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02/06/2022 | FRANCE | N°20DA01040

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 02 juin 2022, 20DA01040


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er octobre 2010 au 30 septembre 2012.

Par un jugement n°1800601 du 29 juin 2020, le tribunal administratif d'Amiens, d'une part, l'a déchargée de la majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses dont ont été assortis les rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la pério

de allant du 1er octobre 2010 au 30 septembre 2012, d'autre part, a rejeté le surplu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er octobre 2010 au 30 septembre 2012.

Par un jugement n°1800601 du 29 juin 2020, le tribunal administratif d'Amiens, d'une part, l'a déchargée de la majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses dont ont été assortis les rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er octobre 2010 au 30 septembre 2012, d'autre part, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 juillet 2020 et 17 décembre 2020, Mme B..., représentée par Me Lecocq, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il ne lui donne pas entière satisfaction ;

2°) de lui accorder la décharge des impositions demeurant en litige.

Elle soutient que :

- les pièces extraites des carnets à souche justifiaient la constatation des charges ;

- s'agissant d'achat et de vente d'objets d'occasion, la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge doit être appliquée ;

- il y a lieu de retenir les montants de 181 833 euros pour 2011 et de 136 595 euros pour 2012 au titre de l'achat de pavés et de réduire à due concurrence les bases des bénéfices industriels et commerciaux retenues par l'administration ;

- la preuve de l'élément intentionnel justifiant l'application de la majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses prévue au c. de l'article 1729 du code général des impôts n'est, conformément à la position retenue par les premiers juges, pas rapportée par l'administration ; elle était au demeurant dans l'incapacité de gérer son entreprise pendant la période allant du 1er octobre 2010 au 30 septembre 2012 ; elle n'est pas davantage de mauvaise foi.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 décembre 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête et demande, par la voie de l'appel incident, que la cour annule l'article 1er du jugement du 29 juin 2020 du tribunal administratif d'Amiens et remette à la charge de Mme B... la majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses, dont les rappels en litige avaient été assortis sur le fondement du c. de l'article 1729 du code général des impôts, et dont le tribunal administratif a prononcé la décharge.

Il soutient que :

- Mme B... a comptabilisé une écriture de taxe sur la valeur ajoutée déductible fictive au titre de l'exercice clos en 2011 ; pour corroborer cette déduction par des écritures comptables, Mme B... a comptabilisé une écriture d'extourne du compte de charge 601100 afin de porter cette somme au débit du compte de taxe sur la valeur ajoutée 44566 ; or, cette écriture était destinée à égarer l'action de contrôle de l'administration afin que l'intéressée puisse récupérer indument un montant de taxe sur la valeur ajoutée fictif ; c'est donc à bon droit que l'administration a fait application aux droits en litige des pénalités pour manœuvres frauduleuses prévues au c. de l'article 1729 du code général des impôts ;

- les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 9 novembre 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 3 décembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Sauveplane, président assesseur,

- les conclusions de M. Arruebo-Mannier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., qui exerce à titre individuel une activité d'achat revente de matériaux de construction neufs et de réemploi, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration a, notamment, rappelé des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période allant du 1er octobre 2010 au 30 septembre 2012, qui ont été assortis de pénalités. Par un jugement du 29 juin 2020, le tribunal administratif d'Amiens a, d'une part, déchargé Mme B... de la majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses dont ont été assortis pour partie les rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er octobre 2010 au 30 septembre 2012, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Mme B... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté les conclusions de sa demande tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er octobre 2010 au 30 septembre 2012, assortis pour partie de pénalités pour manquement délibéré. Le ministre de l'action et des comptes publics demande, par la voie de l'appel incident, l'annulation de ce jugement en tant qu'il a déchargé Mme B... de la majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses dont ont été assortis pour partie les rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige.

