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16/02/2023 | FRANCE | N°22DA00154

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 16 février 2023, 22DA00154


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision du 8 octobre 2019 de l'inspectrice du travail accordant à la société Carrefour Proximité France l'autorisation de procéder à son licenciement et de mettre solidairement à la charge de l'Etat et de la société Carrefour Proximité France la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1904366 du 25 novembre 2021 le tribunal administratif

de Rouen a rejeté sa demande et rejeté le surplus des conclusions des parties.

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision du 8 octobre 2019 de l'inspectrice du travail accordant à la société Carrefour Proximité France l'autorisation de procéder à son licenciement et de mettre solidairement à la charge de l'Etat et de la société Carrefour Proximité France la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1904366 du 25 novembre 2021 le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande et rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 21 janvier, 17 juin et 30 septembre 2022, M. B... A..., représenté par Me Campagnolo, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 8 octobre 2019 de l'inspectrice du travail accordant à la société Carrefour Proximité France l'autorisation de procéder à son licenciement ;

3°) de mettre solidairement à la charge de l'Etat et de la société Carrefour Proximité France la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision est insuffisamment motivée ;

- l'inspecteur du travail s'est appuyé sur des pièces fournies dans un autre dossier ce qui pose la question du caractère contradictoire de ces éléments ;

- le motif économique du licenciement n'est pas établi ;

- la société Carrefour Proximité France n'a pas respecté son obligation de reclassement.

Par des mémoires enregistrés les 6 mai, 19 août et 7 novembre 2022, la société Carrefour Proximité France, représentée par Me Watrelot, demande à la cour de rejeter la requête de M. A... et de mettre à la charge du requérant la somme de 3 500 euros au titre des frais liés à l'instance.

Elle fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 7 novembre 2022 la date de clôture de l'instruction a été fixée au 25 novembre 2022 à 12 heures.

Par courrier du 18 janvier 2023, pris en application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, la cour a demandé au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion de fournir toute pièce justifiant de ce que M. A... a été mis à même de prendre connaissance, avant la décision, des documents produits au cours de l'enquête, et notamment ceux visés à la page 3 du mémoire daté du 12 février 2020, produit par la direction régionale du travail et de l'emploi de Normandie en première instance, à voir les comptes consolidés au 31 décembre 2017, le rapport d'expertise CEMA et les rapports financiers 2017 et 2018 et tous autres documents cités.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de commerce ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,

- les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public,

- et les observations de Me Thierry, représentant la société Carrefour Proximité France.

Considérant ce qui suit :

1. La société Carrefour Proximité France qui exploite les magasins à l'enseigne " Carrefour City " et " Carrefour Contact ", dont le siège est situé à Mondeville, est une filiale du groupe Carrefour spécialisée dans les magasins de petite taille dits " de proximité ". Le 23 janvier 2018, cette société a annoncé sa réorganisation et le dépôt d'un plan de sauvegarde de l'emploi comprenant notamment la fermeture de deux cent soixante-douze magasins en exploitation directe et le passage en location-gérance de soixante-dix-neuf autres. Ce plan de sauvegarde de l'emploi a été homologué par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France le 21 juin 2018. Dans ce contexte, la société Carrefour France Proximité a sollicité, le 8 février 2019, l'autorisation de procéder au licenciement de M. B... A..., salarié recruté en octobre 2001 exerçant les fonctions d'adjoint chef de magasin au sein du " Carrefour Contact " de Lucé (Eure) et bénéficiant d'une protection en sa qualité de membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Le 12 avril 2019, l'inspectrice du travail de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de Normandie, unité départementale de l'Eure, a refusé de faire droit à la demande de la société au motif tiré de l'insuffisance de recherche loyale et sérieuse de reclassement au profit du salarié. Le 7 août 2019, la société a déposé une nouvelle demande d'autorisation de licenciement de M. A.... Par une décision du 8 octobre 2019, l'inspectrice du travail précédemment saisie a délivré l'autorisation demandée.

M. B... A... a été licencié le 22 octobre 2019. Par un jugement n° 1904366 du 25 novembre 2021 le tribunal administratif de Rouen a rejeté la demande de M. A... tendant à l'annulation de la décision par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement et a rejeté le surplus des conclusions des parties. M. A... relève appel de ce jugement.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle, est subordonné à une autorisation de l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande d'autorisation de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière.

