Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société de droit belge FINTEC a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013, ainsi que des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011, 2012 et 2013.
Par un jugement no 1801793 du 18 décembre 2019, le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 12 février 2020, le 28 octobre 2021, le 5 avril 2022 et le 16 mars 2023, la société FINTEC, représentée par Me Granotier, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) à titre principal, de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions demeurant en litige ;
3°) à titre subsidiaire, de ramener le montant des suppléments d'impôt sur les sociétés à 72 537 euros au titre de l'exercice clos en 2011, à 94 89 euros au titre de l'exercice clos en 2012 et à 71 636 euros au titre de l'exercice clos en 2013 ; de fixer les bases des rappels de taxe sur la valeur ajoutée collectée aux montant respectifs de 188 641 euros, 178 057 euros et 141 660 euros au titre des périodes couvrant les exercices clos en 2011, 2012 et 2013 ; enfin, de prononcer la décharge des pénalités et intérêts de retard appliqués aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- à la suite d'un accord amiable intervenu le 1er février 2023 entre les administrations fiscales belge et française, en application de l'article 24 de la convention fiscale franco-belge visant à éliminer les doubles impositions en date du 10 mars 1964, l'administration fiscale française a accepté de ramener le montant total des suppléments d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige au titre de l'exercice clos en 2014 et de la période correspondante, de 129 119 euros à 125 009 euros, c'est-à-dire de renoncer à recouvrer un montant de 4 110 euros ; elle entend ajuster, en conséquence et en ce qui concerne l'ensemble des exercices et périodes d'imposition en litige, les conclusions qu'elle présente devant la cour ;
- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal administratif, qui a fondé son raisonnement, lequel est d'ailleurs entaché de contradiction, sur des critères non déterminants, elle ne disposait pas, au cours de la période et des exercices vérifiés, d'un établissement stable en France, dès lors qu'elle n'y disposait d'aucun local, à telle enseigne d'ailleurs que les pièces de la procédure d'imposition que l'administration a tenté de lui adresser à l'adresse de sa cliente en France ont été retournées au service expéditeur avec une mention selon laquelle elle était inconnue à cette adresse, seule les pièces adressées parallèlement à son siège social situé en Belgique ayant été reçues par elle ; en outre, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, la mission qui lui a été contractuellement confiée par la société Soup'Idéale, dont le siège est situé en France, est distincte des missions incombant statutairement au dirigeant de cette société, la circonstance que ce dernier est aussi son propre dirigeant important peu ; or, cette mission, qui porte sur l'exécution de tâches matérielles, n'impliquait pas la présence de l'intéressé dans les locaux de la société Soup'Idéale et le seul fait que celui-ci soit amené à se rendre dans ces locaux, et surtout chez des clients et prospects de cette société, pour l'exercice du mandat social et des fonctions de responsable du développement commercial qu'il exerce au sein de celle-ci, n'est pas de nature à démontrer qu'elle aurait elle-même effectué, en France, dans des locaux qui n'étaient d'ailleurs pas mis à sa disposition, tout ou partie des prestations de services qu'elle devait à cette société dans le cadre de l'exécution du contrat qui les liait, celles-ci pouvant être effectuées dans le bureau aménagé dans les locaux de son siège social ; l'administration a d'ailleurs admis la réalité de cette situation en ne remettant pas en cause la déduction, en tant que charges, de dépenses de téléphone et d'internet exposées par elle audit siège social ;
- dans l'hypothèse où la cour estimerait qu'elle disposait, en France, d'un établissement stable depuis lequel elle a réalisé des prestations de services, elle devrait alors retenir que l'administration a imposé à tort au taux normal de 33,33 % les bénéfices issus de cette activité, alors qu'elle aurait dû bénéficier, comme les pièces qu'elle verse à l'instruction l'établissent, du taux réduit prévu au b. du I de l'article 219 du code général des impôts ; les suppléments d'impôt sur les sociétés doivent donc être réduits d'une somme totale de 24 744 euros ;
- dans cette même hypothèse, la cour devra constater qu'elle a facturé ses prestations, en exonération de taxe sur la valeur ajoutée, à la société Soup'Idéale, qui a auto-liquidé cette taxe, de sorte que les rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige conduisent à la soumettre à une double imposition à raison des mêmes prestations ;
- les pénalités appliquées aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige sont contraires au principe de proportionnalité protégé par le droit de l'Union européenne.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 juillet 2020, et par un mémoire, enregistré le 7 avril 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut, d'une part, au non-lieu à statuer sur les conclusions de la requête de la société FINTEC à fin de décharge à concurrence du dégrèvement prononcé en cours d'instance et, d'autre part, au rejet du surplus des conclusions de la requête.
