Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Stéphan G..., Mme F... B... épouse G..., son épouse, Mme E... G... et M. D... G..., ses enfants, ont demandé au tribunal administratif de Lille de condamner le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Lille à leur verser les sommes respectives de 659 443,06 euros, 29 467,55 euros et 10 000 euros en indemnisation des préjudices résultant de la prise en charge de Stéphan G... dans cet établissement au mois de janvier 2013.
Par un jugement n° 1601084 du 14 mars 2018, le tribunal administratif de Lille a condamné le CHRU de Lille à verser à Stephan G... une somme de 356 042,74 euros, à Mme F... G... une somme de 7 864,44 euros et à Mme E... G... et M. D... G... une somme de 3 000 euros chacun, ces sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter du 4 août 2014 et capitalisés à compter du 5 août 2015 et, à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois, une somme de 512 011,47 euros assortie, pour la somme de 367 371, 52 euros, des intérêts au taux légal à compter du 29 mars 2016 capitalisés à compter du 30 mars 2017 et, pour la somme de 144 639, 95 euros, des intérêts au taux légal à compter du 5 juillet 2016 capitalisés à compter du 6 juillet 2017.
Procédure devant la cour :
Par une requête sommaire enregistrée le 16 mai 2018, des mémoires enregistrés les 9 juillet, 31 octobre 2018, 29 mars, 9 mai 2019, 17 juin 2021, 20 septembre 2021, et un mémoire enregistré après dépôt du rapport d'expertise le 2 juin 2022, le CHRU de Lille, représenté par Me Didier Le Prado, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter les conclusions indemnitaires des consorts G..., de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois et de la mutuelle générale des affaires sociales.
Il soutient que :
- l'intervention chirurgicale du 11 janvier 2013 était, en raison des risques liés à une abstention thérapeutique et aux bénéfices qui en étaient attendus, parfaitement indiquée ;
- la technique opératoire employée a été conforme aux règles de l'art ;
- la ligature de l'artère hépatique est un accident médical non fautif, non susceptible d'engager la responsabilité de l'établissement ;
- Stephan G... a été informé des risques liés à l'intervention litigieuse, il ne pouvait raisonnablement refuser l'intervention compte tenu du risque vital auquel l'exposait une abstention chirurgicale de sorte qu'en admettant même un défaut d'information, il n'en est résulté aucune perte de chance ;
- les indemnités accordées par les premiers juges sont, en tout état de cause, excessives ;
- la mutuelle générale des affaires sociales (MGAS) n'ayant formulé aucune demande en première instance n'est pas recevable à le faire pour la première fois en appel, en outre, le relevé des débours de la MGAS ne permet pas d'identifier la cause des soins et frais médicaux listés et ne permet donc pas d'établir leur imputabilité aux manquements reprochés au centre hospitalier.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 5 septembre 2018, 18 avril 2019 et 7 septembre 2021, des mémoires enregistrés après dépôt du rapport d'expertise les 8 juillet et 16 septembre 2022 et un mémoire enregistré le 9 décembre 2022 qui n'a pas été communiqué, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois, représentée par Me Benoît de Berny, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête du CHRU de Lille ;
2°) de condamner le CHRU de Lille à lui verser une somme de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;
3°) de mettre à la charge du CHRU de Lille une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par le CHRU de Lille ne sont pas fondés.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 18 septembre et 15 novembre 2018 et 13 mars, 16 avril et 23 mai 2019 et des mémoires enregistrés après dépôt du rapport d'expertise les 10 juin, 6 juillet et 15 septembre 2022, Mme F... B... épouse G..., M. D... G... et Mme E... G..., qui ont repris l'instance à la suite du décès de Stéphan G... le 10 décembre 2018, représentés par Me François Lampin, concluent, dans le dernier état de leurs écritures :
1°) au rejet de la requête du CHRU de Lille ;
2°) par la voie de l'appel incident, à ce que le CHRU de Lille ou, à titre subsidiaire, l'ONIAM, soit condamné à leur verser une somme de 548 263,91 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 août 2014 et de leur capitalisation à compter du 5 août 2015 en leur qualité d'ayants droit de Stéphan G..., les sommes respectives de 25 000 euros, 10 000 euros et 10 000 euros en indemnisation de leurs préjudices propres subis du vivant de Stéphan G..., les mêmes sommes au titre du préjudice d'affection résultant de son décès, une somme de 4 483,19 euros au titre des frais funéraires et à ce que la cour sursoie à statuer sur l'indemnisation du préjudice économique subi par Mme G... du fait du décès de son époux dans l'attente de la notification de sa pension de réversion ;
3°) à ce que soit mise à la charge du CHRU de Lille et de l'ONIAM, ou de l'un à défaut de l'autre, une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les moyens du CHRU de Lille ne sont pas fondés ;
- le défaut d'information justifie une indemnisation intégrale du préjudice subi, ainsi que l'indemnisation d'un préjudice d'impréparation ;
- à titre subsidiaire, si la cour estime qu'il y a eu accident médical non fautif, les conséquences de l'intervention doivent être prises en charge par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) au titre des dispositions de l'article L. 1142-1 II du code de la santé publique ;
- le décès de Stéphan G... est en lien avec l'intervention du 11 janvier 2013 ;
- le montant de leurs préjudices s'élève à la somme totale de 807 077,17 euros ;
Par un mémoire, enregistré le 10 juin 2021, la mutuelle générale des affaires sociales (MGAS), représentée par Me Jean-Eric Callon, demande à la cour :
1°) de condamner le CHRU de Lille à lui verser une somme de 12 077,96 euros avec intérêts et capitalisation ;
2°) de mettre à la charge du CHRU une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'elle a été amenée à verser des prestations à Stéphan G... en relation directe avec ses dépenses de santé et les complications qui en ont résulté et est subrogée dans les droits de Stéphan G... au titre de l'article L. 224-9 du code de la mutualité.
