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29/09/2022 | FRANCE | N°20DA01386

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 29 septembre 2022, 20DA01386


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Sacha Destock a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013.

Par un jugement no 1706543 du 9 juillet 2020, le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 7 septembre 2020, le

21 janvier 2021 et le 15 février 2021, la SARL Sacha Destok, représentée par la SCP Bensimhon Ass...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Sacha Destock a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013.

Par un jugement no 1706543 du 9 juillet 2020, le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 7 septembre 2020, le 21 janvier 2021 et le 15 février 2021, la SARL Sacha Destok, représentée par la SCP Bensimhon Associés, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) à titre principal, de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions en litige et de prescrire la restitution, augmentée des intérêts moratoires prévus à l'article L. 208 du livre des procédures fiscales, des sommes qu'elle a acquittées à ce titre ;

3°) à titre subsidiaire, de ne maintenir les rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige qu'à hauteur d'un montant de 127 236 euros, correspondant à la taxe due sur les paiements en espèces perçus par elle pour des sommes supérieures à 3 000 euros ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de même que les entiers dépens de l'instance.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif a estimé que les conditions requises pour pouvoir prétendre au régime d'exonération de taxe sur la valeur ajoutée applicable aux livraisons intracommunautaires n'étaient pas satisfaites en raison de l'absence de preuve du transfert, de la France vers la Belgique, des marchandises dont l'achat lui a été réglé en espèces, alors que le régime d'exonération de taxe n'a pas été remis en cause en ce qui concerne les transactions, effectuées auprès des mêmes clients belges et justifiées par les mêmes éléments, qui ont fait l'objet d'un règlement par virement bancaire ; son mode de fonctionnement, dans lequel les clients retirent eux-mêmes les marchandises, formant des lots de faible importance, de son entrepôt, fait obstacle à ce qu'elle puisse fournir, pour justifier de la livraison effective de ces marchandises en Belgique, d'autres pièces que les factures correspondantes, qui font office de bons de commande et d'enlèvement, ainsi que des attestations établies par les clients concernés, qui confirment que les marchandises ont été emmenées par eux en Belgique ;

- elle a effectué toutes les vérifications pouvant raisonnablement être attendues de sa part en ce qui concerne la réalité de l'activité de ses clients belges, laquelle a d'ailleurs été confirmée par l'administration fiscale belge ; elle ignorait que certains de ces clients ne respectaient pas leurs obligations fiscales en Belgique, et n'était d'ailleurs pas en mesure de le savoir, alors que, pour sa part, elle s'est constamment conformée à ses obligations fiscales ; la doctrine administrative publiée sous la référence BOI-TVA-CHAMP-30-20-10 conforte, en ses paragraphes n° 100 et n° 110, sa position sur ce point ;

- c'est, en réalité, la situation irrégulière, au regard de la législation fiscale belge, de certains de ses clients qui a justifié l'établissement des rectifications contestées ; au demeurant, de nombreuses transactions opérées, au cours de la même période et dans des conditions similaires, auprès d'autres clients, belges ou néerlandais, et ayant fait l'objet d'un règlement en espèces, ce qui est courant dans le secteur du déstockage où la plupart des transactions portent sur des lots de faible importance, n'ont donné lieu à aucune rectification ;

- elle ne peut être regardée comme ayant adopté un comportement de nature à faciliter un circuit de fraude en matière de taxe sur la valeur ajoutée ; l'administration, à qui la preuve d'un tel comportement incombe, n'a pas apporté cette preuve ; la doctrine administrative publiée le 12 septembre 2012 sous la référence BOI-TVA-CHAMP-30-20-10 conforte, en son paragraphe n° 170, sa position sur ce point ;

- les rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige pourraient, tout au plus, être maintenus à hauteur d'un montant de 127 236 euros, correspondant à la taxe due sur les paiements en espèces perçus par elle, au cours de la période vérifiée, pour des sommes supérieures à 3 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 décembre 2020, et par des mémoires, enregistrés le 2 février 2021 et le 25 février 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- l'abandon, par mesure de tempérament, des rectifications relatives aux ventes de marchandises que des clients belges ont réglées par virement bancaire ne présente pas le caractère d'une prise de position formelle de l'administration sur une situation de fait dont la société appelante serait en mesure de se prévaloir en ce qui concerne les rectifications en litige ;