3. En vertu des articles R. 2421-4 et R. 2421-11 du code du travail, l'inspecteur du travail saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé doit, quel que soit le motif de la demande, procéder à une enquête contradictoire. De plus, saisi d'une demande d'autorisation de licenciement, et quel que soit le motif de la demande, l'inspecteur du travail ou le ministre chargé du travail doivent mettre les intéressés à même de présenter des observations, notamment par la communication de l'ensemble des éléments sur lesquels l'autorité entend se fonder.

4. Il ressort du mémoire en défense de l'administration du 12 février 2020 devant le tribunal administratif de Rouen que : " Dans le cadre d'autres demandes d'autorisation de licenciement concernant des collègues de M. A..., l'inspectrice du travail avait eu l'occasion de demander différents éléments relatifs à la situation économique de la société. Aussi, par courrier du 14 janvier 2019 (cf. annexe 1) l'entreprise avait communiqué les documents suivants : comptes consolidés au 31 décembre 2017 ; rapport d'expertise économique et organisationnelle du cabinet CEMA ; extraits des rapports financiers semestriels 2017 et 2018... ". Par sa décision du 8 octobre 2019 l'inspectrice du travail s'est fondée expressément sur le rapport d'expertise économique et organisationnelle rendu par l'expert désigné par le comité central d'établissement, le cabinet EMA, du 15 mai 2018 et sur " les documents produits au cours de l'enquête ", pour apprécier le bien-fondé du motif économique tiré de la nécessaire sauvegarde de la compétitivité de la société.

5. Si M. A... ne conteste pas s'être vu communiquer les éléments transmis par la société Carrefour France Proximité à l'appui de sa demande d'autorisation de licenciement du 7 août 2019 qui comportaient notamment la note d'information dite " Livre 2 " remise aux élus dans le cadre de la procédure de consultation du comité central d'entreprise du 12 février 2018 et une notice d'information en vue de la réunion du comité d'établissement du 25 juillet 2019, il ne ressort pas des pièces du dossier que lui aient été communiqués les éléments complémentaires obtenus par l'inspectrice du travail dans le cadre de son enquête, visés au point précédent, comportant des données relatives aux pertes de marché de la société Carrefour Proximité France, à sa faiblesse structurelle par rapport à ses concurrents, à son retard important dans l'e-commerce et à l'impact des résultats déficitaires des anciens magasins Dia sur les résultats du groupe Carrefour en France. Il ressort des pièces du dossier que ces documents ont contribué à forger l'appréciation portée par l'inspectrice du travail sur le motif économique tiré de la nécessaire sauvegarde de la compétitivité de la société qu'elle a retenu. Or le ministre n'a ni produit en appel, ni répondu à la mesure d'instruction tendant à savoir si les pièces en question avaient été portées à la connaissance du salarié lors de l'enquête contradictoire. Par suite, la décision du 8 octobre 2019 de l'inspectrice du travail est entachée d'un vice de procédure qui a privé M. A... d'une garantie.

6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué du 25 novembre 2021 le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Sur les frais de l'instance :

7. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

8. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par la société Carrefour Proximité France doivent dès lors être rejetées.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Carrefour Proximité France, une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1904366 du tribunal administratif de Rouen du 25 novembre 2021 est annulé.

Article 2 : La décision du 8 octobre 2019 de l'inspectrice du travail accordant à la société Carrefour Proximité France l'autorisation de procéder au licenciement de M. A... est annulée.

Article 3 : La société Carrefour Proximité France versera à M. A... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Article 4 : Les conclusions de la société Carrefour Proximité France tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à la société Carrefour Proximité France et au ministre du travail du plein emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience publique du 31 janvier 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 février 2023.

Le président-rapporteur,

Signé : M. C...

La présidente de chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : C Huls-Carlier

La République mande et ordonne au ministre du travail du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

C. Huls-Carlier

2

N° 22DA00154


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA00154
Date de la décision : 16/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Marc Lavail Dellaporta
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : CAMPAGNOLO AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 22/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-02-16;22da00154 ?
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