Par un mémoire en défense, enregistré après dépôt du rapport d'expertise le 17 août 2022, l'ONIAM, représentée par Me Sylvie Welsch, demande à la cour :
1°) de rejeter toute demande présentée à son encontre ;
2°) subsidiairement, de réformer le jugement du 14 mars 2018 du tribunal administratif de Lille, de limiter à 10 % la réparation incombant à l'Office, de rejeter les demandes des consorts G... au titre des frais divers, de l'aide humaine temporaire, de l'aide humaine définitive, des pertes de droits à la retraite, du préjudice d'affection, des troubles dans les conditions d'existence de Mme G... et de ses deux enfants, des frais funéraires et des frais au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de réduire à de plus justes proportions les demandes d'indemnisations ;
3°) très subsidiairement, de réduire à de plus justes proportions les indemnités au titre de l'aide humaine temporaire et définitive et des troubles dans les conditions d'existence de Mme G... et de ses deux enfants.
Il soutient que les conditions d'engagement de la solidarité nationale ne sont pas réunies.
Par un arrêt du 19 décembre 2019, la cour a, avant de statuer sur les conclusions de la requête du centre hospitalier régional universitaire de Lille, avant dire droit, ordonné une expertise en vue de décrire précisément les conditions dans lesquelles M. G... a été pris en charge le 11 janvier 2013, et notamment de dire la conformité aux règles de l'art de l'indication opératoire, de la technique retenue, et du geste réalisé, de déterminer si le décès de M. G... le 10 décembre 2018 est imputable en tout ou partie aux conditions de sa prise en charge par le centre hospitalier régional universitaire de Lille le 11 janvier 2013, ou bien s'il résulte d'autres causes, qui tiendraient notamment à l'histoire médicale de l'intéressé ou à une évolution de son état de santé indépendante des conséquences de cette intervention, de déterminer la date de consolidation et d'évaluer les préjudices subis, le cas échéant en actualisant l'évaluation des préjudices faite dans le rapport d'expertise diligenté par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation et d'apporter tout élément complémentaire qui serait susceptible d'éclairer la cour sur la responsabilité du centre hospitalier régional universitaire de Lille.
L'expert désigné a remis le 11 mai 2022 son rapport et les parties ont présenté leurs observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Marc Baronnet, président-assesseur,
- les conclusions de M. Guillaume Toutias, rapporteur public,
- les observations de Me Hubert Demailly, représentant le CHRU de Lille,
- les observations de Me François Lampin, représentant les consorts G...,
- et les observations de Me Jean-Christophe Dangleterre, représentant la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois.
