Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler l'arrêté du 8 décembre 2021 par lequel la préfète de l'Oise a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2200281 du 17 mars 2022, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 22 avril 2022, M. A... B..., représenté par Me Guilhem Riou, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté de la préfète de l'Oise du 8 décembre 2021 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de l'Oise de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou à défaut " salarié " ou " travailleur temporaire " ou, à titre subsidiaire, un titre de séjour " étudiant " ;
4°) à défaut, de lui enjoindre de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) à titre principal, de mettre à la charge de l'Etat le versement, à son avocat, d'une somme de 1 600 euros au titre de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de la renonciation de celui-ci à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle et, à titre subsidiaire, de mettre la somme de 1 600 euros à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors que le tribunal a omis de statuer sur le moyen tiré de l'erreur d'appréciation tenant à la non-prise en considération du classement sans suite pour infraction non suffisamment caractérisée ;
- la décision de refus de titre de séjour est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa demande ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article R. 142-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur de fait s'agissant de son identité ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article 47 du code civil ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors qu'il n'a pas commis de fraude ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 août 2022, la préfète de l'Oise conclut au rejet de la requête.
Elle soutient qu'aucun des moyens invoqués au soutien de la requête de M. B... n'est fondé.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 mai 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Sylvie Stefanczyk, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant bangladais né le 20 août 2000, est entré en France le 26 janvier 2017 et a été confié, le 6 février 2017, au service de l'aide sociale à l'enfance du conseil départemental des Bouches-du-Rhône. Il a obtenu le 2 septembre 2020 la délivrance d'un titre de séjour en qualité d'étudiant. L'intéressé a sollicité, le 23 juin 2021, la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions des articles L. 422-1, L. 423-23, L. 435-1 et L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 8 décembre 2021, la préfète de l'Oise a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. B... relève appel du jugement du 17 mars 2022 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement :
2. M. B... soutient que le tribunal a omis de répondre au moyen tiré de l'erreur d'appréciation tenant à la non-prise en considération du classement sans suite pour infraction non suffisamment caractérisée entachant la décision de refus de titre. Toutefois, il ressort des motifs du jugement attaqué, et en particulier du point 7 de ce jugement, que les premiers juges ont répondu à ce moyen en estimant qu'il convenait de l'écarter. Dès lors, le moyen tiré de l'omission à statuer sur ce moyen doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiants de son état civil ; / 2° Les documents justifiants de sa nationalité ; / 3° Les documents justifiants de l'état civil et de la nationalité de son conjoint, de ses enfants et de ses parents lorsqu'il sollicite la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour pour motif familial./La délivrance du premier récépissé et l'intervention de la décision relative au titre de séjour sollicité sont subordonnées à la production de ces documents./Lorsque la demande de titre de séjour est introduite en application de l'article L. 431-2, le demandeur peut être autorisé à déposer son dossier sans présentation de ces documents. " Aux termes de l'article L. 811-2 de ce code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. " Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité (...) ". Ces dernières dispositions posent une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère. Il incombe cependant à l'administration, si elle entend renverser cette présomption, d'apporter la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non-conforme à la réalité des actes en cause. Cette preuve peut être apportée par tous moyens et, notamment, par les données à caractère personnel enregistrées dans le traitement automatisé dénommé Visabio. En revanche, l'administration française n'est pas tenue de solliciter nécessairement et systématiquement les autorités d'un autre Etat afin d'établir qu'un acte d'état civil présenté comme émanant de cet Etat est dépourvu d'authenticité, en particulier lorsque l'acte est, compte tenu de sa forme et des informations dont dispose l'administration française sur la forme habituelle du document en question, manifestement falsifié.
