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30/08/2022 | FRANCE | N°21DA01492

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 30 août 2022, 21DA01492


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée Guy Pattyn a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 9 février 2018 par laquelle la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Hauts-de-France a prononcé à son encontre une amende d'un montant de 7 000 euros pour non-respect d'une décision temporaire d'arrêt des travaux, de réduire le montant de l'amende à de plus justes proportions et de mettre à la charge de l'Etat la som

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée Guy Pattyn a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 9 février 2018 par laquelle la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Hauts-de-France a prononcé à son encontre une amende d'un montant de 7 000 euros pour non-respect d'une décision temporaire d'arrêt des travaux, de réduire le montant de l'amende à de plus justes proportions et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1807346 du 28 avril 2021, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 9 février 2018 et mis à la charge de l'Etat le versement à la société Guy Pattyn la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 29 juin 2021, le ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion demande à la cour d'annuler ce jugement.

Il soutient que :

- le juge de première instance a considéré à tort que la mini-pelle en litige n'exposait les salariés à aucun danger grave et imminent au seul motif qu'il s'agissait d'un appareil certifié conforme qui avait fait l'objet d'une vérification périodique ;

- l'inspection du travail n'a pas commis d'erreur d'appréciation s'agissant du risque d'écrasement et du danger grave et imminent généré par la machine en cause.

Par lettre du 18 janvier 2022 la société Guy Pattyn a été mise en demeure de produire en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative

Par ordonnance du 18 janvier 2022 la date de clôture de l'instruction a été fixée au 30 mars 2022 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le décret n° 93-40 du 11 janvier 1993 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,

- et les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le 21 juin 2017, la société Guy Pattyn, entreprise spécialisée dans les travaux publics qui intervenait sur un chantier dans le cadre de la réalisation de travaux publics pour le compte de la société GRDF, a fait l'objet d'un contrôle de l'inspection du travail. L'inspecteur du travail a constaté l'utilisation d'une mini-pelle présentant un danger pour les salariés en ce qu'elle était notamment dépourvue de pare-brise et de dispositif d'asservissement des commandes à la levée du conducteur de son siège alors que ce type de matériel avait été à l'origine d'un accident mortel dans une autre entreprise quelques mois auparavant. Il a alors prescrit la vérification de cet équipement par un organisme accrédité, que l'employeur devait saisir dans un délai de quinze jours, à charge pour lui également d'adresser le rapport de l'organisme dans les dix jours de sa réception. Par un courrier du 5 juillet 2017, la société Guy Pattyn a informé l'administration que l'appareil en litige avait fait l'objet en avril 2017 d'une vérification de conformité annuelle. Lors d'un nouveau contrôle, effectué le 13 juillet 2017, l'inspecteur du travail a constaté que ce type de mini-pelle était toujours utilisé et il a ordonné, par une décision prise et adressée à la société Guy Pattyn le jour même, un arrêt temporaire des travaux réalisés avec cet équipement. Lors d'un nouveau contrôle le matin du 17 juillet suivant, l'inspecteur du travail a relevé qu'un salarié utilisait une autre mini-pelle de la même marque et du même modèle, donc présentant les mêmes caractéristiques et risques. Par une décision prise le même jour, l'inspection du travail a ordonné un arrêt de travaux avec cet équipement qui a été adressé à la société requérante par courrier recommandé avec accusé de réception et par télécopie le 17 juillet 2017, vers midi. Le même jour, vers 13 h 30, l'inspecteur du travail a effectué un deuxième contrôle sur le chantier et a constaté la poursuite de l'utilisation de la mini-pelle par le même salarié que le matin, sans qu'une demande préalable d'autorisation de reprise n'ait été adressée à l'inspection du travail par la société Guy Pattyn. La directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) des Hauts-de-France a, par un courrier du 22 septembre 2017, informé l'entreprise de son intention de prononcer à son encontre une amende administrative pour non-respect d'une décision d'arrêt temporaire des travaux et l'a invitée à présenter des observations dans un délai d'un mois. Par une décision du 9 février 2018, la directrice de la DIRECCTE a infligé à la société Guy Pattyn une amende d'un montant de 7 000 euros. Le 6 avril suivant, la société Guy Pattyn a formé un recours gracieux auprès de la DIRECCTE qui l'a reçu le 10 avril 2018. Du silence gardé par cette autorité, une décision implicite rejetant ce recours est née. Par un jugement du 28 avril 2021 le tribunal administratif de Lille a notamment annulé la décision du 9 février 2018. Le ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion relève appel de ce jugement.

Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif de Lille :

2. Aux termes de l'article L. 4731-1 du code du travail : " L'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1 peut prendre toutes mesures utiles visant à soustraire immédiatement un travailleur qui ne s'est pas retiré d'une situation de danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, constituant une infraction aux obligations des décrets pris en application des articles L. 4111-6, L. 4311-7 ou L. 4321-4, notamment en prescrivant l'arrêt temporaire de la partie des travaux ou de l'activité en cause, lorsqu'il constate que la cause de danger résulte : 1° Soit d'un défaut de protection contre les chutes de hauteur ; (...) 4° Soit de l'utilisation d'équipements de travail dépourvus de protecteurs, de dispositifs de protection ou de composants de sécurité appropriés ou sur lesquels ces protecteurs, dispositifs de protection ou composants de sécurité sont inopérants ; (...) ". Aux termes de l'article L. 4731-3 du même code : " Lorsque toutes les mesures ont été prises pour faire cesser la situation de danger grave et imminent ou la situation dangereuse ayant donné lieu à un arrêt temporaire de travaux ou d'activité, l'employeur informe l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1. Après vérification, l'agent de contrôle autorise la reprise des travaux ou de l'activité concernée ". Aux termes de l'article L. 4751-1 du même code : " Les amendes prévues au présent titre sont prononcées et recouvrées par l'autorité administrative compétente dans les conditions définies aux articles L. 8115-4, L. 8115-5 et L. 8115-7, sur rapport de l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1. (...) ". Aux termes de l'article L. 4752-1 du même code : " Le fait pour l'employeur de ne pas se conformer aux décisions prises par l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1 en application des articles L. 4731-1 ou L. 4731-2 est passible d'une amende au plus égale à 10 000 euros par travailleur concerné par l'infraction ". L'article L. 8115-5 du même code dispose que : " Avant toute décision, l'autorité administrative informe par écrit la personne mise en cause de la sanction envisagée en portant à sa connaissance le manquement retenu à son encontre et en l'invitant à présenter, dans un délai fixé par décret en Conseil d'Etat, ses observations. / A l'issue de ce délai, l'autorité administrative peut, par décision motivée, prononcer l'amende et émettre le titre de perception correspondant (...) ".

3. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 612-3 du code de justice administrative : " Sans préjudice des dispositions du deuxième alinéa de l'article R. 611-8-1, lorsqu'une des parties appelées à produire un mémoire n'a pas respecté le délai qui lui a été imparti en exécution des articles R. 611-10, R. 611-17 et R. 611-26, le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l'instruction peut lui adresser une mise en demeure ". Aux termes de l'article R. 612-6 du code de justice administrative : " Si, malgré une mise en demeure, la partie défenderesse n'a produit aucun mémoire, elle est réputée avoir acquiescé aux faits exposés dans les mémoires du requérant ". Si, lorsque le défendeur n'a produit aucun mémoire, le juge administratif n'est pas tenu de procéder à une telle mise en demeure avant de statuer, il doit, s'il y procède, en tirer toutes les conséquences de droit. Il lui appartient seulement, lorsque les dispositions précitées sont applicables, de vérifier que l'inexactitude des faits exposés dans les mémoires du requérant ne ressort d'aucune pièce du dossier. La société Guy Pattyn n'ayant pas répondu à la mise en demeure de produire mise à sa disposition le 18 janvier 2022 sur l'application informatique dédiée, elle est réputée avoir acquiescé aux faits exposés par le ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion. Toutefois, il appartient toujours au juge de vérifier que la situation de fait invoquée par le demandeur n'est pas contredite par les pièces du dossier.

4. La décision de la directrice de la DIRECCTE infligeant une amende relate l'enchaînement des contrôles rappelé au point 1 et les constats de la poursuite de l'utilisation d'une mini-pelle du type de celui dont l'utilisation avait été suspendue par l'inspecteur du travail. La décision en cause conclut que les faits révèlent que les travaux ont été poursuivis avec une mini-pelle de même type, sans qu'ait été sollicitée une autorisation de reprise des travaux, malgré un rappel écrit de cette obligation par courriers et télécopies datées du 13 et 17 juillet 2017 et que ces faits caractérisent l'absence de respect de la décision de l'agent de contrôle. Le tribunal, par le jugement attaqué, a estimé que dès lors que la mini-pelle était un appareil agréé et conforme à la réglementation en vigueur, comme en témoignait tant le rapport de visite périodique d'avril 2017 qu'un rapport de la SOCOTEC établi à la demande de l'entreprise le 2 mai 2018, il n'y avait pas de situation de danger grave et imminent au sens de l'article L. 4731-1 du code du travail permettant l'arrêt du chantier.