- la SARL Sacha Destock n'a pas apporté de justifications suffisantes, alors qu'elle est la seule en mesure de le faire, de la livraison effective en Belgique des marchandises dont l'achat lui a été payé en espèces, quand bien même la réalité des transactions correspondantes n'est pas remise en cause ; contrairement à ce qui est soutenu, les informations communiquées par l'administration fiscale belge n'établissent pas que cette livraison a été effectivement réalisée ; la SARL Sacha Destock n'était donc pas autorisée à placer ces ventes, qu'il est d'ailleurs impossible de rapprocher avec certitude des règlements perçus par elle en espèces, sous le régime d'exonération de taxe sur la valeur ajoutée applicable aux livraisons intracommunautaires ;

- au surplus, la SARL Sacha Destock ne peut être regardée comme s'étant suffisamment assurée, par la collecte d'informations qui lui étaient aisément accessibles, de ce que les transactions en cause, conclues auprès de clients défaillants au regard de leurs obligations fiscales en Belgique, ne la faisaient pas participer à une fraude, alors qu'elle a persisté à avoir recours, en dépit des remarques formulées à l'issue d'un précédent contrôle et en méconnaissance des dispositions du code monétaire et financier, à des règlements en espèces supérieurs à 3 000 euros pour une part très importante de son chiffre d'affaires ; si tel avait été le cas, il ne lui aurait pas échappé que l'activité déclarée par certaines de ces entreprises clientes était sans rapport avec les achats de produits cosmétiques et d'hygiène effectués auprès d'elle et que d'autres avaient des dirigeants communs ou disposaient d'une adresse électronique française ;

- l'administration était fondée à assortir les rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige de la majoration de 40 % prévue, en cas de manquement délibéré, par le a. de l'article 1729 du code général des impôts ; en effet, la SARL Sacha Destock a placé les ventes faisant l'objet des rectifications contestées sous le régime d'exonération de taxe sur la valeur ajoutée applicable aux livraisons intracommunautaires, alors qu'elle savait ne pas être en mesure de justifier de la livraison effective en Belgique des marchandises en cause ; en outre, elle a mis en place des conditions d'exploitation ne permettant pas de déterminer la destination des produits vendus et elle n'a pas effectué les diligences minimales pour s'assurer que, par ces transactions, elle ne participait pas à une fraude ; ces pénalités ne font d'ailleurs pas l'objet d'une contestation sérieuse.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention relative au contrat de transport international de marchandises par route (CMR), conclue à Genève le 19 mai 1956 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code monétaire et financier ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,

- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public,

- et les observations de Me Bamba, substituant Me Bensihmon, représentant la SARL Sacha Destock.

Considérant ce qui suit :

1. La société à responsabilité limitée (SARL) Sacha Destock, dont le siège est situé à Bourbourg (Nord), exerce une activité de déstockage, portant essentiellement sur l'achat et la revente de produits d'hygiène, d'entretien et de cosmétiques. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant, en matière de taxe sur la valeur ajoutée, sur la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013. A l'issue de ce contrôle, le service a entendu remettre en cause le bénéfice du régime d'exonération de taxe sur la valeur ajoutée en faveur des livraisons intracommunautaires sous lequel la SARL Sacha Destock avait placé des ventes de marchandises à des clients belges, au motif que la société n'apportait pas d'éléments suffisants à justifier de la livraison effective de ces marchandises auprès d'un opérateur économique établi dans un autre Etat de l'Union européenne. L'administration a fait connaître sa position sur ce point à la SARL Sacha Destock, par une proposition de rectification qu'elle lui a adressée le 2 juillet 2014, qui précisait que les rappels de taxe sur la valeur ajoutée résultant des rectifications notifiées seraient assortis de la majoration de 40 % prévue, en cas de manquement délibéré, par le a. de l'article 1729 du code général des impôts.

2. Les observations formulées par la SARL Sacha Destock, de même que l'entretien accordé aux représentants de la société par le supérieur hiérarchique du vérificateur, n'ont pas amené le service à reconsidérer son analyse, tandis que la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires s'est déclarée incompétente pour connaître du différend opposant cette société à l'administration. L'entretien avec l'interlocutrice fiscale placée auprès de la direction nationale d'enquêtes fiscales ayant, en dernière analyse, amené l'administration à abandonner les rectifications se rapportant aux livraisons intracommunautaires réglées par virement bancaires, les rappels de taxe sur la valeur ajoutée résultant, moyennant cet ajustement, des rectifications ainsi notifiées ont été mis en recouvrement le 31 octobre 2016, à hauteur d'un montant total, en droits et pénalités, de 586 576 euros, au titre de la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013. La réclamation introduite par la SARL Sacha Destock ayant été rejetée, celle-ci a porté le litige devant le tribunal administratif de Lille, en lui demandant de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée ainsi mis à sa charge au titre de la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013. La SARL Sacha Destock relève appel du jugement du 9 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.

