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06/04/2023 | FRANCE | N°22DA01608

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 06 avril 2023, 22DA01608


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 25 juillet 2022 et un mémoire en réplique enregistré le 2 mars 2023, la société Parc éolien du chemin croisé, représentée par Me François Versini-Campinchi, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 7 juin 2022 par lequel la préfète de la Somme a rejeté sa demande d'autorisation environnementale de construire et d'exploiter un parc éolien sur le territoire des communes de Chilly et Maucourt ;

2°) de délivrer l'autorisation demandée et d'enjoindre à la préfète de la Somme de préciser

les prescriptions applicables dans un délai de deux mois à compter de la date de notification...

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 25 juillet 2022 et un mémoire en réplique enregistré le 2 mars 2023, la société Parc éolien du chemin croisé, représentée par Me François Versini-Campinchi, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 7 juin 2022 par lequel la préfète de la Somme a rejeté sa demande d'autorisation environnementale de construire et d'exploiter un parc éolien sur le territoire des communes de Chilly et Maucourt ;

2°) de délivrer l'autorisation demandée et d'enjoindre à la préfète de la Somme de préciser les prescriptions applicables dans un délai de deux mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé ;

- il méconnaît l'article R. 181-34 du code de l'environnement.

Par un mémoire en défense enregistré le 2 février 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé et que d'autres photomontages que ceux évoqués dans l'arrêté démontrent une visibilité du projet depuis certains centres-bourgs.

La clôture de l'instruction a été fixée au 6 mars 2023 à 12 heures par ordonnance du 2 février 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,

- et les observations de Me Jean-Baptiste Duclercq représentant la société Parc éolien du chemin croisé.

Une note en délibéré présentée par la société du Parc éolien du chemin croisé a été enregistrée le 31 mars 2023.

Considérant ce qui suit :

1. La société du Parc éolien du chemin croisé a déposé le 9 juillet 2020 une demande d'autorisation environnementale en vue de construire et exploiter un parc éolien composé de dix aérogénérateurs et de trois postes de livraison sur le territoire des communes de Chilly et de Maucourt. Par un arrêté du 7 juin 2022, la préfète de la Somme a rejeté cette demande. La société Parc éolien du chemin croisé demande l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité de l'arrêté du 7 juin 2022 :

En ce qui concerne la motivation :

2. L'arrêté attaqué comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent leur fondement. Il explique notamment dans son point 4, contrairement à ce que soutient la société requérante, pourquoi il considère que le site d'implantation du projet présente un intérêt particulier. Dès lors, le moyen tiré d'une insuffisance de motivation doit être écarté.

En ce qui concerne l'atteinte aux paysages et à la commodité du voisinage :

3. Aux termes du I de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas. ". Aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. / (...) ".

4. Le refus opposé par la préfète de la Somme dans l'arrêté du 7 juin 2022 est uniquement motivé par l'atteinte aux paysages et à la commodité du voisinage.

5. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage de nature à fonder un refus d'autorisation ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de cette autorisation, il appartient au préfet d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site ou du paysage sur lequel l'installation est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette installation, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site, sur le monument ou sur le paysage.

S'agissant de la qualité du site d'implantation :

6. Il ressort tant de l'étude d'impact que de l'avis de la mission régionale de l'autorité environnementale (MRAE) que le projet s'implante sur le plateau du Santerre, paysage de grande culture ouverte de plein champ, ponctué de petits boisements. La zone d'implantation du projet est située à proximité de la ligne TGV et d'autres parcs éoliens. Si l'étude d'impact souligne la présence à proximité de sites d'intérêt ponctuel comme le village de Rosières-en-Santerre et si le site du projet permet des vues ouvertes sur le plateau, ce site, qui ne fait l'objet d'aucune protection, ne présente pas en lui-même d'intérêt particulier, contrairement à ce qu'a retenu la préfète de la Somme dans l'arrêté contesté. Toutefois, il ne résulte pas des termes de cette décision que la qualité du site constitue un des motifs de refus.

S'agissant de l'impact sur la commune de Méharicourt :

7. Le bourg de Méharicourt est situé à un peu plus d'un kilomètre au sud du projet. Si le projet n'a aucun impact sur l'indice de respiration depuis ce bourg, cet indice d'une valeur de 50° demeure faible. Le projet augmente, par ailleurs, la somme des angles occupés par les éoliennes situées dans un rayon de 5 kilomètres qui passe de 184° à 217°. Ces données théoriques doivent toutefois être confrontées à leur manifestation visuelle concrète.

8. Si le projet est très visible depuis les sorties nord et est de Méharicourt, il prend place dans un vaste paysage de cultures ouvertes de plein champ qui ne présente pas d'intérêt particulier. Par ailleurs, les points de vue où ont été réalisés les photomontages 1, 2 et 2 bis qui révèlent cette grande visibilité sont dépourvus d'habitations.

