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15/11/2022 | FRANCE | N°22DA00952

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre, 15 novembre 2022, 22DA00952


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 18 mars 2021 par lequel le préfet du Nord lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure, d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter du jugement à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard ou, à défaut, de réexaminer sa situat

ion et de lui délivrer, dans l'attente de ce réexamen, une autorisation provisoire ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 18 mars 2021 par lequel le préfet du Nord lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure, d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter du jugement à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard ou, à défaut, de réexaminer sa situation et de lui délivrer, dans l'attente de ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte, de surseoir à statuer jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée sur sa nationalité française et de lui délivrer en attendant une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours, sous astreinte de 150 euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros, sous réserve de la renonciation de son conseil au bénéfice de l'aide juridictionnelle, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 2105865 du 22 avril 2022, le tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 18 mars 2021 et a enjoint le préfet du Nord de délivrer à M. B... un certificat de résidence algérien portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 3 mai 2022, sous le n° 22DA00952, le préfet du Nord demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Lille en confirmant la légalité de son arrêté.

Il soutient que :

- le tribunal administratif de Lille a commis une erreur de droit en considérant que la demande de M. B... relevait des stipulations du 5° de l'article 6 de l'accord franco-algérien alors que l'intéressé, qui a demandé un " titre de séjour en qualité de mineur placé auprès de l'aide sociale à l'enfance avant l'âge de seize ans ", n'a pas demandé un titre de séjour sur le fondement de ces stipulations ;

- il a aussi commis une erreur d'appréciation en considérant que l'arrêté attaqué portait une atteinte disproportionnée au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale alors que l'intéressé n'établit pas être dépourvu de toute attache familiale dans son pays d'origine, où vivent ses parents et ses deux sœurs, ni avoir établi en France des liens privés particulièrement intenses alors qu'il conserve la possibilité de revenir en France pour y poursuivre des études en étant muni d'un visa de long séjour ;

- il est renvoyé au mémoire en défense de première instance quant aux autres moyens soulevés par M. B....

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 juillet 2022, M. B..., représenté par Me Julie Gommeaux, conclut au rejet de la requête du préfet du Nord, d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte et de lui délivrer, dans l'attente de ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour dans le délai de quinze jours à compter de la date de notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, de surseoir à statuer jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée sur sa nationalité française et de lui délivrer en attendant une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours, sous astreinte de 150 euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, sous réserve de sa renonciation au bénéfice de l'aide juridictionnelle, la somme de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que les moyens soulevés par le préfet ne sont pas fondés et reprend, pour le surplus, ses moyens de première instance.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 août 2022.

II. Par une requête, enregistrée le 3 mai 2022, sous le n° 22DA00953, le préfet du Nord demande qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n° 2105865 du tribunal administratif de Lille du 22 avril 2022 par les mêmes moyens que ceux soulevés dans la requête n° 22DA00952.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 juin 2022, M. B..., représenté par Me Julie Gommeaux, conclut au rejet de la requête du préfet du Nord, d'enjoindre au préfet d'exécuter le jugement du 22 avril 2022 dans toutes ses dispositions, de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, sous réserve de la renonciation au bénéfice de l'aide juridictionnelle, la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, en cas de rejet de la demande d'aide juridictionnelle, à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par le préfet n'est sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation ou la réformation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par le jugement.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 août 2022.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91 647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Anne Seulin, présidente de chambre, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes n° 22DA00952 et n° 22DA00953 sont dirigées contre le même jugement et concernent la situation d'une même personne. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

2. M. C... B..., de nationalité algérienne né le 2 octobre 2002, a sollicité le 9 juin 2020 une demande de titre de séjour en qualité d'étranger confié à l'aide sociale à l'enfance avant l'âge de seize ans. Par un arrêté du 18 mars 2021, le préfet du Nord a refusé de lui délivrer le titre demandé, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par une requête n° 22DA00952, le préfet du Nord fait appel du jugement n° 2105865 du tribunal administratif de Lille du 22 avril 2022 ayant annulé son arrêté du 18 mars 2021 et lui ayant enjoint de délivrer à l'intéressé un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement. Par une autre requête n° 22DA00953, il demande qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.

Sur la requête n°22DA00952 :

3. Les stipulations de l'accord franco-algérien régissent de manière complète les conditions dans lesquelles les ressortissants algériens peuvent être admis à séjourner en France et y exercer une activité professionnelle. Il suit de là que M. B..., à l'appui de sa demande de titre de séjour, ne peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 313-11 2°bis du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile applicable à la date de la décision attaquée du 18 mars 2021, devenu l'article L. 423-22 du même code, relatif à la délivrance d'un titre de séjour " vie privée et familiale " aux étrangers confiés à l'aide sociale à l'enfance depuis qu'ils ont atteint au plus l'âge de seize ans. Il est toutefois possible au préfet, exerçant le pouvoir discrétionnaire qui lui appartient dès lors qu'aucune disposition expresse ne le lui interdit, de régulariser la situation d'un étranger en lui délivrant un titre de séjour, compte tenu de l'ensemble des éléments de sa situation personnelle.