Il soutient que :
- dès lors que, comme elle le soutient, la société FINTEC satisfaisait, au titre des exercices en litige, aux conditions posées par les dispositions du I de l'article 219 du code général des impôts pour prétendre au bénéfice du taux réduit d'impôt sur les sociétés, il a été fait droit à ses prétentions sur ce point et le dégrèvement correspondant a été prononcé ;
- ainsi que l'ont estimé à juste titre les premiers juges, la société FINTEC disposait, au cours des années et périodes d'imposition en litige et au sens, tant de l'article 209 du code général des impôts que de la convention fiscale franco-belge, d'un établissement stable en France, situé dans les locaux de la société Soup'Idéale, au sein desquels son dirigeant a effectué, au profit de cette dernière, des prestations de services en exécution du contrat qui liait ces deux sociétés ; l'importance et la nature des prestations rendues par la société FINTEC, qui consistaient en la prise en charge de la gestion de la société Soup'Idéale et qui incluaient, le cas échéant, la présentation des rapports de gestion au conseil d'administration ou à l'assemblée générale de cette société, sa seule cliente, rendaient nécessaire la mise en œuvre de moyens techniques, ainsi que la présence en France de la personne qui réalisait ces prestations au nom et pour le compte de la société FINTEC, à savoir de son dirigeant, cette société n'employant d'ailleurs aucun salarié en Belgique au titre des exercices clos en 2011 et 2012 à l'adresse de son siège social, qui était aussi celle du domicile de son dirigeant, aménagé dans des locaux qu'elle lui donnait à bail à usage exclusif d'habitation ; ces prestations, qui reposaient exclusivement sur le dirigeant de la société FINTEC, revenaient, en réalité, à assurer la direction de la société Soup'Idéale, dont l'intéressé était d'ailleurs aussi le dirigeant statutaire, fonctions au titre desquelles il n'était pas rémunéré ;
- dès lors que l'administration a ainsi démontré que la société FINTEC disposait d'un établissement stable en France, caractérisé par la disposition personnelle et permanente de moyens humains et techniques nécessaires à la réalisation de ses prestations, qui ne peuvent être regardées comme l'accessoire ou le préalable de prestations réalisées en Belgique, le chiffre d'affaires réalisé par elle devait, comme l'a retenu à juste titre le tribunal administratif, qui ne s'est nullement contredit dans son analyse, être soumis en France à la taxe sur la valeur ajoutée, en application des articles 256 et 259 du code général des impôts ;
- l'immeuble d'habitation correspondant au domicile du dirigeant de la société FINTEC et de son épouse, également associée, ayant aussi été déclaré comme le siège social de cette société, l'administration a admis, pour établir les rehaussements contestés, de prendre en considération une partie des frais généraux correspondant à cet immeuble ;
- la circonstance que la société Soup'Idéale a fait application du régime d'auto-liquidation au titre des prestations facturées par la société FINTEC ne faisait pas obstacle à ce que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée soit mis à la charge de la société FINTEC, également redevable de la taxe ;
- cette circonstance est également sans incidence sur le bien-fondé de la majoration de 10 %, prévue, en cas de retard de déclaration, par le a. du 1 de l'article 1728 du code général des impôts, et de l'intérêt de retard, prévu à l'article 1727 du même code ; ces majorations et intérêt sont fondés dès lors, d'une part, que la société FINTEC n'a pas déposé, dans les délais légaux, les déclarations de taxe sur la valeur ajoutée qu'elle était tenue de souscrire à raison de l'activité de son établissement stable en France et, d'autre part, que cette société n'a pas acquitté la taxe sur la valeur ajoutée dont elle était redevable à ce titre.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention entre la France et la Belgique tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative et juridique réciproque en matière d'impôts sur les revenus, ensemble un protocole, signée à Bruxelles le 10 mars 1964 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société de droit belge FINTEC exerce son activité dans le domaine immobilier et de services aux entreprises. Ayant estimé que cette société disposait, en France, d'un établissement stable, l'administration a soumis cet établissement à une vérification de comptabilité portant sur la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013. Au cours de ce contrôle, la société FINTEC a déposé, en réponse aux mises en demeure qui lui avaient été adressées à cette fin, les déclarations de chiffre