9. Toutefois, certaines éoliennes du projet sont également visibles depuis des parties habitées du bourg à son extrémité nord. Le photomontage 63 de l'étude paysagère démontre que l'éolienne E 6 surplombe les maisons d'habitation, quasiment dans l'axe de la rue les desservant. Si cette éolienne est en concurrence depuis le point de vue avec des lignes électriques, elle a néanmoins un effet massif de domination dans une partie habitée. Les autres éoliennes sont nettement moins visibles, seuls des extrémités de pale des éoliennes E1, E 3 et E 7 dépassant le faîtage des constructions. Si l'arrêté ne cite pas ce photomontage lorsqu'il évoque les effets de saturation et la prégnance du motif éolien dans la commune de Méharicourt, le ministre souligne en défense la prégnance de certaines éoliennes depuis l'extrémité nord de Méharicourt, dans une partie qui compte plusieurs habitations. Il produit à l'appui de ses écritures le photomontage 63 précité. Compte tenu de ces éléments, l'éolienne E 6 porte une atteinte significative à la commodité du voisinage, s'agissant de la commune de Méharicourt.

S'agissant de l'impact sur la commune de Maucourt :

10. Le bourg de Maucourt est également situé à un peu plus d'un kilomètre au sud du projet. Le projet augmente aussi la somme des angles occupés par des éoliennes à 5 kilomètres mais n'a pas non plus d'impact sur l'indice de respiration qui demeure très faible à 35°. De la même manière qu'à Méharicourt, les vues depuis les sorties de Maucourt démontrent la grande prégnance du projet au nord qui vient par ailleurs s'ajouter à un autre parc situé à proximité au sud. Toutefois, le projet vient s'implanter également dans un paysage de culture ouverte de plein champ sans intérêt particulier. Si certaines éoliennes du projet sont également visibles depuis la place de l'église, elles sont largement masquées par le bâti et la végétation qui s'imposent au premier plan. Compte tenu de ces éléments, c'est à tort que la préfète de la Somme a retenu une atteinte significative à la commodité du voisinage, s'agissant de la commune de Maucourt.

S'agissant de la commune de Chilly :

11. Ce bourg est également situé à environ un kilomètre au sud du projet. Le projet augmente la somme des angles occupés par des éoliennes à 5 kilomètres de 22° mais laisse inchangé l'indice de respiration, déjà très faible, de 33°. Par ailleurs, ce bourg est déjà entouré par 52 éoliennes dans un rayon de 5 kilomètres. Si les éoliennes ne sont pas visibles depuis certaines parties du centre où elles sont masquées par le bâti et la végétation, certaines sont très visibles depuis l'esplanade arborée se trouvant devant la mairie. En particulier, les éoliennes E 9 et E4 s'inscrivent dans l'axe de cette place et ont un fort effet de surplomb lorsqu'on chemine le long de cette place vers le nord. Par suite, la préfète de la Somme était fondée à retenir une atteinte à la commodité du voisinage pour le bourg de Chilly mais ne pouvait motiver son refus pour ce motif que pour les éoliennes E 9 et E 4 qui sont les seules à avoir un impact significatif.

S'agissant des autres impacts à la commodité du voisinage évoqué en défense :

12. Si le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires soutient en défense que le projet est visible depuis le centre bourg de certaines communes, il se réfère ainsi aux atteintes déjà examinées à Maucourt ou à Méharicourt. S'il cite également la vue depuis la gare de Chaulnes, depuis ce point de vue à plus de 2 kilomètres du projet, les éoliennes apparaissent en second plan, largement masquées par la végétation dans un paysage dominé par la voie ferrée. L'atteinte à la commodité du voisinage pour la commune de Chaulnes n'est donc pas établie.

S'agissant de l'atteinte aux sites patrimoniaux :

13. En premier lieu, si le projet est visible avec l'église de Rosières-en-Santerre depuis la route départementale 29, il est situé à 6 kilomètres de ce point de vue et à cette distance, la concurrence entre le clocher et les deux lignes d'éoliennes de part et d'autre de celui-ci n'est pas marquante et se place dans le lointain d'un horizon dégagé de plateau agricole. Par ailleurs, le projet n'est pas visible depuis l'église. L'atteinte à ce monument non protégé n'apparaît donc pas significative.

14. En deuxième lieu, quant à l'église de Caix, inscrite au titre des monuments historiques, elle est située à 7,4 kilomètres du projet. Celui-ci n'est pas visible depuis l'église dont le porche tourne le dos au projet. Si l'église est en covisibilité avec le projet, celui-ci apparaît en second plan du clocher, à la même échelle que le château d'eau et sans effet de domination sur le monument inscrit. C'est donc à tort que la préfète de la Somme a retenu ce motif pour rejeter la demande de la société requérante.

