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07/06/2022 | FRANCE | N°21DA02134

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre, 07 juin 2022, 21DA02134


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'Etat à lui verser une somme de 12 000 euros en indemnisation du préjudice moral subi du fait de ses conditions de détention à la maison d'arrêt d'Arras.

Par un jugement n° 1801842 du 8 juillet 2021, le tribunal administratif de Lille, après avoir estimé qu'eu égard à la promiscuité résultant de la sur-occupation de la cellule A 002, les conditions de détention de M. A... dans cette cellule avaient constitué une atteint

e à la dignité humaine et que cette faute était de nature à engager la responsabili...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'Etat à lui verser une somme de 12 000 euros en indemnisation du préjudice moral subi du fait de ses conditions de détention à la maison d'arrêt d'Arras.

Par un jugement n° 1801842 du 8 juillet 2021, le tribunal administratif de Lille, après avoir estimé qu'eu égard à la promiscuité résultant de la sur-occupation de la cellule A 002, les conditions de détention de M. A... dans cette cellule avaient constitué une atteinte à la dignité humaine et que cette faute était de nature à engager la responsabilité de l'Etat, a condamné l'Etat à verser à M. A... une somme de 1 000 euros en indemnisation du préjudice moral subi et rejeté le surplus de ses conclusions.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 3 septembre 2021 et le 19 avril 2022, M. A..., représenté par Me Caroline Le Bot, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions et limité à 1 000 euros la somme mise à la charge de l'Etat ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 12 000 euros en indemnisation de son préjudice moral.

Il soutient que :

- il a subi des conditions de détention à la maison d'arrêt d'Arras qui ont méconnu le principe du respect de la dignité humaine et celui du principe de l'encellulement individuel fixé à l'article 83 du code de procédure pénale, dès lors que la superficie des cellules était insuffisante, les installations sanitaires étaient à la vue de tous les occupants de la cellule, il y avait un manque d'hygiène des différentes installations, la bibliothèque et la salle de sport étaient dans un état de délabrement avancé et la promiscuité et la surpopulation favorisaient les agressions ;

- l'administration pénitentiaire n'a produit aucun élément de nature à infirmer ces constatations.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 mai 2022, le ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Muriel Milard, première conseillère,

- et les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... A..., incarcéré du 16 avril 2011 au mois de juin 2013 à la maison d'arrêt d'Arras, a contesté ses conditions de détention qu'il estimait particulièrement dégradées et a saisi, le 17 mai 2013, le juge des référés du tribunal administratif de Lille d'une demande d'expertise. Celle-ci a été ordonnée le 13 juin 2013 et les rapports d'expertise ont été rendus les 16 et 28 octobre 2018. M. A... relève appel du jugement du 8 juillet 2021 du tribunal administratif de Lille en tant qu'après avoir estimé qu'eu égard à la promiscuité résultant de la sur-occupation de la cellule A 002, les conditions de détention de M. A... avaient constitué une atteinte à la dignité humaine et que cette faute était de nature à engager la responsabilité de l'Etat, le tribunal a condamné l'Etat à verser à M. A... une somme de 1 000 euros en indemnisation de son préjudice moral et rejeté le surplus de ses conclusions.

Sur la responsabilité de l'Etat :

2. D'une part, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 22 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire : " L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenue". Aux termes de l'article D. 349 du code de procédure pénale : " L'incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d'hygiène et de salubrité, tant en ce qui concerne l'aménagement et l'entretien des bâtiments, le fonctionnement des services économiques et l'organisation du travail, que l'application des règles de propreté individuelle et la pratique des exercices physiques ". Aux termes des articles D. 350 et D. 351 du même code, " les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement, doivent répondre aux exigences de l'hygiène, compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d'air, l'éclairage, le chauffage et l'aération " et " dans tout local où les détenus séjournent, les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que ceux-ci puissent lire et travailler à la lumière naturelle. L'agencement de ces fenêtres doit permettre l'entrée d'air frais. La lumière artificielle doit être suffisante pour permettre aux détenus de lire ou de travailler sans altérer leur vue. Les installations sanitaires doivent être propres et décentes. Elles doivent être réparties d'une façon convenable et leur nombre proportionné à l'effectif des détenus ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 716 du code de procédure pénale dans sa rédaction issue de l'article 87 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire : " Les personnes mises en examen, prévenus et accusés soumis à la détention provisoire sont placés en cellule individuelle. Il ne peut être dérogé à ce principe que dans les cas suivants : 1° Si les intéressés font la demande ; 2° Si leur personnalité justifie, dans leur intérêt, qu'ils ne soient pas laissés seuls ; 3° S'ils ont été autorisés à travailler ou à suivre une formation professionnelle ou scolaire et que les nécessités d'organisation l'imposent. Lorsque les personnes mises en examen, prévenus et accusés sont placés en cellule collective, les cellules doivent être adaptées au nombre des personnes détenues qui y sont hébergées. Celles-ci doivent être aptes à cohabiter. Leur sécurité et leur dignité doivent être assurées". Aux termes de l'article 100 de cette loi : " Dans la limite de cinq ans à compter de la publication de la présente loi, il peut être dérogé au placement en cellule individuelle dans les maisons d'arrêt au motif tiré de ce que la distribution intérieure des locaux ou le nombre de personnes détenues présentes ne permet pas son application. Cependant, la personne condamnée ou, sous réserve de l'accord du magistrat chargé de l'information, la personne prévenue peut demander son transfert dans la maison d'arrêt la plus proche permettant un placement en cellule individuelle ".