d'affaires et de résultats afférentes à la période et aux exercices vérifiés. A l'issue de cette vérification de comptabilité, l'administration a retenu que la société FINTEC avait réalisé, depuis son établissement stable situé en France, des prestations de services auprès d'un assujetti établi sur le territoire français et que ces prestations auraient dû être soumises, en France, à la taxe sur la valeur ajoutée. Elle a retenu, en outre, que les bénéfices issus de cette activité devaient être soumis à l'impôt sur les sociétés en France. L'administration a fait connaître à la société FINTEC sa position sur ces deux points par une proposition de rectification qu'elle lui a adressée le 12 décembre 2014. La société FINTEC ayant présenté des observations qui n'ont pas amené l'administration à reconsidérer son appréciation, les entretiens accordés par le supérieur hiérarchique de la vérificatrice puis par l'interlocuteur fiscal interrégional n'ayant pas davantage conduit l'administration à modifier son analyse, les suppléments d'impôt sur les sociétés et les rappels de taxe sur la valeur ajoutée, assortis de pénalités, résultant des rectifications ainsi notifiées ont été mis en recouvrement le 28 avril 2017, à hauteur des montants respectifs de 101 309 euros et de 123 538 euros. La société FINTEC a déposé, devant l'administration fiscale belge, une demande de procédure amiable, dans le cadre de l'application de la convention fiscale franco-belge du 10 mars 1964, laquelle demande a été examinée conjointement avec l'administration fiscale française. Cette dernière n'ayant, dans cette attente, pas apporté de réponse expresse à la réclamation présentée par la société FINTEC, celle-ci a porté le litige devant le tribunal administratif de Lille, en lui demandant de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013, ainsi que des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011, en 2012 et en 2013. La société FINTEC relève appel du jugement du 18 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.
Sur l'étendue du litige :
2. Par une décision en date du 7 avril 2022, l'administratrice générale des finances publiques chargée de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord a accordé à la société FINTEC un dégrèvement des suppléments d'impôt sur les sociétés en litige, à hauteur d'un montant total, en droits et pénalités, de 24 738' euros, l'administration ayant admis le bien-fondé du moyen tiré de ce que cette société pouvait prétendre, au titre des exercices en litige, au bénéfice du taux réduit d'impôt sur les société prévu au I de l'article 219 du code général des impôts. Dans cette mesure, les conclusions de la requête de la société FINTEC tendant à la décharge ou à la réduction des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, ainsi que des pénalités correspondantes, auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011, 2012 et 2013 sont devenues sans objet.
Sur le bien-fondé des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés demeurant en litige :
En ce qui concerne le principe de l'imposition en France :
3. En vertu du I de l'article 209 du code général des impôts, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France, ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions. Aux termes de l'article 4 de la convention signée le 10 mars 1964 entre la France et la Belgique, tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative et juridique réciproque en matière d'impôts sur les revenus : " 1. Les bénéfices industriels et commerciaux ne sont imposables que dans l'Etat contractant où se trouve situé l'établissement stable dont ils proviennent. / (...) / 3. Le terme " établissement stable " désigne une installation fixe d'affaires où l'entreprise exerce tout ou partie de son activité. / 4. Constituent notamment des établissements stables : / (...) / b) Une succursale ; / c) Un bureau ; / (...) / h) Les installations dont disposent (...) les artisans ou autres personnes exerçant une activité entrant dans le cadre du présent article, lorsque ces installations sont à leur disposition dans cet Etat pendant une durée totale d'au moins trente jours au cours d'une année civile. / (...) / 6. Une personne - autre qu'un agent jouissant d'un statut indépendant, visé au paragraphe 8 ci-après - agissant dans un Etat contractant pour le compte d'une entreprise de l'autre Etat contractant est considérée comme " établissement stable " dans le premier Etat si elle dispose dans cet Etat de pouvoirs qu'elle y exerce habituellement, lui permettant de conclure des contrats au nom de l'entreprise, à moins que l'activité de cette personne ne soit limitée à l'achat de marchandises pour l'entreprise. / (...) ".