Sur les conclusions de Mme B... tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige :

En ce qui concerne le rejet de la comptabilité :

2. Aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales : " (...) La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge. / (...) "

3. Pour rejeter comme irrégulière et dépourvue de caractère probant la comptabilité de l'activité individuelle exercée par Mme B..., l'administration a relevé au cours des opérations de vérification, d'une part, que la comptabilité présentée comportait, à titre de justification des achats de pavés payés en liquide, l'utilisation de carnets à souches rédigés par Mme B... dont les mentions ne permettent pas de vérifier la réalité des achats ou d'identifier les bénéficiaires des paiements et qui ne respectent pas les exigences de l'article 242 nonies A de l'annexe II au code général des impôts. D'autre part, l'administration a relevé que la comptabilité comportait une écriture d'extourne de 37 663 euros d'achat de pavés en contrepartie d'un compte de taxe sur la valeur ajoutée déductible, contribuant ainsi à majorer d'un même montant la taxe sur la valeur ajoutée déductible, alors même que les carnets à souches utilisés pour justifier les achats de pavés ne comportent aucune taxe sur la valeur ajoutée déductible. Ensuite, l'administration a relevé de nombreuses irrégularités dans la tenue de caisse, notamment la comptabilisation des retraits d'espèces par une écriture unique de fin d'exercice pour le montant total des retraits de l'année sans que, de surcroit, les bénéficiaires de ces retraits soient mentionnés. Enfin, l'administration a relevé que l'écriture comptable de taxe sur la valeur ajoutée déductible d'un montant de 176 912 euros ne correspondait pas au montant de taxe sur la valeur ajoutée déductible de 208 542 euros porté sur la déclaration CA12 déposée par l'entreprise, celle-ci ayant, ce faisant, majoré indument le montant de la taxe sur la valeur ajoutée déductible. Compte tenu de l'ensemble de ces irrégularités, c'est à bon droit que l'administration a écarté la comptabilité présentée par Mme B... comme irrégulière et non probante.

En ce qui concerne le bien-fondé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée :

4. Si Mme B... soutient que, s'agissant de l'achat et de la vente d'objet d'occasion, la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge doit être appliquée, ce moyen ne peut qu'être écarté dès lors qu'il résulte des mentions de la proposition de rectification que l'administration n'a pas refusé le bénéfice de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge mais a rappelé une insuffisance de taxe sur la valeur ajoutée collectée et refusé le bénéfice de la taxe sur la valeur ajoutée déductible sur les achats non justifiés de pavés, soit deux chefs de rectification sans rapport avec le régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge.

En ce qui concerne les pénalités :

5. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; (...) ". Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs, de la taxe sur la valeur ajoutée et des autres taxes sur le chiffre d'affaires (...), la preuve de la mauvaise foi et des manœuvres frauduleuses incombe à l'administration. ".

6. S'agissant de la taxe sur la valeur ajoutée collectée, pour justifier de l'application aux rappels concernés de la majoration de 40 % pour manquement délibéré, l'administration fait valoir que le montant de la rétention de taxe sur la valeur ajoutée représente 36 % du montant de la taxe sur la valeur ajoutée collectée due par l'entreprise et que le montant de la taxe sur la valeur ajoutée figurant sur le formulaire CA12 est minoré et ne correspond pas au montant du chiffre d'affaires encaissé, entraînant de ce fait une augmentation régulière du solde de taxe sur la valeur ajoutée collectée dans la comptabilité qui ne pouvait qu'attirer l'attention du contribuable, d'autant que les acomptes de taxe sur la valeur ajoutée versés restaient faibles. Ce faisant, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, de l'intention délibérée, qui a été celle de Mme B..., d'éluder le paiement de l'impôt dû s'agissant de ce chef de rectification.

7. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté les conclusions de sa demande tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée ainsi que des pénalités demeurant en litige.

Sur les conclusions d'appel incident du ministre :

8. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; / (...) / c. 80 % en cas de manœuvres frauduleuses (...) ".

9. Pour décharger Mme B... de la majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses prévue au c. de l'article 1729 du code général des impôts, les premiers juges ont relevé que l'administration, qui avait constaté l'existence d'une écriture de taxe sur la valeur ajoutée déductible fictive au titre de l'exercice clos en 2011, s'était bornée à justifier cette pénalité, en substance, par les mêmes motifs que ceux retenus pour l'application de la pénalité de 40 % pour manquement délibéré et que, ce faisant, l'administration ne pouvait être regardée comme apportant la preuve de l'existence d'agissements positifs de Mme B... destinés à égarer ou restreindre le pouvoir de contrôle de l'administration pouvant être qualifiés de manœuvres frauduleuses.

