Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Lille, par deux demandes distinctes, d'une part, d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet du Pas-de-Calais a refusé d'abroger l'arrêté du 20 novembre 2015 prononçant son expulsion du territoire français, d'autre part, d'annuler la décision du 26 juillet 2021 par laquelle le préfet du Pas-de-Calais a refusé d'abroger cet arrêté, enfin, d'enjoindre au préfet du Pas-de-Calais de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation, dans le délai de deux mois à compter de la date de notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 2104838, 2200610 du 18 mai 2022, le tribunal administratif de Lille, après avoir joint ces deux demandes, a, d'une part, prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de M. C... tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le préfet du Pas-de-Calais a refusé d'abroger l'arrêté du 20 novembre 2015 prononçant son expulsion du territoire français, d'autre part, annulé la décision du 26 juillet 2021 par laquelle le préfet du Pas-de-Calais a refusé d'abroger cet arrêté, en outre, enjoint au préfet du Pas-de-Calais d'abroger l'arrêté du 20 novembre 2015 dans le délai d'un mois à compter de la date de notification dudit jugement, enfin, mis à la charge de l'Etat le versement au conseil de M. C... de la somme de 1 500 euros en application de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête enregistrée le 3 juin 2022, sous le n° 22DA01164, le préfet du Pas-de-Calais demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2104838, 2200610 du 18 mai 2022 du tribunal administratif de Lille ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Lille.
Il soutient que :
- les premiers juges, pour annuler la décision refusant d'abroger l'arrêté d'expulsion prononcé à l'encontre de M. C..., ont retenu à tort que la présence de celui-ci sur le territoire français ne constituait pas une menace pour l'ordre public ;
- l'intéressé ne justifie ni d'une relation effective et suivie avec ses enfants, ni de la stabilité et de l'ancienneté de la relation qu'il entretient avec une ressortissante française.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 septembre 2022, M. C..., représenté par Me Berthe, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision refusant d'abroger la mesure d'expulsion prononcée le 20 novembre 2015 à son encontre porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale ;
- sa présence sur le territoire français ne constitue pas une menace grave pour l'ordre public au sens de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
II. Par une requête enregistrée le 3 juin 2022, sous le n° 22DA01163, le préfet du Pas-de-Calais demande à la cour de prononcer, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, le sursis à exécution du jugement n° 2104838, 2200610 du 18 mai 2022 du tribunal administratif de Lille jusqu'à ce qu'il soit statué sur sa requête au fond.
Il soutient que :
- les premiers juges, pour annuler la décision refusant d'abroger l'arrêté d'expulsion prononcé à l'encontre de M. C..., ont retenu à tort que la présence de celui-ci sur le territoire français ne constituait pas une menace pour l'ordre public ;
- l'intéressé ne justifie ni d'une relation effective et suivie avec ses enfants, ni de la stabilité et de l'ancienneté de la relation qu'il entretient avec une ressortissante française.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 juillet 2022, M. C..., représenté par Me Berthe, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la demande de sursis à exécution du jugement du 18 mai 2022 n'est pas fondée ;
- la décision refusant d'abroger la mesure d'expulsion prononcée le 20 novembre 2015 à son encontre porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale ;
- sa présence sur le territoire français ne constitue pas une menace grave pour l'ordre public au sens de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bertrand Baillard, premier conseiller,
- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public,
- les observations de M. B..., représentant le préfet du Pas-de-Calais, et de Me Berthe, représentant M. C....
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes n° 22DA01163 et n° 22DA01164 du préfet du Pas-de-Calais présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt.