4. Pour estimer que la société FINTEC, dont le siège est situé en Belgique, au domicile de son dirigeant et associé, et de l'épouse de celui-ci, son autre associée, avait réalisé des bénéfices imposables en France depuis un établissement stable situé sur le territoire de ce pays, l'administration a retenu, selon les termes de la proposition de rectification adressée le 12 décembre 2014 à cette société et repris par le ministre dans ses écritures d'appel, que la société FINTEC était liée à la société Soup'Idéale, dont le siège est situé à Feuchy (Pas-de-Calais), par un contrat conclu par ces sociétés en 2003 et par lequel la seconde a confié à la première une mission d'assistance en gestion. Il ressort des termes de ce contrat, versé à l'instruction, que celui-ci confie à la société FINTEC, à compter du 1er mars 2003 et pour une durée indéterminée, la gestion journalière de la société Soup'Idéale, cette mission incluant l'organisation administrative et financière, ainsi, selon les termes mêmes du contrat, que les aspects techniques, opérationnels et commerciaux. Le même contrat précise, d'une part, que ces missions seront assurées par le dirigeant de la société FINTEC, d'autre part, que celui-ci pourra être amené à présenter des rapports de gestion devant le conseil d'administration ou l'assemblée générale de la société Soup'Idéale. En outre, ce contrat prévoit que la société Soup'Idéale mettra à la disposition de la société FINTEC les moyens nécessaires à l'exercice de sa mission et que celle-ci aura accès aux documents, dossiers et éléments d'information qui lui seront utiles. Enfin, selon les clauses de ce contrat, la société FINTEC percevra, en rémunération de sa mission, une commission annuelle d'un montant maximal de 182 650 euros comprenant une part fixe d'un montant de 91 325 euros et une part variable ne pouvant excéder 91 325 euros. Ce contrat stipule également que les frais exposés par la société FINTEC pour les besoins de sa mission, comprenant des dépenses de déplacement et de téléphone, sont pris en charge par la société Soup'Idéale dans le cadre d'une allocation forfaitaire mensuelle de 850 euros, le président du conseil d'administration de cette dernière pouvant autoriser, sur demande de la société FINTEC, la prise en charge de frais au-delà de ce montant.
5. L'administration a également estimé que l'exercice de cette mission, qui a conduit, au cours des années d'imposition en litige, la société FINTEC à assumer la gestion quotidienne de la société Soup'Idéale, dans les domaines tant administratif que financier, technique et commercial, impliquait nécessairement que le dirigeant de la société FINTEC, à qui le contrat mentionné au point précédent avait confié la réalisation de cette mission, soit physiquement présent plusieurs jours par semaine dans les locaux de la société Soup'Idéale, qui était d'ailleurs sa seule cliente, d'autant que la société FINTEC n'employait aucun salarié durant les exercices clos en 2011 et en 2012 et que cette mission ne pouvait être accomplie, fût-ce pour partie, au siège de la société FINTEC, qui correspondait à une maison que celle-ci donnait à bail, à usage exclusif d'habitation, à son dirigeant et à l'épouse de celui-ci. Enfin, l'administration a estimé que la nature et l'ampleur de la mission ainsi confiée par la société Soup'Idéale à la société FINTEC, plus précisément au dirigeant de cette dernière, qui, déjà administrateur de la société Soup'Idéale, venait d'être nommé, par une délibération du 13 février 2003 du conseil d'administration de cette société, au fonctions non rémunérées de directeur général de celle-ci, équivalait, en réalité, à la direction, depuis ses locaux et avec ses moyens de gestion, de la société Soup'Idéale, de sorte que les sommes versées par celle-ci, à titre d'honoraires, à la société FINTEC rémunéraient en fait les fonctions de dirigeant de la société Soup'Idéale.