10. Il ressort des mentions de la proposition de rectification que, pour justifier l'application de la majoration de 80 % aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige, l'administration a relevé que Mme B... avait comptabilisé une écriture de taxe sur la valeur ajoutée déductible fictive au titre de l'exercice clos en 2011 au débit du compte de taxe sur la valeur ajoutée 44566 avec, comme contrepartie comptable, une écriture au crédit du compte de charge 601100. A l'appui de sa demande tendant au rétablissement de la pénalité de 80 % prévue au c. de l'article 1729 du code général des impôts, l'administration fait valoir que cette écriture était destinée à égarer l'action de contrôle de l'administration et présentait ainsi le caractère de manœuvres frauduleuses.

11. Toutefois, eu égard au caractère particulièrement visible et irrégulier d'une écriture de contrepartie de taxe sur la valeur ajoutée déductible par le crédit d'un compte de charges, une telle écriture ne pouvait qu'attirer l'attention d'un vérificateur normalement diligent, ainsi que cela s'est d'ailleurs produit en l'espèce. Dès lors, l'administration n'apporte pas la preuve qu'une telle écriture comptable, quoiqu'irrégulière, constitue un agissement destiné à égarer ou restreindre le pouvoir de contrôle de l'administration. Dès lors, le ministre de l'action et des comptes publics n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a prononcé la décharge de la pénalité pour manœuvres frauduleuses dont les rappels de taxe sur la valeur ajoutée concernés avaient été assortis, et à demander le rétablissement de cette pénalité.

12. Il appartient toutefois au juge, alors même que l'administration ne le saisirait pas d'une demande en ce sens, de rechercher si les éléments invoqués par l'administration pour justifier l'application des pénalités pour manœuvres frauduleuses permettent, à défaut d'établir ces dernières, de caractériser l'existence d'un manquement délibéré et de substituer, au besoin d'office, à la majoration de 80 % appliquée par l'administration, la majoration de 40 % pour manquement délibéré prévue au a. de l'article 1729 du code général des impôts.

13. Or, une majoration fictive de taxe sur la valeur ajoutée déductible avec comme contrepartie une écriture comptable au crédit d'un compte de charges témoigne, en soi, de l'intention délibérée d'éluder le paiement de l'impôt dû. En conséquence, l'administration doit être regardée comme justifiant que les agissements de Mme B... présentent le caractère d'un manquement délibéré au sens des dispositions précitées du a. de l'article 1729 du code général des impôts. Dès lors, il y a lieu de substituer d'office à la majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses prévue au c. de l'article 1729 du code général des impôts, la majoration prévue, en cas de manquement délibéré, par le a. du même article 1729.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : L'appel incident du ministre de l'action et des comptes publics est rejeté.

Article 3 : La pénalité de 40 % pour manquement délibéré prévue au a. de l'article 1729 du code général des impôts est substituée à la pénalité de 80 %, dont avaient été assortis les rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de Mme B... au titre de la période allant du 1er octobre 2010 au 30 septembre 2012 à raison de la rectification portant sur la taxe sur la valeur ajoutée déductible sur les achats de pavés et bordures de réemploi, et dont les premiers juges ont accordé la décharge.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera transmise à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

Délibéré après l'audience publique du 19 mai 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Christian Heu, président de chambre,

- M. Mathieu Sauveplane, président-assesseur,

- M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 juin 2022.

Le président, rapporteur,

Signé : M. SauveplaneLe président de chambre,

Signé : C. Heu

La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière,

Nathalie Roméro

N°20DA01040 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20DA01040
Date de la décision : 02/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Heu
Rapporteur ?: M. Mathieu Sauveplane
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : LECOCQ

Origine de la décision
Date de l'import : 14/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-06-02;20da01040 ?
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