Sur le bien-fondé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige :

3. Aux termes de l'article 256 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. / II. 1° Est considéré comme livraison d'un bien, le transfert du pouvoir de disposer d'un bien corporel comme un propriétaire. / (...) ". En vertu du a) du 1 de l'article 269 de ce code, le fait générateur de la taxe se produit au moment de la livraison du bien. Toutefois, aux termes de l'article 262 ter du même code, dans sa rédaction applicable : " I. - Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : / 1° Les livraisons de biens expédiés ou transportés sur le territoire d'un autre Etat membre de la Communauté européenne à destination d'un autre assujetti ou d'une personne morale non assujettie. / L'exonération ne s'applique pas lorsqu'il est démontré que le fournisseur savait ou ne pouvait ignorer que le destinataire présumé de l'expédition ou du transport n'avait pas d'activité réelle. / (...) ".

4. Il résulte des dispositions, citées au point précédent, de l'article 262 ter du code général des impôts que l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée des livraisons de biens à un destinataire établi sur le territoire d'un autre Etat membre de l'Union européenne est subordonnée, notamment, à la condition, d'une part, que l'acquéreur de ces biens soit assujetti à cette taxe ou ait la qualité de personne morale non assujettie et ne bénéficiant pas dans l'Etat membre dans lequel elle est établie d'un régime dérogatoire l'autorisant à ne pas soumettre à la taxe sur la valeur ajoutée ses acquisitions intracommunautaires et, d'autre part, que le bien ait été expédié ou transporté hors de France par le vendeur, par l'acquéreur ou par un tiers pour leur compte, à destination d'un autre Etat membre de l'Union européenne. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve au contribuable, il appartient au juge de l'impôt, au vu de l'instruction et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si la situation du contribuable entre dans le champ de l'assujettissement à l'impôt ou, le cas échéant, s'il remplit les conditions légales d'une exonération. S'agissant de la réalité de la livraison d'une marchandise sur le territoire d'un Etat membre de l'Union européenne, seul le redevable de la taxe sur la valeur ajoutée est en mesure de produire, qu'il ait ou non effectué lui-même le transport, tout élément de preuve de nature à justifier de la livraison effective de ces produits, pour justifier du bénéfice des dispositions précitées du I. de l'article 262 ter du code général des impôts.

5. Pour remettre en cause le bénéfice du régime d'exonération de taxe sur la valeur ajoutée applicable aux livraisons intracommunautaires, prévu par les dispositions précitées de l'article 262 ter du code général des impôts, sous lequel la SARL Sacha Destock avait placé des ventes de marchandises à des sociétés ayant leur siège en Belgique, l'administration a retenu, selon les termes de la proposition de rectification adressée le 2 juillet 2014 à cette société, que celle-ci n'avait pu produire au vérificateur aucune pièce de nature à établir que ces marchandises avaient effectivement été livrées en Belgique. Le service a également relevé que la double circonstance qu'un grand nombre des transactions correspondantes avaient fait l'objet de règlements en espèces, portant pour certains sur des montants excédant le plafond de 3 000 euros prévu par les dispositions des articles L. 112-6 et D. 112-3 du code monétaire et financier, et que plusieurs des sociétés clientes belges, avec lesquelles la SARL Sacha Destock n'avait pu justifier de relations commerciales suivies, par exemple par la production de bons de commandes, exerçaient ou avaient exercé, de manière éphémère, leur activité dans des domaines étrangers à celui du déstockage de produits d'hygiène et de cosmétiques et étaient représentées par un interlocuteur commun aurait dû inciter la SARL Sacha Destock à davantage de vigilance, dans un contexte où l'administration fiscale belge, sollicitée par le service dans le cadre d'une demande d'assistance internationale, avait indiqué que plusieurs de ces sociétés avaient été dissoutes ou n'étaient pas à jour de leurs obligations fiscales.