Considérant ce qui suit :
1. Stéphan G..., qui avait subi deux pancréatites aiguës d'origine alcoolique en 1992 et 1996, un pontage aorto-bifémoral en 1999, un cancer de l'œsophage en 2001 traité par chimiothérapie et œsophagectomie et présentait un tabagisme évalué à trente-trois paquets-années, a été admis au mois de février 2012 au centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Lille puis hospitalisé à compter du 12 avril 2012 pour des douleurs à l'hypocondre droit. Les examens pratiqués ont mis en évidence une cholécystite (inflammation de la vésicule biliaire) et la présence de lithiases (calculs) vésiculaires associées à une dilatation partielle de la voie biliaire principale. A la suite de plusieurs examens et de l'échec, le 14 juin 2012, d'une sphinctérectomie en raison de la sténose de l'anastomose œsogastrique résultant de l'ablation de l'œsophage, il a été décidé la réalisation d'une cholécystectomie (exérèse de la vésicule biliaire). Les suites de l'intervention, qui a eu lieu le 11 janvier 2013, ont été compliquées par l'apparition d'une ischémie hépatique associée à une thrombose dégénérant en de multiples abcès hépatiques qui ont imposé une transplantation hépatique dont l'intéressé a bénéficié le 5 octobre 2013. Estimant fautives les conditions de sa prise en charge, et notamment l'indication thérapeutique de l'intervention du 11 janvier 2013, Stephan G... a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CRCI) le 4 août 2014. La commission a diligenté une expertise dont le rapport a été remis le 5 janvier 2015. A la suite du refus opposé par le CHRU de Lille puis par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) de proposer une offre d'indemnisation, Stephan G..., son épouse et leurs deux enfants ont saisi le tribunal administratif de Lille d'un recours tendant à la condamnation du CHRU de Lille à les indemniser des préjudices subis. Le CHRU de Lille interjette appel du jugement du 14 mars 2018 par lequel le tribunal l'a condamné à verser aux consorts G... une somme totale de 369 907,18 euros et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois, une somme de 512 011,47 euros. Les consorts G... interjettent appel incident en tant que ce jugement n'a pas fait droit à l'intégralité de leurs prétentions indemnitaires. Mme F... G..., l'épouse de Stephan G... et M. D... G... et Mme E... G..., ses enfants, ont repris l'instance d'appel de Stephan G..., décédé en cours d'instance le 10 décembre 2018.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) ".
En ce qui concerne l'erreur de diagnostic et de choix thérapeutique :
3. Il résulte de l'instruction et, notamment, du rapport d'expertise judiciaire enregistré le 11 mai 2022 que les échographies réalisées les 12, 14 et 17 février 2012 mettaient déjà en évidence un calcul vésiculaire et de la boue biliaire épaisse dans la vésicule, qu'ainsi le diagnostic de lithiase vésiculaire était certain, ce qu'a confirmé rétrospectivement l'examen anatomo-pathologique de la pièce opératoire. Selon l'expert, les imageries par résonnance magnétique (IRM) des 14 février 2012, 11 mai 2012 et 23 juillet 2013 évoquaient un processus progressif au-dessus d'une lésion du bas cholédoque mais l'échec de l'écho-endoscopie du 14 juin 2012 en raison d'une sténose n'a pas permis de préciser la nature de cette éventuelle lésion. Dans ces conditions, la cholécystectomie et l'exploration des voies biliaires au cours de celle-ci étaient indiquées. Il résulte aussi de l'instruction et, notamment, du rapport d'expertise judiciaire du 11 mai 2022 que la technique retenue, à savoir la cholécystectomie antérograde et la cholédocotomie, sont conformes aux règles de l'art et que les risques induits par l'état de Stephan G..., malgré l'absence d'angiocholite, justifiaient la réalisation préventive de l'intervention du 11 janvier 2013, les risques de complications infectieuses et de pancréatite étant estimés à 4 % par an et les conséquences de la lithiase vésiculaire étant toutes potentiellement mortelles. Dès lors, aucune erreur de diagnostic et de choix thérapeutique ne peut être retenue à l'encontre du CHRU de Lille.
En ce qui concerne le manquement au devoir d'information :
4. L'article L. 1111-2 du code de la santé publique dispose que : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. / Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. (...) / En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen (...) ".
5. Il résulte de ces dispositions que doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence.
6. En cas de manquement à cette obligation d'information, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question.
7. Il résulte de l'instruction et, notamment, du rapport d'expertise du 11 mai 2022 que si Stephan G... a été informé de l'existence de risques, en particulier lors de la consultation du 15 novembre 2012, le CHRU n'apporte pas la preuve du consentement éclairé de l'intéressé sur les risques graves, y compris mortels, de l'opération. Toutefois, compte tenu de la circonstance qu'un éventuel refus de subir l'intervention du 11 janvier 2013 aurait exposé Stephan G... à la survenue de complications infectieuses ou de pancréatite justifiant un traitement chirurgical en urgence de même nature que celui du 11 janvier 2013, il ne résulte pas de l'instruction que même informé de ces risques graves voire mortels, Stephan G... aurait refusé l'intervention, l'abstention lui faisant courir un risque vital élevé et faisant en outre obstacle à une reprise de ses activités professionnelles. Par suite, ce manquement au devoir d'information n'est, en l'espèce, pas à l'origine d'une perte de chance pour la victime.
8. Il résulte de ce qui vient d'être dit que le CHRU de Lille est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a retenu sa responsabilité en raison d'une erreur de diagnostic et de choix thérapeutique ainsi qu'en raison d'un manquement au devoir d'information de Stephan G.... Il y a toutefois lieu pour la cour, par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par les consorts G... devant le tribunal administratif et la cour.
