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15/12/2022 | FRANCE | N°21DA00341

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 15 décembre 2022, 21DA00341


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) Philippe C... a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 30 juin 2015, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1903472 du 11 décembre 2020, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregi

strée le 12 février 2021, la SELARL Philippe C..., représentée par Me Campbell-Boulogne, demande à la ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) Philippe C... a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 30 juin 2015, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1903472 du 11 décembre 2020, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 12 février 2021, la SELARL Philippe C..., représentée par Me Campbell-Boulogne, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 30 juin 2015, ainsi que des pénalités correspondantes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a considéré que la dépréciation de son fonds de commerce présentait un caractère irréversible ; la dépréciation n'était nullement irréversible, le Dr D... C... conservant la possibilité d'exercer la médecine générale ;

- l'administration s'est appuyée sur deux jurisprudences non applicables en l'espèce : la SELARL Philippe C... n'est pas une entreprise individuelle assujettie à l'impôt sur le revenu titulaire de bénéfices non commerciaux qui comptabilise une moins-value sur cession d'un actif mais une entreprise commerciale soumise à l'impôt sur les sociétés qui constate la dépréciation d'un élément d'actif et comptabilise à ce titre une provision ;

- il n'existe aucun doute quant à la dépréciation de la patientèle inscrite au bilan de la SELARL Philippe C... ;

- à titre subsidiaire, quand bien même le caractère de la dépréciation serait irréversible, la dépréciation du fonds de commerce n'étant pas contestée, la charge regardée par l'administration comme ayant été comptabilisée à tort en provision et non en charge définitive peut être admise en déduction à titre de charge définitive.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juillet 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la SELARL Philippe C... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 14 juin 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 15 juillet 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Sauveplane, président assesseur,

- les conclusions de M. Arruebo-Mannier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) Philippe C..., qui exerçait une activité de médecine générale puis a exercé une activité d'expertise médicale, a fait l'objet d'un examen de comptabilité à l'issue duquel l'administration fiscale a remis en cause la déduction des bases imposables à l'impôt sur les sociétés d'une provision pour dépréciation d'une immobilisation incorporelle, d'un montant de 77 054 euros, correspondant au coût d'acquisition de la patientèle en 2005. En conséquence, l'administration a assujetti cette société à une cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés, assortie de pénalités, au titre de l'exercice clos en 2015, en suivant la procédure de rectification contradictoire. La SELARL Philippe C... relève appel du jugement du 11 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a ainsi été assujettie au titre de l'exercice clos en 2015, ainsi que des pénalités correspondantes.

Sur le bien-fondé de l'imposition en litige :

2. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : / (...) / 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice. (...) ". Aux termes de l'article 38 sexies de l'annexe III au code général des impôts : " La dépréciation des immobilisations qui ne se déprécient pas de manière irréversible, notamment les terrains, les fonds de commerce, les titres de participation, donnent lieu à la constitution de provisions dans les conditions prévues au 5° du I de l'article 39 du code général des impôts. ".

3. Il résulte des dispositions précitées qu'une entreprise qui constate, par suite d'événements en cours à la clôture de l'exercice, une dépréciation non définitive d'un élément de son actif immobilisé, peut, alors même que celui-ci est amortissable, constituer une provision dont le montant ne peut excéder, à la clôture de l'exercice, la différence entre la valeur nette comptable et la valeur probable de réalisation de l'élément dont il s'agit, à la condition notamment que le mode de calcul de la provision soit propre à exprimer avec une approximation suffisante le montant probable de cette dépréciation.

4. Il résulte des mentions de la proposition de rectification adressée le 19 décembre 2017 à la SELARL Philippe C... que l'administration a remis en cause la déduction de la provision pour dépréciation de la patientèle inscrite en comptabilité par cette société en 2005 au motif que la contribuable, qui n'avait procédé au cours de l'année en cause à aucune réalisation d'élément de son actif, ne pouvait prétendre déduire de ses résultats imposables la perte résultant de la diminution de la valeur de sa clientèle. L'administration relève, dans la proposition de rectification, que la cessation par la SELARL Philippe C... de l'activité de médecine libérale ne pouvait donner lieu à une moins-value dès lors qu'elle ne s'est accompagnée d'aucune réalisation d'élément de l'actif et déduit de cette analyse que la SELARL Philippe C... n'a pu imputer sur ses résultats imposables à l'impôt sur les sociétés, un montant de 77 054 euros au titre de provision pour dépréciation de la patientèle.

5. Pour justifier du bien-fondé de cette provision, la SELARL Philippe C... fait valoir qu'elle a acquis la patientèle auprès du Dr D... C... le 30 juin 2005, et que cette acquisition a été inscrite pour un montant de 77 054 euros au titre des immobilisations incorporelles. Elle indique avoir toutefois progressivement orienté son activité vers l'expertise médicale pour le compte d'assureurs, la part de l'activité de médecine générale libérale ayant progressivement diminué jusqu'à devenir marginale à compter de l'exercice 2013 et nulle en 2015. N'ayant pas procédé à la cession de la patientèle liée à l'activité de médecine générale libérale et constatant un chiffre d'affaires nul en provenance de cette activité en 2015, elle a comptabilisé une provision pour dépréciation de cet élément d'actif, d'un montant de 77 054 euros, au titre de l'exercice clos en 2015. Par ailleurs, la société requérante fait valoir qu'en tant qu'entreprise commerciale soumise à l'impôt sur les sociétés, elle a entendu constater la dépréciation d'un élément d'actif et comptabiliser à ce titre une provision et que l'administration, en lui opposant un motif tiré de l'absence de réalisation d'un élément de son actif pour remettre en cause la déduction de cette provision de ses résultats imposables, a commis une erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 que la déduction, comme en l'espèce, des bases d'imposition d'une société commerciale à l'impôt sur les sociétés d'une provision pour dépréciation d'un élément d'actif est subordonnée à la constatation d'une dépréciation non définitive d'un élément de l'actif immobilisé, et non à la réalisation d'un élément de l'actif. Ainsi, en refusant la déduction de la provision pour dépréciation de la patientèle acquise en 2005 par la SELARL Philippe C... au seul motif que cette société n'avait pas procédé, au cours de l'année en cause, à la réalisation de cet élément de son actif, l'administration fiscale a commis une erreur de droit.