6. Pour soutenir que c'est à tort que l'administration a remis en cause le bénéfice de ce régime d'exonération en ce qui concerne ces ventes, la SARL Sacha Destock, à qui il incombe de justifier de l'expédition effective en Belgique des marchandises en cause, soutient que les conditions particulières dans lesquelles elle exerce son activité de négoce de produits d'hygiène et de cosmétiques déstockés l'amènent à vendre, de manière habituelle, des lots de faible importance à des clients, exerçant en France ou dans d'autres Etats de l'Union européenne. Elle fait valoir que ces clients ne lui passent, le plus souvent, pas de commande à l'avance, mais qu'elle les sollicite, selon les références qui lui sont livrées par ses fournisseurs, et que, dans certains cas, les représentants de ces sociétés viennent choisir eux-mêmes les marchandises dans son entrepôt, ce qui explique qu'elle n'ait pu présenter de bons de commande en ce qui concerne ces ventes. Elle ajoute que la livraison des lots achetés dans ces conditions est assurée par l'acheteur lui-même, cette livraison s'opérant le plus souvent par les soins du représentant présent, qui, compte-tenu du faible volume de la plupart des lots, est à même d'en assurer le transport au moyen de son propre véhicule, ce qui explique que, s'agissant de la plupart des livraisons intracommunautaires, aucun bon de livraison, ni aucune lettre de voiture conforme aux stipulations de la convention relative au contrat de transport international de marchandises par route (CMR), conclue à Genève le 19 mai 1956, n'ait pu être présentée par elle à l'administration. Elle précise également que, compte tenu du particularisme de cette activité commerciale, les règlements en espèces, qui portent rarement sur des sommes supérieures à 3 000 euros, sont courants. Par ailleurs, elle fait observer qu'elle a fourni l'ensemble des factures se rapportant aux ventes en cause, qui, compte-tenu de son mode d'exploitation, constituent, à ses yeux, des indices importants de la livraison des marchandises en Belgique et que ses clients belges ont d'ailleurs attesté de la réalité de cette livraison. Elle fait observer, sur ce point, que l'administration a finalement renoncé à remettre en cause le bénéfice du régime d'exonération pour des ventes effectuées, durant la période d'imposition en litige, auprès de clients belges et ayant fait l'objet d'un paiement par virements bancaires, alors que la livraison des marchandises concernées a été effectuée selon les mêmes modalités et justifiée par les mêmes pièces. Enfin, elle soutient qu'aucun élément d'information à sa connaissance ou auquel elle pouvait raisonnablement avoir accès n'était de nature à la conduire à douter de la régularité de la situation de ses clients au regard de leurs obligations fiscales en Belgique, ni de l'effectivité de leur activité dans le marché considéré, et conteste toute participation à un circuit de fraude en matière de taxe sur la valeur ajoutée intracommunautaire.

7. Toutefois, même en prenant en compte les modalités particulières d'exercice de son activité par la SARL Sacha Destock, ainsi que les spécificités du marché du déstockage, il n'en demeure pas moins que les factures produites par celle-ci en ce qui concerne les ventes ayant donné lieu aux rectifications en litige ne peuvent suffire, à elles seules, à justifier de la livraison effective en Belgique des marchandises en cause. Si la SARL Sacha Destock rapproche ces factures des attestations qu'elle a sollicitées des clients concernés, ces attestations, établies plusieurs années après la fin de la période d'imposition en litige et pour des montants globaux, sans précision du détail des transactions prises en compte, ne peuvent être regardées comme constituant un justificatif de la livraison effective en Belgique des marchandises concernées. Ainsi, la SARL Sacha Destock ne peut être regardée comme ayant justifié, comme il lui incombe, de cette livraison. Il appartenait à cette société, compte tenu du régime fiscal sous lequel elle a placé les ventes concernées, de mettre en place un dispositif de nature à lui permettre, en tenant compte des spécificités de son activité, de justifier de ces livraisons, en sollicitant le cas échéant de ses clients, le jour même de l'emport des marchandises ou dans les jours suivant, tous renseignements nécessaires, au besoin par des documents dûment signés, en ce qui concerne notamment l'identité de la personne procédant à l'emport des marchandises, le mode de transport et le lieu de réception des marchandises. En l'absence de justifications suffisantes, la SARL Sacha Destock n'a pu valablement placer ces ventes sous le régime d'exonération de taxe sur la valeur ajoutée applicable aux livraisons intracommunautaires, tel que prévu par les dispositions précitées de l'article 262 ter du code général des impôts. C'est donc à bon droit que l'administration a remis en cause le régime d'exonération de taxe sur la valeur ajoutée sous lequel la SARL Sacha Destock avait placé les ventes ayant donné lieu à rectification. Enfin, la circonstance que l'interlocutrice fiscale ait, par mesure de tempérament, décidé d'abandonner les rectifications se rapportant aux ventes de marchandises effectuées auprès de clients belges et ayant donné lieu à paiement par virement bancaire est sans incidence sur le bien-fondé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige.

