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08/12/2022 | FRANCE | N°22DA01247

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 08 décembre 2022, 22DA01247


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler l'arrêté du 28 mars 2022 par lequel le préfet du Nord a prononcé son transfert aux autorités bulgares, d'autre part, d'enjoindre au préfet du Nord, à titre principal, d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation, sous astreinte de 50 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 2202637 du 4 mai 2022, la magistrate désignée par le président du

tribunal administratif de Lille, après avoir admis M. A... à l'aide juridictionnelle...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler l'arrêté du 28 mars 2022 par lequel le préfet du Nord a prononcé son transfert aux autorités bulgares, d'autre part, d'enjoindre au préfet du Nord, à titre principal, d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation, sous astreinte de 50 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 2202637 du 4 mai 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille, après avoir admis M. A... à l'aide juridictionnelle à titre provisoire, a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet du Nord d'enregistrer la demande d'asile de M. A... en procédure normale et a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 900 euros à Me Vergnole, conseil de M. A..., sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête enregistrée le 13 juin 2022, sous le n° 22DA01247, le préfet du Nord, représenté par Me Cano, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Lille.

Il soutient que :

- c'est à tort que le premier juge, pour prononcer l'annulation de l'arrêté contesté, a retenu le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- les autres moyens soulevés en première instance par M. A... ne sont pas fondés ;

- en effet, l'arrêté en litige est suffisamment motivé ;

- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 manque en fait ;

- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 manque en fait ;

- il est justifié, par les pièces produites au dossier, de la saisine des autorités bulgares par l'administration ;

- l'arrêté en litige n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales manque en fait ;

- le moyen tiré de la violation par ricochet des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales manque en fait.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 septembre 2022, et un mémoire, enregistré le 25 octobre 2022, M. A..., représenté par Me Vergnole, conclut, d'une part, au rejet de la requête, d'autre part, à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il fait valoir que :

- c'est à bon droit que le premier juge a annulé l'arrêté prononçant son transfert aux autorités bulgares au motif que cet arrêté méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'arrêté en litige est entaché d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;

- il méconnaît, compte tenu des défaillances systémiques de la prise en charge des demandeurs d'asile en Bulgarie, les dispositions du 2. de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- il méconnaît les dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.

Par une ordonnance du 3 octobre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 28 octobre 2022.

M. A... a été maintenu de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, dans le cadre de l'instance au fond, par une décision du 1er septembre 2022.

II. Par une requête enregistrée le 16 juin 2022, sous le n° 22DA01276, le préfet du Nord, représenté par Me Cano, demande à la cour de prononcer, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, le sursis à exécution du jugement n° 2202637 du 4 mai 2022 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille, jusqu'à ce qu'il soit statué sur sa requête au fond.

Il soutient que :

- c'est à tort que le premier juge, pour prononcer l'annulation de l'arrêté contesté, a retenu le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- les autres moyens soulevés en première instance par M. A... ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 septembre 2022, M. A..., représenté par Me Vergnole, conclut, d'une part, au rejet de la requête, d'autre part, à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il fait valoir que :

- c'est à bon droit que le premier juge a annulé l'arrêté prononçant son transfert aux autorités bulgares au motif que cet arrêté méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par une ordonnance du 3 octobre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 28 octobre 2022.

Le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale a été accordé à M. A..., dans le cadre de l'instance à fin de sursis à exécution, par une décision du 1er septembre 2022.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Heu, président de chambre,

- et les observations de Me Vergnole, représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., ressortissant afghan né le 3 septembre 1997 à Laghman (Afghanistan), est entré irrégulièrement en France. Il s'est présenté auprès des services de la préfecture du Nord le 28 février 2022 afin de solliciter l'asile. La consultation par l'administration du fichier Eurodac ayant permis d'établir que l'intéressé avait présenté une demande d'asile enregistrée en Bulgarie, le 5 novembre 2021, et en Autriche, le 1er février 2022, le préfet du Nord a saisi les autorités bulgares et les autorités autrichiennes, le 1er mars 2022, d'une demande de reprise en charge en application des dispositions du b) du 1. de l'article 18 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Les autorités autrichiennes ont rejeté la demande de reprise en charge de M. A..., le 1er mars 2022, au motif qu'elles n'étaient pas responsables de la demande d'asile présentée par l'intéressé. Les autorités bulgares ont, quant à elles, donné implicitement leur accord le 16 mars 2022, en application des dispositions du 2 de l'article 25 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par un arrêté du 28 mars 2022, le préfet du Nord a, en conséquence, prononcé le transfert de M. A... aux autorités bulgares. Par la requête enregistrée sous le n° 22DA01247, le préfet du Nord relève appel du jugement du 4 mai 2022 en tant que, par ce jugement, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille a, d'une part, annulé son arrêté du 28 mars 2022 portant transfert de M. A... aux autorités bulgares, d'autre part, enjoint à l'autorité préfectorale d'enregistrer la demande d'asile de l'intéressé en procédure normale, enfin, mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 900 euros au conseil de M. A..., sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Par la requête enregistrée sous le n° 22DA01276, le préfet du Nord demande à la cour de prononcer le sursis à exécution de ce jugement.

