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02/02/2023 | FRANCE | N°22DA00255

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 02 février 2023, 22DA00255


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé, par deux requêtes distinctes, au tribunal administratif d'Amiens d'annuler la décision du 10 avril 2020 par laquelle le Chancelier de l'Institut de France l'a exclu temporairement de ses fonctions pour une durée d'une journée, d'annuler la décision implicite du 3 avril 2020 par laquelle le Chancelier de l'Institut de France a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle et de l'indemniser du préjudice qu'il a subi à raison du harcèlement moral dont il a été

l'objet, de condamner l'Institut de France à lui verser une somme de 300 00...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé, par deux requêtes distinctes, au tribunal administratif d'Amiens d'annuler la décision du 10 avril 2020 par laquelle le Chancelier de l'Institut de France l'a exclu temporairement de ses fonctions pour une durée d'une journée, d'annuler la décision implicite du 3 avril 2020 par laquelle le Chancelier de l'Institut de France a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle et de l'indemniser du préjudice qu'il a subi à raison du harcèlement moral dont il a été l'objet, de condamner l'Institut de France à lui verser une somme de 300 000 euros en réparation du préjudice qu'il a subi à raison du harcèlement moral dont il a été l'objet, d'enjoindre à l'Institut de France de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle et de mettre à la charge de l'Institut de France les sommes de 5 000 et 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2001413 et 2001414 du 29 décembre 2021 le tribunal administratif d'Amiens a rejeté ses deux requêtes et mis à la charge de M. B... le versement à l'Institut de France de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 10 février, 16 août et 28 octobre 2022, M. B..., représenté par le cabinet Richer et associés, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 10 avril 2020 par laquelle le Chancelier de l'Institut de France l'a exclu temporairement de ses fonctions pour une durée d'une journée ;

3°) d'annuler la décision implicite du 3 avril 2020 par laquelle le Chancelier de l'Institut de France a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle et de l'indemniser du préjudice qu'il a subi à raison du harcèlement moral dont il a été l'objet ;

4°) de condamner l'Institut de France à lui verser une somme de 300 000 euros en réparation du préjudice qu'il a subi à raison du harcèlement moral dont il a été l'objet ;

5°) d'enjoindre à l'Institut de France de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle ;

6°) de mettre à la charge de l'Institut de France une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le tribunal n'a pas respecté le principe du contradictoire en ne lui transmettant pas le mémoire en défense du 1er octobre 2021 de l'Institut de France auquel il n'a pu de ce fait répondre ;

- la procédure contradictoire avant la sanction n'a pas été pleinement respectée car son courrier du 30 janvier 2020 n'a pas été communiqué au conseil de discipline ;

- la décision contestée a été prise au terme d'une procédure irrégulière dès lors que le conseil de discipline n'était pas régulièrement constitué faute de respect du quorum ;

- la décision contestée se fonde sur des motifs entachés d'erreurs de fait car l'organisation d'un tournage du film " Révolution " au domaine de Chaalis en septembre 2019 s'est faite en son absence, sa hiérarchie ayant autorisé tant ce tournage que ses congés concomitants et les mesures de sécurité et de surveillance qu'il avait mises en place en son absence étaient suffisantes ;

- il n'a pas organisé la séance de photographie qui lui est reprochée mettant en scène un cheval se promenant seul dans le musée sis au domaine de Chaalis ;

- son usage de la page du réseau Facebook de la journée de la Rose de Chaalis pour promouvoir un événement privé n'est pas fautif ;

- la sanction prononcée est disproportionnée ;

- il a été victime de harcèlement moral de la part des services de l'Institut de France ;

- le tribunal aurait dû se prononcer sur le fait de savoir si tous les éléments mis en avant constituaient, tous ensemble, une situation de harcèlement ; en s'en abstenant il a commis une erreur de droit, ainsi qu'une erreur dans la prise en compte des faits ;

- le tribunal a commis une erreur en estimant que sa demande de protection fonctionnelle n'était pas justifiée ;

- il a droit à la réparation de son préjudice moral à hauteur de 300 000 euros.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 13 juin et 17 octobre 2022, l'Institut de France, représenté par Me Bazin, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de M. B... une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 31 octobre 2022 la date de clôture de l'instruction a été fixée au 18 novembre 2022 à 12 heures.

