Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner solidairement le groupe hospitalier public du sud de l'Oise (GHPSO), venant aux droits du centre hospitalier de Senlis et son assureur, le bureau européen d'assurance hospitalière (BEAH), à lui rembourser la somme de 223 495,68 euros versée à M. A... B... ainsi que les sommes de 1 820 euros au titre des frais d'expertise et 33 797,35 euros en application de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique.
Par un jugement n° 1800190 du 3 décembre 2020, le tribunal administratif d'Amiens a partiellement fait droit à sa demande en condamnant le GHPSO à lui verser les sommes de 51 208,43 euros au titre des préjudices subis par M. B..., 7 681,26 euros au titre de la somme prévue par l'article L. 1142-15 du code de la santé publique ainsi que la somme demandée au titre des frais d'expertise.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 31 janvier 2021 et 3 novembre 2022, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me Sylvie Welsch, demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement ;
2°) de condamner le GHPSO à lui verser les sommes de 203 612,10 euros et 30 541,15 euros ;
3°) de mettre à la charge du GHPSO une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il y a lieu de fixer à 90 % le taux de perte de chance résultant des fautes commises par le centre hospitalier de Senlis dans la prise en charge de M. B... ;
- l'indemnisation de l'assistance par une tierce personne temporaire s'étend à la période du 19 décembre 2012 au 2 mars 2015 pendant laquelle un déficit fonctionnel temporaire de 25 % a été retenu par l'expert nécessitant une assistance de quatre heures par semaine ;
- l'état de santé de M. B... nécessite une assistance permanente par une tierce personne de quatre heures hebdomadaires depuis le 3 mars 2015 ;
- la perte de gains professionnels futurs doit être évaluée à la somme de 70 862,64 euros ;
- le préjudice lié à l'incidence professionnelle doit être évalué à la somme de 30 672,17 euros ;
- l'état de santé de la victime nécessite une adaptation de son véhicule d'un montant de 2 577,06 euros ;
- les frais d'avocat doivent être indemnisés à hauteur de 1 636 euros ;
- le déficit fonctionnel temporaire doit s'étendre à la période du 19 décembre 2012 au 2 mars 2015, soit une somme de 4 704,75 euros ;
- les souffrances endurées doivent être fixées à un taux de 5,5 sur 7 ;
- le déficit fonctionnel permanent doit être évalué à la somme de 16 360,20 euros ;
- les dépenses de santé, les préjudices esthétique, sexuel et d'agrément doivent être réévalués compte tenu de la perte de chance de 90 %.
Par des mémoires, enregistrés les 21 mai 2021, 26 décembre 2022 et 4 janvier 2023, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise, représentée par Me Benoît de Berny, demande à la cour :
1°) de condamner le GHPSO à lui verser la somme de 48 621,61 euros au titre de ses débours définitifs, à proportion éventuelle de la perte de chance, avec intérêts à compter du 19 avril 2018 ;
2°) de condamner le GHPSO à lui verser une somme de 1 162 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;
3°) de mettre à la charge du GHPSO une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que ses débours définitifs s'élèvent à la somme de 48 621,21 euros et s'en rapporte aux moyens soulevés par l'ONIAM quant à la fixation de la perte de chance à un taux supérieur à 60 %.
Par des mémoires, enregistrés les 3 octobre et 27 décembre 2022, le groupe hospitalier public sud de l'Oise (GHPSO), venant aux droits du centre hospitalier de Senlis, représenté par Me Hélène Fabre, demande à la cour :
1°) à titre principal, d'annuler le jugement ;
2°) à titre subsidiaire, d'ordonner une mesure d'expertise confiée à un spécialiste en orthopédie et de surseoir à statuer sur les demandes de l'ONIAM et de la CPAM ;
3°) à titre infiniment subsidiaire, de limiter sa condamnation.