2. M. A... C..., ressortissant camerounais né le 3 mai 1975 à Yaoundé (Cameroun), est entré en France le 11 octobre 1999 selon ses déclarations. Par un jugement du 11 mai 2012, la cour d'assises du Nord a condamné l'intéressé à une peine de huit ans d'emprisonnement pour avoir commis, dans la nuit du 28 au 29 janvier 2010, un acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, par violence, contrainte, menace ou surprise. La fin de peine est intervenue le 10 décembre 2015. Par un arrêté du 20 novembre 2015, le préfet du Pas-Calais a prononcé l'expulsion de M. C... sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, au motif que sa présence sur le territoire français constituait une menace grave pour l'ordre public. Par un arrêt du 6 juillet 2017, devenu définitif, la cour administrative d'appel de Douai a annulé le jugement du 29 février 2016 par lequel le tribunal administratif de Lille avait annulé cet arrêté et rejeté la demande de M. C.... Le 3 novembre 2020, M. C... a sollicité du préfet du Pas-de-Calais l'abrogation de cet arrêté, dans le cadre de la procédure de réexamen prévue par l'article L. 524-2, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. A la suite du rejet de cette demande par une décision implicite, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a, par une ordonnance du 13 juillet 2021, ordonné, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de cette décision implicite et a enjoint au préfet du Pas-de-Calais de procéder au réexamen de la situation de M. C.... Dans le cadre de ce réexamen, cette autorité a, par une décision du 26 juillet 2021, refusé d'abroger l'arrêté du 20 novembre 2015. Par la requête enregistrée sous le n° 22DA01164, le préfet du Pas-de-Calais relève appel du jugement du 18 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Lille, d'une part, a annulé cette décision et, d'autre part, lui a enjoint d'abroger l'arrêté du 20 novembre 2015 dans le délai d'un mois à compter de la date de notification dudit jugement. Par la requête enregistrée sous le n° 22DA01163, le préfet du Pas-de-Calais demande à la cour de prononcer le sursis à exécution de ce jugement.
Sur la demande d'annulation du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article L. 632-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sans préjudice des dispositions des articles L. 632-3 et L. 632-4, les motifs de la décision d'expulsion donnent lieu à un réexamen tous les cinq ans à compter de sa date d'édiction. L'autorité compétente tient compte de l'évolution de la menace pour l'ordre public que constitue la présence de l'intéressé en France, des changements intervenus dans sa situation personnelle et familiale et des garanties de réinsertion professionnelle ou sociale qu'il présente, en vue de prononcer éventuellement l'abrogation de cette décision. L'étranger peut présenter des observations écrites. / A défaut de notification à l'intéressé d'une décision explicite d'abrogation dans un délai de deux mois, ce réexamen est réputé avoir conduit à une décision implicite de ne pas abroger. Cette décision est susceptible de recours. Le réexamen ne donne pas lieu à consultation de la commission mentionnée à l'article L. 632-1. ". Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, lorsqu'il est saisi d'un moyen en ce sens à l'appui d'un recours dirigé contre le refus d'abroger une mesure d'expulsion, de rechercher si les faits sur lesquels l'autorité administrative s'est fondée pour estimer que la présence en France de l'intéressé constituait toujours, à la date à laquelle elle s'est prononcée, une menace pour l'ordre public, sont de nature à justifier légalement que la mesure d'expulsion ne soit pas abrogée.
4. D'une part, il ressort des pièces du dossier que, si M. C... a été condamné à une peine d'emprisonnement pour des faits, d'une particulière gravité, commis en janvier 2010 et a été inscrit, en conséquence, au fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles, il n'a fait l'objet d'aucune nouvelle condamnation depuis sa libération, fin 2015. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier, et il n'est d'ailleurs pas allégué par l'administration, que l'intéressé se serait fait défavorablement connaître des services de police, indépendamment des faits pour lesquels il a été condamné, le 11 mai 2012, à une peine d'emprisonnement. Si le préfet du Pas-de-Calais soutient que M. C... n'a pas fait l'objet d'un suivi psychologique régulier depuis sa libération, d'une part, ce suivi n'était pas imposé par la condamnation dont il a fait l'objet, et, d'autre part, l'intéressé justifie avoir été reçu en consultation par un psychologue à plusieurs reprises à compter de 2020. Enfin, les circonstances selon lesquelles M. C... n'a pas exécuté spontanément la mesure d'expulsion et a exercé une activité professionnelle sans autorisation administrative ne sont pas de nature à caractériser une menace actuelle à l'ordre public, alors, au demeurant, que l'administration n'a pas, elle-même, veillé à assurer l'exécution de la mesure d'expulsion prononcée à l'encontre de l'intéressé le 20 novembre 2015.
