Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) A... a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2010 à 2012 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er février 2009 au 31 janvier 2012.
Par un jugement n°1710471 du 11 juin 2020, le tribunal administratif de Lille a, d'une part, constaté un non-lieu à statuer à concurrence du dégrèvement prononcé en cours d'instance en matière d'impôt sur les sociétés et, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 24 juillet 2020, l'EURL A..., représentée par Me Roumazeille, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de lui accorder la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée ;
3°) à titre subsidiaire, de fixer la valeur locative annuelle de la partie habitation à 5 000 euros, soit une taxe sur la valeur ajoutée non déductible de 980 euros par an au titre des trois exercices en cause, cette somme étant majorée des seuls intérêts de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 800 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'indivisibilité du bail commercial, tant pour sa partie commerciale que pour sa partie habitation, et la configuration des locaux entraîne que l'intégralité des loyers, y compris la fraction relative à la partie habitation occupée par le gérant, constitue une charge professionnelle ; la taxe sur la valeur ajoutée correspondante est déductible dès lors que l'occupation de la partie habitation par le gérant, qui est ainsi présent sur le site et exerce une activité de gardiennage des locaux professionnels, revêt un caractère professionnel ;
- en application du II de l'article 15 du code général des impôts, les revenus des logements dont le propriétaire se réserve la jouissance ne sont pas soumis à l'impôt sur le revenu ;
- la valorisation des loyers retenue par l'administration est excessive ; l'administration ne pouvait se dispenser d'évaluer par comparaison les locaux en cause avec des surfaces d'habitation comparables ;
- l'application de la majoration de 40 % pour manquement délibéré n'est pas justifiée par l'administration.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 novembre 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête
Il soutient que les moyens soulevés par l'EURL A... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 9 novembre 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 3 décembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Sauveplane, président assesseur,
- les conclusions de M. Arruebo-Mannier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) A..., qui exerce une activité d'opticien dans les locaux d'un immeuble implanté à Lille, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration fiscale a remis en cause la déduction en tant que charges des loyers afférents à la partie à usage d'habitation de cet immeuble qui est occupée par son gérant et la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée grevant ces loyers. En conséquence, l'administration a assujetti l'EURL A..., notamment, à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, assortis de la majoration de 40 % pour manquement délibéré, au titre de la période allant du 1er février 2009 au 31 janvier 2012, en suivant la procédure de rectification contradictoire. L'EURL A... relève appel du jugement du 11 juin 2020 en tant que le tribunal administratif de Lille a rejeté les conclusions de sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée ainsi mis à sa charge au titre de la période allant du 1er février 2009 au 31 janvier 2012.
Sur le bien-fondé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée :
2. Aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. / 2. Le droit à déduction prend naissance lorsque la taxe déductible devient exigible chez le redevable. / (...) II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : / a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures ; / (...) ". Aux termes de l'article 205 de l'annexe II au code général des impôts : " La taxe sur la valeur ajoutée grevant un bien ou un service qu'un assujetti à cette taxe acquiert, importe ou se livre à lui-même est déductible à proportion de son coefficient de déduction. ". L'article 206 de cette même annexe précise que : " I. - Le coefficient de déduction mentionné à l'article 205 est égal au produit des coefficients d'assujettissement, de taxation et d'admission. / II. - Le coefficient d'assujettissement d'un bien ou d'un service est égal à sa proportion d'utilisation pour la réalisation d'opérations imposables. Les opérations imposables s'entendent des opérations situées dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée en vertu des articles 256 et suivants du code général des impôts, qu'elles soient imposées ou légalement exonérées. / (...) ".
3. Lorsque l'administration, sur le fondement de ces dispositions, met en cause la déductibilité de la taxe ayant grevé l'acquisition d'un bien ou d'un service, il lui appartient, lorsqu'elle a mis en œuvre la procédure de redressement contradictoire et que le contribuable n'a pas accepté le redressement qui en découle, d'établir les faits sur lesquels elle se fonde pour soutenir que le bien ou le service n'a pas été acquis pour les besoins de l'exploitation.
4. Il ressort des mentions de la proposition de rectification que l'activité de commerce d'optique de l'EURL A... est exercée dans un immeuble situé à Lille dont une partie est l'habitation principale du gérant de cette société. Le contrat de location entre la société civile immobilière propriétaire de l'immeuble et l'EURL A... concerne à la fois la partie professionnelle et la partie privative de l'immeuble. Il mentionne expressément que le bien est loué à usage d'habitation et de commerce. L'intégralité des loyers facturés par la société civile immobilière a été comptabilisé en charges et l'intégralité de la taxe sur la valeur ajoutée grevant ces loyers a été déduite par l'EURL A.... L'administration a estimé que seule la partie professionnelle affectée à la réalisation des opérations commerciales de l'EURL A... entrait dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée et, pour déterminer la fraction de la taxe sur la valeur ajoutée effectivement déductible, a déterminé le coefficient d'assujettissement de l'immeuble au prorata de la superficie de l'immeuble affectée à la partie professionnelle, laquelle représente 103 m² sur une superficie totale de 211 m². L'administration a ainsi calculé un coefficient d'assujettissement de 0,488 qu'elle a appliqué à la taxe sur la valeur ajoutée sur les loyers comptabilisés, pour obtenir la part déductible de la taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 2 362 euros au titre des exercices clos en 2010, 2011 et 2012. Par voie de conséquence, l'administration a calculé la part non-déductible de 2 478 euros par exercice, soit une rectification totale de 7 434 euros, que l'administration a également rapportée aux bénéfices industriels et commerciaux de la société en tant que profit sur le trésor.