Il fait valoir que :
- aucune faute n'a été commise dans la prise en charge de M. B..., que ce soit au stade du diagnostic ou du geste opératoire ;
- à titre subsidiaire, une nouvelle expertise s'avère nécessaire compte tenu des lacunes du premier rapport ;
- à titre infiniment subsidiaire, le manquement imputable au GHPSO ne pourrait être à l'origine que d'une perte de chance de 47,6 % d'éviter les séquelles définitives liées à la pose d'une prothèse d'épaule et ne pourrait conduire la cour à indemniser les préjudices liés au déficit fonctionnel, aux souffrances endurées, à l'assistance par tierce personne et à l'incidence professionnelle qu'à hauteur de cette perte de chance ;
- la pénalité de 15 % prévue par l'article L. 1142-15 du code de la santé publique ne doit pas lui être infligée dès lors que le refus de l'assureur du centre hospitalier de proposer une offre à la victime était motivé par les lacunes du rapport d'expertise.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C... D...,
- les conclusions de M. Guillaume Toutias, rapporteur public,
- et les observations de Me Manon Boinet, pour le GHPSO.
Considérant ce qui suit :
1. Le 12 novembre 2011, M. A... B..., né le 22 décembre 1954, a été victime d'une chute à son domicile qui lui a occasionné une fracture de l'épaule droite. Il s'est présenté le lendemain au centre hospitalier de Senlis où une fracture complexe à plusieurs fragments avec déplacement intra articulaire de l'extrémité supérieure de l'humérus droit a été diagnostiquée. Il a subi, le 15 novembre 2011, une intervention d'ostéosynthèse par clou centromédullaire verrouillé. En dépit des séances de rééducation prescrites, son épaule est restée douloureuse. En l'absence d'amélioration de l'état de son épaule, M. B... a subi, le 13 juin 2012, une intervention visant à poser une prothèse d'interposition sans scellement. Parallèlement, le 22 mai 2012, M. B... a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI) qui a diligenté deux expertises en 2012 et 2016 et a rendu deux avis, des 5 février 2013 et 12 mai 2016, en faveur d'une réparation des préjudices subis par M. B.... Par lettre du 15 juillet 2016, le conseil de l'assureur du centre hospitalier de Senlis a refusé d'indemniser M. B.... Celui-ci a, alors, sollicité la substitution de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) qui a émis une offre d'indemnisation d'un montant total de 223 495,68 euros, ayant donné lieu à la conclusion de deux protocoles transactionnels. L'ONIAM, agissant en qualité de subrogé dans les droits de M. B..., a formé une réclamation préalable auprès du bureau européen d'assurance hospitalière (BEAH) le 21 juillet 2017, puis auprès du centre hospitalier de Senlis par lettre du 30 octobre 2017. Ces deux lettres sont restées sans réponse. L'ONIAM demande à la cour de réformer le jugement du 3 décembre 2020 en tant que le tribunal administratif d'Amiens a limité la condamnation du centre hospitalier de Senlis, devenu le groupe hospitalier public du sud de l'Oise (GHPSO) à lui rembourser la somme de 51 208,43 au titre des préjudices subis par M. B....
Sur la responsabilité du groupe hospitalier public du Sud de l'Oise :
2. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ". Aux termes de l'article L. 1142-15 du même code : " En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, (...) l'office institué à l'article L. 1142-22 est substitué à l'assureur. / (...) L'acceptation de l'offre de l'office vaut transaction au sens de l'article 2044 du code civil. La transaction est portée à la connaissance du responsable et, le cas échéant, de son assureur. / Sauf dans le cas où le délai de validité de la couverture d'assurance garantie par les dispositions du cinquième alinéa de l'article L. 251-2 du code des assurances est expiré, l'office est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage ou, le cas échéant, son assureur. Il peut en outre obtenir remboursement des frais d'expertise. / En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, (...) le juge, saisi dans le cadre de la subrogation, condamne, le cas échéant, l'assureur ou le responsable à verser à l'office une somme au plus égale à 15 % de l'indemnité qu'il alloue ".
3. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision (...) ".
4. Compte tenu des différents rapports et avis divergents produits par les parties, l'état du dossier ne permet pas de déterminer avec certitude l'existence d'une faute commise lors de l'intervention du 15 novembre 2011 et lors de la pose d'une prothèse le 13 juin 2012, la présence éventuelle d'une nécrose de la tête humérale, ni le lien de causalité entre la nécrose de la tête humérale et l'une de ces opérations, le lien de causalité entre le manquement commis lors de l'intervention du 15 novembre 2011, à le supposer établi, et la nécessité de poser une prothèse et la perte de chance pour la victime d'éviter les complications nées de ces intervention. Dès lors, il y a lieu, avant dire droit, d'ordonner une expertise aux fins et dans les conditions précisées dans le dispositif du présent arrêt.
DÉCIDE :
Article 1er : Il sera, avant dire droit, procédé à une expertise avec mission pour l'expert :
1°) de déterminer si la prise en charge de M. A... B... au centre hospitalier de Senlis entre le 12 et le 15 novembre 2011 et son suivi post-opératoire, ont été réalisés dans les règles de l'art ;
2°) de préciser si une nécrose de la tête humérale est apparue consécutivement à la fracture ou/et à la première opération du 15 novembre 2011 et le suivi post-opératoire ;
3°) de déterminer si la pose d'une prothèse était justifiée par l'existence d'une mauvaise prise en charge initiale et de préciser quel était le type de prothèse adapté à l'état de santé de M. B... ;
4°) de préciser si l'intervention de pose d'une prothèse le 13 juin 2012 a été faite dans les règles de l'art ;
5°) de déterminer l'existence d'une perte de chance d'échapper à ces complications en lien, d'une part, avec la prise en charge de M. B... au centre hospitalier de Senlis et, d'autre part, à la clinique du Parc de Lyon ;
6°) de donner toutes informations qui lui paraîtront utiles sur l'appréciation de l'état de santé de M. B..., sur la date de consolidation des blessures et sur l'évaluation des préjudices subis en déterminant notamment la part des préjudices inhérents à la fracture initiale, les séquelles résultant de l'intervention du 15 novembre 2011 et celles résultant de l'intervention du 13 juin 2012.
Article 2 : Pour l'accomplissement de sa mission, l'expert prendra connaissance de l'entier dossier médical de M. A... B..., pourra se faire communiquer tous documents relatifs à l'état de santé de l'intéressé et pourra entendre tous sachants.
Article 3 : Préalablement à toute opération, l'expert prêtera serment dans les formes prévues à l'article R. 621-3 du code de justice administrative.
Article 4 : Les opérations d'expertise auront lieu en présence de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, du groupe hospitalier public du sud de l'Oise, de la clinique du Parc de Lyon et de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise.
Article 5 : L'expert sera désigné par la présidente de la cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2, R. 621-9 et R. 621-14 du code de justice administrative. Il pourra, s'il l'estime nécessaire, s'adjoindre le concours d'un sapiteur, après avoir préalablement obtenu l'autorisation de la présidente de la cour. Le rapport d'expertise sera déposé dans un délai de six mois à compter de la date de notification du présent arrêt. L'expert en notifiera des copies aux parties intéressées.
Article 6 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, au groupe hospitalier public du sud de l'Oise, à la clinique du parc de Lyon et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise.
Copie sera adressée à M. A... B....
Délibéré après l'audience publique du 24 janvier 2023 à laquelle siégeaient :
- Mme Anne Seulin, présidente de chambre,
- M. Marc Baronnet, président-assesseur,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 février 2023.
Le rapporteur,
Signé : G. D...La présidente de chambre,
Signé : A. Seulin
La greffière,
Signé : A.S. Villette La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
Anne-Sophie Villette
2
N°21DA00206