Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé, par deux requêtes distinctes, au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 7 février 2018 par laquelle le directeur de l'institut départemental ... lui a refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle, d'enjoindre à l'institut départemental ... de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle et de prendre en charge toutes les procédures mises en œuvre contre l'auteur du harcèlement moral dont elle fait l'objet, d'enjoindre à l'institut départemental ... de mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires afin de sanctionner disciplinairement l'auteur du harcèlement moral dont elle fait l'objet, de condamner l'institut départemental ... à lui verser une somme de 25 000 euros en réparation du préjudice subi, de condamner l'institut départemental ... aux dépens, de mettre à la charge de l'institut départemental ... une somme de 2 400 euros dans chacune de ses requêtes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement commun n° 1802983, 1802984 du 11 mars 2021, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 7 février 2018 par laquelle le directeur de l'institut départemental ... a refusé à Mme A... le bénéfice de la protection fonctionnelle, enjoint au directeur de l'institut départemental ... de transmettre la demande de protection fonctionnelle présentée par Mme A... le 27 décembre 2017 au directeur général de l'agence régionale de santé des Hauts-de-France, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement, rejeté le surplus des conclusions des requêtes et des conclusions présentées par l'institut départemental ... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 12 mai 2021, Mme B... A..., représentée par Me Dewattine, demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement, en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation de l'institut départemental ... à lui verser les sommes de 25 000 euros au titre des préjudices subis ;
2°) de condamner l'institut départemental ... à lui verser une somme de 25 000 euros en réparation du préjudice moral subi à raison de faits de harcèlement moral ;
3°) de mettre à la charge de l'institut départemental ... une somme de 3000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- ses relations professionnelles avec le directeur de l'institut se sont fortement dégradées à compter de la publication d'un tract syndical le 15 décembre 2016, le directeur l'accusant à tort d'être à l'origine de la diffusion d'informations auprès de ce syndicat ;
- des objectifs supplémentaires lui ont été assignés dans des délais restreints et le directeur de l'institut lui a également fait des remarques dévalorisantes sur son travail ;
- la nouvelle bonification indiciaire lui a été illégalement retirée ;
- sa notation a été gelée à compter de l'année 2017 ;
- elle a fait l'objet de mesures vexatoires. Ainsi, le directeur de l'institut annote les documents qu'elle élabore au stylo rouge, et non plus au stylo bleu. Sa place dans l'organigramme est amoindrie. Sa messagerie professionnelle a été suspendue pendant son congé de maladie. Elle a été accusée d'avoir sciemment dissimulé des documents de travail à son employeur. Elle n'a plus accès au courrier ;
- elle a été mise à l'écart de la direction et placée dans une situation d'isolement ;
- ces faits ont entraîné une altération de son état de santé ayant nécessité des congés de maladie et un traitement médicamenteux ;
- elle a déposé plainte auprès des forces de l'ordre à l'encontre du directeur de l'institut pour harcèlement moral. Elle a également alerté l'agence régionale de santé ainsi que la médecine du travail ;
- deux agents de l'établissement ont tenté de se suicider sur leur lieu de travail pour dénoncer des humiliations, des menaces et une étroite surveillance de la part de la direction ;
- un rapport d'expertise sur les risques psychosociaux relève une ambiance délétère et un management perçu comme abrupt, clivant et directif, ainsi que des salariés en souffrance.
Par mémoire en défense, enregistré le 23 août 2021, l'institut départemental ..., représenté par Me Simoneau, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de Mme A... une somme de 7 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 18 janvier 2022 la date de clôture de l'instruction a été fixée au 10 février 2022 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Marc Lavail Dellaporta, président assesseur,
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,
- et les observations de Me Deleye, représentant Mme B... A... et de Me Playoust, représentant l'institut départemental ....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... A... a été recrutée par l'institut départemental ... de Camiers à compter du 13 octobre 2003 en qualité d'agent contractuel affectée à la direction des ressources humaines. Elle a été nommée agent administratif stagiaire à compter du 1er août 2005, puis agent administratif titulaire à compter du 1er août 2006, affectée au secrétariat de la direction. A compter du 1er avril 2010, Mme A... a été promue adjoint des cadres hospitaliers de classe normale, toujours affectée au secrétariat de la direction. Elle a demandé au directeur de l'institut départemental ... le bénéfice de la protection fonctionnelle à raison de faits de harcèlement moral et la condamnation de cet institut départemental à réparer les préjudices qu'elle estimait avoir subis. Par un jugement du 11 mars 2021, le tribunal administratif de Lille a notamment annulé la décision en date du 7 février 2018 par laquelle le directeur de l'institut départemental ... a refusé à Mme A... le bénéfice de la protection fonctionnelle, a enjoint au directeur de cet institut départemental de transmettre la demande de protection fonctionnelle présentée par Mme A... au directeur général de l'agence régionale de santé des Hauts-de-France et rejeté le surplus de ses requêtes. Mme A... demande la réformation de ce jugement, en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation de l'institut départemental ..., à lui verser la somme de 25 000 euros au titre du préjudice subi et de condamner l'institut à lui verser une somme de 25 000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait de harcèlement.
2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / (...) ".
3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.