6. Pour critiquer cette analyse, la société FINTEC soutient que la mission qui lui avait été confiée était distincte de la direction de la société Soup'Idéale et qu'elle ne consistait, pour l'essentiel, qu'en l'exécution de tâches matérielles en assistance à cette direction, qui n'impliquait pas sa présence au siège de la société Soup'Idéale. Elle fait valoir que le fait que son dirigeant se soit, au cours des exercices vérifiés, rendu à cette adresse, et plus particulièrement auprès des clients et prospects de cette société, s'explique par les fonctions dirigeantes qu'il exerçait au sein de cette société et qui l'amenaient à s'investir dans son développement commercial. Elle précise qu'elle ne disposait, sur place, d'aucun local, ainsi qu'en témoigne le fait que l'administration a vainement tenté de lui communiquer des pièces de la procédure d'imposition à l'adresse du siège de la société Soup'Idéale, où elle n'était pas identifiée à l'égard des tiers, et que sa mission a pu être exercée à son siège social, où des dépenses de télécommunication ont été exposées et admises en déduction en tant que charges. Elle soutient, au vu de l'ensemble de ces éléments, que c'est à tort que l'administration l'a regardée comme ayant exercé sa mission depuis un établissement stable situé en France.
7. Toutefois, les stipulations mêmes du contrat conclu entre la société FINTEC et la société Soup'Idéale, telles qu'exposées au point 4, excluent que la mission confiée à cette dernière se limite à l'exécution de prestations essentiellement matérielles d'assistance à la gestion de la société Soup'Idéale. Au contraire, ces stipulations révèlent que la mission confiée au dirigeant de la société FINTEC incluait la direction financière, opérationnelle et commerciale de la société Soup'Idéale et qu'elle était équivalente à celles relevant de l'exercice, par ce même dirigeant, du mandat social qui lui avait par ailleurs été confié par le conseil d'administration de la société Soup'Idéale. Aussi, quand bien même l'intéressé, pour les besoins de sa mission, aurait pu passer des appels téléphoniques ou utiliser un accès à l'internet, depuis le siège de la société FINTEC, qui constituait son domicile personnel, cette mission, eu égard à sa nature et à son étendue, impliquait une présence continue au sein des locaux de la société Soup'Idéale, où, en l'absence d'indice convaincant contraire, elle a nécessairement été accomplie pour l'essentiel, alors même que la société FINTEC n'y disposait pas d'une adresse postale et que son dirigeant n'était pas identifié comme agissant en son nom et pour son compte. Dès lors, la société FINTEC doit être regardée, au sens des stipulations, citées au point 3, de la convention fiscale franco-belge, comme ayant disposé, au sein des locaux du siège de la société Soup'Idéale, sa seule cliente, en France, d'une installation fixe d'affaires où, au cours des exercices clos en 2011 à 2013, elle a exercé, par son dirigeant, qui avait pleine capacité pour l'engager juridiquement à l'égard des tiers, la majeure partie de son activité. Par suite, l'administration était fondée à soumettre, en France, à l'impôt sur les sociétés les bénéfices de la société FINTEC générés à l'occasion de l'exercice de cette activité.
Sur le bien-fondé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée :
8. En vertu du I de l'article 256 du code général des impôts, les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée, le fait générateur de la taxe étant alors, comme le précise le a) du 1 de l'article 269 de ce code, la réalisation de la prestation. Aux termes de l'article 259 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable : " Le lieu des prestations de services est situé en France : / 1° Lorsque le preneur est un assujetti agissant en tant que tel et qu'il a en France : / a) Le siège de son activité économique, sauf lorsqu'il dispose d'un établissement stable non situé en France auquel les services sont fournis ; / b) Ou un établissement stable auquel les services sont fournis ; / c) Ou, à défaut du a ou du b, son domicile ou sa résidence habituelle ; / (...) ".
9. Ainsi qu'il a été dit au point 7, la société FINTEC doit être regardée comme ayant réalisé, depuis un établissement stable, comportant les moyens techniques nécessaires, dont elle disposait, au cours de la période couvrant les exercices clos en 2011 à 2013, dans les locaux de la société Soup'Idéale, des prestations de services, en matière de direction et de gestion d'entreprise, au bénéfice de cette société. Or, il est constant que la société Soup'Idéale est assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée à raison de l'activité de fabrication et de commercialisation de potages de légumes, de soupes de poisson, de sauces et de plats cuisinés qu'elle exerce en France, où elle dispose du siège de son activité économique, dans les locaux duquel ces prestations ont été effectuées. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a soumis le chiffre d'affaires issu des prestations de services ainsi effectuées par la société FINTEC auprès de la société Soup'Idéale à la taxe sur la valeur ajoutée en France.