4. Il ressort des termes mêmes du jugement attaqué que le tribunal a annulé l'arrêté préfectoral du 18 mars 2021 pour erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. B.... Le tribunal, en exerçant un contrôle restreint, s'est ainsi placé dans le cadre du pouvoir discrétionnaire dont disposait le préfet du Nord pour régulariser la situation de l'intéressé en l'absence de toute disposition le lui interdisant, le préfet ayant en l'espèce examiné si l'intéressé pouvait prétendre à un titre de séjour sur le fondement d'autres dispositions ou au titre de sa vie privée et familiale. Ce faisant, le tribunal n'a pas exercé un contrôle normal de la légalité de l'arrêté attaqué au regard des dispositions de l'article 6 -5° de l'accord franco-algérien. Le moyen tiré de l'erreur de droit sera donc écarté.

5. Il ressort des pièces des dossiers que M. B... est entré sur le territoire français à l'âge de treize ans, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance jusqu'à sa majorité par jugement du tribunal pour enfants du 21 octobre 2016 et que le président du conseil départemental du Nord a été désigné pour exercer une tutelle d'Etat à son égard par une décision en date du 3 février 2017 du juge des tutelles du tribunal de grande instance de Lille. D'abord inscrit au collège Lavoisier de Lambersart en classe de 3ème UPEAA en 2016-2017, il a ensuite suivi à compter de l'année scolaire suivante, un cursus de baccalauréat professionnel en électricité au lycée Baggio de Lille. Les bulletins scolaires produits depuis l'année 2017-2018 font état de résultats satisfaisants et de son assiduité jusqu'à l'obtention de son diplôme. M. B..., qui est inscrit en BTS au sein du lycée Baggio, justifie avoir effectué cinq stages depuis 2018 dans la spécialité dans laquelle il souhaite être formé et est titulaire, depuis le 2 octobre 2020, anniversaire de ses dix-huit ans, d'un contrat " Entrée dans la vie adulte " (EVA) par lequel il s'engage dans un projet d'insertion sociale et professionnelle concret. Par plusieurs attestations postérieures à la décision attaquée mais portant sur des éléments antérieurs à celle-ci, des enseignants, la conseillère principale d'éducation et des éducateurs spécialisés l'ayant accompagné au sein des différentes structures d'hébergement qu'il a fréquentées, soulignent le sérieux et l'engagement de M. B... dans l'accompagnement socio-éducatif qui lui a été proposé ainsi que ses capacités à acquérir de l'autonomie. L'intéressé justifie enfin avoir noué des liens amicaux avec certains de ses camarades de classe, ainsi qu'un investissement dans un club sportif. Ainsi, au regard de la durée de présence de M. B... en France, entré sur le territoire national à l'âge de treize ans, du suivi d'un cursus scolaire professionnalisant réussi à la date de la décision attaquée et de sa volonté de poursuivre un projet d'insertion sociale et professionnelle, le préfet du Nord a commis une erreur manifeste d'appréciation en lui refusant la délivrance d'un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale ". Par suite, le préfet du Nord n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par son jugement n° 2105865 du 22 avril 2022, le tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 18 mars 2021 refusant de délivrer à M. B... un certificat de résidence algérien. Sa requête doit donc être rejetée.

Sur la requête n° 22DA00953 :

6. Le présent arrêt statuant sur la requête au fond n° 22DA00952, la requête n° 22DA00953 du préfet du Nord tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n° 2105865 du 22 avril 2022 du tribunal administratif de Lille, est devenue sans objet. Il n'y a donc pas lieu d'y statuer ni de se prononcer sur la demande de M. B... d'admission à l'aide juridictionnelle provisoire présentée dans le cadre de cette requête.

Sur les conclusions à fin d'injonction présentées par M. B... :

7. Le tribunal ayant enjoint au préfet du Nord de délivrer à M. B... un titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement et la cour ayant fait droit aux conclusions principales de M. B... tendant au rejet de la requête du préfet du Nord, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte tendant aux mêmes fins présentées devant la cour doivent être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

8. M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du 30 août 2022. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner l'Etat à verser à Me Gommeaux la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à la part contributive de l'Etat.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 22DA00953 du préfet du Nord, ni sur la demande d'admission à l'aide juridictionnelle provisoire de M. B... qui lui est associée.

Article 2 : La requête du préfet du Nord est rejetée.

Article 3 : L'Etat versera à Me Gommeaux la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve qu'elle renonce à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet du Nord, à M. C... B... et à Me Julie Gommeaux.

Délibéré après l'audience publique du 2 novembre 2022 à laquelle siégeaient :

- Mme Anne Seulin, présidente de chambre,

- M. Marc Baronnet, président-assesseur,

- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 novembre 2022.

Le président-assesseur,

Signé : M. A...La présidente de chambre,

Signé : A. Seulin

La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière

Anne-Sophie Villette

N°22DA00952,22DA00953 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA00952
Date de la décision : 15/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Seulin
Rapporteur ?: Mme Anne Seulin
Rapporteur public ?: M. Toutias
Avocat(s) : GOMMEAUX;GOMMEAUX;GOMMEAUX

Origine de la décision
Date de l'import : 20/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-11-15;22da00952 ?
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