15. En troisième lieu, si l'arrêté évoque la silhouette du bourg de Maucourt, village bosquet, il n'est guère argumenté sur ce point et les pièces du dossier ne démontrent pas une atteinte par le projet à un paysage remarquable constitué par ce bourg, qui ne fait l'objet d'aucune protection. Ainsi qu'il a été dit, au titre de la commodité du voisinage, les éoliennes envisagées apparaissent dans l'environnement de ce bourg dans un paysage agricole très ouvert sans que soit démontré un effet de domination sur les parties habitées.

16. Il résulte de tout ce qui précède que si le projet vient occuper un espace de respiration à proximité immédiate de certains bourgs situés au sud, il contribue à la densification du motif éolien dans un paysage ouvert sans intérêt particulier sans pour autant diminuer pour ces bourgs l'indice de respiration. Les atteintes à la commodité du voisinage ne sont par ailleurs pas établies concrètement par l'étude d'impact du projet, dont la méthodologie et la fiabilité ne sont pas sérieusement remises en causes, sauf pour le bourg de Chilly et pour l'extrémité nord de la partie habitée de Méharicourt. Ce seul motif fondé retenu par l'arrêté du 7 juin 2022 ne saurait entraîner le rejet de l'ensemble de la demande, l'atteinte n'étant significative que pour les seules éoliennes E4, E 6 et E 9. Dans ces conditions, l'arrêté du 7 juin 2022 doit être annulé en tant qu'il refuse l'autorisation des éoliennes E 1, E 2, E 3, E 5, E 7, E 8 et E 10.

Sur la délivrance de l'autorisation et l'injonction :

17. Dans le cadre d'un litige relevant d'un contentieux de pleine juridiction, comme en l'espèce, le juge administratif a le pouvoir d'autoriser la création et le fonctionnement d'une installation soumise à autorisation environnementale en l'assortissant des conditions qu'il juge indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Il a, en particulier, le pouvoir d'annuler la décision par laquelle l'autorité administrative a refusé l'autorisation sollicitée puis, après avoir, si nécessaire, régularisé ou complété la procédure, d'accorder lui-même cette autorisation aux conditions qu'il fixe ou, le cas échéant, en renvoyant le bénéficiaire devant le préfet pour la fixation de ces conditions.

18. Eu égard au motif d'annulation partielle retenu par le présent arrêt et dès lors que le ministre n'a pas invoqué un autre motif de refus, il y a lieu pour la cour de faire usage de ses pouvoirs de pleine juridiction, d'une part, en délivrant à la société pétitionnaire l'autorisation environnementale relative aux éoliennes E 1, E 2, E 3, E 5, E 7, E 8 et E 10 et aux trois postes de livraison sur les communes de Chilly et de Maucourt, d'autre part, en la renvoyant devant le préfet de la Somme pour fixer les prescriptions indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, enfin, en enjoignant à l'autorité administrative de fixer ces prescriptions dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés à l'instance :

19. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, la somme de 2 000 euros à verser à la société du parc éolien du chemin croisé.

DÉCIDE :

Article 1er : L'arrêté du 7 juin 2022 de la préfète de la Somme est annulé en tant qu'il refuse d'autoriser les éoliennes E 1, E 2, E 3, E 5, E 7, E 8 et E 10.

Article 2 : L'autorisation environnementale pour la construction et l'exploitation des aérogénérateurs E 1, E 2, E 3, E 5, E 7, E 8 et E 10 et des trois postes de livraison correspondants est accordée à la société du parc éolien du chemin croisé.

Article 3 : La société du parc éolien du chemin croisé est renvoyée devant le préfet de la Somme pour fixer les prescriptions nécessaires à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.

Article 4 : Il est enjoint au préfet de la Somme de fixer les prescriptions mentionnées à l'article 3 dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 5 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à la société du parc éolien du chemin croisé au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions de la société du parc éolien du chemin croisé est rejeté

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la société du parc éolien du chemin croisé, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au préfet de la Somme.

Délibéré après l'audience publique du 23 mars 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- Mme Corinne Baes-Honoré, présidente-assesseure,

- M. Denis Perrin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 avril 2023.

Le rapporteur

Signé : D. PerrinLe président de la 1ère chambre,

Signé : M. A...

La greffière,

Signé : C. Sire

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au préfet de la Somme, chacun en ce qui les concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière en chef adjointe,

Sylviane Dupuis

N° 22DA01608 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01608
Date de la décision : 06/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. Denis Perrin
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : CABINET LEFEVRE PELLETIER ET ASSOCIES ET CGR LEGAL

Origine de la décision
Date de l'import : 01/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-04-06;22da01608 ?
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