4. Mme A... soutient que ses conditions de travail ont commencé à se dégrader à compter du 15 décembre 2016, date de divulgation d'un tract syndical mentionnant qu'une secrétaire de direction bénéficiait notamment d'un logement pour un loyer modeste. Elle soutient que le directeur de l'institut départemental ... était persuadé que c'était elle qui avait divulgué ces informations. Par la suite, lors de l'entretien annuel du 20 juillet 2017, elle a subi des reproches injustifiés et ses conditions de travail se sont détériorées, des objectifs supplémentaires lui ayant été assignés dans des délais restreints. Elle relève que le 11 juillet 2017, elle s'est vu retirer la nouvelle bonification indiciaire qu'elle percevait depuis 2005 et que sa notation pour 2017 a été gelée. Elle signale qu'elle a fait l'objet de mesures vexatoires telles que les faits que le directeur de l'institut départemental ... annote désormais les documents qu'elle élabore au stylo rouge, et non plus au stylo bleu, que sa désignation dans l'organigramme a été formellement réduite, ou enfin que sa messagerie professionnelle a été suspendue alors qu'elle était en congé de maladie. Elle soutient qu'elle a été mise à l'écart de la direction et placée dans une situation d'isolement et que son état de santé s'est dégradé, dans une ambiance délétère et un management perçu comme abrupt par des salariés en souffrance comme le relève un rapport d'expertise sur les risques psychosociaux.
5. Toutefois, il résulte de l'instruction que le directeur de l'institut départemental ..., à la suite de la diffusion d'un tract syndical, a procédé à un rappel verbal et général du respect nécessaire de la confidentialité et de la discrétion, à destination de toutes les secrétaires de la direction des ressources humaines et de l'agent responsable de la paie, et non spécialement à destination de l'appelante. De plus, compte tenu de la réorganisation amorcée depuis 2015 des services, Mme A... a cessé d'exercer toute mission auprès du secrétariat de direction. Aussi par décision du 7 juillet 2017, il a été mis fin au paiement de la bonification indiciaire majorée à laquelle elle ne pouvait plus prétendre de ce fait. Le tribunal administratif de Lille a estimé, par jugement du 13 février 2020 non frappé d'appel, que l'institut départemental ... était ainsi tenu de mettre fin à cet avantage. La modification de l'organigramme de l'institut départemental ... était justifiée par le changement de fonctions de Mme A... qu'elle avait demandé le 29 juillet 2017 et par suite étrangère à tout harcèlement moral. La suspension temporaire de sa messagerie professionnelle pendant son congé de maladie résulte de difficultés d'accès à des documents uniquement accessibles sur le serveur partagé du secrétariat et l'accès à son compte a été rétabli à sa demande. Le service informatique, qui a dû intervenir sur son poste pour récupérer en son absence le projet d'établissement et le livret d'accueil du personnel, lui a fait part au préalable de son intervention. La correction de comptes rendus par le directeur au moyen d'un stylo rouge et en majuscules, ponctuelle selon l'institut, résulte de l'urgence de la note et n'est pas de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral. De même, le délai imparti à Mme A... à son retour de congés le 1er juin, pour organiser une cérémonie de pose de première pierre le 23 juin ne paraît pas insuffisant. La transmission le 2 juin 2017 de la liste des personnes à convier pour l'organisation du repas des retraités prévu en septembre ne révèle pas plus un délai insuffisant et volontairement réduit. Si, dans un courriel du 24 août 2017, relatif à une manifestation organisée par l'institut départemental ..., le directeur a écrit qu'" il ne m'a pas échappé que vous n'aviez pas les compétences de DRH ", cette observation, si elle peut être considérée comme déplacée, n'est pas de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral, eu égard notamment au contexte dans lequel elle s'inscrit. Mme A... a bénéficié, durant neuf années, d'une augmentation majorée de sa notation de 0,5 points. Sa notation au titre de l'année 2017 a été maintenue au même niveau que celle de l'année 2016, compte tenu de l'absence de réalisation d'un certain nombre des objectifs qui lui avaient été fixés. Si lors d'une réunion, un agent de l'institut départemental ... a relevé un manque de communication entre le directeur de l'institut et Mme A..., cette circonstance n'établit pas pour autant l'isolement de l'intéressée et ne démontre pas l'existence d'un harcèlement moral. La réalisation d'un audit par un cabinet spécialisé trouve son origine dans la tentative d'autolyse d'un cadre. Si le rapport mentionne que certains agents ont parfois pu percevoir le management comme abrupt, l'ensemble des pièces du dossier évoque davantage une ambiance générale de travail dégradée et des difficultés relationnelles croissantes, sans doute accrues par les conséquences psychologiques de l'échec en 2016 au concours d'attaché d'administration hospitalière de Mme A..., sans pour autant révéler une situation susceptible de recevoir la qualification de harcèlement moral. Enfin, la circonstance que Mme A... ait connu une dégradation de son état de santé caractérisée par l'apparition d'une dépression et d'une anxiété réactionnelle nécessitant un traitement médicamenteux ne permet pas d'établir que celle-ci aurait pour cause des faits de harcèlement moral.
6. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que Mme A... ait été victime d'agissements répétés de harcèlement moral exercés à son encontre, au sens des dispositions de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983. Dès lors, elle n'est pas fondée à soutenir que l'institut départemental ... aurait eu un comportement fautif de nature à engager sa responsabilité à son égard. Ses conclusions indemnitaires doivent donc être rejetées.
7. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 11 mars 2021, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation de l'institut départemental ..., à lui verser la somme de 25 000 euros. Ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... une somme au titre des frais exposés par l'institut départemental ... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par l'institut départemental ... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à l'institut départemental ....
Délibéré après l'audience publique du 9 juin 2022 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,
- M. Denis Perrin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 juin 2022.
Le président-rapporteur,
Signé : M. C...
La présidente de chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : C Marécalle
La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
C. Marécalle
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N° 21DA01054