Les parties ont été informées, par courrier du 10 janvier 2023, que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions tendant à l'annulation de la décision de licenciement du 22 octobre 2021 qui sont nouvelles en appel.

M. A... B..., représenté par le cabinet Richer et associés, a produit des observations en réponse le 13 janvier 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 ;

- le décret n° 2007-810 du 11 mai 2007 ;

- le règlement des agents contractuels de l'Institut de France et des académies du 15 décembre 2014 ;

- le règlement intérieur de la commission consultative paritaire commune de l'Institut de France et des académies du 26 mars 2019 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marc Lavail Dellaporta, président assesseur,

- les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public,

- et les observations Me Richer, représentant M. A... B..., lui-même présent.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B... était employé, en vertu d'un contrat à durée indéterminée, par l'Institut de France, depuis 1991, en tant que régisseur et administrateur de la fondation Jacquemart-André gérant le domaine de Chaalis, composé de son abbaye royale et de son musée. A la suite d'un avis du 5 mars 2020 du conseil de discipline proposant cette sanction, le Chancelier de l'Institut de France lui a infligé une exclusion temporaire de fonctions d'une journée par une décision du 10 avril 2020. Par ailleurs, M. B... a demandé à l'Institut de France, par un courrier du 30 janvier 2020, à bénéficier de la protection fonctionnelle et à être indemnisé à hauteur de 300 000 euros à raison du harcèlement moral qu'il estimait avoir subi. Cette demande a été implicitement rejetée le 3 avril 2020 par l'Institut de France. Par un jugement du 29 décembre 2021 le tribunal administratif d'Amiens a rejeté les deux requêtes de M. B... tendant à l'annulation de la décision du 10 avril 2020 et de la décision implicite du 3 avril 2020 par laquelle le Chancelier de l'Institut de France a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle, à la condamnation de l'Institut de France à lui verser une somme de 300 000 euros en réparation du préjudice qu'il estimait avoir subi à raison du harcèlement moral dont il soutenait avoir été l'objet, et à ce qu'il soit fait injonction à l'Institut de France de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle. M. B... relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes (...). / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". Il résulte de ces dispositions, destinées à garantir le caractère contradictoire de l'instruction, que la méconnaissance de l'obligation de communiquer le premier mémoire d'un défendeur ou tout mémoire contenant des éléments nouveaux, est en principe de nature à entacher la procédure d'irrégularité. Il n'en va autrement que dans le cas où il ressort des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, cette méconnaissance n'a pu préjudicier aux droits des parties.

3. M. B... reproche au tribunal de ne pas lui avoir communiqué le second mémoire en défense présenté le 1er octobre 2021 par l'Institut de France. Si ce mémoire développait l'argumentation de l'Institut de France en réponse au moyen tiré de l'irrégularité de la composition de la commission consultative paritaire commune, il ressort des termes du jugement contesté que le tribunal s'est fondé sur le règlement de la commission consultative paritaire qui avait été produit par M. B... à l'appui de sa requête introductive d'instance et sur le procès-verbal de cette commission versé au dossier par l'Institut de France dans son premier mémoire en défense, qui avait été communiqué, de sorte que l'absence de communication du second mémoire du défendeur n'a pu préjudicier aux droits de M. B... et n'est donc pas de nature à entacher d'irrégularité le jugement attaqué.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la recevabilité des conclusions tendant à l'annulation de la décision de licenciement du 22 octobre 2021 :

4. Les conclusions tendant à l'annulation de la décision de licenciement du 22 octobre 2021 n'ont pas été soumises aux premiers juges et présentent le caractère de conclusions nouvelles en appel. Elles doivent, par suite, être rejetées comme irrecevables.

En ce qui concerne les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 10 avril 2020 d'exclusion temporaire de fonctions :

5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. B... a été convoqué, par courrier du 9 janvier 2020 du Chancelier de l'Institut de France, devant le conseil de discipline. Ce courrier précisait que la méconnaissance des conditions de sécurité et de surveillance qui était à l'origine de dégradations de mobilier, notamment d'un canapé du musée tout juste restauré, était le fondement de la sanction du 3ème groupe que le Chancelier envisageait de prendre et invitait l'intéressé à faire parvenir ses observations, par écrit, le 30 janvier au plus tard, ce que ce dernier a fait en déposant des observations écrites le 26 janvier 2020. Si la lettre du 30 janvier 2020 par laquelle M. B... demandait le bénéfice de la protection fonctionnelle et l'indemnisation de son préjudice pour le harcèlement moral dont il estimait avoir été victime n'a pas été portée à la connaissance du conseil de discipline, ce document constituait une demande préalable indemnitaire ayant un objet distinct destiné au Chancelier et n'avait pas vocation à être soumis au conseil de discipline. En tout état de cause, M. B... et son conseil étaient présents lors de la séance du conseil de discipline du 5 mars 2020 et ils ont présenté des observations orales. Par suite, le moyen tiré de ce que la sanction contestée a été prise en méconnaissance du principe du contradictoire doit être écarté.