5. La circonstance, avancée par l'EURL A..., que le bail commercial soit indivisible n'empêche pas de distinguer, pour l'application des règles fiscales, une partie affectée à l'exercice de l'activité commerciale de la société et une partie réservée à l'habitation principale du gérant. La circonstance que l'occupation de la partie habitation de l'immeuble en cause donne au gérant une plus grande disponibilité pour son activité professionnelle et lui permet d'exercer une surveillance des locaux commerciaux est, à elle seule, sans influence sur le bien-fondé des impositions en litige dès lors que ces avantages pour la société, à les supposer établis, ne sauraient, à elle seules, faire regarder la partie habitation comme utilisée pour les besoins des opérations imposables de la société, au sens et pour l'application de l'article 271 du code général des impôts. C'est donc à bon droit que l'administration a déterminé un coefficient d'assujettissement au prorata des surfaces utilisées pour les besoins de l'activité commerciale et a rappelé la taxe sur la valeur ajoutée déductible grevant les loyers de la partie habitation. Par ailleurs, l'administration a pu, à bon droit, se fonder sur les stipulations du bail commercial pour déterminer la part non déductible de la taxe sur la valeur ajoutée au prorata des surfaces, sans avoir à faire une évaluation de la valeur de la partie habitation par comparaison avec des loyers d'habitations similaires.
Sur le bien-fondé des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés :
6. Parallèlement, l'administration a estimé que seule une somme représentative de la location de la partie professionnelle affectée à la réalisation des opérations commerciales de l'EURL A... pouvait être comptabilisée en tant que charge déductible dès lors que la partie habitation occupée par le gérant constituait une dépense personnelle de ce dernier et non une charge engagée dans l'intérêt de la société. L'administration a utilisé le coefficient de déductibilité calculé pour la taxe sur la valeur ajoutée pour déterminer la part déductible du loyer qu'elle a fixée à 12 052 euros par exercice. En conséquence, l'administration a rapporté à la base imposable à l'impôt sur les sociétés de la société la part non déductible des loyers, soit 12 645 euros par exercice.
7. Aux termes du 1 de l'article 39 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu du I de l'article 209 du code général des impôts : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : / 1° Les frais généraux de toute nature (...) ". En vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est à dire du principe même de leur déductibilité. Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée.
8. Pour justifier de la déductibilité de la fraction des loyers afférents à la partie habitation de l'immeuble occupée par le gérant, l'EURL A... fait valoir que l'occupation de la partie habitation donne au gérant une plus grande disponibilité pour son activité professionnelle et lui permet d'exercer une surveillance des locaux commerciaux. Toutefois, elle se borne à de simples allégations et ne démontre que la présence continue de son gérant sur place était indispensable à la bonne réalisation de son activité commerciale. C'est donc à bon droit que l'administration a refusé la déduction de la fraction des loyers correspondant à la partie habitation de l'immeuble. Par ailleurs, l'administration a pu, à bon droit, s'appuyer sur les stipulations du bail commercial pour déterminer la part non déductible des loyers au prorata des surfaces en se référant au loyer stipulé dans le bail commercial, sans avoir à faire une évaluation de la valeur du loyer de la partie habitation par comparaison avec des loyers d'habitations similaires.
9. A supposer que l'EURL A... puisse être regardée comme invoquant à son profit le II de l'article 15 du code général des impôts, qui prévoit que les revenus des logements dont le propriétaire se réserve la jouissance ne sont pas soumis à l'impôt sur le revenu, ce moyen est toutefois inopérant dès lors que cette exonération ne concerne que les revenus fonciers et non la taxe sur la valeur ajoutée ou les charges déductibles des bénéfices industriels et commerciaux. De surcroît, l'EURL A..., qui n'est pas propriétaire de l'immeuble en cause, ne peut utilement invoquer ces dispositions.
Sur les pénalités :
10. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs, de la taxe sur la valeur ajoutée et des autres taxes sur le chiffre d'affaires (...), la preuve de la mauvaise foi et des manœuvres frauduleuses incombe à l'administration. ".
11. Pour justifier de l'application de la majoration de 40 % pour manquement délibéré aux droits en litige, l'administration fait valoir que l'EURL A... ne pouvait ignorer qu'elle prenait en charge indument le loyer de la partie privative de l'immeuble qui constitue la résidence principale de son gérant alors qu'il résulte de la comptabilité de cette société qu'elle a régularisé, au titre de l'exercice antérieur à la période vérifiée, la taxe sur la valeur ajoutée déductible pour la partie habitation au 31 janvier 2009. Dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme établissant que l'EURL A... avait connaissance de ce que la mise à disposition gratuite à son gérant d'une partie de l'immeuble loué constituait un avantage en nature et de ce que, par voie de conséquence, ni la part de loyer correspondant à la partie privative ni la taxe sur la valeur ajoutée afférente à cette part privative ne pouvait être prise en charge par la société. Ce faisant, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, de l'intention délibérée de l'EURL A... d'éluder le paiement de l'impôt dû.
12. Il résulte de tout ce qui précède que l'EURL A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté les conclusions de sa demande tendant à la décharge des impositions supplémentaires en litige.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. L'Etat n'étant pas partie perdante à l'instance, les conclusions de l'EURL A... tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de l'EURL A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'EURL A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera transmise à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.
Délibéré après l'audience publique du 19 mai 2022 à laquelle siégeaient :
- M. Christian Heu, président de chambre,
- M. Mathieu Sauveplane, président-assesseur,
- M. Jean-François Papin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 juin 2022.
Le président, rapporteur,
Signé : M. SauveplaneLe président de chambre,
Signé : C. Heu
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière,
Nathalie Roméro
N°20DA01068 2