4. Tout prisonnier a le droit d'être détenu dans des conditions conformes à la dignité humaine, de sorte que les modalités d'exécution des mesures prises ne le soumettent pas à une épreuve qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention. En raison de la situation d'entière dépendance des personnes détenues vis-à-vis de l'administration pénitentiaire, l'appréciation du caractère attentatoire à la dignité des conditions de détention dépend notamment de leur vulnérabilité, appréciée compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de leur personnalité et, le cas échéant, de leur handicap, ainsi que de la nature et de la durée des manquements constatés et eu égard aux contraintes qu'implique le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires. Les conditions de détention s'apprécient au regard de l'espace de vie individuel réservé aux personnes détenues, de la promiscuité engendrée, le cas échéant, par la sur-occupation des cellules, du respect de l'intimité à laquelle peut prétendre tout détenu, dans les limites inhérentes à la détention, de la configuration des locaux, de l'accès à la lumière, de l'hygiène et de la qualité des installations sanitaires et de chauffage. Seules des conditions de détention qui porteraient atteinte à la dignité humaine, appréciées à l'aune de ces critères et des dispositions précitées du code de procédure pénale, révèlent l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique. Une telle atteinte, si elle est caractérisée, est de nature à engendrer, par elle-même, un préjudice moral pour la personne qui en est la victime qu'il incombe à l'Etat de réparer. A conditions de détention constantes, le seul écoulement du temps aggrave l'intensité du préjudice subi. Le préjudice moral subi par un détenu à raison de conditions de détention attentatoires à la dignité humaine revêt un caractère continu et évolutif.

5. En premier lieu, si les dispositions précitées de l'article 716 du code de procédure pénale exigent le placement en cellule individuelle dans les maisons d'arrêt, il résulte de l'instruction que, durant la période d'incarcération de M. A..., le nombre de personnes détenues présentes ne permettait pas un emprisonnement individuel à la maison d'arrêt d'Arras. Ce motif permettait à l'administration de déroger au principe de l'encellulement individuel, ainsi que le prévoient les dispositions précitées de l'article 100 de la loi du 24 novembre 2009. M. A..., qui n'a d'ailleurs pas demandé à être transféré dans une maison d'arrêt permettant un placement en cellule individuelle comme il avait la possibilité de le faire, n'est donc pas fondé à soutenir que les dispositions précitées de l'article 716 du code de procédure pénale ont été méconnues. En outre, le défaut de détention en cellule individuelle ne saurait, en tant que tel, constituer une violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. En second lieu, M. A... a occupé plusieurs cellules au quartier C, puis au quartier B du fait de son statut d'auxiliaire, puis au quartier A dont la cellule A 002 qu'il a partagée avec cinq autres détenus du 18 mai 2012 au 20 mars 2013. Il ressort du rapport d'expertise du 16 octobre 2013 que cette cellule comporte un bon état d'entretien général et un mobilier correct dans son ensemble. L'éclairage est assuré par appliques murales et des néons en plafonnier et par deux fenêtres cintrées ouvrantes en imposte fixe mesurant 1 m de large sur 1,8 m de hauteur. Cet éclairage tant naturel qu'artificiel a été jugé suffisant et conforme aux normes applicables. La ventilation est assurée par extraction d'air vicié avec un raccordement au réseau VMC en bon état de fonctionnement et l'entrée d'air frais est également possible par les deux châssis ouvrants des deux fenêtres suffisamment grandes. Le second rapport d'expertise du 28 octobre 2013 corrobore ces constatations et précise que cette cellule comporte un espace salle de bain et WC semi fermé avec des cloisons n'atteignant pas le plafond, ni le sol, mais qui comporte une porte à doubles battants de 2 m de hauteur avec 20 cm de jour en bas et 1,1 m au-dessus occulté par un tissu. Par ailleurs, il ressort de ces mêmes rapports d'expertise que, si l'état d'entretien général de la bibliothèque et de la salle de sport est moyen, le volume d'air, leur éclairage tant naturel qu'artificiel, leur aération et leur chauffage ont été jugés conformes. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que si des non-conformité ont été constatées quant à l'installation sanitaire et l'absence de prise d'air frais par la ventilation mécanique contrôlée, ces non-conformité ne suffisent pas à établir que M. A... aurait subi pendant son incarcération à la maison d'arrêt d'Arras des conditions de détention portant atteinte à la dignité humaine autres que celles résultant de la promiscuité excessive dans la cellule en raison de la sur-occupation de celle-ci. Aucune des parties ne conteste le jugement attaqué en ce qu'il a retenu qu'eu égard à la promiscuité résultant de la sur-occupation de la cellule A002, les conditions de détention de M. A... avaient constitué une atteinte à la dignité humaine et que cette faute était de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

Sur l'évaluation du préjudice :

7. Une atteinte à la dignité humaine est de nature à engendrer, par elle-même, un préjudice moral pour la personne qui en est la victime qu'il incombe à l'Etat de réparer. Compte tenu de la durée d'incarcération de M. A... de dix mois dans cette cellule, du 18 mai 2012 au 20 mars 2013, il a été fait une juste appréciation de l'obligation de l'Etat à l'égard de l'intéressé en lui allouant une somme de 1 000 euros au titre de ce chef de préjudice.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille, après avoir mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros en indemnisation de son préjudice moral, a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience publique du 24 mai 2022 à laquelle siégeaient :

- Mme Anne Seulin, présidente de chambre,

- Mme Aurélie Chauvin, présidente-assesseure,

- Mme Muriel Milard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 juin 2022.

La rapporteure,

Signé : M. B...La présidente de chambre,

Signé : A. Seulin

La greffière,

Signé : A.S Villette

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

Anne-Sophie Villette

2

N° 21DA02134


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21DA02134
Date de la décision : 07/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Seulin
Rapporteur ?: Mme Muriel Milard
Rapporteur public ?: M. Baillard
Avocat(s) : LE BOT

Origine de la décision
Date de l'import : 12/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-06-07;21da02134 ?
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