6. En deuxième lieu, l'article 15 du règlement intérieur de la commission consultative paritaire commune de l'Institut de France et des académies du 26 mars 2019 prévoit : " Formation restreinte paritaire La CCPC siège en formation restreinte dans les cas suivants : (...) / sanction disciplinaire autre que l'avertissement et le blâme (...) / Lorsque la CCPC siège en formation restreinte, seuls les membres titulaires représentant le niveau hiérarchique auquel appartient l'intéressé et les membres titulaires représentant le niveau hiérarchique immédiatement supérieur ainsi qu'un nombre égal de représentants de l'administration sont appelés à délibérer ". L'article 16 du même règlement dispose : " Formation restreinte paritaire pour les agents de catégorie A : Lorsque l'agent dont le cas est soumis à l'examen de la commission appartient au niveau de la catégorie A, les représentants de ce niveau hiérarchique siègent avec leurs suppléants qui ont alors voix délibérative (soit 4 membres). (...) / Les 4 membres représentants l'administration sont désignés par le président de la CCPC ". Il résulte de ces dispositions que quatre représentants du personnel et quatre représentants de l'administration doivent siéger dans la formation restreinte de la commission consultative paritaire commune amenée à se prononcer sur les sanctions disciplinaires des agents contractuels assimilés à la catégorie A.

7. Il ressort des pièces du dossier et notamment du procès-verbal de séance du 5 mars 2020 que la commission précitée comptait huit membres dont quatre représentants du personnel lors de la réunion à l'issue de laquelle elle a donné un avis sur la sanction attaquée. Par suite, le moyen tiré de ce que cet avis a été émis par une formation irrégulièrement composée doit être écarté.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article 23 du décret portant approbation du règlement général de l'Institut de France et des académies : " La commission définit l'organisation des services de l'Institut et fixe les règles générales de leur fonctionnement par un règlement intérieur. (...) La commission est compétente pour : / (...) 2. Fixer les conditions générales de recrutement du personnel de l'Institut et des académies après que le (ou les) secrétaire(s) perpétuel(s) de chaque académie a (ont) pu consulter sa (leur) commission administrative préalablement saisie du projet de texte dans les huit jours précédant sa réunion pour les questions concernant sa (leur) propre académie, le résultat de cette consultation devant être transmis au bureau de la commission administrative centrale dans un délai d'un mois ; (...) ". Aux termes de l'article 1er du règlement des agents contractuels de l'Institut de France et des cinq académies : " Sous réserve des dispositions du présent règlement, les agents contractuels de l'Institut de France et des académies sont soumis aux dispositions du décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents non titulaires de l'Etat à la date du 24 mars 2014, à l'exception dispositions des articles 33-1 et 33-2 ". Aux termes de l'article 43-2 du décret du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'Etat pris pour l'application des articles 7 et 7 bis de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Les sanctions disciplinaires susceptibles d'être appliquées aux agents contractuels sont les suivantes : / (...) 3° L'exclusion temporaire des fonctions avec retenue de traitement pour une durée maximale de six mois pour les agents recrutés pour une durée déterminée et d'un an pour les agents sous contrat à durée indéterminée ; (...) ".

9. La décision du 10 avril 2020 d'exclusion temporaire de fonctions a été prise par le Chancelier aux motifs que l'organisation de tournages avait été prévue sans une présence et une surveillance adéquates pendant les jours de congés de l'intéressé, que les conditions de sécurité des œuvres lors des tournages n'avaient pas été respectées, que M. B... avait utilisé la page du réseau social " Facebook " de la journée de la Rose de Chaalis, organisée par son employeur, pour promouvoir un événement à caractère privé et enfin qu'il était à l'origine d'une séance de photographies mettant en scène un cheval laissé en liberté à l'intérieur des locaux du musée.