4. Pour refuser à M. A... B... la délivrance d'un titre de séjour, la préfète de l'Oise s'est fondée sur la circonstance que celui-ci avait déclaré une fausse identité en France " dans le but manifeste d'être pris en charge par l'aide sociale à l'enfance et de solliciter un titre de séjour à sa prétendue majorité " et qu'il " avait ainsi frauduleusement acquis un certain nombre de droits tel que sa prise en charge par l'aide sociale à l'enfance, le financement de ses études en centre de formation des apprentis ou un premier titre de séjour étudiant ". Il ressort des pièces du dossier que si l'intéressé a, lors de sa demande de titre de séjour, présenté un passeport valable du 12 septembre 2017 au 11 septembre 2022 ainsi qu'une copie d'un acte de naissance, précisant son identité comme M. A... B..., né le 20 août 2000, tel qu'il a été dit au point 1, la consultation du système automatisé de traitement des données Visabio a cependant mis en évidence, après vérification de ses empreintes digitales, qu'il était connu sous l'identité de M. D... B..., né le 2 mai 1983 à Sunamganj au Bangladesh et exerçant la profession de chef d'entreprise et qu'un visa de court séjour lui avait été délivré par les autorités consulaires grecques en Arabie Saoudite le 27 novembre 2016 au vu d'un passeport correspondant à cette identité et valable jusqu'au 20 mai 2020. Toutefois, d'une part, M. B... admet avoir procédé à des déclarations mensongères en se déclarant majeur à l'occasion de la présentation et de l'instruction de sa demande de visa. D'autre part, la préfète de l'Oise, qui a indiqué dans l'arrêté attaqué que les documents produits par M. B... à l'appui de sa demande de titre étaient " apparemment authentiques ", n'allègue ni n'établit avoir effectué de diligences complémentaires afin de vérifier l'authenticité de ces documents, lesquels, au demeurant, n'avaient pas été invalidés par le préfet des Bouches-du-Rhône qui avait délivré à M. B..., le 2 septembre 2020, un titre de séjour en qualité d'étudiant. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que si le préfet des Bouches-du-Rhône avait adressé, le 3 avril 2018, un signalement au procureur de la république près le tribunal de grande instance de Marseille au titre de l'article 40 du code de procédure pénale pour suspicion d'obtention frauduleuse de document administratif constatant un droit, une identité ou une qualité ou accordant une autorisation, la procédure a cependant été classée sans suite, au motif d'une infraction insuffisamment caractérisée. Enfin, le juge pour enfants au tribunal de grande instance de Marseille avait considéré que M. B... était mineur, ce qui l'avait conduit à le confier à l'aide sociale à l'enfance jusqu'au 20 août 2018 date de sa majorité, ce qui n'est pas compatible avec les informations mentionnées au fichier Visabio correspondant à celle d'un homme de 33 ans. Compte tenu de l'ensemble de ces circonstances, il y a lieu de considérer que l'état civil de M. A... B... est bien celui dont il se prévaut et qu'il était bien mineur à la date de sa prise en charge par les services sociaux. Par suite, la préfète de l'Oise ne pouvait, sans commettre d'erreur d'appréciation, estimer que les informations données par l'intéressé sur son identité étaient dénuées de valeur probante et refuser, pour ce motif de lui délivrer un titre de séjour. Si celle-ci fait valoir dans ses écritures que la situation personnelle de M. B... ne caractérise pas un motif exceptionnel d'admission au séjour et qu'il n'établit pas une progression raisonnable dans son cursus scolaire, de tels motifs ne sont pas cependant de nature à justifier le refus de délivrance de l'ensemble des titres de séjour sollicités par l'intéressé. Dans ces circonstances, il n'y a pas lieu de faire droit à la substitution demandée par la préfète de l'Oise. Par suite, M. B... est fondé à demander l'annulation de la décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour et, par voie de conséquence, l'annulation des autres décisions contenues dans l'arrêté attaque.
5. Il résulte de toute ce qui précédé que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction sous astreinte :
6. Eu égard au motif qui la fonde, l'annulation de l'arrêté attaqué par le présent arrêt implique seulement que la préfète de l'Oise procède au réexamen de la situation de M. B.... Dès lors, il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée par M. B....
Sur les frais liés à l'instance :
7. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Riou de la somme de 1 000 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n°2200281 du 17 mars 2022 du tribunal administratif d'Amiens est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 8 décembre 2021 de la préfète de l'Oise portant refus de délivrance de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français avec un délai de trente jours et fixant le pays de renvoi de M. B... est annulé.
Article 3 : Il est enjoint à la préfète de l'Oise de procéder au réexamen de la situation de M. B... dans un délai de deux mois à compter de la date de notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros à Me Riou en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle, sous réserve que cet avocat renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à la préfète de l'Oise et à Me Guilhem Riou.
Délibéré après l'audience publique du 21 février 2023 à laquelle siégeaient :
- M. Marc Baronnet, président-assesseur, assurant la présidence de la formation du jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,
- Mme Sylvie Stefanczyk, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mars 2023.
La rapporteure,
Signé : S. StefanczykLe président de la formation
de jugement,
Signé : M. C...
La greffière,
Signé : A.S. Villette
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière
Anne-Sophie Villette
2
N°22DA00870