ne représente pas une menace pour l'ordre public. Le moyen tiré de ce que ces décisions méconnaissent les dispositions des articles L. 612-8 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et sont entachées d'une erreur d'appréciation doit donc être écarté.

27. En troisième et dernier lieu, le moyen tiré de ce que le préfet de la Seine-Maritime, en faisant interdiction à M. et Mme B... de retour sur le territoire français, a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, doit être écarté pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 5.

28. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen, d'une part, a annulé ses deux arrêtés du 22 août 2022, d'autre part, lui a enjoint de délivrer à M. et Mme B... une carte de séjour temporaire, enfin, a mis à la charge de l'Etat le versement au conseil de ceux-ci d'une somme globale de 1 300 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, et à demander l'annulation de ce jugement. Les conclusions y afférentes des demandes présentées par M. et Mme B... devant le tribunal administratif de Rouen doivent donc être rejetées. Il en va de même des conclusions présentées devant la cour par M. et Mme B... sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 2 à 4 du jugement n° 2204442, 2204443 du 21 mars 2023 du tribunal administratif de Rouen sont annulés.

Article 2 : Les demandes présentées par M. et Mme B... devant le tribunal administratif de Rouen ainsi que les conclusions qu'ils présentent devant la cour sur le fondement de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet de la Seine-Maritime, à M. A... B..., à Mme C... B... et à Me Madeline.

Délibéré après l'audience publique du 29 juin 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Christian Heu, président de chambre,

- M. Mathieu Sauveplane, président-assesseur,

- M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 août 2023.

Le président-rapporteur,

Signé : M. SauveplaneLe président de chambre,

Signé : C. Heu

La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière,

Nathalie Roméro

1

2

Nos 23DA00578, 23DA00579


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00578
Date de la décision : 17/08/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Heu
Rapporteur ?: M. Mathieu Sauveplane
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : EDEN AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 27/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-08-17;23da00578 ?
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