10. M. B..., régisseur et administrateur du domaine de Chaalis, chargé de la gestion administrative et financière du domaine et de la gestion de ses personnels, devait, selon sa fiche de poste, " veiller au maintien de l'intégrité et de la sécurité du domaine et des éléments qui le compose lors de prises de vues (tournages, séances de photographie...) ". Aussi il lui incombait, avant son départ en congés le 19 septembre 2019, d'organiser le tournage du film " Révolution " prévu par une convention signée le 9 septembre 2019 avec la société " John Doe Production " de manière à garantir l'intégrité et de la sécurité du domaine, alors qu'il était prévu une période de préparation des lieux, du 11 au 18 septembre 2019, et une période de tournage, du 19 au 25 septembre 2019. Or, il n'est pas contesté que, sur une dizaine d'agents du domaine de Chaalis, seul un agent assisté d'un intérimaire chargé de la cafeteria étaient présents pour encadrer le tournage, alors que celui-ci supposait une imposante présence sur le domaine, ce qui a d'ailleurs entraîné la dégradation d'un élément mobilier relevant des collections du musée. M. B... est ainsi parti en congé du 19 septembre au 1er octobre 2019 sans s'être préalablement assuré du bon déroulement du tournage en son absence. Dans ces conditions, le Chancelier de l'Institut de France a pu estimer à bon droit qu'il avait commis une faute de nature à justifier une sanction.

11. M. B..., en outre, a utilisé la page du réseau social " Facebook " de la journée de la Rose de Chaalis, organisée par son employeur, afin de promouvoir un événement à caractère privé. Dans ces conditions, et quand bien même M. B... soutient qu'il s'agit d'un acte involontaire, le Chancelier de l'Institut de France a pu estimer à bon droit qu'il avait, ce faisant, commis une faute de nature à entraîner une sanction.

12. Enfin, l'organisation d'une séance de photographies mettant en scène un cheval laissé en liberté à l'intérieur même des locaux du musée, demeure classée au titre des monuments historiques, présentait un risque pour les collections, et il n'est pas établi que cette séance ait été autorisée par le signataire de la convention de tournage évoquée ci-dessus. Ainsi le Chancelier de l'Institut de France a pu estimer que l'intéressé avait commis une faute justifiant une sanction.

13. Compte tenu des faits reprochés, M. B... n'est pas fondé à soutenir que la sanction d'exclusion temporaire de fonctions d'une journée qui lui a été infligée est disproportionnée.

14. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que la sanction attaquée soit entachée de détournement de pouvoir.

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :

15. Aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) ".

16. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.

17. En premier lieu, M. B... fait valoir qu'à compter de 2019, il a connu une baisse importante de ses attributions, ce qui " avait pour unique but de lui nuire ". Il invoque ainsi un retrait de son pouvoir de signer les décisions et contrats utiles à la gestion du domaine et du château de Chaalis. Cependant aucune délégation officielle ne lui avait été accordée car s'agissant d'actes ayant des incidences financières, le Chancelier ne peut déléguer sa signature qu'au directeur des services administratifs. Si M. B... dénonce une volonté de diminuer ses attributions dans le but de le faire partir, la décision de faire intervenir le conservateur du musée Jacquemart-André dans le processus de première sélection des candidatures sur un poste d'assistant de conservation affecté au musée ou château de Chaalis procédait du souhait du Chancelier d'améliorer les processus de décision et de fonctionnement de l'Institut de France. Si, enfin, M. B... fait valoir qu'à compter d'octobre 2018 ses congés et ceux des autres agents du domaine de Chaalis devaient être visés par un supérieur nouvellement nommé, cette décision ne révèle pas un usage anormal du pouvoir hiérarchique.

18. En deuxième lieu, si M. B... soutient qu'il a fait l'objet d'un dénigrement marqué à l'occasion de l'envoi de deux courriels de collègues de l'Institut de France, le dénigrement allégué ne ressort pas des courriels en question.

19. En troisième lieu, il ne ressort pas de l'instruction que l'exclusion temporaire de fonctions d'une journée que le Chancelier de l'Institut de France a infligée à M. B... par une décision du 10 avril 2020 n'ait pas été prise pour des considérations étrangères à tout harcèlement moral.