10. Si la société FINTEC soutient que la société Soup'Idéale aurait auto-liquidé la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux prestations qu'elle lui a rendues, de sorte que les rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige aurait conduit à la soumettre à une double imposition, elle n'apporte aucun élément au soutien de cette allégation. Au surplus, compte tenu de l'intérêt qui s'attache à ce que la taxe sur la valeur ajoutée soit acquittée par son redevable légal et de la circonstance que les rectifications n'ont pas pour effet de faire payer deux fois par un même redevable la taxe en cause, les principes de neutralité et d'effectivité de la taxe sur la valeur ajoutée ne font pas obstacle à ce que l'administration soumette les prestations en cause à la taxe sur la valeur ajoutée française sur le fondement des articles 259 et 283 du code général des impôts et établisse les rappels correspondants au nom de la société appelante, laquelle en est légalement redevable, alors même que la société Soup'Idéale aurait fait application du mécanisme d'auto-liquidation.
Sur les pénalités :
11. L'administration a appliqué aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige, d'une part, l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du code général des impôts et, d'autre part, la majoration de 10 % prévue au a. du 1 de l'article 1728 de ce code en cas de dépôt tardif de déclarations.
12. La société FINTEC soutient que, dès lors que la société Soup'Idéale a acquitté la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé le prix des prestations de services qu'elle lui a rendues, les pénalités et intérêts de retard appliqués aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige sont contraires au principe, protégé par le droit de l'Union européenne, de proportionnalité des pénalités infligées aux redevables de la taxe sur la valeur ajoutée. Toutefois, dès lors qu'ainsi qu'il a été dit au point 10, l'auto-liquidation de la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux prestations en cause ne peut être retenue, ce moyen doit être écarté comme non fondé. Au surplus, d'une part, alors que l'intérêt de retard institué par l'article 1727 du code général des impôts vise essentiellement à réparer les préjudices de toute nature subis par l'Etat à raison du non-respect, par les contribuables eux-mêmes, de leurs obligations de déclarer et de payer l'impôt aux dates légales, la société FINTEC, qui n'a pas déclaré et acquitté dans les délais légaux la taxe afférente aux prestations de services effectuées pour le compte de la société Soup'Idéale, ne peut utilement soutenir, pour contester l'application des intérêts de retard mis à sa charge, que la taxe sur la valeur ajoutée collectée, due par elle à ce titre, aurait été déclarée et réglée par cette dernière. D'autre part, la majoration de 10 % prévue au a. du 1 de l'article 1728 du code général des impôts, qui présente le caractère d'une sanction tendant à empêcher la réitération des agissements qu'elle vise, n'a pas pour objet la réparation pécuniaire d'un préjudice subi par l'Etat. Par suite, la société FINTEC ne peut utilement soutenir, pour contester l'application de cette majoration, que le Trésor n'aurait pas été lésé par ses manquements dans la mesure où la société Soup'Idéale, en sa qualité de preneur, aurait déclaré et réglé la taxe sur la valeur ajoutée à raison des prestations facturées par elle en application du mécanisme d'auto-liquidation.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la société FINTEC n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté les conclusions de sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013, ainsi que des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, demeurant en litige, auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011, en 2012 et en 2013. Enfin, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui ne peut être regardé comme la partie perdante pour l'essentiel dans le présent litige, au titre des frais exposés par la société FINTEC et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : A concurrence du dégrèvement prononcé, en cours d'instance, à hauteur d'un montant total, en droits et pénalités, de 24 738' euros, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de la société FINTEC tendant à la décharge ou à la réduction des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011, 2012 et 2013, ainsi que des pénalités correspondantes.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la société FINTEC est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société FINTEC et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera transmise à l'administratrice générale des finances publiques chargée de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.
Délibéré après l'audience publique du 13 avril 2023 à laquelle siégeaient :
- M. Christian Heu, président de chambre,
- M. B... A..., premiers conseiller,
- M. Jean-François Papin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 mai 2023.
Le rapporteur,
Signé : J.-F. PapinLe président de chambre,
Signé : C. Heu
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
Nathalie Roméro
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N°20DA00258