5. Toutefois, la déclaration de conformité d'un équipement, si elle autorise sa mise sur le marché, n'exclut pas que l'utilisation de cet équipement puisse présenter néanmoins un risque de danger grave ou imminent. Or en l'espèce, il résulte de l'instruction que, comme l'a constaté l'inspecteur du travail, la mini-pelle était susceptible d'être utilisée d'une manière non prévue dans la notice d'instruction, l'utilisateur pouvant notamment se lever de son siège et sortir sa tête de la cabine pour pallier des angles morts, ce qui a d'ailleurs conduit à un accident mortel sur un autre chantier et que l'écart insuffisant entre la flèche de la machine et le montant avant droit de la cabine constituait, pour un tronc ou une tête humaine, une zone dangereuse. Les conditions auxquelles l'article L. 4731-1 du code du travail subordonne un arrêt temporaire de travaux avec ce type d'engin, tenant à l'existence d'un danger grave et imminent pour les salariés de la société Guy Pattyn causée par l'utilisation d'une machine dépourvue de protecteurs ou de dispositif de protection approprié, étaient donc satisfaites et les décisions d'arrêt de travaux avec la mini-pelle, des 13 et 17 juillet 2017 n'étaient pas entachées d'erreur d'appréciation. Il appartenait à la société Guy Pattyn de respecter la décision d'arrêt des travaux avec la mini-pelle qu'elle avait tout loisir de contester et de solliciter l'autorisation de reprendre les travaux en apportant les justifications requises d'une absence de danger. Au surplus, la demande de vérification de cette mini-pelle formulée le 21 juin 2017 par l'inspecteur du travail était accompagnée d'un extrait de l'annexe 1 prévue par le décret du 11 janvier 1993 relatif aux prescriptions techniques applicables à l'utilisation des équipements de travail soumis à l'article L. 233-5-1 du code du travail qui prévoit que " les éléments mobiles de la machine sont conçus et construits de manière à éviter les risques de contact qui pourraient entraîner des accidents ou lorsqu'ils subsistent sont munis de protecteurs ou de dispositif de protection ". Cette annexe prévoit également l'existence de protecteurs, notamment fixes, incorporés au système de commande de manière que les éléments mobiles ne puissent être atteints tant qu'ils sont en mouvement et que l'absence ou défaillance d'un des organes empêche la mise en marche ou provoque l'arrêt des éléments mobiles. De son côté, la société Guy Pattyn s'est bornée à produire un rapport de la SOCOTEC, qu'elle n'a d'ailleurs commandé que le 18 septembre 2017, portant uniquement sur la conformité de la mini-pelle hydraulique pour sa mise sur le marché et sur son usage " dans des conditions normales d'utilisation ". Ce rapport indique expressément ne pas porter sur la vérification des " conditions de l'utilisation de l'équipement " qui n'a pas été retenue " dans la sélection du référentiel ". Par suite, le ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a annulé la décision attaquée pour le motif d'une erreur d'appréciation. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Guy Pattyn en première instance.

Sur les autres moyens soulevés par la société Guy Pattyn :

6. La décision du 9 février 2018, dont la teneur est rappelée au point 4, mentionne les considérations de fait et droit qui en constituent le fondement. Elle relève l'absence de respect de la décision d'arrêt de chantier prise par l'agent de contrôle. Par suite, le moyen tiré de son insuffisante motivation doit être écarté.

7. Il résulte de l'instruction, comme cela a été exposé aux points 1 et 5, qu'une mauvaise utilisation de la mini-pelle était susceptible de générer un danger grave et imminent de nature à justifier l'arrêt de chantier avec ce matériel, que l'arrêt prescrit n'a pas été respecté par la société et que la prétendue nécessité dans laquelle elle se serait trouvée de poursuivre l'utilisation de

la mini-pelle pour mettre en sécurité un chantier commandé par GRDF n'est pas établie au vu des éléments du dossier, alors d'ailleurs qu'elle est réputée avoir, devant la cour, acquiescé aux faits et que l'utilisation de cette mini-pelle a perduré jusqu'au 17 juillet 2017 sans qu'aucune précision ne soit apportée sur la nature de la mise en sécurité du chantier dont elle se prévaut et de l'impossibilité d'y procéder avec d'autres engins. La décision de lui infliger une amende n'est donc pas entachée d'erreur d'appréciation.

8. Même si la société Guy Pattyn indique avoir dû s'acquitter du paiement d'une somme de 5 184 euros toutes taxes comprises pour permettre le contrôle de la mini-pelle par la société SOCOTEC, il ne résulte pas de l'instruction que le montant de 7 000 euros retenu pour l'amende, dont le plafond est fixé à 10 000 euros, soit disproportionné.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 9 février 2018.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1807346 du 28 avril 2021 du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 2 : La demande de la société Guy Pattyn devant le tribunal administratif de Lille est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et à la société Guy Pattyn.

Délibéré après l'audience publique du 7 juillet 2022 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,

- M. Nil Carpentier-Daubresse, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 août 2022.

Le président-rapporteur,

Signé : M. A...La présidente de chambre,

Signé : G. BorotLa greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

C. Huls-Carlier

2

N°21DA01492


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21DA01492
Date de la décision : 30/08/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Marc Lavail Dellaporta
Rapporteur public ?: M. Cassara

Origine de la décision
Date de l'import : 02/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-08-30;21da01492 ?
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