Sur les autres moyens soulevés en première instance et en appel :
En ce qui concerne l'existence d'une maladresse fautive à l'origine de la lésion de l'artère hépatique :
9. Il résulte de l'instruction et, notamment, du rapport d'expertise devant la CRCI ainsi que du rapport d'expertise judiciaire du 11 mai 2022 que l'interruption accidentelle d'une branche de l'artère hépatique à dominante gauche est un risque inhérent à la cholécystectomie et que cet accident est en lien avec l'état médical et chirurgical antérieur de l'intéressé, qui avait notamment subi des traitements radiothérapeutiques ainsi qu'une intervention de Lewis Santy, ce qui était de nature à sensiblement augmenter le risque de survenance de l'accident. Il suit de là que la lésion de l'artère hépatique, en rapport avec le défaut de cicatrisation de la cholédocotomie, ne résulte pas d'une maladresse fautive dans la réalisation du geste chirurgical. Aucune faute ne peut donc être reprochée à ce titre au CHRU de Lille.
En ce qui concerne les conclusions tendant à l'engagement de la solidarité nationale :
10. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " (...) II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret ".
11. Il résulte du II de l'article L. 1142-1 et de l'article D. 1142-1 du code de la santé publique (CSP) que l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation de dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état.
12. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Pour apprécier le caractère faible ou élevé du risque dont la réalisation a entraîné le dommage, il y a lieu de prendre en compte la probabilité de survenance d'un événement du même type que celui qui a causé le dommage et entraînant une invalidité grave ou un décès.
13. En l'espèce, il résulte de l'instruction et, notamment, du rapport d'expertise du 11 mai 2022 que les conséquences de la lithiase vésiculaire étaient toutes potentiellement mortelles. Par suite, les conséquences de l'acte médical ne peuvent être regardées comme notablement plus graves que celles auxquelles était exposé Stephan G... du fait de sa pathologie initiale. En outre, si le risque de survenance d'une ligature de l'artère hépatique lors d'une cholécystectomie est estimé à 7 %, ce risque était doublé pour Stephan G... compte tenu de son état antérieur de sorte qu'il ne présentait pas le caractère d'une probabilité faible, de nature à justifier la mise en œuvre de la solidarité nationale. Par suite, les conclusions tendant à l'engagement de la solidarité nationale doivent être rejetées.
14. Il résulte de tout ce qui précède que le CHRU de Lille est fondé à soutenir que c'est à tort que, par son jugement n° 1601084 du 14 mars 2018, le tribunal administratif de Lille l'a condamné à verser à Stephan G... une somme de 356 042,74 euros, à Mme F... G... une somme de 7 864,44 euros et à Mme E... G... et M. D... G... une somme de 3 000 euros chacun, augmentées des intérêts au taux légal capitalisés et, à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois, une somme de 512 011,47 euros assortie des intérêts au taux légal capitalisés. Il y a donc lieu d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lille et de rejeter les demandes présentées devant ce tribunal par les ayants droit de Stephan G... et par Mme B... épouse G..., M. D... G... et Mme E... G... en leur nom propre et leurs conclusions d'appel incident, ainsi que les demandes présentées devant le tribunal et la cour par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois et, en tout état de cause, les conclusions de la mutuelle générale des affaires sociales.
Sur les frais d'expertise :
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge définitive du CHRU de Lille les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 4 000 euros.
Sur les frais liés à l'instance :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge du CHRU de Lille et de l'ONIAM, qui ne sont pas les parties perdantes à l'instance, le versement d'une somme à Mme F... B... épouse G..., M. D... G... et Mme E... G... au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1601084 du 14 mars 2018 du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : Les demandes et les conclusions d'appel incident de Mme B... épouse G..., M. D... G... et Mme E... G..., agissant en leur qualité d'ayants droit de Stephan G... et en leur nom propre, ainsi que les demandes de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois et de la mutuelle générale des affaires sociales sont rejetées.
Article 3 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 4 000 euros, sont mis à la charge définitive du centre hospitalier régional universitaire de Lille.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier régional universitaire de Lille, à Mme F... G..., à M. D... G..., à Mme E... G..., à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois, à la mutuelle générale des affaires sociales, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à M. C... A..., expert.
Délibéré après l'audience publique du 13 décembre 2022 à laquelle siégeaient :
- Mme Anne Seulin, présidente de chambre,
- M. Marc Baronnet, président-assesseur,
- Mme Sylvie Stefanczyk, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 janvier 2023.
Le président-rapporteur,
Signé : M. H...La présidente de chambre,
Signé : A. Seulin
La greffière,
Signé : A.-S. Villette
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière
A.-S. Villette
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N°18DA00977