2. Les requêtes introduites par le préfet du Nord, enregistrées sous les nos 22DA01247 et 22DA01276, sont dirigées contre le même jugement et présentent à juger des questions communes. Il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un seul arrêt.

Sur la demande d'assistance par un interprète :

3. Les dispositions de l'article R. 776-23 du code de justice administrative, qui instituent au profit de l'étranger qui ne parle pas suffisamment la langue française la possibilité de bénéficier de l'assistance d'un interprète lors de l'audience afin de présenter des observations orales, ne sont applicables qu'aux seuls recours dirigés contre les décisions d'éloignement, lorsque l'étranger est placé en rétention ou assigné à résidence. M. A... ne peut donc utilement invoquer ces dispositions. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier, en tout état de cause, que les circonstances de l'espèce rendent utile la désignation d'un interprète dans la présente instance.

Sur la requête n° 22DA01247 :

4. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".

5. Pour annuler l'arrêté du 28 mars 2022 par lequel le préfet du Nord a prononcé le transfert de M. A... aux autorités bulgares comme méconnaissant les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille s'est fondée sur la circonstance que le transfert de M. A... en Bulgarie était susceptible d'entraîner un risque qu'il y subisse des traitements inhumains ou dégradants.

6. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

7. M. A..., en se bornant à se prévaloir, notamment, de rapports de l'Organisation Suisse d'aide aux réfugiés du 30 août 2019 et du 13 septembre 2022, d'un rapport établi par Human Rights Watch (HRW) le 26 mai 2022, d'un extrait du site internet EuroMed Droit non daté, d'un rapport sur la violence aux frontières publié en décembre 2021 sur le site internet Borderviolence, de rapports produits dans le cadre du projet européen Asylum Information Database (AIDA) en février 2019 et en 2021, d'une déclaration publique du Comité anti-torture du Conseil de l'Europe de novembre 2021 relative à la situation des personnes placées en foyers sociaux ou hôpitaux psychiatriques, d'articles de l'Agence France Presse d'août 2013, du journal Le Monde d'août 2021, de France Info de septembre 2021 et d'un extrait du site internet de l'agence de presse du gouvernement turc non daté, n'établit pas, à la date de l'arrêté litigieux, un non-respect dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Bulgarie alors que, ainsi que le fait valoir le préfet du Nord, la Commission européenne n'avait déclenché aucune procédure en manquement à l'encontre de cet Etat à la date de cet arrêté. Par ailleurs, l'intéressé fait valoir qu'il aurait lui-même été détenu dans des conditions déplorables en Bulgarie et y aurait subi des violences de la part des autorités bulgares dont il porterait encore les marques et dont il continuerait à subir les séquelles. S'il produit, à l'appui de ses déclarations, un certificat médical, ce certificat relève, en termes très succincts, que M. A... présente des douleurs lors de la mobilisation des étages rachidiens sans franche limitation de mobilité et un remaniement des ongles du médius et de l'index droits, sans toutefois relier ces constatations aux violences que l'intéressé allègue avoir subies en Bulgarie. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A... aurait fait état de mauvais traitements en Bulgarie lors de son entretien individuel du 28 février 2022 et sa relation de ces évènements devant la juridiction administrative est très peu circonstanciée. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que le transfert de M. A... en Bulgarie entraînerait un risque réel et avéré que l'intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. Le préfet du Nord est donc fondé à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille a jugé que l'arrêté du 28 mars 2022 portant transfert de M. A... aux autorités bulgares méconnaissait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

9. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A... tant devant le tribunal administratif de Lille que devant elle.