Sur les pénalités :

8. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; / (...) ".

9. Pour justifier du bien-fondé de l'application aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige de la majoration de 40 % prévue, en cas de manquement délibéré, par le a. de l'article 1729 du code général des impôts, le ministre fait valoir, en reprenant les termes de la proposition de rectification adressée le 2 juillet 2014 à la SARL Sacha Destock, que celle-ci savait ne pas être en mesure de justifier de la livraison effective, en Belgique, des marchandises vendues, qu'elle n'a pas sollicité en temps utile des clients concernés les éléments qui auraient été de nature à lui permettre d'apporter, le cas échéant, cette justification et qu'elle n'a pas effectué les diligences minimales à l'effet de s'assurer que les acheteurs de ces marchandises n'étaient pas parties prenantes dans un circuit de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée.

10. La SARL Sacha Destock, qui conteste avoir adopté un comportement de nature à faciliter un circuit de fraude en matière de taxe sur la valeur ajoutée et conclut à la décharge de la majoration de 40 %, pour manquement délibéré, dont ont été assortis les rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige, doit, ce faisant, être regardée comme contestant le bien-fondé de cette majoration. Or, d'une part, le fait qu'un contribuable ne soit pas en mesure de justifier de la réalité de livraisons correspondant à des ventes régulièrement portées en comptabilité ne peut, par lui-même, suffire à établir l'intention, qui aurait été la sienne, d'éluder l'impôt. D'autre part, dès lors qu'elle disposait, pour chacun de ses clients belges, d'un numéro de taxe sur la valeur ajoutée et que, dans le cadre de ses relations courantes avec les représentants de ces sociétés, aucun élément n'était de nature à lui permettre de douter sérieusement de la réalité de l'activité de celles-ci, la SARL Sacha Destock ne peut être regardée comme ayant fait preuve d'une négligence fautive susceptible d'avoir permis à des transactions taxables d'échapper indûment à l'impôt, le seul fait que de nombreux règlements lui ont été versés en espèces, ce qu'elle rattache, sans être contredite, à une pratique courante sur le marché du déstockage, et que plusieurs de ses clients avaient des représentants communs étant insuffisant à cet égard. Au demeurant, il ne saurait être exigé d'un assujetti de consulter, dans le cadre de l'exercice habituel de son activité et en l'absence d'élément d'information de nature à le conduire à douter sérieusement de la réalité ou de la régularité de la situation d'un autre assujetti, la base de données des numéros d'identification à la taxe sur la valeur ajoutée. Dans ces conditions, les éléments ainsi retenus par l'administration et repris par le ministre ne peuvent être regardés comme étant de nature à établir l'intention délibérée de la SARL Sacha Destock d'éluder l'impôt. Par suite, la SARL Sacha Destock est fondée à demander la décharge de la majoration de 40 %, prévue par le a. de l'article 1729 du code général des impôts, dont les rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige ont été assortis.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Sacha Destock est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté les conclusions de sa demande tendant à la décharge de la majoration de 40 % prévue, en cas de manquement délibéré, par le a. de l'article 1729 du code général des impôts, dont ont été assortis les rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme au titre des frais non compris dans les dépens exposés, en cause d'appel, par la SARL Sacha Destock. Enfin, dès lors que la présente instance d'appel n'a donné lieu à aucun dépens, les conclusions de la SARL Sacha Destock afférentes à la charge des dépens, ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La SARL Sacha Destock est déchargée de la majoration de 40 %, prévue, en cas de manquement délibéré, par le a. de l'article 1729 du code général des impôts, dont ont été assortis les rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013.

Article 2 : Le jugement n° 1706543 du 9 juillet 2020 du tribunal administratif de Lille est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la SARL Sacha Destock est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Sacha Destock et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera transmise à la direction nationale d'enquêtes fiscales.

Délibéré après l'audience publique du 15 septembre 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Christian Heu, président de chambre,

- M. Mathieu Sauveplane, président-assesseur,

- M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 septembre 2022.

Le rapporteur,

Signé : J.-F. PapinLe président de chambre,

Signé : C. Heu

La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

Nathalie Roméro

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N°20DA01386

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20DA01386
Date de la décision : 29/09/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Heu
Rapporteur ?: M. Jean-François Papin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : SCP BENSIMHON - ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 23/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-09-29;20da01386 ?
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