5. D'autre part, si M. C... n'a pu exercer le droit de visite dont il est titulaire à l'égard de ses deux enfants nés en 2009 et en 2010, à compter de décembre 2018, en raison de l'opposition de la mère des enfants, il ressort des pièces du dossier, d'une part, que M. C... a effectué de nombreuses démarches à cette fin auprès des autorités judiciaires et des services de police, d'autre part, que, par un jugement du 19 janvier 2021, le juge aux affaires familiales, après avoir relevé que les parents des enfants étaient finalement parvenus à s'accorder sur des modalités classiques de droit de visite et d'hébergement, a défini des modalités progressives d'exercice du droit de visite de M. C... afin de permettre aux enfants de renouer le lien avec leur père de manière adaptée et sécurisante pour eux. De plus, M. C... justifie, par les pièces produites, contribuer régulièrement à l'entretien de ses enfants à hauteur de ses capacités financières. Par ailleurs, il n'est pas contesté que M. C... a conclu un pacte civil de solidarité le 4 septembre 2017 avec une ressortissante française. Enfin, l'intéressé montre une volonté d'insertion sociale et professionnelle dans la mesure où, nonobstant l'irrégularité, il est vrai, de son embauche, celui-ci exerce, depuis août 2020, l'activité de gardien de nuit à temps partiel.
6. Compte-tenu de l'ensemble de ces éléments, le préfet du Pas-de-Calais, en refusant d'abroger l'arrêté du 20 novembre 2015, doit être tenu comme ayant inexactement apprécié l'actualité de la menace pour l'ordre public que constitue la présence de M. C... sur le territoire français, compte tenu des changements substantiels intervenus dans sa situation personnelle et familiale, et des garanties de réinsertion professionnelle ou sociale qu'il présente. L'autorité préfectorale, en refusant de procéder à l'abrogation de l'arrêté d'expulsion, doit donc être tenue comme ayant méconnu les dispositions, citées au point 3, de l'article L. 632-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. C'est donc à bon droit que les premiers juges ont annulé la décision du 26 juillet 2021 du préfet du Pas-de-Calais.
7. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Pas-de-Calais n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé sa décision du 26 juillet 2021 refusant d'abroger l'arrêté du 20 novembre 2015 prononçant l'expulsion de M. C... et lui a enjoint de procéder à l'abrogation de cet arrêté.
Sur la demande de sursis à exécution :
8. La cour se prononçant, par le présent arrêt, sur la requête du préfet du Pas-de-Calais tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Lille du 18 mai 2022, la requête du préfet du Pas-de-Calais tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont désormais privées d'objet.
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, qui a la qualité de partie perdante, une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. C... et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête n° 22DA01164 du préfet du Pas-de-Calais est rejetée.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 22DA01163 du préfet du Pas-de-Calais.
Article 3 : L'Etat versera à M. C... une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet du Pas-de-Calais et à M. A... C....
Délibéré après l'audience publique du 27 octobre 2022 à laquelle siégeaient :
- M. Christian Heu, président de chambre,
- M. Mathieu Sauveplane, président-assesseur,
- M. Bertrand Baillard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 novembre 2022.
Le rapporteur,
Signé : B. BaillardLe président de chambre,
Signé : C. Heu
La greffière,
Signé : S. Pinto Carvalho
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière,
Suzanne Pinto Carvalho
N°22DA01163, 22DA01164 2