10. En premier lieu, aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé. ". Aux termes de l'article 35 de ce règlement : " 1. Chaque Etat membre notifie sans délai à la Commission les autorités chargées en particulier de l'exécution des obligations découlant du présent règlement et toute modification concernant ces autorités. (...) / 3. Les autorités visées au paragraphe 1 reçoivent la formation nécessaire en ce qui concerne l'application du présent règlement. / (...) ". Aux termes de l'article 4 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres désignent pour toutes les procédures une autorité responsable de la détermination qui sera chargée de procéder à un examen approprié des demandes conformément à la présente directive. (...) / 2. Les États membres peuvent prévoir qu'une autorité autre que celle mentionnée au paragraphe 1 est responsable lorsqu'il s'agit : / a) de traiter les cas en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 (...) / 4. Lorsqu'une autorité est désignée conformément au paragraphe 2, les États membres veillent à ce que le personnel de cette autorité dispose des connaissances appropriées ou reçoive la formation nécessaire pour remplir ses obligations lors de la mise en œuvre de la présente directive. / (...) ".

11. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du compte-rendu de l'entretien individuel, que M. A... a été reçu lors de cet entretien par un agent de la préfecture du Nord, lequel doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national pour mener cet entretien. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que cet entretien n'aurait pas eu lieu dans des conditions en garantissant la confidentialité. Enfin, si M. A... fait valoir qu'il n'a pas reçu de copie du résumé de cet entretien individuel, il n'allègue pas, en tout état de cause, en avoir fait la demande. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions précitées des articles 5 et 35 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et de l'article 4 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 doivent être écartés.

12. En deuxième lieu, il ressort des motifs mêmes de l'arrêté contesté que le préfet du Nord, pour ordonner la remise de M. A... aux autorités bulgares responsables de sa demande d'asile, a procédé à un examen particulier de sa situation. Par suite, et alors que le préfet du Nord a justifié en première instance avoir régulièrement mis en œuvre la procédure de reprise en charge prévue par le règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, le moyen tiré du défaut d'examen particulier de la situation de M. A... doit être écarté.

13. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). / 2. (...) le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen. / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. / (...) ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / (...) ".

14. D'une part, la faculté laissée à chaque Etat membre, par l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

15. D'autre part, la Bulgarie étant membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette présomption n'est toutefois pas irréfragable lorsqu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités bulgares répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.

16. M. A... fait valoir qu'il a subi des traitements inhumains et dégradants en Bulgarie et qu'il craint, en cas d'exécution de la mesure de transfert, d'être immédiatement reconduit dans son pays d'origine. Toutefois, et ainsi qu'il a été dit au point 7, il ne ressort pas des pièces du dossier que le transfert de M. A... en Bulgarie entraînerait un risque de traitements inhumains ou dégradants au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que la Bulgarie, qui a explicitement accepté la reprise en charge de l'intéressé sur le fondement du 2 de l'article 25 du règlement du 26 juin 2013, ne procédera pas à l'examen de sa demande d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que cet Etat est membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir que le préfet du Nord, en ne mettant pas en œuvre la procédure dérogatoire prévue par les dispositions précitées de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, aurait entaché la décision prononçant son transfert aux autorités bulgares d'une méconnaissance de ces dispositions. De même, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

17. En quatrième et dernier lieu, le moyen tiré de ce que la décision contestée serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. A... doit être écarté par les mêmes motifs que ceux énoncés aux points 7 et 16.

18. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 28 mars 2022, lui a enjoint d'enregistrer la demande d'asile de M. A... en procédure normale et a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 900 euros au conseil de celui-ci, sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Sur la requête n° 22DA01276 :

19. Dès lors que le présent arrêt se prononce sur la requête présentée par le préfet du Nord tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Lille en date du 4 mai 2022, il n'y a pas lieu de statuer sur la requête par laquelle le préfet du Nord demande à la cour de prononcer le sursis à l'exécution de ce jugement.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

20. Les conclusions présentées devant la cour par M. A... et tendant à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique doivent être rejetées, dès lors que l'Etat n'a pas la qualité de partie perdante.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2202637 du 4 mai 2022 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Lille et ses conclusions devant la cour tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique sont rejetées.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête du préfet du Nord tendant au sursis à exécution du jugement n° 2202637 du 4 mai 2022 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet du Nord, à M. B... A... et à Me Vergnole.

Délibéré après l'audience publique du 17 novembre 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Christian Heu, président de chambre,

- M. Mathieu Sauveplane, président-assesseur,

- M. Bertrand Baillard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 décembre 2022.

Le président-assesseur,

Signé : M. SauveplaneLe président de chambre,

Signé : C. Heu

La greffière,

Signé : S. Pinto Carvalho

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière

Suzanne Pinto Carvalho

2

N°22DA01247, 22DA01276


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01247
Date de la décision : 08/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Heu
Rapporteur ?: M. Christian Heu
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : CENTAURE AVOCATS;CENTAURE AVOCATS;CENTAURE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-12-08;22da01247 ?
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