7. Toutefois, l'administration est en droit, à tout moment de la procédure contentieuse suivie devant le juge de l'impôt, de justifier l'imposition en substituant une base légale à une autre, sous réserve que le contribuable ne soit pas privé des garanties de procédure qui lui sont données par la loi compte tenu de la base légale substituée. L'administration, qui fait valoir que la provision litigieuse n'était pas déductible au motif qu'aucun événement particulier n'était intervenu au cours de l'exercice clos en 2015 justifiant la perte de valeur de la patientèle, doit être regardée comme demandant que ce nouveau motif soit substitué à celui initialement retenu pour fonder l'imposition.

8. Or, il résulte de l'instruction que le chiffre d'affaires réalisé par la SELARL Philippe C... et généré par l'activité de médecine générale libérale a progressivement diminué jusqu'à devenir résiduel à compter de l'exercice 2013 et nul en 2015. Le gérant de la SELARL Philippe C... a d'ailleurs précisé au service vérificateur qu'il avait décidé, dès l'année 2013, de se consacrer exclusivement à l'activité d'expertise médicale et de ne réaliser des actes de médecine générale que pour les membres de son entourage. La société requérante ne fait état d'aucune circonstance permettant d'établir qu'un événement de nature à rendre probable la perte de clientèle serait intervenu au cours de l'exercice clos en 2015. En conséquence, la SELARL Philippe C... n'était pas fondée à comptabiliser une provision pour dépréciation d'un élément d'actif au titre de l'exercice clos en 2015.

Sur la demande de compensation :

9. La SELARL Philippe C... demande, à titre subsidiaire, que le montant de 77 054 euros, ayant été comptabilisé à tort en provision et non en charge définitive, soit admis en déduction de son résultat imposable. Elle doit, ce faisant, être regardée comme demandant la compensation de l'imposition supplémentaire en litige avec la surtaxe résultant de l'absence de comptabilisation de la perte, certaine et définitive, de valeur de sa patientèle.

10. Aux termes de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales : " Lorsqu'un contribuable demande la décharge ou la réduction d'une imposition quelconque, l'administration peut, à tout moment de la procédure et malgré l'expiration des délais de prescription, effectuer ou demander la compensation dans la limite de l'imposition contestée, entre les dégrèvements reconnus justifiés et les insuffisances ou omissions de toute nature constatées dans l'assiette ou le calcul de l'imposition au cours de l'instruction de la demande. ". Aux termes de l'article L. 204 du même livre : " La compensation peut aussi être effectuée ou demandée entre les impôts suivants, lorsque la réclamation porte sur l'un d'eux : / 1° A condition qu'ils soient établis au titre d'une même année, entre l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les sociétés (...) " L'article L. 205 du même livre dispose que : " Les compensations de droits prévues aux articles L. 203 et L. 204 sont opérées dans les mêmes conditions au profit du contribuable à l'encontre duquel l'administration effectue une rectification lorsque ce contribuable invoque une surtaxe commise à son préjudice ou lorsque la rectification fait apparaître une double imposition. ".

11. Il résulte des dispositions des articles L. 203 et L. 205 du livre des procédures fiscales que si un contribuable peut, à tout moment de la procédure et alors même que le délai de réclamation est expiré, demander à bénéficier d'une compensation, cette faculté ne s'exerce que dans la limite de l'imposition mise en recouvrement à la suite de la rectification et régulièrement contestée. Un contribuable qui n'a pas contesté les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu mises à sa charge n'est donc pas fondé à invoquer la compensation entre ces cotisations supplémentaires et les cotisations primitives de ce même impôt faisant l'objet du litige.

12. Il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qui a été dit précédemment, que la perte subie par la SELARL Philippe C... aurait dû être comptabilisée antérieurement à l'année 2015, le chiffre d'affaires issu de la patientèle étant devenu résiduel dès les exercices antérieurs à celui clos en 2015, et cette absence de comptabilisation constituant une erreur comptable opposable à la SELARL Philippe C.... Par suite, la demande de compensation doit être écartée.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la SELARL Philippe C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2015, ainsi que des pénalités correspondantes. Il y a donc également lieu de rejeter les conclusions de la SELARL Philippe C... tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la SELARL Philippe C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SELARL Philippe C... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera transmise à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

Délibéré après l'audience publique du 17 novembre 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Christian Heu, président de chambre,

- M. Mathieu Sauveplane, président-assesseur,

- M. B... A..., premier-conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2022.

Le président, rapporteur,

Signé : M. SauveplaneLe président de chambre,

Signé : C. Heu

La greffière,

Signé : S. Pinto Carvalho

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière,

Suzanne Pinto Carvalho

N°21DA00341 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21DA00341
Date de la décision : 15/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Heu
Rapporteur ?: M. Mathieu Sauveplane
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : CAMPBELL-BOULOGNE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-12-15;21da00341 ?
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