20. En quatrième lieu, si M. B... soutient que la nomination d'un administrateur général au sein du domaine de Chaalis au 1er octobre 2020 et la suppression de son poste d'administrateur du domaine de Chaalis étaient destinées à lui nuire. Il résulte de l'instruction que le nouveau Chancelier de l'Institut de France a souhaité procéder à une refonte globale des services et des fondations dans le dessein de préserver notamment le patrimoine du domaine de Chaalis. Il s'est ainsi avéré nécessaire d'entreprendre une restauration d'envergure et de trouver des solutions afin d'améliorer la situation financière du domaine comme le rappelait la Cour des Comptes dans son rapport sur l'Institut de France et les cinq académies de juillet 2021. Aussi l'Institut de France a modifié la composition du personnel servant au sein du domaine en prévoyant, d'une part, la création d'un poste d'administrateur général doté d'une expérience en matière de mise en place de programmes d'investissement, création d'autant plus nécessaire que M. B... avait été longuement absent pour raisons de santé, et d'un poste de spécialiste de l'offre touristique et culturelle et, d'autre part, la suppression de l'emploi de M. B... dont les fonctions de régisseur pouvaient être confiées à un tiers. Par ailleurs, si M. B... fait valoir qu'il a été fortement incité au départ par une proposition de rupture conventionnelle, il résulte de l'instruction qu'il a été invité à présenter sa candidature sur le poste d'administrateur général par un message du 31 janvier 2020 et il ne résulte pas de l'instruction qu'il ait été licencié en méconnaissance de l'obligation de reclassement incombant à l'Institut de France.

21. En cinquième lieu, si M. B... fait valoir qu'il a été privé d'un avantage en nature du fait de la décision d'instituer un loyer pour l'occupation de son logement de fonction, il résulte de l'instruction que l'Institut de France a mis en place une étude afin de déterminer la surface dont il devait disposer pour son logement de fonction dans le dessein de réorganiser des espaces du domaine de Chaalis, sans remettre en cause la gratuité de son hébergement, et qu'il a été mis fin à la prise en charge indue des charges locatives concernant ce logement.

22. Enfin, si M. B... déplore le traitement administratif de l'indemnisation de sa situation au titre du chômage, ce qu'il l'a contraint à introduire un référé afin d'obtenir les documents lui permettant d'obtenir le versement d'allocations de chômage, il ne résulte pas de l'instruction que les retards invoqués par l'appelant soient imputables à l'Institut de France et qu'ils révèlent une volonté de nuire à l'intéressé.

23. Dans ces conditions, les éléments de fait, pris isolément ou dans leur ensemble, ne sont pas susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à l'encontre de M. B.... Par suite, en l'absence de méconnaissance fautive des dispositions de l'article 6 quinquies de la loi du 10 juillet 1983 les conclusions tendant à la condamnation de l'Institut de France à lui verser une somme de 300 000 euros en réparation du préjudice qu'il soutient avoir subi pour harcèlement moral doivent être rejetées.

En ce qui concerne le refus d'accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle :

24. Aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 : " A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l'ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire. (...) La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté ". Si la protection fonctionnelle résultant d'un principe général du droit n'est pas applicable aux différends susceptibles de survenir, dans le cadre du service, entre un agent public et l'un de ses supérieurs hiérarchiques, il en va différemment lorsque les actes du supérieur hiérarchique sont, par leur nature ou leur gravité, insusceptibles de se rattacher à l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.

25. Ainsi qu'il a été dit précédemment, M. B... n'est pas fondé à soutenir avoir été victime de harcèlement moral. Il n'est pas davantage fondé à demander l'annulation la décision implicite du 3 avril 2020, par laquelle le Chancelier de l'Institut de France a rejeté sa demande de protection fonctionnelle. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 doit être écarté. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées.

26. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 29 décembre 2021, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté ses demandes. Ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances des présentes espèces, de mettre à la charge de M. B... la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par l'Institut de France et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : M. B... versera à l'Institut de France la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à l'Institut de France.

Délibéré après l'audience publique du 17 janvier 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Nathalie Massias, présidente,

- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 février 2023.

Le président-rapporteur,

Signé : M. C...

La présidente,

Signé : N. Massias

La greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au Chancelier de l'Institut de France en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière

C Huls-Carlier

2

N° 22DA00255


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA00255
Date de la décision : 02/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Massias
Rapporteur ?: M. Marc Lavail Dellaporta
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : CABINET RICHER ET ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-02-02;22da00255 ?
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